Rêvons un peu : le Mexique dans les BRICS+

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Rêvons un peu : le Mexique dans les BRICS+

18 juin 2022 (08H45) – Nous avions, céans, sur ce site et à propos d’AMLO (Andrès Manuel Lopez Obrador), évoqué le destin des choses qui font qu’aujourd’hui, un “nouveau G-8” vaudrait largement le G-8 ancien avant de devenir G-7 (expulsion de la Russie). L’idée a été lancée de Russie, du président de la Douma :

« Dans une communication sur ‘Telegram’, le Speaker de la Douma Viacheslav Volodine a inclus un tableau avec des données du FMI sur le PIB basé sur la parité de pouvoir d’achat (PPA) des pays qu'il appelle le “nouveau G8” et des pays formant l'actuel G7 (après la suspension de la participation de la Russie au bloc en raison du vote de la Crimée en 2014, le G8 s'est effectivement transformé en G7).

» “Le groupe des huit pays ne participant pas aux guerres des sanctions rassemblés en termes de PIB mesuré en PPA, – Chine, Inde, Russie, Indonésie, Brésil, Mexique, Iran, Turquie, – a une avance de 24,4% sur l'ancien groupe”, écrit Volodine.

» Selon lui, les économies des membres du G7, – États-Unis, Japon, Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie et Canada, – continuent à “s’effondrer sous le poids des sanctions imposées à la Russie”. »

Là-dessus, nous élaborions à partir de cette hypothèse, dans une époque où les choses vont si vite que de telles supputations ont largement leur place ; avec la question prospective : que serait exactement ce “nouveau G-8” ? Eh bien, beaucoup plus qu’un simple “G” (Groupe) de plus...

« En fait, on n’est pas loin de suggérer qu’il s’agirait d’un BRICS élargi (où l’on trouve par ailleurs l’Afrique du Sud, puissance africaine qui permet à ce continent de figurer), où l’Amérique Latine avec le Mexique aurait une place et un poids importants. Cette place et ce poids auraient une importance politique également si, par exemple justifié par sa position dans les sondages, Lula redevenait (après ses premiers mandats des années 2000) président en octobre face à Bolsanaro. Au-delà, on peut imaginer d’autres nébuleuses en formation avec ces mêmes groupes de pays, par exemple autour d’organisations telles que l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) dont l’élargissement au-delà de sa sphère régionale et continentale serait plus que justifié par l’élargissement constant de l’OTAN. »

Depuis hier matin où j’ai pris connaissance de la dernière chronique de Pépé Escobar, prestement publiée en français sur  Réseau International’, on voit que l’idée du “nouveau G-8”, que Volodine n’a certainement pas lancé sans arrière-pensées ni soutiens de taille, est faite pour faire diablement vite son chemin. Cela se trace effectivement dans le sens déjà décrit, simplement  parce qu’il tombe sous le sens.

« La puissance de l’acronyme [“nouveau G-8”] a été confirmée par l’un des chercheurs sur l’Europe de l’Académie des sciences de Russie, Sergueï Fedorov : trois membres des BRICS (Brésil, Chine et Inde) aux côtés de la Russie, plus l’Indonésie, l’Iran, la Turquie et le Mexique, tous non adhérents à la guerre économique occidentale totale contre la Russie, domineront bientôt les marchés mondiaux.

» Fedorov a souligné la puissance du nouveau G8, tant sur le plan démographique qu’économique : “Si l’Occident, qui a restreint toutes les organisations internationales, suit ses propres politiques et fait pression sur tout le monde, alors pourquoi ces organisations sont-elles nécessaires ? La Russie ne suit pas ces règles”.

» Le nouveau G8, au contraire, “n’impose rien à personne, mais essaie de trouver des solutions communes”.

» L’avènement du nouveau G8 laisse présager l’arrivée inévitable des BRICS+, l’un des thèmes clés qui seront discutés lors du prochain sommet des BRICS en Chine. L’Argentine souhaite vivement faire partie des BRICS élargis et les membres (informels) du nouveau G8 – Indonésie, Iran, Turquie, Mexique – sont tous des candidats probables.

» L’intersection du nouveau G8 et des BRICS+ conduira Pékin à dynamiser ce qui a déjà été conceptualisé comme la stratégie des Trois Anneaux par Cheng Yawen, de l’Institut des relations internationales et des affaires publiques de l’Université des études internationales de Shanghai.

» Cheng soutient que depuis le début de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine en 2018, l’Empire du Mensonge et ses vassaux visent à se “découpler” ; ainsi, l’Empire du Milieu devrait stratégiquement déclasser ses relations avec l’Occident et promouvoir un nouveau système international basé sur la coopération Sud-Sud. »

Tout cela, y compris la “stratégie des Trois Anneaux”, est considéré d’un point de vue économique essentiellement. Ma tendance est, d’une façon différente, de rechercher la référence dans l’actuel tourbillon crisique créé par Ukrisis. Les événements économiques y apparaissent comme les conséquences, parfois même sinon souvent indirectes et contradictoires, d’événements “de force”, que ces “événements de force” concernent les choses militaires ou les effets psychologiques par la communication. C’est là que se trouve ma référence pour ces hypothèses prospectives dont la caractéristique, si elles se vérifient, est la rapidité extrême à se concrétiser.

Pour mon compte, je pense que des organisations du type BRICS (BRICS+), SCO, “nouveau G-8”, vont nécessairement devenir de plus en plus des rassemblements de forces, sinon de puissances. L’évolution de l’UE, devenue un copié-collé de l’OTAN, nous montre la voie, que cela nous plaise ou non.

L’intérêt de la chose devient alors, toujours selon notre hypothèse, que les USA se retrouveraient avec un immense voisin dont il en supposerait nécessairement et aussitôt, selon son habitude pour tout ce qui concerne les relations internationales, les intentions belliqueuses à son encontre ; si l’on veut, selon un schéma affectionné par les gens du bloc-BAO à propos de la terrible Russie du paranoïaque Poutine vis-à-vis de l’Ukraine ; les USA se vivraient comme la gentille Ukraine agressée par le Mexique tenant le rôle de l’affreuse Russie... D’ailleurs, d’un point de vue objectivement historique et en laissant de côté les qualificatifs de simulacre (“gentille” et “affreuse”), les contestations de base iraient dans le même sens : c’est le Mexique-Russie qui peut prétendre avoir tant de ses ressortissants aux USA, tant de territoires US qui lui furent confisquées en d’autres occasions (guerre USA-Mexique de 1846-1848), etc.

... On reconnaît là mon obsession qui, imitant la formule ‘Delenda est Systema’, et même la dédoublant tout simplement, s’énonce le plus clairement du monde : avant toute chose qui se disent essentielles et clef de toutes les choses qui ne sont essentielles que par conséquent, – ‘Delenda est America’.

On me dirait, et l’on aurait raison, qu’une telle hypothèse est farfelue, qu’on ne fait pas cette sorte de guerre aujourd’hui, que le spectre de la guerre touchant le sacro-saint sanctuaire de l’exceptionnelle Amérique est une ‘fantasy’ de l’esprit ; et l’on aurait raison si l’on était encore du temps d’avant, mais Ukrisis a tout changé, n’est-ce pas... Le Mexique a la chance d’avoir à sa tête un homme d’État et non pas un gommeux hésitant entre l’arrogance avec les faibles impuissants et le cirage de pompes des bottes des puissants – hésitant entre guerre et paix, mondiale et nucléaire s’il le faut, selon le nombre de sièges qu’il peut obtenir à l’Assemblée. Puisque AMLO il y a, j’attends donc cet événement extraordinaire que le Mexique, soutenu par les encouragements des innombrables BRICS+ (disons les “BRISCards” ?), devienne un jour prochain “la Russie de l’Ukraine” pour les USA !

... Ce en quoi, je ne fais que rejoindre une page de ce ‘Journal’ du 3 mars 2022, où je donnais, contre moi-même et sans vergogne, raison à un lecteur tout en tentant de montrer que je croyais n’avoir pas eu tout à fait tort, – là aussi sans vergogne, mais simplement par loyale reconnaissance :

« ... Il s’agit de monsieur Stefano Borselli qui, en commentaire du texte “Le Mexique est-il l’Ukraine des USA ?”, fait cette remarque :

» “ Si j’ai bien compris, le titre aurait dû être ‘Les États-Unis sont l’Ukraine du Mexique’ et non l’inverse”.

» ... Ce en quoi il a tout à fait raison ; peut-être même m’en suis-je aperçu dans une semi-inconscience lorsque j’ai écrit ce texte, et persistant pourtant. Je suis poussé à penser qu’il y a là matière à exploration et réflexion, pas vraiment sur mon inconscient qui ne mérite pas tant d’attention puisqu’il n’est qu’un outil, que sur la façon dont se fabriquent, inconsciemment pour le coup, des phrases comme des images paradoxales qui veulent exposer le sentiment confus de la perception intuitive d’une chose importante. Après vient la signification de ce que vous avez écrit à l’insu de votre pleine connaissance, en toute inconnaissance dirais-je.

» Ce que j’ai voulu inconsciemment exprimer, – j’en viens à cette conclusion, – c’est que l’Ukraine précisément dans ce titre représente “le Désordre”, comme si “le Désordre” (avec majuscule, j’insiste) représentait un événement spécifique et évidemment supérieur aux humains ; on pourrait alors parler du “dieu-Désordre”, qui choisirait ses représentants pour diffuser ses influences, et que l’Ukraine en fût un. De même, dans cette occurrence, le Mexique représente dans sa zone, selon les circonstances qui lui sont propres, “le Désordre” par rapport aux USA et à l’ordre américaniste que les USA imposent aux deux Amériques. »