Le Mexique est-il l’Ukraine des USA ?

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Le Mexique est-il l’Ukraine des USA ?

• Une intervention remarquée du président mexicain Lopez Obrador, qui se veut d’une neutralité active dans le conflit russo-ukrainien, qui refuse de prendre des sanctions antirusses, de condamner la Russie, etc. •  Ce faisant, Lopez Obrador accentue une position d’indépendance très critique des USA, en même temps qu’il peut s’imposer comme une référence de regroupement des pays de l’Amérique Latine autour de cette position. • Lopez Obrador confirme l’extraordinaire capacité qu’il a de ne pas se laisser emprisonner par son idéologie.

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Lors d’une conférence de presse, une question opportune sur les liens qui sont en train d’être explorés du Mexique avec des sociétés russes a permis au président mexicain AMLO (Andres [Manuel] Lopez Obrador) d’exprimer une très forte position hostile à la campagne antirusse qui est à plein régime dans la communauté du bloc-BAO. Jusqu’ici, on n’avait peu fait mention du Mexique lorsqu’on cherchait à décompter les pays refusant la politique américaniste-occidentaliste. Par la force des pressions exercées par le bloc-BAO instituant une relativité des positions, la position de stricte neutralité du Mexique est interprétée comme une position implicitement pro-russe.

Voici l’intervention selon RT-France, qui fonctionne toujours (également sur sa chaîne TV accessible sur le site), dans tous les cas en Belgique :

« “Nous n'allons prendre aucune représailles de type économique, parce que nous devons maintenir de bonnes relations avec tous les gouvernements du monde. Et nous voulons être en mesure de pouvoir parler avec les parties en conflit”, a déclaré sans ambages le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador, lors de sa traditionnelle conférence de presse quotidienne le 1er mars.

» “Je ne suis pas d’accord avec le fait que l'on censure des médias de Russie, ni d'aucun pays. Nous devons faire valoir la liberté de l’information”, a-t-il ajouté, alors que l'Union européenne a promis d’“interdire” les médias financés par la Russie RT et Spoutnik, et que de nombreux réseaux sociaux ont déjà bloqué les comptes de ces médias sur le territoire européen.

» La veille, le 28 février, le chef d'Etat mexicain avait écarté toute fermeture de l'espace aérien de son pays aux compagnies aériennes russes. La compagnie russe Aeroflot propose depuis novembre un vol direct entre Moscou et Cancun, principale destination touristique mexicaine. Membre de l’OCDE, le Mexique prend à contre-pied la position de son voisin étasunien et des pays de l'Union européenne qui soutiennent les sanctions diplomatiques, financières et sportives envers la Russie, engagée dans une opération militaire en Ukraine depuis plusieurs jours. »

La question portant sur les liens à établir ou établis entre sociétés mexicaines et sociétés russes, Reuters a donné quelques détails sur des négociations en cours ou terminées à ce niveau de la coopération économique :

« Les commentaires de Lopez Obrador sont intervenus en réponse à une question sur l'intérêt pour le Mexique du deuxième producteur de pétrole russe Lukoil (LKOH.MM) et de la compagnie aérienne russe Aeroflot (AFLT.MM).

» Lukoil a déclaré vendredi qu'il avait achevé l'acquisition d'une participation de 50 % dans un projet pétrolier offshore au Mexique, dans le cadre de sa volonté d'étendre sa portée mondiale. »

Il y a deux volets à considérer dans l’intervention de grand poids de Lopez Obrador, du fait de l’importance de son pays. Le premier est le volet Nord, le second le Volet Sud...

Une sorte de ‘Donbass mexicain’

La prise de position d’AMLO est d’abord et prioritairement à considérer par rapport aux relations du Mexique avec les USA. Il faut  noter que ce n’est pas la première fois que le président mexicain prend une position d’importance symbolique, hostile aux grands axes du Système aux USA, et sans considérations idéologiques. L’épisode précédent fut celui de l’interdiction du compte-Trump sur Tweeter à la fin 2020. Lopez Obrador condamna sans la moindre retenue l’action de censure, indirectement approuvée par le DeepState de Washington D.C. tout entier mobilisé contre Trump. On remarque aussitôt qu’AMLO s’affranchit totalement des pesanteurs idéologiques : très nettement marqué à gauche (mais de tendance populiste), il condamne une mesure contre un président très nettement marqué à droite (mais de tendance populiste). 

Cela fait l’originalité de Lopez Obrador, qui a aussi soutenu le combat des camionneurs canadiens. Plus qu’aucun autre président mexicain dans le passé récent, Lopez Obrador est sensible au poids que le voisin américaniste fait peser sur son voisin du Sud. Mais il sait beaucoup mieux que ses prédécesseurs montrer une très grande agilité tactique pour renforcer une méfiance affichée vis-à-vis des USA, notamment en refusant toute entrave idéologique dans ses alliances diverses.

D’autre part, AMLO sait qu’il peut lui aussi faire peser un poids important sur les USA à cause de l’importance grandissante de la minorité Latinos, qui est de moins en moins minoritaire et qui reste très attachée à ses racines mexicaines (tout Mexicain émigrant aux USA garde sa nationalité d’origine, même s’il acquiert la nationalité US). Il faut voir dans quelle mesure la prise de position d’AMLO dans le conflit russo-ukrainien ne va pas influencer la position de cette communauté Latinos sur un problème de politique extérieure qui dépend directement politiqueSystème des USA (politique militariste et impérialiste), alors que le cas ukrainien est loin de faire l’unanimité dans l’establishment US, alors que 75% des citoyens US sont opposés à toute intervention des USA en Ukraine.

A cette pression des Latinos en tant que communauté, on ajoutera la puissances des gangs-narcos mexicains, qui jouent un rôle non négligeable dans les relations Mexique-USA. Lopez Obrador a appris à jouer avec ces gangs, en établissant d’étranges relations, qui peuvent être utilisées pour accentuer une certaine pression souterraine sur les USA, dans tous les cas dans certains États.

Enfin, il ne faut peut-être pas sous-estimer une similitude du conflit entre la Russie et l’Ukraine et les relations Mexique-USA. Après tout, certains pourraient voir dans la bande frontalière Sud des USA, voire dans la Californie elle-même, où des zones importantes sont à majorité Latinos et où la langue véhiculaire est l’espagnol, une sorte de ‘Donbass mexicain’. (Le Donbass, avec sa population à très forte majorité russe.) La similitude peut réveiller des tendances mexicaines qui restent sous-jacentes (la Reconquista, mouvement réclamant le retour au Mexique des territoires annexés de force par les USA au terme de la guerre avec le Mexique de 1848, de la Californie au Nouveau-Mexique). Cette tendance centrifuge peut jouer un rôle dans l’actuelle crise américaniste, s’exprimant notamment par une grande hostilité à l’encontre du centre fédéral... En d’autres mots, on voit combien la guerre de l’Ukraine constitue une référence universelle et a donc une dimension crisique absolument exceptionnelle.

Un Sud rebelle ?

Le deuxième point, le “volet Sud”, est ceci que l’intervention de Lopez Obrador renforce notablement le camp hostile à la politique antirusse-BAO en Amérique Latine, déjà manifestée clairement par le Brésil (Bolsanaro, après une visite à Moscou), et implicite pour l’Argentine à l’occasion de son choix du vaccin russe Spoutnik V de lutte contre le Covid. Il y aussi le soutien sans surprise du Vénézuélien Maduro, qui prend soin de rappeler les positions de l’immensément populaire Hugo Chavez (mort en 2013) sur cette sorte de conflits :

« “J'ai eu une conversation téléphonique avec le président, Vladimir Poutine, j'ai ratifié la condamnation par le Venezuela des actions déstabilisatrices de l'Otan. J'ai réitéré la ferme disposition en faveur de l'entente et du dialogue, comme moyen de préserver la paix”, a écrit Nicolas Maduro sur Twitter, dans l'après-midi. L'opération militaire russe a été condamnée comme une guerre d'invasion notamment par les Occidentaux, qui ont multiplié les sanctions à l'encontre de Moscou.

» Après le lancement de cette offensive, le président vénézuélien avait déjà exprimé son soutien à la Russie : “Le Venezuela est avec Poutine, il est avec la Russie. Il est avec les causes courageuses et justes dans le monde.” Nicolas Maduro a rappelé que son prédécesseur et mentor Hugo Chavez (1999-2013) avait soutenu la Russie lorsque celle-ci était intervenue en Géorgie, volant au secours de la république autoproclamée d'Ossétie du Sud. »

Lopez Obrador occupe déjà une position de forte influence, au niveau idéologique (gauche populiste), mais aussi au niveau géographique dans le sens culturel d’une opposition aux USA et à leur ‘doctrine Monroe’, ou “arrière-cour des USA”. Sur ce deuxième point, l’idéologie ne compte plus guère, et même des régimes de droite, en apparence peu compatibles avec le Mexique d’AMLO, le deviennent tout à fait. (D’où cette possibilité de mettre ensemble un Lopez Obrador nettement à gauche, un Bolsanaro d’une droite capitalistique dure et un Maduro qui s’affirme héritier du populisme chaviste, en plus par exemple de l’Argentine néo-péroniste, voire un Salvador exotique mais néanmoins anti-US, et cela sans compter le Nicaragua et Cuba bien sûr.) En fait, la crise ukrainienne est l’occasion inespérée de refaire d’une façon offensive une unité de l’Amérique Latine qui soit moins idéologique que culturelle, identitaire et souverainiste, basée sur plusieurs points :

• l’hostilité à l’hégémonie US, dans sa version classique WASP (suprémacisme anglo-saxon) aussi bien que dans sa version wokeniste (LGTBQ) en ceci que le wokenisme est une courroie de transmission pseudo-révolutionnaire du DeepState et du globalisme-BAO ;

• l’hostilité aux USA sur le plan intérieur, en tant qu’entité instituée comme une puissance autobloquante de toute émancipation des deux Amériques, avec une pression favorisant l’extension et l’approfondissement de la crise ontologique en cours aux USA ; et, dans ce cas également, la proximité de la Russie est une évidence stratégique ;

• la participation mieux organisée de l’Amérique Latin à une sorte de néo-tiers Monde alliant des organisations comme le BRICS (ce qu’il en reste), l’OCS, etc., beaucoup plus développé que l’ancien, sinon à égalité de capacités pour certains pays avec le bloc-BAO. Il s’agirait alors plutôt d’une imbrication dans le mouvement de contestation générale de l’ordre du BAO, menée par la Russie et par la Chine, et par conséquent à ce qu’on perçoit de formidablement important dans l’aspect rupturiel et civilisationnel de la crise/la guerre ukrainiennes.

 

%os en ligne le 2 mars 2022 à 11H55

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