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77024 juillet 2006 — Avec ce commentaire, nous complétons celui paru samedi en abordant le même problème, mais considéré du point de vue US. C’est logique, dans la mesure où le point central de notre thèse est celui de l’américanisation de Tsahal au-delà de ce que nous-mêmes envisagions dans cette hypothèse, et son échec à cause de cela par rapport à ses ambitions manifestes d’une victoire nécessairement rapide. (Il faut aller vite quand vos amitiés fidèles vous pressent et espèrent que vos bombes vont faire accoucher le nouveau, le tout nouveau Moyen-Orient. Question de doigté, dira-t-on.)
Nous nous basons essentiellement sur le second article de The World Tribune que nous publions par ailleurs sur ce site, qui donne effectivement le point de vue américaniste sur la performance de Tsahal. Ce point de vue est du plus complet intérêt.
L’essentiel de ce qui nous intéresse se trouve dans les quatre paragraphes ci-dessous. Ils expriment un point de vue très répandu à Washington au regard de ce qui s’est passé depuis les 12-13 juillet dans le ciel du Liban.
« Government analysts said the Israel Air Force has sought to erode Hizbullah capabilities rather than strike a blow that would shatter the militia's command and control.
» “There's no shock and awe here,” a senior government analyst, referring to the U.S. strategy in Iraq, said. “Hizbullah has been hurt but has managed to continue.”
» The analysts said Israel has adopted a bombing campaign that resembled the U.S.-led NATO bombardment of Serbia in 1999. For 78 days, NATO warplanes struck civilian and military targets in an effort to stop President Slobodan Milosovic from expelling Muslims from Kosovo. In the end, Milosevic agreed to a ceasefire after NATO threatened a ground invasion.
» “I can't see this as a successful strategy,” another analyst said. “In Yugoslavia, NATO had all the time in the world. Israel can't count on more than two weeks.” »
On comprend aussitôt ce que ces quelques réflexions ont d’extraordinaire, renvoyant évidemment à l’axiome de l’évaluation opérationnelle américaniste, largement explicité dans un commentaire en “Notes de lecture” : “la réalité nous montre que nous avons fait des erreurs, nous avions donc raison” ; avec ce “dommage collatéral” du raisonnement : faisons-en donc encore plus (sous-entendu : des erreurs encore plus accentuées).
L’explication est toujours la même. La réalité n’intéresse pas l’américanisme ; ce qui intéresse l’américanisme, c’est la poursuite, l’application et l’affirmation constante de l’inimaginable justesse de ses vues. Celles-ci n’ont de valeur que par rapport à elles-mêmes ; et elles-mêmes n’ont de valeur que par rapport à ceux qui en débattent entre eux ? Le champ théorique où elles évoluent est bien connu. Ce n’est ni le Liban, ni Israël ni le nouveau Moyen-Orient puisque tout se passe à Washington D.C., au Pentagone et alentour, au Congrès, dans les “think tanks” concernés et dans les bureaux d’étude de l’industrie de défense.
L’évolution et l’affirmation de ces vues ne se font nullement en fonction de la réalité. Si nécessaire (et c’est si souvent le cas que c’en est un mode d’emploi), on déformera encore plus la réalité qu’elle n’a été jusqu’ici, d’une façon naturelle, comme allant de soi. La réalité ne joue dans cette pièce qu’un rôle très secondaire, un faire-valoir autorisé à faire tapisserie à condition d’être aux couleurs de la pièce ; elle est donc déformée comme elle doit l’être pour servir à la dialectique des services de communication. Le virtualisme est omni-présent, son utilisation est constante.
Le reproche fait à Tsahal est de n’en avoir pas fait assez dans le sens de ce que nous avons identifié comme son défaut principal et son erreur essentielle. Au lieu de faire comme au Kosovo (un bombardement trop timide aux yeux des experts), il fallait faire comme en Irak (une offensive “schock & awe”, une vraie de vraie, — la “frappe” brutale et décisive, et nullement l’attrition). Comme chacun sait, c’est en Irak, en mars-avril 2003, que “schock & awe” fut appliqué avec le plus de rigueur et de vigueur et c’est par conséquent le modèle irakien qui est brandi en exemple, et que les Israéliens n’ont pas suivi.
Il semble désormais impossible de communiquer avec ces gens (ceux qui, ici, mènent la critique des Israéliens et représentent le point de vue de la bureaucratie américaniste). Ils nous donnent l’exemple de l’action en Irak au moment où celle-ci semble devoir aboutir à la partition du pays sous la pression d’un chaos devenu guerre civile. L’essentiel est bien que “schock & awe” a été accompli en Irak, avec le résultat voulu qui confirme les propositions théoriques ; que ce résultat ait ensuite abouti en réalité à ce qu’on sait, notamment en raison de “schock & awe” qui a fortement contribué à la destruction structurelle de l’Irak, n’apparaît nulle part comme devant avoir la moindre place dans le raisonnement.
(Quant à l’exemple du Kosovo, présenté d’une façon là aussi très étonnante comme une campagne de bombardement progressive et à “doses hépatiques” finissant en succès parce que l’OTAN avait le temps de suivre une telle tactique, il est résumé comme d’habitude d’une façon trop erronée pour qu’on leur fasse reproche d’être des menteurs. Il y a autre chose. L’affaire du Kosovo est résumée, c’est plus simple à dire, d’une façon virtualiste, comme le reste… La réalité n’a rien à voir avec ce conte pour stratèges studieux, il s’agit d’une autre campagne du Kosovo. La réalité nous rappelle qu’après le débat que Clinton trancha contre l’avis de Blair, il ne fut pas question dans la guerre du Kosovo d’offensive terrestre de l’OTAN. Clinton avait bien trop peur des pertes américaines. Milosevic n’a pas cédé à cause de la menace d’une attaque terrestre qui n’a jamais été brandie et que, éventuellement, l’armée yougoslave attendait de pied ferme et même avec une certaine impatience. Il a cédé, le 3 juin 1999, après avoir appris de la bouche du ministre des affaires étrangères russe que la Russie le laissait tomber. Milosevic n’avait tenu jusqu’alors que parce que la Russie le soutenait. Autant pour l’efficacité de l’offensive aérienne qui eut surtout pour premier effet de menacer l’unité des alliés parce que certains désapprouvaient les attaques contre des objectifs civils. La première menace de la seule offensive aérienne fut celle-là.)
Les jugements rapportés ci-dessus sur l’action israélienne reflètent assez précisément la position générale des experts du Pentagone vis-à-vis d’Israël. On estime que, par “timidité”, en n’appliquant pas de façon assez appuyée et systématique la doctrine américano-israélienne d’attaque massive de précision, Tsahal a raté son offensive aérienne initiale et, par conséquent, son but de détruire d’un coup initial et décisif le Hezbollah.
La réaction indirecte de Tsahal à ces critiques, — “indirecte”, parce que décrite dans son comportement et non pas dans des réponses directes, — se trouve présentée dans un article du New York Times du 23 juillet, de Steven Erlanger : « Troops Ready, but Israel Bets on Air Power. » Elle nous montre une armée israélienne incertaine, prudente, devant la perspective d’un déploiement terrestre dans la zone du Sud Liban qui s’impose après le constat d’insuffisance de l’offensive aérienne ; une armée israélienne qui ne craint rien de plus qu’un “enlisement” au Liban comme en 1978-1982 (jusqu’en 2000) et qui continuera à utiliser la puissance aérienne d’une façon massive sur cette zone pour tenter d’éliminer le Hezbollah dans cette zone.
« After two days of fighting in the area, Israeli troops entered Maroun al-Ras in Lebanon on Saturday. Near there, above the northern Israeli town of Avivim, Hezbollah has built an underground warren of metal-lined tunnels, barracks and rocket-storage facilities, the officer said, showing photographs of an entrance disguised by a metal lid covered with leaves and branches, visible only from the ground.
» For the last three days, Israel has been telling the residents of southern Lebanon, through leaflets, radio broadcasts, taped telephone messages and conversations with the local authorities, to leave these villages and move north.
» But the preparation now seems to be less for a ground invasion than for more punishing airstrikes to try to eliminate Hezbollah military assets and stockpiles, which the Israelis say are distributed and hidden through the civilian population, in houses, garages and apartments.
» “We want the freedom to attack these places,” the officer said. “I believe in air power. I believe in our ability to destroy Hezbollah without going into Lebanon again the way we did in 1982. And the only way to do it is to attack any movement we detect, any launch or any activity aimed at hitting Israel — especially from the villages we see.”
» The overall aim, Israel says, is to weaken Hezbollah sufficiently so that the international community can help the Lebanese government to carry out United Nations Security Council Resolution 1559 and exercise its sovereignty all over Lebanon, expelling any foreign fighters and disarming Hezbollah.
» Israel is more interested in having an international force patrol the border than it has been in the past, officials say, especially if the force has rules of engagement that will allow it to ensure that Hezbollah cannot reinfiltrate to the border.
» Israel wants “to change the calculus for any future kidnapper,” showing that it will respond in force and that the Israeli population is willing to suffer pain and casualties, undermining the theory of Hezbollah’s leader, Sheik Hassan Nasrallah, that Israeli society is “like a spider’s web,” soft and easily broken.
» Hezbollah will not surrender, the officer said. “They won’t come out with a white flag. But at the end they should be beaten and be seen to be beaten. It won’t be a knockout, but what matters is how big the decision is on points.”
» Currently, as Israeli troops and armor continue to build on the border and commandos operate secretly and deeper inside Lebanon, Israeli infantry activity has been limited to operations within a mile or two of the border.
» These operations, described by Israeli chief of staff Lt. Gen. Dan Halutz as “limited” and “pinpoint,” have focused on knocking down Hezbollah outposts built on the border, finding and destroying camouflaged storehouses, barracks and rocket launching sites and defusing some of the many boobytraps and “improvised explosive devices,” which contain up to the equivalent of one ton of TNT, the Israelis say. Israel’s wider bombing campaign across Lebanon has killed hundreds of civilians and reduced parts of south Beirut and southern Lebanon to rubble.
» “We’re moving very carefully” to destroy outposts, storage areas and take control of elevated positions that provide a field of fire, the officer said. “We have time.” »
Nous avons là tous les ingrédients pour un “nettoyage ethnique”, cette fois plutôt par élimination (déplacement forcé) des populations, de façon à tenter d’établir une zone de “No man’s land” (“No Hezbollah’s land”, par conséquent) où pourrait se déployer une force internationale. Israël n’y est nullement hostile, après avoir accompli sa “mission” ; après avoir évoqué l’OTAN, c’est maintenant l’UE dont on parle.
Reste la question de la durée de la “mission” en question. Pour cela se pose le problème du Hezbollah lui-même, c’est-à-dire de sa capacité de combat. Les Israéliens ne cachent pas leurs difficultés à cet égard. Voir cet autre texte de Al Jazeera.net/AF :
« Israeli soldiers returning from the front in Lebanon say that Hezbollah has given them more of a fight than they expected. They said they were battling an intelligent, well-prepared and ruthless guerrilla army whose fighters didn't seem to fear death. “It's hard to beat them,” one soldier said. “They're not afraid of anything.”
» The soldiers described exchanges of gunfire in between houses and on village streets with Hezbollah fighters sometimes popping out of bushes to fire Kalashnikovs, rocket propelled grenades (RPG) and anti-tank missiles. (...)
« For the past few days, Israel has been fighting for control of the tiny southern Lebanese village of Maroun al-Ras, located on a hilltop less than 500 metres across the border. The army said it had taken the village, but gunfire and the blasts of artillery shells could still be heard on Sunday as tanks and helicopters pounded positions inside. Officers at the scene confirmed there was still fighting to do.
« “They're not fighting like we thought they would,” one soldier said. “They're fighting harder. They're good on their own ground.” One soldier said the guerrillas wore olive green army uniforms “to confuse us” because Israelis wear the same. Others said Hezbollah hid underground in reinforced bunkers until they thought it safe to come out and attack. The Israeli troops prefer to stay away from those bunkers, the soldiers said, instead calling in coordinates so forces massed behind the border can hit them with guided missiles.
» “It will take the summer to beat them,” said Michael Sidorenko, 21, resting in the shade of a road sign with other combat troops. On the hills behind him, loud gunfire and the constant thud of explosions could be heard. »