Remarques : individualisme & globalisation

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

   Forum

Il y a 3 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 4165

Remarques : individualisme & globalisation

22 novembre 2019 – Je crois qu’il est intéressant sinon nécessaire de revenir sur  ce texte d’avant-hier sur « La passion fusionnelle capitalisme-gauchisme », – dont le titre aurait pu aussi bien être “la fusion passionnelle...”, j’ai hésité à ce propos... Je découvre notamment, mais d’un point de vue tout à fait essentiel, qu’il s’agit de compléter ce que j’ai repris du texte de Rectenwald sur ce qui rapproche décisivement et passionnément l’hypercapitalisme (le néo/ultra-libéralisme) et le gauchisme (le progressisme-sociétal, ou “marxisme culturel”) ; et, du coup, là aussi décisivement, renforcer la deuxième partie du texte où sont décrites la réticence critique sinon l’hostilité des courants marxistes traditionnels devant cette résurgence, cette renaissance d’un “marxisme”, qui apparait alors comme du pseudo-“marxisme” mariné à la sauce postmoderne (ce qu’ils nomment également “marxisme culturel”, indiquant par là sans qu’ils le sachent vraiment, plus un mode opératoire [investissement par la culture] qu’une appréciation de fond, – de la tactique-Gramsci sans la pênsée-Gramsci).

Il y avait ceci pour introduire cette deuxième partie, qui situe les deux thèses en présence :

« Mais il y a un paradoxe à cette évolution assez rapide et qui s’est imposée avec une puissance inimaginable, de l’alliance [la “passion fusionnelle”] entre le gauchisme (gauchisme-sociétal, pour parer cette mouvance des colifichets bling-bling des singularités humaines à caractère sexuel-absolument-libéré [qui lui siéent si parfaitement]) et l’hypercapitalisme néo-libéraliste. Il s’agit de la position de forces marxistes de vieille souche, c’est-à-dire ces vieilles souches soi-disant inspiratrices de nos néo-révolutionnaires alliés au capital, qui restent redevables, à plus ou moins bon escient, et parfois même ridiculement mais qu’importe car seul nous importe le paradoxe, à cette fameuse doctrine. Ces vieilles forces marxistes qui ont gardé du marxisme ce qui leur importait, n’entendent pas une seconde y renoncer, et elles se font implicitement les plus virulents critiques de ces nouvelles forces gauchistes-sociétales, ou “marxistes-cultuelles”... »

Le point essentiel, qui est omis à ma grande confusion et qui est d’une importance centrale, séparant sans doute plus encore ces pseudo néo-“marxistes” postmodernes des anciens marxistes et permettant aux premiers d’être si fusionnels avec l’hypercapitalisme, c’est l’individualisme. Il s’agit, opérationnellement, de la négation complète de tout aspect de solidarité, de toute référence collective spécifique qui permet de dépasser l’individu au profit d’une dynamique collective, et qui pourrait même être, bien au-delà du marxisme historique et de façon critique par rapport à toute la modernité, une ontologie collective intégrant l’individu en donnant un sens à son destin, comme le proposent les grands courants de la Tradition.

(Dans ce cadre, bien entendu, le marxisme classique, qui a pourtant aujourd’hui sa vertu tactique face au Système et à son actuel déchaînement, est lui-même mis en question comme un avatar d’une modernité non encore tardive mais encore au stade des “lendemains qui chantent”.) 

L’individualisme des gauchistes progressistes-sociétaux et “marxiste culturels”’ correspond bien sûr complètement à l’hypercapitalisme en lui offrant une morale qu’on pourrait bidouiller en philosophie de bazar et de talk-show qui va bien au teint de ces charlatans, d’une part ; et d’autre part, et d’une façon bien plus décisive, lui offrant  une dialectique idéologisée en une dynamique de déstructuration, de dissolution et d’entropisation (le fameux dd&e).

Pour le reste, il n’est question bien entendu, dans le chef satisfait de soi de de tous ces grands esprits, que des habituels traits de vanité, d’égoïsme et de la quête assez commune du plaisir de l’instant, recélant un abaissement et un amollissement extraordinaires du caractère, conduisant à une intelligence atrophiée, adoptant avec enthousiasme une logique d’esclave content de soi, une sorte de joyeuse servitude volontaire postmoderne expliquée aux Nuls. (Certes, pour moi, les “gagnants de la globalisation” que sont ces militants de l’individualisme dd&e sont bien plus les serviteurs et les adeptes de la servitude volontaire que les deplorables d’Hillary Clinton et autres Gilets-Jaunes.)

Il y a une seconde remarque que je voudrais faire, qui a souvent été faite sur ce site et qui mérite d’être rappelée aux occasions qui conviennent. Elle concerne l’emploi fait par les commentateurs français, Système ou antiSystème, du terme “mondialisation”, notamment utilisé dans ce cas pour caractériser le but ultime de l’éradication de toutes les différences et de toutes les identités de cette “passion fusionnelle” entre hypercapitalistes et gauchistes, “marxistes-culturels” et progressistes-sociétaux.

Ce terme est impropre à la qualification de l’entreprise d’entropisation considérée ici, et les Français, qui ont l’avantage de posséder les deux mots dans leur langage courant devraient s’attacher à utiliser le terme unanimement utilisé par les Anglo-Saxons (qui sont les courroies de transmission de cette entreprise diabolique), de “globalisation”. Le premier est d’un sens neutre qui n’exprime rien de l’aspect diabolique du projet, tandis que le second exprime complètement cet aspect en offrant une référence à la doctrine du globalisme, qui implique un changement de nature impliqué par le processus (“l’addition des parties donne un tout qui est différent en nature de ces parties additionnées”).

Pour mémoire donc, un renvoi à un texte du 6 janvier 2005 et, extrait de ce texte, la tentative de définition antagoniste des deux concepts :

 « ...• “Mondialisation” n'implique pas un changement de [nature]. Il s'agit littéralement d’« une extension au monde », sans autre caractéristique spécifique fondamentale. C'est un mouvement géographique naturel qui n'implique ni n'empêche éventuellement quelque autre modification que ce soit. Il s'agit d'une ouverture d'une région, d'une communauté, d'une nation, vers le reste du monde, selon les possibilités et les opportunités, et dans des dimensions mesurées par les réalités du monde. Pour cette raison, on dira que la mondialisation est de tous les temps, de toutes les époques, dès lors qu'existe une communauté dont l'évolution naturelle est d'établir des contacts extérieurs de toutes les sortes (commerciale, mais aussi culturelle, politique, etc.). La mondialisation connaît également des phases différentes, de ralentissement, d'accélération, des phases agressives et des phases apaisées, selon les circonstances. C'est un mouvement de l'histoire conforme à la géographie. Finalement, la mondialisation a toujours existé comme la respiration du monde, et si elle a changé c'est que le monde a varié de dimensions dans l'histoire.
» • La “globalisation” renvoie  in fine à une thèse qui est le globalisme. C'est une doctrine et nullement un constat, marquant une différence essentielle d'avec la mondialisation. Le globalisme implique que « le tout est plus que l'addition des parties qui le composent » : dans la fusion des « parties » se réalise un changement de [nature]qui est une nécessité impérative du concept... »

... Il s’agit d’une remarque importants parce qu’elle concerne le sens le plus profond des choses qu'elle décrit, cela déclenchant dans l’esprit des processus influant le jugement sinon la perception du monde. C’est une appréciation qui renvoie bien entendu, d’une façon très opérationnelle dans ce cas, au logocrate que je ne me cache pas d’être. Elle vaut encore plus dans cette époque où la communication domine tout, conduit tout, règle tout de notre sort, et une communication qui n’est pas une fatalité mais qui est toujours à prendre avec son  effet-Janus, – par l’antiSystème habile, avec habileté, comme par le zombieSystème complètement lobotomisé, obéissant à son cerveau réduit par les Jivaros postmodernes.