Quand donc Poutine se mettra-t-il en colère ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Quand donc Poutine se mettra-t-il en colère ?

25 octobre 2025 – La psychologie et le comportement de Poutine (tout comme ceux de Trump) constituent un des principaux facteurs de la situation ukrainienne. On sait que Poutine tient une position qu’on dirait paradoxalement “maximaliste” de recherche d’arrangement avec les USA, ou plutôt Trump en particulier, mais il a été jusqu’ici grandement et régulièrement déçu. On peut penser qu’on parvient actuellement, après le nième revirement de Trump, l’un des plus radicaux dans le sens d’un retour dans le camp des neocon maximalistes, n’est pas loin de porter le coup mortel et fatal aux conceptions de Poutine, comme si Anchorage n’avait jamais eu lieu. Cela est dit désormais de façon publique, comme nous le notions hier :

« Car, soyons clairs, c'est, sinon une critique de Poutine, du moins une critique de sa méthode quand Medvedev évoque les nombreux commentateurs qui nourrissent encore des illusions. Eh bien, la personne qui a passé la plupart de son temps à avoir huit conversations téléphoniques avec Trump et à le rencontrer en Alaska, la personne qui a nourri ces illusions, c'est Vladimir Poutine lui-même. »

Et l’on observait une première remarque de Poutine marquant un durcissement de sa position. Comme l’avait précédemment dit Mercouris, décrivant le “fonctionnement” de Poutine :

« Lorsqu’il se sent vraiment en minorité au milieu de sa direction et qu’il constate que les événements justifient leur position, Poutine infléchit petit à petit sa position pour se retrouver au sein de cette majorité... »

L’insistance de la complaisance

Effectivement, le compte-rendu, sur RT-français pour ce cas, de la première déclaration de Poutine à la presse à propos de la situation américano-russe après l’“annulation” du sommet de Budapest, montre ce mélange, – à notre sens pas vraiment subtil mais plutôt téléphoné à l’heure de grande écoute, – du “tout n’est pas tout à fait perdu” et du “mais si les choses tournent mal, ils trouveront à qui parler” :

« Le président russe a précisé que l’idée de cette rencontre [de Budapest] provenait de la partie américaine. “Lors de notre dernier échange téléphonique, Donald Trump m’a proposé d’organiser une réunion bilatérale, et il a même suggéré Budapest comme lieu”, a-t-il déclaré. Il a ajouté qu’il avait accepté la proposition, tout en soulignant qu’un tel sommet ne pouvait avoir lieu sans une préparation sérieuse. “Ce serait une erreur pour les deux parties de se rencontrer sans objectifs clairs ni résultats concrets.”

» Toujours selon Vladimir Poutine, les États-Unis s’étaient engagés à mobiliser plusieurs responsables pour organiser cette rencontre, et la Russie attend toujours la composition finale de la délégation américaine avant d’annoncer la sienne.

» Malgré les déclarations de Trump évoquant une annulation, Poutine estime qu’il s’agit en réalité d’un simple report : “Le dialogue est toujours préférable à la confrontation”.

» Concernant les déclarations sur des livraisons de missiles longue portée à l’Ukraine, Vladimir Poutine a mis en garde contre une escalade grave. “Si de telles armes sont utilisées contre notre territoire, la réponse de la Russie sera très sérieuse, voire même écrasante”, a-t-il averti. Le président russe a appelé ceux qui envisagent de telles actions à “réfléchir aux conséquences”. »

A notre sens, – c’est notre impression intuitive, – Poutine reste persuadé sans plus y croire vraiment qu’il y a moyen de “forcer” Trump à reconsidérer sa position après que les neocon l’ait retourné une fois de plus, pour à nouveau les lâcher. Ce n’est sans doute pas faux tant il semble bien que le caractère de Trump soit vraiment d’une extrême faiblesse et d’une grande vulnérabilité pour ce qui est des influences extérieures immédiates. Mais alors, si l’on retournait Trump à nouveau, dans le sens voulu par Poutine, que vaudrait ce retournement ? Combien de temps tiendrait-il ? Cette complaisance du président russe ne peut plus durer longtemps alors que ses troupes poursuivent leur avance irrésistible.

Le dégoût que Trump suscite à Moscou

L’un ou l’autre commentateur apporte sa touche, parfois microscopique mais pourtant pas sans intérêt sinon même d’une signification profonde parce que jaillie de l’inconscient, montrant que Poutine se force à cette attitude de prudence et de complaisance mais qu’il est convaincu, jusqu’à être “dégoûté”, de la félonie du comportement de Trump. C’est un sentiment, – le dégoût de Trump, – qui semble général dans la direction russe. C’est le cas de Mercouris, qui a bien entendu une mémoire absolument incollable.

« Le fait est que ceci est le résumé le plus cinglant de la situation militaire actuelle dans le Donbass, avec les commentaires de Poutine sur Trump depuis son accession à la présidence. Et pour en revenir à ce commentaire de dégoût, ce commentaire sur le dégoût russe envers le comportement de Trump, j'ai remarqué un fait intéressant concernant les commentaires de Poutine : il évite de mentionner Trump nommément. Il le fait autant que je sache dans ses commentaires. Il ne mentionne Trump nommément qu'une seule fois. Il dit qu'il est notoire que, lors de son premier mandat présidentiel, le président Trump a imposé le plus grand nombre de sanctions jamais imposées à la Russie, et que cela n'a rien changé. C'est le seul endroit où je trouve dans ses commentaires une mention nominative de Trump. Dans tous les autres passages, il le désigne purement et exclusivement comme le président des États-Unis. Si vous suivez attentivement Poutine, si vous savez comment les Russes abordent ce genre de déclarations, lorsqu'ils évitent de nommer quelqu'un, s'ils ne le nomment pas dans leurs commentaires, c'est un signe clair de leur profond dégoût pour le comportement de cette personne. »

Le “moment ‘Orechnik’” ?

Un autre point intéressant cité par Mercouris concerne l’emploi par Poutine du qualificatif “stupéfiante” (ou “écrasante”, comme vu plus haut) pour caractériser ce que serait la riposte russe en cas d’emploi du ‘Tomahawk’, ou de tout autre missile à portée importante contre le territoire de la Fédération de Russie. Dans ce cas, Mercouris cite un article d’Anatol Lieven, qui est un analyste qu’il nous est déjà arrivé de citer depuis très longtemps (voir notamment le 29 décembre 2006). Lieven est un journaliste à l’esprit assez indépendant mais nullement un marginal de la dissidence.

Lieven rentre de Russie, – ce qui montre qu’on va désormais beaucoup en Russie, même pour les journalistes qui ne sont pas des dissidents notoires, – et il a rapporté dans un article des indications précises sur ce que serait cette riposte annoncée par Poutine. Mercouris nous présente la chose et ne nous cache pas que le terrible ‘Orechnik’ serait de la partie...

« Il s'agit d'une prétendue violation, cette fois, de l'espace aérien lituanien par un avion de chasse et un avion de transport russes, dont les Lituaniens parlaient hier. Une violation qui n'a d'ailleurs duré que 17 secondes. Quoi qu'il en soit, les menaces d'abattre des chasseurs ou des avions russes… Anatol Lieven a été informé que si cela recommençait, la Russie riposterait militairement. Les pressions exercées sur Poutine seraient écrasantes et il ne pourrait y résister. Anatol Lieven mentionne que ce serait un scénario catastrophe qui pourrait facilement échapper à tout contrôle et qu'il existe une réelle possibilité que des armes nucléaires soient utilisées. Il est peut-être bon de rappeler qu'en novembre dernier, lorsque les Russes ont lancé leur missile Orechnik, ils ne disposaient que d'un nombre très limité de missiles d'essai de ce type. Orechnik est désormais produit en série. Il semblerait qu'il soit entré en service dans les forces armées russes. Les Russes sont cette fois bien mieux placés que l'année dernière pour mener des frappes en profondeur contre des cibles en Europe avec des missiles hypersoniques conventionnels. »

Ici, il est intéressant de noter pour notre gouverne, et notre insistance à citer les capacités de l’‘Orechnik’ quasiment équivalentes à du nucléaire en termes de dégâts, même avec un armement conventionnel. (Idée valable pour tous les systèmes hypersoniques.) Il s’agit d’une idée de plus en plus répandue, souvent employée par des dissidents, notamment John Helmer de Moscou, parlant du “moment ‘Orechnik”, lorsqu’il sera question d’une frappe stratégique majeure de la Russie contre un pays occidental, une de ses bases, une de ses forces, etc., sans monter au nucléaire. C’est laisser à l’adversaire la responsabilité monstrueuse, s’il riposte en nucléaire pour infliger des dégâts équivalents puisqu’il n’a aucun équivalent de l’‘Orechnik’, de déclencher un échange nucléaire au plus haut niveau avec la possibilité d’anéantir, non seulement la civilisation, mais la possibilité de la fin de l’espèce.

C’est ainsi que s’explique et que se justifie le “dégoût” des Russes : d’une façon impitoyable, au risque du grand affrontement que les USA suscitent comme des automates devenus zombies. Poutine fera comme les autres, il les suivra jusqu’à sembler les précéder.