Promenade métaphysique et déferlante

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Promenade métaphysique et déferlante

29 octobre 2020 – Prenez ceci, hier en fin de journée, comme rapporté sur C.News, lors d’un des rendez-vous chez Pascal Prau, celui d’hier soir en l’occurrence : le gaulliste (?) Christian Jacob, rapportant la rencontre du gouvernement avec les chefs des principaux partis politiques, vous voyez une rencontre du type- ‘union nationale’, etc. On parle, on parle, et rien ne vient ; et Jacob qui dit finalement à Castex, selon le rapport qu’il nous fait, à nous autres téléspectateurs : « Mais vous n’avez rien à nous dire de concret, sur quoi l’on puisse donner notre avis, simplement pour n’être pas venu pour rien, ensuite vous déciderez ce qu’il vous plaira ? » ;
et finalement, Castex de répondre, masque déployé et Premier ministre au charbon : « Mais non, moi-même, vous savez, je ne sais pas grand’chose » ;
il est tout à fait probable, selon mon avis très ingénu, que Castex soit effectivement et de ce point de vue en panne d’inspiration, sinon d’information ; et il est assez probable également, conclut enfin la rumeur que je privilégie, que Macron lui-même se trouvait dans le même cas.

Je veux dire, pour cette dernière remarque, qu’il s’agit de ma conviction : comme tout le monde, Macron n’est au courant de rien, parce qu’en fait, je veux dire y réfléchissant d’une façon réellement sérieuse, il n’y a rien à savoir que nous puissions vraiment savoir ; nous sommes trop ... tendres, c’est cela, trop irresponsables, trop prisonniers de nos lieux-communs et des slogans fabriqués que nous nous exerçons et nous forçons, comme garnements punis, à sans cesse répéter ; nous sommes beaucoup trop prisonniers de nos mensonges de gentillesse, de bonne compagnie, de bonne volonté, bref de cet emprisonnement de soi-même dans une addition formidable d’autant de nœuds gordiens pour conserver le bon cap du simulacre, et ainsi obéissant aveuglément aux fabrications de nos illusions.

Les dieux, eux, passent comme les cigognes décidant de migrer pour suivre l’humeur de la saison parce que c’est la nature du monde, – et voilà que nul ne s’inquiète plus de nous ! se plaignent les décideurs, les élus du peuple, les magistrats suprêmes de la légitimité populaire... Et puis, badaboum ! Oui, vous avez raison, tout le monde s’en fout, après tout...Parce que et tout simplement considéré, poursuit la chronique historique de ces temps métahistoriques, qui donc les errements du re-confinement pourraient-ils intéresser encore ce matin, passés les 10H30 et les nouvelles de la langoureuse Côte d’Azur devenue brutalement théâtre de ces étranges opérations “de guerre” ?

En effet, s’interrogent les philosophes et les chroniqueurs, sérieusement, faut-il encore s’intéresser à cette question (Macron au courant ou pas ? Re-confinement en marche ?), devant l’Assemblée Nationale où Castex tentait de convaincre les députés de l’innocence de son ignorance, lorsque résonne soudain ce cri vengeur qui parcourt les siècles et les siècles ?

« Allah Akhbar ! », comme chacun sait, avec attaque en règle de l’église Notre-Dame de Nice, décapitation d’infidèles, tweets horrifiés de convenance, néo-conseil de guerre anti-terroriste du gouvernement redoublant ou doublonnant sur le conseil de défense anti-Covid19 puisque commence demain soir le re-confinement et que les événements semblent, plus que s’empiler et s’amasser, s’intégrer les uns dans les autres, se pénétrer, se substantiver et fusionner l’un l’autre, jusqu’à ce que même le regard divin ne parvienne plus à distinguer une crise de l’autre ; jusqu’à ce qu’enfin l’on comprenne qu’il n’y a pas trente-six crises réunies en une fumeuse “loi des séries”, mais une seule crise, immense, métaphysique et cosmique, qui s’approprie à chaque occasion et dans chaque circonstance, le domaine désigné par la colère de Dieu pour former l’épisode suivant. « Dieu le veut ! » s’écrie le fidèle, tandis que note sans énervement le philosophe du café du commerce : « De toutes les façons, Dieu reconnaîtra les siens » ; c’est un peu comme la technique du ‘traçage’ avec Covid19, où il paraît que le virus serait d’accord pour reconnaître les siens, ceux qu’il a infectés...

La crise est déferlante, au grand galop de la marée du soir qui emporte et dépasse l’éternité de Saint-Michel, ou bien les dernières espérances de l’écrivain devenant aveugle et préparant froidement, méthodiquement, son suicide par cette balle par lui tirée dans sa propre bouche (La Marée du soir, de Montherlant) ...

Déconfinement anti-Covid ou bien couvre-feu anti-terroriste ? Qui peut encore le dire, et les complotistes qui en appellent à Satan aussi bien qu’aux illuminati, et bien entendu à l’inévitable Gates-Bill, – ‘Gates-Bill le Magnifique’ aurait dit mon cher Scott Fitzgerald, du temps où les écrivains américains au seuil de la gloire nous démontraient que Paris était encore Paris (Paris est une fête), – Gates-Bill également connu sous le surnom de “On ne prête qu’aux riches” ! Tous ces gens, faiseurs de mots et débusqueurs de manipulation, complotistes et enquêteurs du Diable, sont-ils bien sûrs d’avoir parfaitement coordonné leurs multiples narrative ?

Qui peut dire encore qu’il existe une crise et puis l’autre, et puis une cohérence, une “loi des séries” comme dit l’autre dans sa vaine tentative de rétablir l’ordre de cet immense courant de déconstructuration où triomphe, sardonique et ricanant, la French Philosophy dominant le monde ? Qui, dans cet affrontement terrible qui enferme un pays qui se veut symbole d’une modernité qui l’anéantit dans son simulacre, qui sinon le Diable affrontant les dieux, ou bien serait-ce dans un formidable pivotement tactique comme fit Patton en décembre 1944, tournant sa formidable IIIème Armée vers les Ardennes, ou bien serait-ce plutôt la formidable cohorte des dieux décidés à vaincre le Diable dans ses pires horreurs ?

« Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
 », écrivait le poète avant d’aller mourir dans l’enfer de la Grande Guerre. Le poète savait bien, intuition haute de la métaphysique de l’âme, qu’il est des occurrences où nous ne sommes plus rien que des jouets turbulents et tournant sans le moindre sens, tandis que grondent les événements métaphysiques qui règlent notre sort.

« Vienne la nuit sonne l’heure », et l’on demeure, interdits et stupéfaits, comme sut ne pas être Augustin devant la chute de Rome et de l’empire de Rome. Augustin, pour devenir Saint-Augustin, avait bien entendu qu’il est des choses dans le monde qui dépassent notre entendement et réduisent en ridicule toutes nos agitations. Nous sommes à un de ces moments-là, mais il y a longtemps que la nature ne nous offre plus la magnifique grandeur d’un Saint-Augustin acceptant la véritable mesure des ébranlements du monde.

Tant pis pour nous, mais cela ne changera rien à la puissance de ces ébranlements. A défaut d’en être les maîtres de son horlogerie comme l’on entendit parfois la loufoquerie bouffe de cette affirmation, acceptons d’être les jouets de ces ébranlements qui nous emportent, sans même tenter de sembler les embrasser alors qu’ils sembleraient devoir tant nous étouffer.