Panic Mode

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Panic Mode

24 janvier 2016 – On l’a déjà noté, des signes évidents d’un pessimisme fondamental, engendrant des épisodes de panique sinon une conformation caractérielle de panique, se manifestent dans les élites-Système, d’abord au niveau européen dans tous les cas pour le sujet qui m’importe aujourd’hui. Je rappelle le passage du texte du texte du 21 janvier sur les avatars de l’UE, où l’on trouve ce petit détail si révélateur, au niveau bureaucratique, des synthèses de presse internes (« ...Eh bien, nous dit-on, pour la première fois dans cette histoire des indications subreptices mais significatives, les synthèses de presse actuellement produites rendent un ton très pessimistes, pratiquement catastrophiques pour ce qui est de l’avenir de l’Europe. ») ; où l’on cite Soros, ce grand philosophe-milliardaire plein de sollicitude, qui dit sa grande inquiétude pour l’Europe. Depuis, le même Soros parti aux sports d’hiver à Davos en rajoute une couche, jugeant qu’il faut subito presto une sorte de Plan Marshall pour sauver l’UE, et qu’il faut même que l’UE se raccommode avec la Russie, soudain devenue fréquentable dans un étonnant mouvement du jugement qui laisse à penser, pour rassembler toutes les aides possibles autour de son destin menacé. Entretemps ou parallèlement, Tusk et Juncker ont fait des constats crépusculaires sur l’avenir immédiat de l’Europe, et également notre frénétique Premier ministre Valls, et puis Tartempion, les Dupont-Dupond, etc.. Nombre de ce beau monde se trouvait à Davos, où l’atmosphère était plutôt en mode apocalyptique-chic (apocalyptic fashion) ; ailleurs cela ne vaut guère mieux, puisqu’il suffit d’avoir l’un ou l’autre excellent ami au cœur de l’édifice européen pour être instruit d’une “atmosphère de désarroi, de pessimisme catastrophiste, d’impression d’une impasse complète, tout cela sans aucun précédent dans cette maison”.

Panic Mode, disent nos “amis” anglo-saxons (l’establishment-US en a sa part avec sa campagne présidentielle). Il s’agit d’un évènement remarquable, qui a bien entendu une signification politique, ou métapolitique, ou métahistorique si l’on préfère (et je dirais que c’est ma préférence), et qui procède à son tour d’une situation psychologique profonde et très extrême, avec des effets inévitables. Il faut voir que cet épisode n’a pas de précédent dans sa forme, bien qu’il y ait déjà eu des “moments de panique” ou plutôt des moments de crise aigue avec “instants de panique” ces dernières années. (Le dernier débuta il y a un an, avec la crise grecque qui atteignait son paroxysme avec la victoire de Tsipras aux élections.) Mais ces “moments de panique” concernaient des menaces précises, précisément identifiées et jugées hors de leurs paradis producteurs de “valeurs”, que nos élites-Système connaissaient bien et jugeaient avoir le moyens de maîtriser. (Qu’elles aient agi évidemment d’une manière faussaire et catastrophique, cela ne fait aucun doute, dans tous les cas pour mon compte ; mais ce qui importe ici et comme je présente et développe les choses, c’est la psychologie.)

Aujourd’hui, la cause du chambardement peut être analysée comme multiple, mais il est assuré que la “crise des migrants” est clairement perçue comme le centre de fusion de tout cela. Cette “crise des migrants” est un événement extrêmement fâcheux pour le Système, et l’UE en l’occurrence, parce qu’elle ne dépend nullement d’une menace extérieure selon les conceptions des élites-Système, et toutes les crises aigues ou potentielles qui en découlent directement ou indirectement sont elles-mêmes caractérisées par ce même caractère de n’être que des conséquences (Schengen, crise polonaise et de l’Europe de l’Est, crise hollandaise accidentelle avec le référendum d’avril, perspectives nouvelles du Brexit). Lorsqu’une crise est la conséquence d’une menace extérieure selon la perception de mes chères élites-Système (la crise financière et autre venue de l’effondrement de Wall Street de septembre 2008, le paroxysme de la crise grecque venue de l’élection de Syriza), il y a effectivement ces instants de panique signalés plus haut mais ils sont conjoncturels et n’entament pas le fond de la perception, c’est-à-dire de la psychologie. La bulle reste intacte, et la confiance du zombie par conséquent. Lorsque je parle de Panic Mode, c’est tout à fait différent, c’est brutalement une nouvelle façon d’être, c’est soudain presque structurel, et la “panique“ répond à la perception que quelque chose de grave se passe puisqu’un fondement est touché ; la poutre-maîtresse craque d’elle-même sans qu’il y  ait eu agression de cet extérieur qui ne comprend rien à la postmodernité et l’on craint soudain (“panique”) de découvrir qu’elle est pourrie, cette poutre-maîtresse, bouffée littéralement par les termites anti-postmodernes qui ont proliféré au-dedans d’elle, quasiment enfantées par elle.

La “crise des migrants” touche cette poutre-maîtresse, ce fondement, sans qu’on puisse attribuer la responsabilité à quelque chose d’extérieur. On ne va pas considérer ces “migrants” comme une menace, parce que c’est mettre à mal une “valeur”, puis une cascade de “valeurs” sur lesquelles repose leur poutre-maîtresse. (C’est pour cette raison qu’il faut bien dire “migrants”, et non pas “réfugiés” comme insistent de le faire les “communicants” et quelques moralistes-européanistes, vigilants gardiens du conformisme.) Ce que la crise des migrants”, – j’insiste lourdement, – met en cause, c’est l’idée de la libre-circulation, puis celles de l’obscénité des frontières, de l’horreur des nations, de la monstruosité de l’identité, c’est-à-dire la “valeur” fondamentale (ils aimeraient tant que cela fût un principe) de leur contre-civilisation postmoderne qui est le nivellement total des êtres, de leurs collectivités spécifiques, jusqu’à l’entropisation complète de l’espèce.

(On observera à cette occasion un évènement important puisque toute cette entreprise a été mise à nu, découverte, clamée même, lorsque, entre pintes et chopes et pris de lucidité comme l’on est pris de boisson, Juncker s’est exclamé, à propos de la menace que la “crise des migrants” fait peser sur Schengen : « Si l'espace européen Schengen de libre circulation venait à disparaître, c'est la monnaie unique, l'euro, qui serait rapidement menacé... » Puisque Schengen c’est “les migrants”, et que de la circulation libre de ces masses migratoires dépend le sort de l’euro et le reste avec, c’est dire si clairement que c’en est aveuglant combien leur montage financier et monétaire constitue une tentative ontologique de changer absolument tout l’espace sociologique et culturel, et jusqu’à l’espèce elle-même,  l’humaine en effet, en cette sorte de non-ontologie qu’est l’entropisation. Les bonnes âmes se disant antiSystème et acclamant les “migrants” au nom de l’antiracisme & Cie apprécieront combien il est délicieux de se découvrir soudain porteuses d’eau du Système qu’on dénonce et qu’on déteste.)

Quoi qu’il en soit, apparaît un enseignement considérable... Car voilà qu’une “valeur” fondamentale de leur construction et du Système, ou contributrice essentielle du fondamental (disons la libre-circulation), devient, par elle-même, simplement en se manifestant pour ce qu’elle est, une crise dont le potentiel mortifère est évident parce qu’elle menace tout l’édifice. Une “valeur” fondamentale comme cause de la destruction de notre-Tout (UE, “valeurs”, Système & Cie.) ? Panic mode par conséquent, et “gloomy attitude” comme on dirait en style-Raffarin. (Je ne parle même pas, parce que personne n’en parle, parce que c’est hors de l’écran-radar, des causes géopolitiques de ces mouvements migratoires, qui sont évidemment et d’abord à trouver dans le désordre furieux et sanglants que le bloc-BAO a installé sur ses périphéries, et principalement au Moyen-Orient, au nom de l’extension des “valeurs” démocratiques qui ont accouché de Daesh. Personne n’en parle parce que vous ne pouvez pas mettre en cause la vertu de la démarche de l’extension des “valeurs” démocratiques. Personne n’en parle parce que vous ne pouvez pas demander à un zombie de parler au-delà du balbutiement de rigueur et de l’instant, avec pensée réduite aux acquêts du somnambulisme en cours.)

Ainsi est-ce la raison principale et tout le sens de cette réflexion, à partir de cet évènement formidable (Panic Mode). Là-dessus, et parce qu’il s’agit d’abord de leur psychologie qui montre ainsi sa faiblesse extraordinaire, qui va imprégner leur jugement, qui va précipiter leurs réactions catastrophiques, qui va exacerber les égoïsmes nationaux répondant si ironiquement à la destruction des principes de cohésion collective opérationnalisé par le travail zélé de la destruction des nations, et enfin qui va accentuer jusqu’à la pathologie la paralysie impuissante de leur raison-pervertie, là-dessus je me trouve un petit peu plus conforté dans l’idée que nous sommes passés de Fail-Safe à l’au-delà du “point de non-retour”. Les zombies se trouvent en terra incognita, – et nous avec eux, certes, mais je n’ai jamais douté un seul instant qu’il faut en passer par là.