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405703 mars 2016 – Il y a d’une part ce que fait Trump, les résultats qu’il obtient, les conséquences politiques de son parcours avec les possibilités qui s’ensuivent, et il y a d’autre part l’interprétation qu’il suscite, les commentaires qu’il fait naître, l’effet de communication avec nécessairement son volet psychologique qui ressemble effectivement à un “torrent diluvien”, surtout depuis le Super Tuesday. Bien entendu, les deux faits (“d’une part”..., “d’autre part”...) sont liés et ont des effets directs et considérables entre eux, mais ils peuvent être considérés séparément.
Pour donner une idée de ce que nous jugeons de l’ampleur de ce “flux diluvien”, mais aussi de sa qualité spécifique, c’est-à-dire sa spécificité qualitative à l’intérieur de l’énormité quantitative du flux, nous citons pour commencer ce que nous avons écrit par ailleurs. Primitivement, nous voulions inscrire cette réaction de Douguine dans ces Notes d’analyse mais nous l’avons finalement jugée assez remarquable pour être présentée à part. Pour autant, l’appréciation que nous en faisons mérite donc de figurer en tête de ces Notes, comme introduction au propos, et partie intégrante du propos...
« Douguine est un Russe typique, avec tout le poids du respect pour la tradition, ses conceptions appuyées sur le passé, le passé historique de la Russie autant que sur la tradition puissante de la religion orthodoxe qui a tant participé à la construction historique de la Russie. Même si l’on ne peut les confondre, Douguine est un personnage à-la-Soljenitsyne, que tout dans le mode de vie, la façon d’être, les “valeurs” américanistes et leur modernité effrénée, c’est-à-dire tout dans ce qu’on pourrait nommer l’“apparence signifiante”, suscite l’hostilité la plus complète. Malgré son parcours actuel, Trump représente sans aucun doute tout cela dans son “apparence signifiante”.
» Pourtant, il y a l’approbation sans réserve de Douguine (qu’on pourrait en un sens faire équivaloir à l’attitude de Poutine vis-à-vis de Trump). La signification de cette attitude s’explique à notre sens par la puissance écrasante, qui rend tout le reste secondaire, du Système ; et, pour Douguine, sans nul doute dans ses conceptions, le Système c’est le Mal à visage découvert. Douguine a apprécié, justement à notre sens, que Trump est un antiSystème, une menace terrible contre le Système. Ce constat efface tout le reste et, malgré toutes les réserves, Douguine en parle comme d’un puissant apport à la bataille antiSystème, la bataille contre le Mal. »
Certes, il n’y a pas que Trump. Il y a aussi Sanders, il y a Tulsi Gabbard qui promet drôlement, il y a une fantastique participation des électeurs de Trump et de ceux qui voteront Trump (notamment 80% des électeurs de Sanders si Sanders n'est pas désigné), il y a la panique de l’establishment et la dissolution accélérée du système washingtonien, il y a un climat, une tension électrique, et tout cela est partout présent dans nos esprit et dans nos plumes. Mais Trump est là et bien là, non pas tant pour ce qu’il est, mais parce qu’il est sans aucun doute, en plus d’en être en bonne partie le détonateur, – parce qu’il est absolument le symbole de ce “torrent diluvien”.
En ce sens, et c’est pourquoi ce rappel concernant Douguine importait, la puissance extraordinaire de Trump est bien d’être devenu un symbole, donc d’avoir acquis une charge collective considérable qui concerne non pas les USA seuls avec leur establishment, mais le monde qui est le nôtre et le Système par conséquent sous l’empire duquel nous nous trouvons. On pense ce qu’on veut du personnage, et Dieu sait s’il laisse à penser The Donald, mais nul ne peut lui ôter cette dimension fondamentale. Il ne l’a pas acquise par son culot, son bagout, ses bling-bling ni ses $milliards, mais parce que le choix s’est fait, – et nous laisseront le sujet de ce choix dans le plus complet mystère puisque c’est le Mystère pur, – qu’il serait ce formidable symbole.
... Et tout cela se sent, justement, dans ce “torrent diluvien” de communication qui est le sujet de ces Notes.
Donald Trump est un homme de son temps, du temps de la communication. Pour certains, complètement fabriqué (Douguine : « Donald Trump is another designed product, a virtual figure ») ; pour autant, dit-on, et souvent les mêmes, qu’importe qu'il soit fabriqué ? (Douguine : « However, it is him who makes people feel fresh and hopeful. ») D’autre part, le système de la communication est la force principale de notre temps, et par conséquent Trump est un immense événement politique ; et ce jugement, certes, s’étend à tout le reste, à Sanders, à l’extraordinaire “tourbillon crisique” qui remue aujourd’hui les USA, de fond en comble.
Interrogé par RT, Larry King, ce vétéran des médias et de la télévision avec ses célèbres bretelles, si fameux pour ses entretiens en tête-à-tête, et finalement passé à RT, dit son sentiment d’homme de la communication qui se frotte au monde politique US depuis plus d’un demi-siècle, – son sentiment sur Trump et le “tourbillon crisique”. C’est lors d’une interview de plusieurs personnalités, sur RT le 2 mars 2016.
RT: « Last year the blog FiveThirtyEight found that 46 per cent of media coverage of GOP candidates had to do with Donald Trump. Other candidates who could have been serious contenders didn’t get as much attention. How much of the media do you think has contributed to the Trump phenomenon? »
Larry King: « Greatly. The media has contributed phenomenally by covering him, ad infinitum. He is a character, I know Donald very well, I have known him for years; he is a television personality, a mogul. And the media, once they saw you put the camera on Trump at that first Republican debate when he took on the lady reporter, and then he took on everybody on the panel, and he looked at [Jeb] Bush and said: “You have no energy.” They got great ratings. So they are following the ratings. As [Leslie] Moonves said yesterday talking to a business conference, “CBS is coining money. It may not be good for the country, but it is good for CBS.” So that is the way they look at it.
» I’ve been around politics a long time. I remember the death of Franklin Roosevelt walking down the streets in Brooklyn – so sad; I gave out leaflets for Harry Truman in 1948, when he upset Dewey. I remember listening to the Republican Convention in 1952, when they went to an extra ballot because of [Dwight] Eisenhower and Robert Taft. And then I started covering conventions in 1960. I can tell you from my experience, I have never, ever seen a thing like this year. There is no way to comprehend it; this is an extraordinary event in American politics; it is unbelievable. Sanders is an unbelievable story, and Trump is an incredible story…
» So what you’ve got to say, if you’re the head of the network, and over here Trump is speaking, and over there somebody else is speaking, you’re going go to Trump, because Trump tells you there are viewers. I don’t think it is the world’s best thing, but it is what it is. »
Dans son NoMoreFakeNews.com, Jon Rappoport, qui faillit être Prix Pulitzer du temps où il était vertueux, nous explique ce qui est en train de se passer : une simple affaire de bulle qui crève.
« Trump: Why the Elite Media Were Completely Wrong About his Chances – Because they live in a bubble of their own making. That’s why. And in that bubble, everything about America is manageable. Things can get worse, but then they get better. Money is tight, then it’s loose. Employment figures drop, then they rebound. Wars start, and then they end.
» Looking at the country and the population through the wrong end of the telescope, these media creatures feel themselves positioned high above the madding crowd. To them, phrases like “street smart” and “savvy” are the closest they get to anything real. Occasionally, they remark that people are restless “out there” and looking for a change—as if Obama, with his massive slogans, somehow supplied that need for eight years and solved the whole problem for a while. As if the problem was simply a psychological kink that needed to be worked out... »
... Et de nous détailler cette étrange aventure, savoir par quel stratagème a-t-on extorqué à ces gens qui contrôlent tout de leurs bulle, le droit de passage sous l’éclairage public de ce Trump qui aujourd’hui les terrifieabsolument. En un sens, au départ, le script ne prévoyait pas cela : Trump était “un des nôtres”, riches comme ceux qui sont sous la bulle, avec la même way of life, vivant avec eux sous la bulle.
Résultat : ce sont les médias qui ont fabriqué Trump, parce qu’il est fun, qu’il gueule et dit des trucs marrants, qu’il fait des $milliards et s’en vante, qu’il a épousé une superbe mannequin de trente ans sa cadette, bref parce qu’avec toutes ces vertus quasi-transcendantales, il fait de l’audience et qu’il est sûrement “l’un des nôtres”. Comme le rappelle King, à propos de Leslie Moonves, de CBS, parlant de l’accès à ses plateaux que la chaîne a ménagé pour Trump, alors que CBS fait bien entendu partie de l’establishment qui hurle à la mort et s’arrache les cheveux à propos de Trump : « CBS fait de l’agent. Ce n’est peut-être pas bon pour le pays, mais c’est bon pour CBS. » “Le capitalisme nous vendra la corde pour le pendre”, disait Lénine, qui se trompait de siècle ; aujourd’hui, l’on dirait que le capitalisme nous donne l’accès au prime time qui fait du fric pour qu’on puisse le lyncher dans le cours des primaires.
Ainsi Rappoport répond-il à Douguine en sens (« Most likely, [Trump] is fake ») lorsque, après avoir détaillé la fabrication de Trump par les médias, il conclut : « Trump—fake or real—has given the people a clue. »
On peut avoir une idée de ce que Trump a déclenché en fait de colère absolument furieuse par un exemple très précis et bien contrôlé, à partir d’une expérience assurée, en lisant le dernier article de Andrew Bacevich, et surtout les réactions de ses lecteurs, notamment de ses lecteurs habituels. Nous avons déjà parlé de Bacevich, à plusieurs reprises, voyant en lui, ancien colonel de l’US Army, un de ces “dissidents” modérés extrêmement critiques de la politique-Système des USA et de l’influence des neocons, essentiellement sur le plan militaire, mais s’aventurant assez peu sur le terrain politique.
Son article est publié sur TomGram et sur UNZ.com le 2 mars, sous le titre qui rappelle d’autres situations, de Cry for Me, America. En effet, l’article compare l’ascension de Trump à celle de Peron, Melinda Trump, ex-mannequin d’origine slovène habituée des couvertures de Elle, pouvant envisager de tenir celui de la tragique et lumineuse Evita (Don’t Cry for Me, Argentina). Bref, Bacevich se lamente en se demandant ce qu’il restera, avec un hurluberlu pareil, de la Grande République et de son exemplaire démocratie. Les réactions des lecteurs, dont de nombreux habitués de Bacevich, sont absolument déchaînées, selon l’argument de base assez évident que l’alternative à Trump, c’est-à-dire le courant du Système, est absolument catastrophique et l’argument plus subtil que Trump, finalement, n’est pas là pour “construire“ quelque chose, fût-ce un péronisme-washingtonien, mais d’abord pour détruire... Ainsi l’exprime l’un de ces lecteurs :
« This sounds about right : even if Trump wins, he can’t succeed. But he is wrecker, and at this point, wrecking is success enough. The GLOBE must be shaken from the tree top. » (« Cela sonne juste : même si Trump gagne, il ne peut pas réussir [à réformer l’Amérique, le Système]. Mais c’est un démolisseur et, à ce point, parvenir à démolir est un succès suffisant. Le MONDE ENTIER doit être secoué comme un prunier. »)
Il s’agit d’un exemple très parcellaire, mais il est à notre avis très illustratif de la situation. Partout, on sent se développer un déchaînement de colère, en même temps qu’une sorte d’euphorie devant le champ ouvert à une expression libérée et la possibilité de changements impensables il y a seulement trois mois. On trouve les racines de cette euphorie dans les observations de Larry King (« Je peux vous dire que, selon mon expérience, je n’ai jamais, jamais vu quelque chose comme cette année électorale. Il n’y a rien qui puisse l’expliquer ; c’est un événement extraordinaire dans la vie de la politique américaine ; c’est incroyable. Sanders est un cas incroyable, Trump est un cas incroyable... ») Pour ceux qui ont connu ces événements, il y a une indiscutable proximité entre les échos venus des USA aujourd’hui et ceux que nous recevions d’URSS au début de l’époque Gorbatchev, dès que la glasnost, qui fut le moteur fondamental du travail de Gorbatchev, a commencé à être appliquée.
La bulle, c’est aussi celle des neocons ... On se demande sur quelle planète ils vivaient (Mars sans doute, selon le considérable Robert Kagan, le spécialiste de “Mars ou Vénus”) pour avoir attendu si longtemps avant de commencer leur carpet bombing (ils connaissent) contre Trump. Ils tentent de rattraper le temps perdu avec des publications risibles de suffisance et de lieux communs éculés, jusqu’à des lettres ouvertes au peuple américain et ainsi de suite...
Le décalage est impressionnant, celui des neocons comme celui de l’establishment. Le temps de réaction, la façon dont personne n’a réalisé ce que Trump représentait vraiment, la faiblesse de la riposte etc. Certes, personne n’a vu venir Trump, ni nous-même, ni lui-même en un sens, mais on pouvait commencer à comprendre qu’il était en train de se passer quelque chose au début de l’automne. Évidemment, l’hybris va avec l’arrogance et la suffisance, et le jugement déformé à mesure : on ne voit rien venir et quand on voit arriver la chose, on hausse les épaules en s’expliquant à soi-même que puisqu’on n’a rien vu venir, c’est que la chose n’est pas importante. Puis on en arrive au Super Tuesday. Pour autant, on pourrait nuancer ces observations peu amènes par le constat qu’il n’est nullement assuré que les neocons auraient pu faire mieux et plus s’ils étaient intervenus plus vite, tant ce qu’ils défendent est vermoulu, branlant et complètement sclérosé.
Par ailleurs, si l’on veut en savoir plus sur The Donald, on découvre que, contrairement aux rumeurs rassurantes sur son état de confusion mentale, on peut aisément comprendre quel est son programme au travers de ses déclarations. Il ne suffit pas de braire “populiste” et “xénophobe” comme font les moutons dans les salons ; comme l’ont bien vu Justin Raimondo (Antiwar.com) et Thomas Wright (Politico.com), pourtant de bords opposés, il s’agit d’un nationalisme nettement isolationnisme, donc d’une opposition décidée aux pratiques expansionnistes et bellicistes qui ont marqué jusqu’ici la politique-Système. Ce tournant proposé dans la politique extérieure est aussi de la sorte qui libère de l’emprisonnement du Système les énergies et les conceptions.
L’ancien gouverneur de l’Arkansas Mike Huckabee, qui ne fut pas toujours au côté de Trump et qui ne s’est pas encore rallié à lui (bien que sa fille ait rejoint il y a peu l’équipe du candidat-Trump) a eu un mot heureux, en répondant aux questions que lui posaient un présentateur de Fox.News. Il a fustigé le système des donateurs soutenant les candidats, comme les corrupteurs manipulent les marionnettes … Puis, enchaînant, il a observé que ce à quoi nous assistons n’est rien de moins que “le renversement du gouvernement... et nous devrions être heureux que cette révolution se fasse pacifiquement, par la voie des urnes plutôt qu’à balles réelles”. “Le phénomène Trump est une révolution politique dans le parti républicain et dans le pays”.
« “The donor class runs the political environment in this country and people are waking up to that and they are tired of it,” added the former presidential candidate. “That’s what this election is largely about, it’s an overthrow of the government….we ought to be glad that it is a peaceful revolution with ballots rather than one with bullets,” said Huckabee, adding that the Trump phenomenon was a “political revolution in the Republican Party and in the country.” »
Dans ce cas, parlant de Trump, Huckabee parle en vérité de Trump et des autres, de Sanders, des votants, des commentateurs, de la multiplication extraordinaire de manifestations de mécontentement qu’on entend venir de tous les horizons. Alors, la “révolution” est bien ce que disait le lecteur de Bacevich, c’est-à-dire une entreprise de destruction (« Mais c’est un démolisseur et, à ce point, parvenir à démolir est un succès suffisant.. »)... Pour le reste, “Votons pour Trump, et voyons ce qu’il en sortira” (Douguine : «Vote for Trump, and see what will happen »).
Il s’agit bien de la marche forcée mais désormais entraînante vers la tentative de résolution d’une énigme. Nous l’avons déjà souvent rencontrée, cette énigme, ces dernières années, résumée parfaitement par cette question : comment faire la “révolution” à l’heure de la communication totale, sinon la communication totalitaire ? Cette question s’est posée et n’a cessé de s’étoffer depuis la fin de la Guerre froide, mais surtout depuis 9/11 ; à chaque grand événement, à chaque crise, avec le renforcement constant de la situation crisique, jusqu’aux situations de complet désordre que nous connaissons aujourd’hui, la question s’est imposée à nouveau, lancinante.
Nous reprenions le sujet à chacun de ces événements, comme par exemple en août 2009, lors d’une tension crisique, brusquement “sidérante, incompréhensible”, qui parcourait les USA à propos d’une polémique sur les soins de santé. Voici ce que nous notions... (La présence de BHO comme acteur dans ce cas n’a aujourd’hui, bien évidemment, strictement aucune importance d’autant plus qu’il a prouvé depuis sa complète inexistence, sa complète instructuration et son inféodation au Système ; bien, disons que l’on pourrait aussi bien mettre Trump pour aujourd’hui, mais dans des conditions si différentes... Notons que notre “Pour la suite, on verra” de la fin de cet extrait vaut, dans l’esprit de la chose, le “Votons pour Trump, et voyons ce qu’il en sortira” de Douguine, mais avec tant d’éléments et de facteurs constitutifs en plus dans ce temps où Douguine écrit cela.)
« Ici notre “fascination” (bien dans le sens de “profonde impression éprouvée par quelqu’un”), car nous en éprouvons aujourd’hui, effectivement, et plus intéressante que celle, anecdotique, que nous avions pour Bush. Elle va à une époque, à un temps “maistrien”, à une situation où un homme doit suivre son destin ou bien “tomber ignoblement”. A nouveau cette citation de Maistre: “On a remarqué, avec grande raison, que la révolution française mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse... [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement.” Nous aurions tendance à juger que le mot de “scélérat” est un peu sévère pour BHO, et d’autres doivent penser le contraire. Ce n’est pas ce qui importe; ce qui importe, c’est la situation, c’est elle qui nous fascine; et, pour l’instant, BHO en est l’acteur central: ou bien il se soumet à son destin, qui est “de conduire la révolution” antiSystème d’une façon ou l’autre, ou bien il “tombera ignoblement” – et la révolution se fera sans lui. Ce qui est fascinant, c’est que l’Histoire fait de BHO, qu’il le veuille ou non, un homme qui pose des mines destinées à exploser, qu’il veuille ou non leur explosion.
» La question est de savoir comment (comment la “révolution” se fera avec ou sans lui). Dans notre époque de communication, nous l’avons déjà écrit, les circonstances extraordinaires de mouvement de l’information par la communication interdisent les actes révolutionnaires parce que “spontanés” dans leur caractère soudain décisif et alors incontrôlables dans leur déroulement, puisqu’au contraire la communication interdit cette spontanéité-là des événements. Par contre, la communication, qui brouille tout, rend aussi les événements incompréhensibles, et les attitudes psychologiques vis-à-vis d’eux idem. Ce que la psychologie ne peut exprimer directement par une “révolution”, elle l’exprime, d’une façon chaotique, à d’autres occasions, d’une façon complètement fortuite. La soudaine agitation US, sidérante, incompréhensible, autour de la question des “soins de santé”, est-elle une de ces circonstances? Suivons-là comme si c’était une possibilité. Jusqu’ici, il faut observer que certains de ses prolongements, y compris la dramatisation de la position de BHO, ne démentent pas cette interprétation. Pour la suite, on verra. »
Un petit mois après ces divers constats suivis du constat de l’échec de la dynamique entrevue, nous reprenions la question de la “révolution à l’ère de la communication” dans des Notes d’analyse, le 24 septembre 2009. Un des aspects qui nous intéresse ici, c’est, outre le constat que nous renouvelons souvent selon lequel “ce sont les événements qui conduisent les hommes”, celui de l’évolution psychologique, et cela parlant évidemment d’une sorte de psychologie collective qui se développe sur le long terme (et nullement comme une simple explosion passagère), en imprégnant structurellement les psychologies individuelles et en retour renforcée par elles. Le constat ci-dessous vaut donc pour 2016 comme il vaut pour 2009, sauf qu’entretemps cette “psychologie collective” transférée à l’individuel et retour dans une dynamique constante s’est formidablement renforcée sous la pression des évènements.
« Les événements, aujourd’hui, sont contenus brutalement dans un schéma contraint, avec impossibilité, réalisée par les “révoltés” eux-mêmes, de s’évader de l’“ancien monde” sous une forme de rupture révolutionnaire. De ce point de vue, la psychologie est directement contrainte par l’absence de radicalité tragique de l’événement. Par contre, l’évolution psychologique souterraine, concernant les appréciations de cette situation bloquée, la frustration, en même temps que l’évolution qui permet aux relations et aux jugements sociaux et politiques de se radicaliser, est extrêmement rapide, voire instantanée.
» L’événement du référendum de mai 2005 en France est le type même d’événement révolutionnaire sans “révolution” (sans rupture). L’événement politique lui-même n’a débouché sur aucune insurrection, sur aucun bouleversement, mais l’évolution psychologique radicale a été remarquable de puissance pendant la campagne, par les moyens de communication non traditionnels qu’on sait, et a eu des effets psychologiques indéniables sur les directions politiques, effets qu’on mesurera historiquement. Nous prétendons que, depuis ce référendum qui n’eut rien de décisif dans les événements eux-mêmes, l’Europe institutionnelle, contre laquelle a eu lieu la révolte (et non “l’Europe” en soi, certes, contre laquelle les “non” du référendum n’avaient aucune animosité), cette Europe est bloquée comme elle ne le fut jamais.
» Cette situation s’est généralisée à mesure de l’affirmation de la communication qu’on a dite, et elle a accru encore certains caractères remarquables. On constate la multiplication d’événements sans aucun doute de protestation, qui semblent n’avoir que bien peu de sens et de direction, parce que dépourvus d’objectifs “révolutionnaires” identifiables (prise du pouvoir, notamment). Ils sont également dépourvus de dirigeants notables, parce que l’évolution ne dépend pas de ces facteurs extérieurs. Ce qui compte, c’est l’évolution psychologique que marquent ces événements, et l’effet psychologique qu’ils ont immédiatement sur les dirigeants – paralysie, désordre à l’intérieur du système, incompréhension des mouvements de protestation et donc mésentente à l’intérieur des directions pour réagir, etc. »
Nous gardons cette ligne de réflexion mais nous constatons évidemment, avec les évènements aux USA, une évolution radicale de la psychologie dans le sens identifié. La pression contenue depuis des années, et qu’aucun événement violent de type “classique” (émeutes, révolution telle qu’on l’entendait aux XIXème-XXème siècles) ne vient évacuer, s’est transmutée en une extrême sensibilité de la psychologie à certaines circonstances de communication. Ces circonstances elles-mêmes ont été suscitées pat les événements crisiques incessants qui se poursuivent et se sont trouvés brusquement représentés, – au sens premier du spectacle, – par un personnage remarquable par ses manifestations à la fois clownesques et médiatiques, au service d’une certaine sincérité dans l’expression d’idées qui échappent par la position du personnage aux interdits habituels, et devenu symbole du mouvement par conséquent. Voilà pour le rôle de Trump, et ce rôle tient absolument tant que Trump suit les événements qu’il n’a pas créés, mais qu’il a révélés ; il est un des “scélérats” de Maistre même s’il n’est pas nécessairement un scélérat au sens strict. (« Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments... »)
L’autre aspect, qui marque une différence décisive d’avec 2009 (et d’avec la Grande Révolution de 1789-1793, certes), c’est que les psychologies individuelles semblent désormais prêtes, comme on dirait en état de mobilisation générale, et s’accordent en un courant collectif qui exprime une attitude générale, donnant effectivement l’impression révolutionnaire qu’on ressent. Le phénomène, qui prend effectivement des allures de “torrent diluvien”, touche même des hommes politiques, zombies-Système par excellence mais qui, pour l’occasion, se trouvent poussés à s’éveiller à la possibilité de s’échapper de l’emprisonnement du Système. Ce qui est également remarquable en effet dans la situation que nous connaissons, c’est la rapidité des évènements correspondant à l’accélération du “tourbillon crisique”, avec le phénomène accélération de l’Histoire/contraction du Temps, qui rend de plus en plus difficile au Système de reprendre la main, avec le système de la communication (parfait Janus en l’occurrence) servant de conducteur-accélérateur de l’extension de la psychologie collective d’insurrection.
C’est pourquoi il apparaît très possible que nous approchions d’un point de rupture fondamental, dont nous ne savons rien, ni des conditions de sa réalisation, ni des orientations qui vont en naître. A ce point de la réflexion, nous sommes très loin de la supputation simpliste et déjà presque-archaïque sur le seul résultat de l’élection présidentielle US. C’est pour l’instant la seule question que se pose le monde des élites-Système européennes, qui ne voient absolument rien de la profondeur de la super-crise qui nous guette, laquelle ne serait pas loin, si elle se réalise, du grand tremblement tectonique et eschatologique, libérateur de l’emprise du Système.
... A cet égard, nous sommes assez, sinon très-pessimiste (c’est-à-dire “assez, sinon très-optimiste”), même au cas où un Trump, ou n’importe quoi d’autre représentant le courant antiSystème serait stoppé. Il ne peut l’être désormais que par des moyens “illicites” (même le Système a sa “légalité” interne), qui pourraient s’exprimer par exemple, comme mesure de denier recours, par des fraudes massives (certaines ont déjà eu lieu, mais sur une petite échelle, et sans obtenir de résultats décisifs). C’est dans ce cas qu’on pourrait voir ressuscité le concept de “révolution violente” ou d’“insurrection”, car l’élu(e) du Système serait si complètement privé(e) de légitimité qu’il (elle) pourrait se retrouver quasiment dans l’incapacité d’exercer ses pouvoirs. Le destin des USA pourrait alors être de devenir une sorte de super-Syrie postmoderne, invertie par rapport à la vraie Syrie pour ce qui est des protagonistes, hyperactive d’abord au niveau de la communication, et déclenchant une cascade diluvienne d’évènements crisiques.
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