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151712 avril 2017 – En toute et belle franchise, je ne croyais pas que cette campagne présidentielle française, outre l’importance métahistorique qu’elle a nécessairement par elle-même et qu’elle ne cesse d’affirmer de plus en plus tragiquement au rythme et à mesure des événements extérieurs qui l’accompagnent (l’attaque US en Syrie, la trahison de Trump), m’apporterait quelque surprise que ce soit au niveau de ses participants. Je me déprends peu à peu de cette croyance, pour reconnaître qu’une personnalité, un caractère émergent et ne cessent de s’affirmer. Je ne parle pas des sondages, même s’ils vont dans le même sens, ni même des commentaires, des affirmations et des exclamations, même s’ils ne me contrarient pas ; je ne parle pas des “programmes” détaillés, notamment pour la situation intérieure de la France que rien ne peut régler qui ne dépende de ce qui se passe au-dehors... Je parle du sentiment qui oriente mon jugement à partir de certaines grandes affirmations qu’on entend, d’attitudes, de caractères révélés ou conformés, je parle de tout cela qui éveille mon jugement dans ce cas, qui l’oblige à se hausser, à investiguer et à se prononcer. Tout cela, parce que nous sommes dans des temps de toute urgence, depuis quelques jours à peine.
Justement, j’ai déjà parlé de mon sujet présent il y a six jours, donc il n’y a aucune surprise dans mon propos, peut-être même y trouvera-t-on de la redite. Ces derniers jours, tiens justement ces six derniers jours, j’ai prêté un peu plus d’attention à ce Mélenchon-là, cru-2017. Contrairement à ce qu’on en dit généralement, dans tous les cas au premier abord, je ne le trouvais pas si différent qu’en 2012 (article du 12 avril 2012, lorsqu’on en parla pour la première fois dans ce contexte, essentiellement pour ses positions de politique extérieure) ; et puis, le premier abord tiré, comme l’on dirait d’une équipée maritime, oui effectivement il y a de la différence, et les bruissements divers à cet égard ne sont donc pas déplacés. Il y a la maturation d’une ambition qui a su se justifier à ses propres yeux. Mélenchon ne va pas au hasard, comme on va à la pèche, il entre dans son circuit et dans sa quête avec une conscience aiguë de l’enjeu de la crise du monde, – l’un des si rares dans le monde politique français, – et une certaine humilité dans une pièce qui est entièrement une tragédie où il pense pouvoir trouver sa place au nom de la France ; pièce qui est tragédie pure, où il se doit de croire ardemment qu’il a sa place au nom de la France, qu’il doit faire en sorte dans cette terrible adversité qui pèse sur nous depuis “la trahison de Trump” (la chose est répétée à dessein pour bien affirmer sa signification profonde), de la faire figurer, la France, à un poste de combat où elle tenterait de retrouver le poids que l’Histoire lui a assignée. (« Chaque nation, comme chaque individu, a reçu une mission qu’elle doit remplir. La France exerce sur l’Europe une véritable magistrature, qu’il serait inutile de contester... » : même aujourd’hui, ce jugement de Joseph de Maistre [*] subsiste parce qu’il y a des vérités immuables malgré le travail de cochonnerie exceptionnel d’efficacité des bouffons-pantins-poires qui se sont succédés dernièrement.)
Les temps sont propices, – enfin, façon de dire... Avec l’accélération du tourbillon crisique, – aujourd’hui, pourrais-je encore écrire ce que j’écrivais il y a six jours, et qui aurait pu se douter qu’une telle justement question se poserait ? – avec l’accélération des événements autour de nous, dans la substance même du monde secoué jusque dans ses tréfonds, l’élection présidentielle française prend une dimension tragique encore plus affirmée, encore plus irréfragable. On passe, disons et quoiqu’insensiblement pour certains et pourtant évidemment pour d’autres, de la tragédie-bouffe à la tragédie tout court. Les liens entre USA-2016 et France-2017, avec la réactivation de la crise syrienne et donc celle de la question des liens avec la Russie, ne cessent de se resserrer dans ce tourbillon crisique pour constituer une crise haute dont on peut juger qu’elle présente une possibilité acceptable de rupture métahistorique.
(Il faut accepter l’idée que la métahistoire fait, dans notre perception, des “essais” avant de passer à l’acte final de la rupture ; ainsi se décrit notre Grande Crise Générale ; les “essais” sont de plus en plus raffinés et puissants, et l’“essai” actuel est d’un beau cru. [Je parle comme toujours d'un “essai” comme au rugby, qu'il faut transformer, et dans l'image le ballon pourrait être les sapiens utilisés pour l'occasion.]... Il n’est pas assuré pour autant que ce soit l’essai concluant.)
C’est dans ce contexte, avec ce poids considérable qui pèse sur moi (comme il pèse sur nous tous) que je considère Mélenchon à une lumière nouvelle. Il ne s’agit ni de son programme, ni des mesures qu’il nous promet, ni du reste, en gros et en détails ; il ne s’agit certainement pas de ce qu’il promet pour la France elle-même, comme fait en général un candidat, et comme il fait d’ailleurs lui-même sans aucun doute... Il s’agit bien plus, beaucoup plus de ce que je ressens d’une façon générale et hors du seul cadre français ou de la France nécessairement dans le cadre du monde, que de ce qu’il “m’offre”. (L’“offre politique” des candidats, l’expression qui triomphe pour cette élection présidentielle chez les statisticiens de la métaphysique historique, sondeurs, commentateurs et autres paléontologues de nos ébats démocrates qui ne cessent de répéter qu’“on n’a jamais vu ça”...)
Son talents du langage oratoire et son goût pour la vision historique autant que pour l’assise culturelle du discours font de lui un orateur de grande crise, et un tel talent témoigne nécessairement, parce que la parole comme devenue logocratique reçoit alors l'illumination extérieure de la vérité, d’un caractère et d’une vision dans la grande tradition française ; mon sentiment est que c'est la cause essentielle de son émergence actuelle. Cela se sent plus que cela ne se calcule (sondages) et cela ne promet certainement rien (2ème tour, victoire, etc.), mais cela correspond parfaitement au passage à ce niveau supérieur en cours des événements (de la tragédie-bouffe à la tragédie tout court). Pour tout dire et sans avancer le moins du monde la possibilité d’une comparaison, Mélenchon a, comme orateur, le rythme, le phrasé, l’ampleur du propos qui l’apparentent à la veine tragique d'un de Gaulle ; la tragédie qui se dessine à une vitesse extraordinaire avec la Syrie et “la trahison de Trump” appelle à cette sorte de personnage. Dans une interview donnée à Atlantico le 9 avril 2017, Henri Guaino, souverainiste gaullien perdu chez les pseudo-gaullistes/sarkozystes, – quelle absurdité pour lui dont la vertu intellectuelle et la rigueur du caractère sont connues, – dit ceci de Mélenchon, dont on sait qu’il a avec lui d’excellentes relations :
« Je crois qu'il n'y a pas que ça [que Mélenchon soit le seul « à avoir su “capter” la tension relative au creusement des inégalités »]. Bien-sûr, il y a les inégalités. Mais surtout il met en évidence la faiblesse des autres car Jean-Luc Mélenchon, indépendamment de ce qu'on peut penser de ses choix idéologiques fait précisément de la politique en donnant une place importante à la réflexion, à la pensée. Il ne fait aucune concession sur le terrain de la langue, ni sur celui de l'exigence intellectuelle que nous impose le profond malaise auquel la politique est confrontée. Il fait de la politique comme tout le monde devrait en faire. C'est le seul aujourd'hui à mobiliser intelligence et culture. Et il est frappant que les Français lorsqu’on les interroge, disent qu’ils le comprennent mieux que les autres. Comme quoi on ne gagne jamais rien à abaisser son niveau d’exigence dans le débat politique. Peut-être les gens sentent-ils qu’un moindre degré d’exigence vis-à-vis de soi-même révèle un manque de considération à leur égard. »
Bien entendu, dans la logique de ces diverses références sur la langue, sur l’art oratoire, sur la culture et sur la perspective historique dans son discours électorale, il est normal qu’un certain nombre de tendances de son “programme” pour moi les plus importantes, lorsqu’il s’agit de grande politique et non des querelles postmodernes sur les sornettes sociétales, renvoient à une vision principielle plus qu’à une dialectique des valeurs. Cela en fait évidemment pour moi et sans plus de complication, c'est-à-dire sans le consulter, un souverainiste ; et si c’est le cas et puisque c'est le cas selon le sentiment général et intuitif qui m'anime, tout s’efface devant cela parce que, devant le principe, tout s’efface nécessairement, des marionnettes aux perroquets des “valeurs” selon l’entendement commun de ce triste et pitoyable siècle...
(Le terme de “souverainiste” a ici toute sa justification parce qu’il renvoie effectivement à un principe, qui est le principe de la souveraineté, – principe extrêmement difficile à définir, que ce soit par Joseph de Maistre ou par Talleyrand, mais qui pèse d’un poids considérable sur l’essence même de la politique pour en faire un composant de la métaphysique de l’Histoire. Là-dessus qu’on emploie l’expression “souverainistes contre globalistes” pour résumer le véritable affrontement qui déchire la civilisation est tout à fait naturel et renvoie à la vérité-de-situation la plus profonde pour caractériser l’état du monde aujourd’hui.)
Le “bruit de fond“ du système de la communication qui s’est développé autour de Mélenchon correspond effectivement à une pression métahistorique de ce passage vers la tragédie. Bien entendu, les événements aux USA et en Syrie, et des USA vers la Syrie, – c’est-à-dire “la trahison de Trump”, – sont le facteur le plus spectaculaire, le plus important, le plus capital (parce que, dit Alexander Mercouris, « ... Le système politique US est devenu simultanément si complètement dysfonctionnel et si extraordinairement dangereux pour les autres peuples et les autres pays »). Ces évolutions extérieures à la situation française, – sortez de l’hexagone, mes amis, – contribuent à cette évolution extrêmement rapide, et elles sont constitutives, inconsciemment ou non, directement ou pas, de la dynamique de ce “bruit de fond” entraînant la perception de l’émergence de Mélenchon. Pour moi, il ne peut s’agir d’un simple “accident électoral”, ni même d’une “surprise” comme on en vit d’autres parfois. De même et dans le même ordre d’idée de l’incertitude opérationnelle précise de toute intuition, il n’y a là-dedans strictement aucune garantie que tout cela se traduise en résultats électoraux, et en une “surprise” dans les élections présidentielles. Je ne fais pas ici de prédiction ni n’entend jouer un rôle de voyant, ni même de croyant, ou de sondeur illuminé. Je tente de transcrire ce que je ressens, rien d’autre, mais rien de moins non plus.
Je dirais même que je ne suis pas vraiment optimiste, que j’ai une très grande difficulté à croire que Mélenchon, non seulement l’emporte mais même qu’il parvienne au deuxième tour. Ce serait pourtant une nécessité extrêmement pressante devant la période qui s’ouvre, qui est vraiment, plus qu’à aucun autre moment à cause de “la trahison de Trump” alliée au caractère irresponsable et volcanique du président des USA, une période du plus grand danger que nous ayons connu. Il serait bien triste et bien affligeant, et il serait bien entendu politiquement catastrophique (une habitude, certes) que, dans cette période, la France n’ait personne à sa tête qui lui permette de s’affirmer contre cette folie désormais en marche. Quel que soit son état, la France, par son caractère, par sa position, par sa posture de puissance nucléaire indépendante, par sa capacité à ouvrir la possibilité de liens avec la Russie, la France reste un acteur majeur potentiel. “Il serait bien triste et bien affligeant, et il serait politiquement catastrophique...”, etc., qu’elle ne trouvât pas l’outil (l’homme) qui puisse envisager de réactiver opérationnellement cette potentialité.
(*) Une précision d'“étiquette” puisque les étiquettes sont si souvent utilisées, surtout dans nos temps bien ficelés, pour juger du contenu du colis, – et c'est souvent le cas pour Mélenchon, qu'on sait être franc-maçon. Le comte Joseph de Maistre, archétype de l'antimoderne et du logocrate s'il en est (réac' pour l'esprit du temps), auteur de ces Considérations sur la France qui sont le livre le plus terrible pour juger de la Révolution, catholique certes mais ce n'est pas le plus important chez lui, Maistre donc fut un franc-maçon (initié en 1773) très actif jusqu'aux années 1780, allant jusqu'à rédiger un mémoire de grande importance pour le Grand Maître de son ordre, le duc de Brunswick. Même durant son long séjour en Russie, de 1803 à 1816, Maistre continua à entretenur des relations suivies avec les maçons.
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