L’Oscar de l’entre spleen et fastidiosité

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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L’Oscar de l’entre spleen et fastidiosité

27 avril 2021 – Au départ, mon idée était de m’attacher au “tandem Biden-Harris”, pour faire un point sur l’exceptionnalité de leur performance depuis qu’ils sont en couple au 1600, Pennsylvania Avenue. Les événements du jour ont tranché, comme un plat du jour qui vous attire soudain par sa saveur. Il faut dire que la chose est salée, et je trouve qu’elle nous en révèle tant que nous ne sommes plus très loin d’une clef de grande sagacité pour pénétrer dans la grotte qui nous révèle les Mystères de l’Effondrement.

L’“événement du jour”, comme je dis, fut celui d’une soirée absolument insupportable d’ennui, entre paillettes rancies (quoique de couleurs diversifiées, n’ayez craintes), et prêches incroyablement accablantes sur la bonne tenue et le très-bon sentiment. Je crois que le simulacre a atteint, à Hollywood qui ne cesse de se regarder dans ses innombrables miroirs déformants, un de ces sommets qui vous révèlent les subterfuges au-delà des montagnes en faux-nez et en masques de carnaval-Covid.

Je ne suis évidemment pas seul dans ce sentiment, comme vous avez pu peut-être le ressentir. Vous savez que je joue assez souvent, lorsqu'il s'agit des événemernts immédiats, en second rideau, relevant les sentiments des autres sur ces événements de la crise du monde pour les peser et les mesurer, pour en venir aux susdits événements, puis à l’aune de mon âme poétique, pour en faire mon nectar et mon hydromel exquis et délicieux. Le premier, l’essentiel, le caractère unique mais énorme qui suscite et marque ce sentiment se tient dans les chiffres d'audience de l’“étrange lucarne”.

Le spectacle des Oscars avait, à la télévision et in illo tempore, le privilège d’être le plus suivi après les retransmissions favorites du public pour des manifestations sportives de haut vol. (Quoique celles-ci doivent être également en pleine dégringolade, comme tous les “spectacles” de la “société du spectacle” en train de se suicider, avec ses joueurs de football-américain, de base-ball et de basket, genoux en terre, balbutiant leur Confiteor...)

Regardez ce qu’il en reste, voyez les audiences et leur vertigineux et vertueux effondrement :
43,7 millions de téléspectateurs en 2014 ;
37,3 millions en 2015
34,4 millions en 2016 ;
32,9 millions en 2017 ;
26,5 millions en 2018 ;
29,6 millions en 2019 ;
23,6 millions en 2020 ;
et badaboum ! 9,8 millions en 2021…

A Voté ! Et impossible de manipuler les bulletins de vote, comme c’est l’usage. Il ne manque pas d’appréciations vinaigrées sur la fête qui se déroula dans un corset très serré de surveillance de la parole politique et du comportement de soumission frétillante et paroxystique à cette parole, des appréciations que Twitter n’a pas encore eu le temps de tweeter-out ; disons que celle-ci, de Steven Soderbergh, fera notre affaire :
« La soirée a été une corvée quasi ininterrompue, sans le moindre humour et selon un formatage qui a mis à l’épreuve même la plus résolue des capacités d’attention », – ces mots selon le rapport qu’en fait le New York Post dans un article dont le titre nous dit ceci : « Les Oscars-2021 ont torturé les spectateurs pendant trois insupportables heures. »

Si l’humour était encore autorisé, il y aurait bien un Coluche ou un Desproges échappant à la censure, pour nous dire que “Les Oscars, au fond c’est le Guantanamo des riches-wokenisés”. Il faut bien que la vertu se paye, d’une façon ou l’autre, et avec les intérêts s’il vous plaît.

Il n’empêche, et pas si vite… N’en restons pas là, au simple sarcasme, je vous prie. Il ne s’agit pas d’un événement-people, un peu plus sensationnel qu’à l’habitude mais qu’il faut traiter comme tel, avec un certain mépris. Ce qui s’est passé, c’est bien un événement considérable.

Hollywood, qui a un extraordinaire entraînement dans l’exercice de l’hypocrisie, est par excellence la forteresse imprenable et incontournable du wokenisme. Avec les sentinelles et les miradors, et les lampes-torches pour identifier votre couleur même en pleine nuit, nul n’échappe à la surveillance des escouades de Saint-Wokeniste. Hollywood parle d’une seule voix à l’unisson exigé, et il a accompli la transmutation de l’entertainment en une récitation en l’évangile de la diversité des couleurs et des genres, dans une mesure qui n’est pas imaginable. Même les Français et leurs Césars, pourtant pétris d’affligeantes et pesantes cohortes de moralistes-moralinesques, peinent à recoller au leader du peloton.

Et ainsi, en présence de ces incontestables acteurs du spectacle, nous est-il révélé un secret fondamental, dont je pense qu’il est effectivement une des clefs pour nous faire “pénétrer dans la grotte qui nous révèle les Mystères de l’Effondrement”. Tout se trouve alors dans ce constat : le wokenisme, et avec lui tout ce qui accompagne la postmodernité du Système en mode de surpuissance-turbo, dégagent une formidable, une écrasante, une insupportable pression de ce qu’il faut bien décrire comme l’Ennui pur, ce qu’on désigne dans les titres de tel ou tel galopin, comme un “spleen” ou une “fastidiosité” selon qu’on est poète et très regardant sur les mots, ou lettré avec un goût de la préciosité.

Il y a de la logique dans cet insupportable ennui : tout ce que produit la bêtise est horriblement ennuyeux à force de vouloir terroriser sans prendre trop de risques physiques, – parce que la bêtise est étrangère au risque assumé et conscient ; et l’on sait combien, pour le wokenisme & Cie, la bêtise est dans son élément jusqu’à en être elle-même l’élément principal et primordial. Ainsi le destin de cette entreprise de déconstruction est-il tracé : elle déconstruit, certes, mais elle finit par nous ennuyer considérablement et en mesure, et à mesure, au point que, bientôt, croyez-moi bien, le destin jettera le bébé Woken-Junior avec l’eau du bain.

Ce n’est pas une mauvaise chose, toutes ces manœuvres et contorsions de fortune et d’infortune : ce qui a été et est déconstruit par cette étrange dynamique insupportable d’ennui, c’est le monde et la civilisation où nous les avons menés, qui ne valent pas grand’chose même si l’on est tenté de les protéger contre les déconstructeur. Ce monde-là qu’ils déconstruisent, comme les déconstructeurs eux-mêmes, c’est tout de même l’œuvre du Système. Mais ces déconstructeurs, justement, disparaîtront avec les débris de leur œuvre de déconstruction. L’autodestruction parvient ainsi à un point de perfection.

Je ne peux qu’insister sur cette étrange et formidable occurrence. Si “société de spectacle” il y a, comme il y a effectivement, alors Hollywood en est l’usine de référence où l’on fabrique le spectacle, et le cimier et l’autel à la fois, où l’on vient déposer sa croyance et sa conviction dans le Système, en remerciement du spectacle qui nous divertit tant. Mais que se passe-t-il si le spectacle ne nous divertit plus du tout, tant il a pris les allures de ces insupportables tirades et leçons de maintien qui sont autant d’aliment pour ce spleen qui nous désespère absolument, pour cette fastidiosité qui nous dévore affreusement ? Alors, la formule magique se défait, se dissout et se désintègre.

C’est pour cette raison, fidèle lecteur, que je considère que les Oscars-2021, avec ses 9,5 millions de téléspectateurs alors qu’ils étaient 43,7 millions en 2014, forment un événement d’une extrême importance. Je crois que cette soirée et ses caractéristiques laisseront des traces importantes dans la vie politique de l’américanisme, et bien au-delà dans le fameux bloc-BAO, et bouleverseront bien des esprits, et feront vaciller bien des résolutions. La comptabilité démocratique est imparable, au pays et dans la civilisation de la démocratie achevée.