L’opinion à l’abattoir ou les sondages à l’encan

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L’opinion à l’abattoir ou les sondages à l’encan

Sur le site Washington’s Blog, Eric Zuesse commente, le 6 août 2015, les résultats d’une grande enquête de l’organisation bien connue et honorablement appréciée, à la “rigueur scientifique” souvent vantée, PEW International Centre, – ces résultats diffusés le 5 août 2015. L’enquête porte sur les appréciations de la Russie dans les opinions publiques de 36 pays, avec un très net résultat d’une hostilité marquée pour ce pays, notamment par rapport à une précédente enquête de cette sorte, de PEW et selon la même méthodologie, datant de 2013. Zuesse commente le sondage selon le constat qu’Obama a ainsi réussi sa politique d’“isolation de la Russie”, d’un point de vue psychologique, et lui-même, Zuesse, naturellement en déplorant ce fait. (Zuesse est un commentateur du type dissident et antiSystème, évidemment hostile à la politique antirusse de l’administration Obama.)

«The latest Pew international poll finds that whereas U.S. and global sentiments toward Russia were rather moderate, not hostile, until after U.S. President Barack Obama’s re-election in 2012, the sentiments toward Russia both in the U.S. and in most countries are now generally sharply hostile. This is an achievement for President Obama, toward which he has worked tirelessly, both publicly and in private.

»Pew’s new report, dated August 5th, covers 39 countries, and is headlined, “Russia, Putin Held in Low Regard around the World: Russia’s Image Trails U.S. across All Regions.” It finds that “Russia’s Image” is 30% “Favorable,” and 51% “Unfavorable,” across the 39 countries. A previous Pew international poll, published on 3 September 2013, had not found the same thing to be the case. It was bannered, “Global Opinion of Russia Mixed: Negative Views Widespread in Mideast and Europe.” This poll found that “Russia’s Global Image” was 36% “Favorable,” and 39% “Unfavorable,” across the 38 countries that were polled. Russia’s image has gone down one-sixth (lost 6% of its previous 36%) in “Favorable” ratings, and increased 31% (by 51%/39%) in “Unfavorable” ratings.

»During the interim between those two polls, President Obama’s Administration, as it began its second term in 2013, replaced its top State Department official who ran policymaking for Europe and Asia, with an aide to Hillary Clinton who comes from the leading “neo-conservative” family and who had previously been the top foreign policy advisor to Vice President Dick Cheney, Victoria Nuland, whose husband Robert Kagan, had been a co-founder (along with Bill Kristol) of PNAC, the organization that, even before President George W. Bush was inaugurated, had led the voices calling for Sadam Hussein’s overthrow, and for other pro-Saudi, pro-Israeli, anti-Russian, U.S. foreign policies. President Obama also replaced his first-term’s U.S. Ambassador to Ukraine by Geoffrey Pyatt, another “neo-conservative.” Pyatt was assigned to execute inside Ukraine the instructions that he receives from Ms. Nuland, who is based in Washington... [...]

»So: what Pew’s polls are showing is that, concerning international opinion, America’s President has been very successful at persuading the world that Russia is, as Obama stated in his National Security Strategy 2015 (which referred to Russia in 17 of its 18 usages of the various forms of the word “aggressor”), evil. The allegations that Obama does not know what he is doing in foreign affairs are false. And, moreover, his effort here is a bipartisan one: this ia an American achievement, not merely a personal victory for Obama. It’s an excellent example of the way the U.S. government functions, not merely of the way Mr. Obama does.»

Ces résultats sont absolument remarquables et sont absolument et remarquablement en contradiction à peu près complète arec tout ce que nous disent les constats, enquêtes partielles, appréciations diverses, et même les tendances politiques perceptibles depuis quelques semaines/mois chez certains dirigeants ou élites-Système dans divers pays du bloc BAO. Peut-on citer quelques exemples à cet égard ? Ces exemples, à nous, ne prétendent en aucune façon à la “rigueur scientifique” citée plus haut, c’est-à-dire leur “rigueur scientifique“, mais nous nous fichons du tiers comme du quart de leur rigueur scientifique“. Nous avons d’autres chats à fouetter, c’est-à-dire tenter de débusquer, pour nos lecteurs, des “vérités de situation” significatives, et à cet égard nous préférons, – comme on le verra plus loin, – une version “haute” de l’adage d’Armstrong (“Acheter les rumeurs mais vendez les nouvelles”, – ce qui donnerait “Appréciez les tensions, les perceptions, les intuitions et laissez-leur les faits scientifiques”)... En attendant, quelques remarques...

• Prenons le cas de l’Ukraine, pour lequel PEW Global Center donne 72% d’opinions défavorables sur la Russie et 21% favorables... En même temps, par exemple, un sondage effectué par un journal ukrainien de Kiev donne 84% des Ukrainiens (de Kiev) qui aimeraient avoir Poutine comme leader, le second étant le président biélorusse avec 5%, les autres leaders internationaux répartis entre 1% et 0% (voir le 30 juillet 2015). Si on élargit notre démarche, nous retrouvons, dans nos seules archives, toujours cette même faveur extraordinaire pour Poutine (voir, par exemple, le 8 avril 2014, voir le 16 avril 2015, etc.), aussi bien pour le public international que pour les classements dans les magazines, notamment aux USA (“dirigeant le plus influent”, “homme de l’année”, bla bla bla...). Certes, Poutine n’est pas la Russie, et l’on parle d’une enquête sur la Russie ; mais Poutine, tout de même, est difficile à séparer de la Russie, et, par ailleurs, on nous serine bien assez que Poutine est à lui seul l’essentiel de l’hostilité et des jugements scandalisés que l’on porte sur la Russie. Alors qu’au contraire, voilà que nous acclamons Poutine et haïssons la Russie ? Etrange, étrange… (Nous parlons plus loin de la différence entre “apprécier Poutine comme dirigeant“ et “être hostile à Poutine/à la Russie“.)

• En même temps, les capacités de diffusion, d’audience, d’influence, etc., des médias russes, particulièrement et précisément dans les pays du bloc BAO, ne cessent d’augmenter. Elles ont pris une allure cataclysmique pour les médias occidentaux, et l’on en causait encore récemment dans les salons parisiens, avec un article du Point (voir le 28 juillet 2015, «La Russie a-t-elle gagné la bataille de l’information?») repris par Sputnik-français (le 30 juillet 2015, «La Russie détrône-t-elle l'hégémonie médiatique occidentale?»). Il s’agit là d’un bouleversement ontologique pour ce qui concerne la puissance de l’information, la capacité d’influence, l’intelligence d’utilisation de la communication, et surtout la position ontologique du côté ainsi privilégié de s’attacher aux vérités de situation plutôt que d’acquiescer à quelque déterminisme-narrativiste que ce soit. (Voir, par exemple, le 24 décembre 2014 et le 19 février 2015.) Il est difficile de comprendre qu'on aille ainsi s'abreuver d'information à ce à quoi l'on est si complètement hostile.

• Certes, ces diverses faveurs (Poutine, RT, la communication russe) ne signifient ni amour, ni approbation, et il arrive que certains grands esprits aient la capacité de juger d’une façon assez objective pour émettre des jugements opposés du même sujet selon le domaine où ils jugent, – admirer le jugement et l’acte et détester la personne morale. Nous disons, nous, qu’il est extrêmement difficile jusqu’à l’impossibilité de croire à l’existence d’une telle capacité de nuance dans un esprit collectif assez éclairé (c’est bien comme d’un “esprit collectif” que nous désignerions cette “enquête statistique” telle qu’elle nous est montrée), pour haïr absolument d’un point de vue moral ce qu’il admire absolument d’un point de vue politique, – on peut employer cette sorte de termes comme “absolument” qui nous signifie une sorte d’absolu du jugement tant les écarts sont grands et les préférences marquées ; cette magnifique entité (“esprit collectif”), qui plus est globalisée, parvenant ainsi a séparer d’une façon admirable les domaines du jugement. On en reste coi, jusqu’à se demander si même, parmi les plus grands esprits philosophes et humanistes de notre civilisation triomphante, si même un Platon, un Jésus, un Montaigne, un Barack-François Hollande-Obama dans toute leur immense sagesse, – pour ne citer que les plus grands, – parviendraient aussi parfaitement à séparer le terrain moral (“je te hais absolument”) du terrain politique et de communication (“je t’admire absolument”).

• Autre fait notable dans l'enquête PEW : la haine antirusse s’accompagne d’une très grande faveur pour les USA, qui apparaît comme un contrepoint obligé. Nous n’avons, là non plus, pas de communication et de documentation sous la main, ni, à vrai dire de temps à perdre pour en réunir tant est grande l’évidence pour montrer ce dont nous parlons à l’instant, – et donc, aucun intérêt pour la “rigueur scientifique”, comme on le verra plus loin. Mais nous avons assez de mémoire pour savoir que la popularité des USA n’a fait que décroître depuis 2001, avec un léger sursaut de quelques mois pour l’élection d’Obama. Et brusquement, tout va bien, et l’American Dream réapparaît, brillant de mille feux, refait à fond comme un sou neuf… Il est, par exemple, de 69% de vues favorables des USA en Europe (contre 37% de la Russie), de 67% en Amérique Latine (contre 29% de vues favorables de la Russie-), – dont, par exemple, 51% favorables aux USA et 31% favorables à la Russie au Venezuela, dans le pays de Chavez ; nous avons choisi deux continents qui nous intéressent, pour trouver ce sentiment aussi favorable en Amérique Latine, en faveur des USA, qu’en Europe ! Bigre... Bon, pourquoi pas ? Même si elles n’ont pas de dents, peut-être arrive-il aux poules d’y croire et de se rendre chez le dentiste. Mais, alors, pourquoi gémissent-ils tous parce qu’ils ont perdu la bataille de l’information contre la Russie, parce que la Russie nous a tous endoctrinés, comme c’est le cas depuis des mois et des mois ? PEW devrait faire une enquête approfondie là-dessus, auprès des élites-Système et des dirigeants-Système...

Nous n’avons aucune intention, en aucune façon, de débattre de la valeur de l’enquête d’opinion de PEW, par ailleurs désigné comme un institut d’une très grande rigueur scientifique. Par ailleurs également, la qualité du phénomène qu’on nomme “rigueur scientifique”, dans une époque qui montre principalement la débâcle totale de la modernité, la perversion et les erreurs de la “science moderne” qui est le principal attribut de cet entité qu’est la modernité, la responsabilité considérable de cette “science moderne” dans la catastrophe où s’abîme cette civilisation, la collusion et la corruption de très nombreux produits de cette science dans les diverses activités de déstructuration et de dissolution du Système, notamment dans les cadres du corporate power et du complexe militaro-industriel, tout cela justifie très largement qu’on se permette de faire assez peu de cas, comme nous faisons, de l’expression “rigueur scientifique”. Cette position rentre dans une appréciation générale que nous avons souvent affirmée et réaffirmée, au moins pour ce site depuis notre texte du 13 mars 2003Je doute, donc je suis», en fait texte de janvier 2002 du dd&epapier), qui est de ne plus accepter comme un facteur donné et impératif, en aucun cas, en aucune façon, l’idée de l’objectivité et encore moins de la “vérité” de la parole officielle ; au contraire, pour nous, tout ce qui vient du Système et qui n’est pas de notre intérêt immédiat et exploitable, de “la parole officielle” à la “rigueur scientifique”, doit être considéré comme “coupable à moins de prouver son innocence”.

Cela ne nous interdit en aucune façon, – nous prenons une totale liberté à cet égard et usons de notre logique, de notre justification, etc., et non des leurs que nos méprisons absolument, – cela ne nous interdit pas d’utiliser certaines données et résultats des activités scientifiques, mais seulement selon notre jugement qui est appuyé sur le sens que nous avons de la situation générale, sur notre expérience, sur l’intuition qui intervient dans notre activité intellectuelle, sur la puissance de notre conviction, sur ce que nous distinguons du Mal et ainsi de suite. Nous avons conscience, en manifestant une telle attitude, de participer au désordre général, – mais qui t’a fait roi ? D’où vient le désordre de notre monde ? Et d’ailleurs, il nous importe justement de participer à ce désordre-là, cette sorte de désordre ; nous savons parfaitement qu’en nourrissant le désordre à notre façon qui est nécessairement antiSystème, non seulement Dieu reconnaîtra les siens (ce qui est toujours sympathique pour les tour operators de l’Au-delà) mais en plus nous travaillons à la transformation du désordre en hyperdésordre qui est, objectivement cette fois selon nos conceptions et notre esprit antiSystème, un atout très important puisqu’il s’agit alors de retourner le désordre contre le Système.

Cela pour dire que nous émettons les plus grands doutes sur l’intérêt et la validité de la “rigueur scientifique” de PEW, institut américain et donc américaniste, dans le cas spécifique de cette enquête scientifique. De notre point de vue qui est nécessairement un complet parti-pris, notre appréciation est que cette enquête est faussaire et ne reflète aucune vérité de situation. Par contre, elle sied à merveille à la narrative en cours et s’aligne sur le déterminisme-narrativiste, exactement comme des bœufs se regroupent pour aller à l’abattoir, – à part que les bœufs, qui ont le sens de la noblesse, croient encore aux bonnes intentions de leurs maîtres, tandis que les opinions publiques, qui exprimeraient ainsi une opinion qui les mène à l’abattoir des mains de leurs maîtres, se payent encore le luxe de haïr leurs maîtres et de les suivre pourtant dans leurs mensonges. Ou bien alors, on verra dans ces résultats un peu n’importe quoi, par exemple un hasard ou bien une coïncidence, qui est le couple bien connu des situations de fortune dont nul ne sait ni l’origine, ni le destin. Enfin, l’on en titrera les conclusions qu’on veut quant à sa “véracité scientifique” et à sa “vérité opérationnelle”.


Mis en ligne le 7 août 2015 à 16H27

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