L’Europe terrifiée et désintégrée

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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L’Europe terrifiée et désintégrée

5 octobre 2025 (16H15) – Pour introduire les prémisses de la tragédie qui n’est bouffe (tragédie-bouffe) qu’à cause des erreurs extraordinaires, complètement surréalistes, de mesure de la réalité par ses acteurs, on prendra la conclusion d’un article d’Elena Panina qui termine une présentation implacable de la crise de l’UE, – entre sa “guerre” et sa “puissance” économique, – par Viktor Orban, puis un détour vers le projet de saisir les milliards russes détenus par ‘Euroclear’ qui rencontre une insurrection résolue de la Belgique (où se trouve cette organisation) avec le soutien de la Banque Centrale Européenne.

Voici cette conclusion exposant les dilemmes qui frappent d’ailleurs tous les grands acteurs, y compris les USA qui s’emploient à traire la vache à lait européenne mais en prenant le risque d’un véritable conflit de très-haute intensité avec la Russie... Tout le monde saute dans les sables mouvants !

Mais bon, avant la conclusion, pour nous mettre en bouche :

« Et, de manière générale, l'Europe mise tout sur la sécurité. Pour elle, la situation est soit désastreuse, soit vouée à l'échec. Les anciens approvisionnements en ressources énergétiques russes sont perdus à jamais : Washington ne permettra pas une reprise. De plus, les États-Unis exigent que l’Europe achètent pour 250 milliards de dollars de produits énergétiques américains par an. La compétitivité de l'UE décline en raison du coût élevé de l'énergie, et l'Union elle-même est progressivement reléguée à la périphérie du système occidental, perdant ainsi son industrie. »

Et puis enfin, la conclusion, évidemment catastrophique, d’abord appuyée sur la perspective pharaonique d’une défaite écrasante, non pas certes de l’Ukraine mais bien de la Russie :

« La seule chance de l'Europe, selon ses élites, est d'infliger une défaite stratégique à la Russie, puis de participer au pillage de ses richesses nationales. Les États-Unis, de leur côté, poussent également le Vieux Continent sur cette voie : pour eux, c'est un moyen efficace de tirer les marrons du feu avec des mains étrangères. C’est aussi un moyen d’éviter les coûts matériels qui s’imposeront à l’UE, et les risques aussi.

» Mais la tentative américaine d'éviter complètement les risques ne fonctionne plus. C'est ce qu'a déclaré Vladimir Poutine à Valdaï, en commentant la possible livraison de missiles de croisière Tomahawk à l'Ukraine : “Cela signifiera une étape d'escalade complètement nouvelle, qualitativement nouvelle, y compris dans les relations entre la Russie et les États-Unis.” »

Rappelez-vous notre euphorie en 2022

Et les Européens, pris les uns après les autres, qu’en pensent-ils ? Notre ami Mercourisfait une savoureuse comparaison entre “le sommet de guerre” du Danemark, des 2 et 3 octobre 2025, et la conférence sur la sécurité de Munich de février 2022, quelques jours avant le début de l’OMS russe en Ukraine. Vous vous rappelez, nous demande Mercouris, l’euphorie extraordinaire qui régnait ? Tous ces messieurs-dames venaient de décider une énorme force de frappe de sanctions économiques contre la Russie, et le ministre français de l’Économie Bruno Lemaire préparait son irruption sur RTL du 26 février, proclamant, étendard brandi et trompettes sonnant : “Nous allons mettre l’économie russe à genoux ! Et le rouble, et l’industrie, et le système financier, à genoux vous dis-je !” ‘The rest is history’, mais dans quel sens, sonovabitch...

Puis Mercouris passe à la conférence de Copenhague. Il en dresse un portrait saisissant de drôlerie-bouffe jusqu’à la plus complète inversion ! Lisez plutôt : 

« On a beaucoup parlé de guerre, d'une Europe au bord de la guerre ou même d'une guerre réelle. La Première ministre danoise, Mme Frederiksen, a tenu un discours, je crois, d'une manière extraordinaire. Elle a évoqué la menace permanente de la Russie, de l'armée russe, de l'Empire russe du passé, de l'Armée rouge et de ses chars qui envahissaient les villes européennes, ce qui constituait, semble-t-il, la longue histoire des relations entre l'Europe et la Russie. L'impression d'une Russie constamment et continuellement agressive, et une refonte de l'histoire européenne des deux derniers siècles. Quelque chose qui, compte tenu des réalités de l'histoire, de ce qui s'est réellement passé pendant les deux guerres mondiales, les guerres napoléoniennes qui l'ont précédée, et même la guerre de Crimée, me semblait une déformation flagrante de l'histoire européenne moderne.

» D’autres ont tenu le même discours. Ils ont parlé de l'Ukraine comme dernière ligne de défense. Je crois que c'est l'un des dirigeants polonais, le Premier ministre Tusk ou le ministre des Affaires étrangères Sikorski, qui a déclaré qu'une défaite de l'Ukraine dans le conflit actuel serait une défaite de l'Europe. Un commentaire extraordinaire et très perspicace, un aveu intéressant, si vous voulez, de la façon dont les dirigeants européens ont désormais défini ce conflit. Quoi qu'il en soit, il y a eu une avalanche extraordinaire de commentaires de ce genre, tous exprimés en termes exagérés, une colère et une fureur extraordinaires, et des déclarations sur la Russie et son président, que je ne vais pas approfondir. »

Donald Tusk effleure la réalité

Justement, je m’attache avec le plus grand intérêt à un passage verbatim du Premier ministre polonais Tusk, que Mercouris mentionne rapidement, mais selon une appréciation extraordinaire. Effectivement, me semble-t-il, ce que dit Tusk, qui est repris dans un segment du ‘Hindustan Times, vaut certainement d’être cité au mot près. Cet homme assez peu sympathique, globaliste jusqu’au bout des ongles, nous confie presque comme un aveu le résultat qu’il entrevoit pour cette catastrophique entreprise qu’il soutient tout de même, la rage au cœur, – non sans avoir, auparavant, ô surprise, trouvé quelques mots rageusement laudateurs pour le soldat russe :

« Le seul avantage des Russes est leur mentalité. Je veux dire, ils sont prêts à se battre. Ils sont prêts à se sacrifier. Ils sont prêts à souffrir. Comparés à l’avantage psychologique des Russes, nos gouvernements ne se sont pas montrés assez déterminés, assez volontaires pour prendre des décisions.

» Si la Russie bat  l’Ukraine, elle pourrait ensuite se tourner vers l’Europe de l’Est. Si elle bat l’Ukraine, dans le futur ce sera la fin de mon pays et de l’Europe. Je n’ai aucun doute là-dessus. Le seul avantage des Russes, c’est leur mentalité, dans un cas comme dans l’autre. » 

On peut donc dire que Tusk a “effleuré la réalité” car, in fine, il nous dit que la Russie a gagné la guerre, ou est sur le point de la gagner, notamment grâce aux exceptionnelles qualités de ses soldats, et tout cela est bien différent de la narrative officielle. Le reste s’appuie sur l’hypothèse d’une attaque russe de l’Europe, avec la colère et la peur panique qui l’accompagnent. Comme on le sait, il s’agit d’une hypothèse absolument gratuite et sans guère de fondement, notamment par rapport à la logique russe et aux intérêts même de la Russie qu’expose régulièrement Poutine,. Par ailleurs et compte tenu des caractères bien connus des Polonais, une telle crainte peut se comprendre, bien plus que dans le cas d’autres belligérants, – les Britanniques notamment, avec leur politique marquée par la perfidie si classique chez eux, qui constitue un moteur alimentant l’aspect de simulacre faussaire de ces perspectives guerrières.

Brièvement dit et pour en revenir au texte initial, lorsqu’on envisage dans ces conditions “la seule chance de l’Europe” on pâlit devant les conclusions des “élites” :

« La seule chance de l'Europe, selon ses élites, est d'infliger une défaite stratégique à la Russie... »

EMP, arme ”secrète” de la Russie ?

Cela est d’autant plus à considérer qu’en plus de la valeur des soldats russes tant vantée par Tusk, on sait, ou l’on devrait savoir enfin, que les Russes ne cessent de développer de nouveaux systèmes d’armes et d’améliorer les systèmes d’armes déjà en service. Le dernier en date de ces nouveaux systèmes d’armes serait-il celui que Larry Johnson présente avec les réserves d’usage, qui est une arme basée sur l’emploi de la dynamique EMP (Electro-Magnétic Pulse) ?

« Un ami, qui vit en Europe mais n'est ni russe ni slave, m'a envoyé ces vidéos avec l'explication suivante :

» “Je dispose d'informations crédibles, preuves vidéo à l'appui, indiquant que la Russie vient de tester sa nouvelle arme EMP à explosion de plasma, une fois de plus à Dnipro, dans la nuit du 1er au 2 octobre. Ces vidéos sont toutes des captures aléatoires de caméras embarquées et d'une webcam fixe surveillant Dnipro. Ce sont donc des vidéos authentiques. Je pense que la panne a été causée par l'EMP perturbant les infrastructures électriques. Cependant, on ignore si d'autres missiles et drones ont également été impliqués dans ces dommages. Sous l'effet d'une impulsion de haute énergie dans notre atmosphère, cette force tend à dissocier les molécules d'azote et d'oxygène. Ensuite, en se recombinant en molécules de N₂ et d'O₂ (recombinaison moléculaire), elles émettent un rayonnement dans le spectre bleu-ultraviolet. C'est précisément pourquoi nous percevons les éclairs comme bleutés.

» “Il n'existe aucune publication fiable sur le concept opérationnel de l'EMP à explosion de plasma. Cependant, nous savons que les Soviétiques étudient le plasma depuis plus de 80 ans. La capacité à manœuvrer un vaisseau hypersonique Mach 10 ou 12 repose sur la maîtrise russe du plasma. À de telles vitesses, le plasma autour du vaisseau constitue une barrière de communication radio. Tout comme la navette spatiale lors de sa rentrée dans l'atmosphère, un silence radio de 5 minutes règne.

» “Nous savons également que les Russes menaient des recherches intensives pour créer une IEM dénucléarisée à grande échelle. Le 2 octobre, ils nous ont apporté une nouvelle preuve à Dnipro. Dnipro est un lieu où les Russes ont déployé des hommes au sol pour s'assurer que personne sur Terre ne mette la main sur des débris ou des indices susceptibles de révéler leurs secrets. Tout comme l'usine YashMash était entièrement sous le contrôle de la Russie. La plupart des personnes qui y travaillaient ont aujourd'hui un emploi en Russie”

Il faut prendre ceci comme exemple plutôt que comme un cas spécifique, pour  marquer effectivement la puissance technologique de la Russie et donner une mesure encore plus dramatique et surréaliste à l’ampleur grotesque du projet européen de guerre contre la Russie. C’est le  résultat général de plusieurs années d’hystérie et de perception faussaire de la situation, et revenir là-dessus représente une démarche presqu’impensable pour la plupart des acteurs.

Pourtant, Tusk en a esquissé les premiers pas, bien qu’il soit un homme du parti complètement opposé. Il s’agit d’une indication claire de l’ampleur de la crise des pays européens, pris au piège d’une narrative faussaire de bout en bout. Simplement, la Pologne est trop proche de perspective concrète d’anéantissement au cas où une guerre serait lancée par les Européens, pour avoir l’audace d’effectivement avancer dans la voie de la dénonciation de cette narrative. Le mécontentement populaire contre cette politique pro-russe grandit dans ce pays et constitue un handicap de plus en plus insupportable. La victoire en Tchéquie du candidat antiguerre Babis renforce les pressions de l’extérieur proche de la Pologne en renforçant les projets de relance d’union des pays d’Europe de l’Est de Viktor Orban.