Leur catastrophe ontologique

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Leur catastrophe ontologique

Nous avons choisi comme exemple pour soutenir notre propos un texte de The Moon of Alabamadu 18 octobre 2019, traduit par les bons soins du Sakerfrancophone. Ce texte nous montre essentiellement le décalage évidemment stupéfiant entre les perceptions des médias essentiellement de la presseSystème, et la vérité-de-situationen Syrie après les derniers développements le 18 octobre. Nous affirmons que la description correspond effectivement pour l’essentiel de la vérité-de-situation contre le simulacre que se construit la presseSystème, parce que l’évidence et l’enquête l’indiquent. Nous ne perdons pas notre temps à démontrer ce qui est l’évidence et laisserons les versions de la presseSystème à leur triste destin.

Ce qui nous importe est de tenter d’analyser ce qui fait qu’il existe ainsi des mondes parallèles, – lesquels, par définition, ne se rencontrent jamais, – l’évidence étant que notre monde parallèle est celui de la vérité-de-situation, point final pour ce cas. Nous partirions d’un point précis, un extrait de presse d’un des rares experts anglo-saxon hors du simulacre-Système, Anatol Lieven, et qui explique notamment ce comportement du type simulacre des directions-Système et de la presseSystème par « l'obsession de soi, l'autosatisfaction et la mégalomanie idéologique... » Dans ce membre de phrase, alors que les observations psychologiques nous paraissent justes, un terme qualificatif nous arrête, que nous contestons, concernant l’idéologie (“mégalomanie idéologique”).

Nous nous rapportons alors à un passage d’un texte récentoù nous examinions ce que nous baptisions « Une destitution métahistorique » en proposant un “modèle dostoïevskien” pour donner une explication du conflit qu’on trouve derrière cette destitution. Nous allons utiliser ce développement comme analogie, et cette idée comme “modèle” justement.

« Le cas spécifiquement métahistorique choisi ici est inspiré par la thèse de Mircea Marghescu, dont nous avons  déjà parlée, dans son livre  ‘Homunculus’  sur une ‘Critique dostoïevskienne de l’anthropologie’. Accordant une importance quasiment sans égale sur la signification et l’analyse très originale et décisive de la modernité dans son affrontement avec la Tradition, dans l’œuvre de Dostoïevski, Marghescu écarte l’explication idéologique au profit de l’explication décisivement fondamentale de l’ontologie.
» “Deux hypostases de l’humain s’affrontent, ontologiquement différentes puisque chacune à son ouverture au monde spécifique… […] La transgression dont Raskolnikov se rend coupable et qui plus tard ne fera que se répéter avec le meurtre, n’est pas idéologique mais ontologique ; ‘avant’ et ‘après’, ce n’est pas d’un même homme puisque le second a une conscience nouvelle dont les compétences ont été ‘élargies’.[…] On comprend mieux ainsi la teneur du conflit dostoïevskien, – qui n’a rien de commun avec le débat idéologique… 
» Marghescu oppose ainsi, dans l’univers dostoïevskien, l’‘homme normal’, également désigné plus précisément comme ‘homme traditionnel’, et ‘l’homme nouveau’, qui est le moderne et qui pourrait être ‘l’homme moderne’, – Raskolnikov nous étant présenté comme l’archétype de l’être qui, changeant d’‘être’, passe de l’un à l’autre. On comprend ainsi que, loin d’être un progrès dans le sens de la valeur qualitative, cette évolution, qui passe sous les fourches caudines de cette inversion diabolique du progrès qu’est “le Progrès selon le moderne”, représente une complète catastrophe ontologique qui présente aujourd’hui les comptes décisifs qu’il importe de régler, dans le cadre absolument contraignant comme un Temps de la Grande Crise de l’Effondrement du Système.
» L’‘homme nouveau’ “voit s’achever l’aventure commencée à la Renaissance puisqu’il a épuisé ses projets dans l’action et qu’il n’en a pas d’autres.  […] Au moment même où Zarathoustra, – et les naïfs, – se croient encore aux aurores et appellent un ‘homme nouveau’, Stavroguine et Raskolnikov savent que la nuit tombe et que ‘l’homme nouveau’ a vécu…”. [...]
» En prenant cette approche Marghescu/Dostoïevski, nous ne prétendons pas une seconde, cela va de soi, que la crise américaniste se ramène au conflit entre l’‘homme traditionnel’ et l’‘homme nouveau’ ; nous prétendons que dans un sens opérationnel précieux pour l’analyse, “tout se passe comme si la crise américaniste se ramenait au conflit entre l’‘homme traditionnel’ et l’‘homme nouveau’” »

Ce que nous voulons alors signifier principalement, c’est ceci que les idéologies ne sont pas causes essentielles de la séparation en mondes parallèles, mais des faux-nez pratiques pour cela, pour les esprits courts comme pour les esprits qui se croient machiavéliques. Comme l’indique le “modèle dostoïevskien”, il s’agit d’ontologie, nullement d’idéologie. Dans le cas qui nous occupe ici également, celui de la perception, de la communication et de l’interprétation, les divergences absolument irréconciliables qu’on constate, qui sont comme s’il s’agissait de deux mondes parallèles, répondent à deux « hypostases de l’humain [qui] s’affrontent, ontologiquement différentes puisque chacune à son ouverture au monde spécifique... » ; et l’affrontement dont il est question n’est pas préparé, volontaire, argumenté, tactiquement développé, – il est simplement de nature comme deux antagonismes fixes, comme un le faut d’un rapport qui ne peut espérer être résolu ni par l’argumentation logique, ni par la polémique, ni par l’invective.

De cette façon, la presseSystème, après des années de rodage, d’apprentissage pavlovien dans ce sens, est devenue ontologiquement différente dans sa perception, par rapport à la nôtre, à celle de ceux qui s’opposent à elle. Certes, il y a des évolutions et des nuances, mais elles sont soit accidentelles, soit idéologiques dans une des deux catégories figées dans une posture d’affrontement, qui ne sont pas des “hommes traditionnels” purs ou des “hommes modernes” accomplis, et qui peuvent ne pas être insensibles à certains arguments d’idéologies qui leur sont proches. Exactement comme dans le texte référencé, le “modèle dostoïevskien” ne ramène pas à la pureté des essences originelles, il ne fait que donner une mesure, une orientation, un penchant fondamental et donc une position fondamentale dans l’affrontement :

• de même que nous disions des citoyens US, dans le cas des partisans de Trump et autres du genre, et d’ailleurs chacun selon des degrés différents et une mesure plus ou moins grande de lucidité, notamment dans le jugement sur Trump : « ...les adversaires des progressistes-sociétaux (plutôt que “partisans de Trump”, circonstance tactique importance mais devenant anodine) représentent les “hommes traditionnels” bien qu’ils ne le soient absolument pas stricto sensu puisqu’ils sont au départ fils des USA, donc des “hommes nouveaux” fidèles aux principes des Pères fondateurs qui ont engendré la modernité » ;
• de même dirions-nous que ceux qui s’opposent à la dictature épouvantable de la presseSystème et proclament leur propre perception comme celle de l’ontologie du monde, comme une vérité-de-situation (d’ailleurs avec une justesse variable et parfois aucune justesse selon le cas, – mais cela est d’une importance annexe), « représentent les “hommes traditionnels” bien qu’ils ne le soient absolument pas stricto sensu » parce qu’ils n’occupent cette position que dans le cadre d’une posture relative par rapport à l’époque où nous vivons.

... Peu importe enfin si l’on a compris l’essentiel du propos. Il faut opposer un déni aussi fort que possible à ce qu’expose la presseSystème, en recherchant tous les fragments de vérité-de-situation possibles. Cela ne nous rend ni meilleurs, ni vertueux, ni “traditionnels”, selon ce qu’on est plus ou moins dans ces domaines, mais cela participe au barrage qui est constamment renouvelé contre le torrent du monde faussaire que déverse l’“homme moderne” aujourd’hui parvenu à un degré qu’on jugerait proche de la rupture de la représentation-simulacre du monde.

Ci-dessous, comme exemple des mondes parallèles de la communication rendant compte de la situation syrienne tels que nous les avons présentés, nous proposons le texte de The Moon of Alabama du 18 octobre 2019 déjà signalé, sur une traduction du Sakerfrancophone.

dedefensa.org

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Syrie & médias : des mondes parallèles

Les médias et les “experts” américains ont tout faux dans la description des pourparlers d’hier entre le vice-président américain Mike Pence et le président turc Recep Tayyip Erdogan. Ces entretiens n’étaient qu’un spectacle pour apaiser les critiques contre la décision du président Donald Trump de retirer les troupes américaines du nord-est de la Syrie.

Ces fausses négociations n’ont pas changé le  plan plus large gagnant-gagnant-gagnant-gagnant, ni les faits sur le terrain. L’armée arabe syrienne remplace les troupes kurdes du PKK / YPG à la frontière avec la Turquie. Les forces armées du PKK / YPG, qui s’étaient  renommées  pompeusement “forces démocratiques syriennes” pour obtenir l’appui des États-Unis, seront dissoutes et intégrées à l’armée syrienne. Ces mesures sont suffisantes pour donner à la Turquie les garanties de sécurité dont elle a besoin. Elles empêcheront toute nouvelle invasion turque.

Le WashingtonPost  rapporte :

La Turquie a accepté jeudi un cessez-le-feu qui suspend sa marche vers la Syrie et interrompt temporairement une semaine de violents combats avec les forces kurdes, tout en permettant au gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan de créer une zone tampon convoitée depuis longtemps au-delà de ses frontières.
L'accord, annoncé par le vice-président Pence après plusieurs heures de négociations, semblait laisser au chef de la Turquie l'essentiel de ce qu'il cherchait lorsque ses militaires ont lancé un assaut contre le nord-est de la Syrie il y a un peu plus d'une semaine : l'expulsion des milices kurdes syriennes de la frontière et la levée de la menace américaine d'imposer des sanctions à l'économie vulnérable de la Turquie.

Pence dit que la Turquie a accepté de faire une pause dans son offensive pendant cinq jours, alors que les États-Unis ont aidé à faciliter le retrait des forces dirigée par les kurdes, aussi appelées Forces démocratiques syriennes (SDF), d'une large bande de territoire allant de la frontière de la Turquie jusqu'à près de 20 miles au sud en Syrie. Après l’achèvement du retrait des Kurdes, l’opération militaire turque, commencée le 9 octobre, sera « complètement arrêtée », a déclaré M. Pence.

Le New YorkTimes  titre  faussement à la une : « Trump se dégonfle, le cessez-le-feu cimente les acquis de la Turquie en Syrie. »

L'accord de cessez-le-feu conclu avec la Turquie par le vice-président Mike Pence revient à une victoire quasi totale du président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui gagne du territoire, paie peu de pénalités et semble avoir manœuvré le Président Trump.
Le mieux que l’on puisse dire au sujet de cet accord est qu’il pourrait mettre fin aux tueries dans l’enclave kurde du nord de la Syrie. Mais le coût pour les Kurdes, alliés américains de longue date dans la lutte contre État islamique, est sévère : même des responsables du Pentagone sont désorientés quant à savoir où iraient les dizaines de milliers de Kurdes déplacés, qui doivent se diriger au sud de la frontière turco-syrienne. comme exigé par les accords - s'ils acceptent d'y aller, pour commencer. [...]
Les responsables militaires se sont déclarés étonnés d'apprendre que l'accord autorisait essentiellement la Turquie à annexer une partie de la Syrie, à déplacer des dizaines de milliers d'habitants kurdes et à anéantir des années de succès dans la lutte antiterroriste contre État islamique.”

Les États-Unis ne peuvent pas  « permettre à la Turquie d’annexer une partie de la Syrie ».Les États-Unis ne possèdent pas la Syrie. Il est complètement ridicule de penser qu’elle a le pouvoir de permettre à la Turquie d’annexer certaines de ses parties.

La Turquie ne « gagnera pas de territoire ». Il n’y aura pas de « corridor de sécurité » turc. Les civils kurdes des régions de Kobani, Ras al Ain et Qamishli n’iront nulle part. Les Turcs ne toucheront pas ces zones à majorité kurde car elles sont, ou seront bientôt, sous le contrôle du gouvernement syrien et de son armée.

Cette photo, prise hier, montre la frontière syro-turque traversant le nord de Kobani. L’armée syrienne en a pris le contrôle et a hissé le drapeau syrien. Il n’y a plus aucune force kurde là-bas qui pourrait menacer la Turquie.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Cavusoglu, a  confirmé  que la Turquie était d’accord avec les propositions du gouvernement syrien :

« La Russie “a promis que le PKK ou YPG ne se trouveraient pas de l'autre côté de la frontière“, a déclaré Cavusoglu dans une interview à la BBC. “Si la Russie, accompagnée par l'armée syrienne, retire des éléments des YPG de la région, nous ne nous opposerons pas à cela”. »

Même les Syriens, partisans opposés à leur gouvernement apprécient le stratagème :

Rami Jarrah @RamiJarrah - 12h53 UTC · 17 oct. 2019 :« Le ministre des Affaires étrangères de Turquie a répété une fois de plus que si la Russie et le régime syrien s’emparaient des zones frontalières, ils ne feraient pas d'objection, du moment que le PYD soit expulsé.
» Assad a eu l'opportunité la plus facile de saisir les terres depuis le début de la guerre. »

Ces mouvements ont été  planifiés  depuis le début. L’invasion turque dans le nord-est de la Syrie avait pour  but  de donner à Trump une raison de retirer ses troupes. Elle visait à pousser les forces kurdes à se soumettre enfin au gouvernement syrien. Dans les coulisses, la Russie avait déjà organisé le remplacement des forces kurdes par des troupes du gouvernement syrien. Elle a  coordonné  les mouvements de l’armée syrienne avec l’armée américaine. La Turquie avait convenue que le contrôle du gouvernement syrien serait suffisant pour apaiser ses craintes concernant une guérilla kurde et un proto-État kurde à sa frontière. Toute nouvelle invasion turque de la Syrie est donc inutile.

Le plan est gagnant pour tout le monde. La Turquie sera libre de toute menace kurde. La Syrie regagne son territoire. Les États-Unis peuvent partir sans autres problèmes. La Russie et l’Iran gagnent en prestige. Les Kurdes se prennent en charge.

Le  “cessez-le-feu” et le retrait des groupes armés kurdes de la frontière, qui auraient été  négociés  hier entre Pence et Erdogan, avaient déjà été décidés avant que les États-Unis n’annoncent leur retrait de Syrie.

Le journaliste chevronné Elijah Magnier a  écrit hier, avant les négociations des États-Unis avec les Turcs :

« Assad espère que la Russie parviendra à stopper l’avance turque et à en réduire les conséquences, peut-être en demandant aux Kurdes de se retirer à 30 km des frontières turques pour apaiser les inquiétudes du président Erdogan. Cela pourrait également convenir à l’accord Adana de 1998 entre la Turquie et la Syrie (zone tampon de 5 km au lieu de 30 km) et offrir la tranquillité à toutes les parties concernées. La Turquie veut s'assurer que le YPG kurde, la branche syrienne du PKK, est désarmé et contenu. Rien ne semble difficile à gérer pour la Russie, en particulier lorsque l’objectif le plus difficile a déjà été offert gracieusement : le retrait des forces américaines. »

Ce que Magnier décrit correspond exactement à ce sur quoi Pence et Erdogan se sont mis d’accord car cela faisait – depuis le début – partie d’un plan commun plus vaste.

Donald J. Trump @realDonaldTrump - 20:13 UTC · 17 oct. 2019 : « C'est un grand jour pour la civilisation. Je suis fier des États-Unis qui m'ont suivi dans ma démarche, nécessaire, mais quelque peu non conventionnelle. Les gens essaient de régler cette “affaire” depuis de nombreuses années. Des millions de vies seront sauvées. Félicitations à tous ! »

La question est maintenant de savoir si les États-Unis respecteront l’accord ou si la pression sur le président Trump sera si lourde qu’il  devra se retirer de l’accord. Les États-Unis doivent déplacer  toutes  leurs troupes du nord-est de la Syrie pour que le plan réussisse. Toute force américaine résiduelle, même petite et insoutenable, compliquera encore davantage la situation.

Le fait que les médias et les experts américains ont complètement mal interprété la situation est le symptôme d’un échec plus général. Anatol Lieven  décrit  ainsi le désordre de la stratégie américaine au Moyen-Orient :

« Ce modèle a ses racines dans la décadence du système politique américain et l'establishment politique domestique, y compris le pouvoir des lobbies et leur argent sur la politique des États-Unis dans des domaines clés ; le retrait des études régionales dans les universités et les groupes de réflexion, conduisant à une ignorance totale de certains des pays clés auxquels les États-Unis ont à faire ; l'obsession de soi, l'auto-satisfaction et la mégalomanie idéologique qui, dans chaque différend, amènent une part si importante de l'establishment et des médias américains à faire des États-Unis une force du bien absolu et de leurs opposants un mal absolu; et l'échec, – lié à ces trois syndromes, – d'identifier les intérêts vitaux et secondaires et de choisir entre eux. »

Seuls quelques réalistes, aux États-Unis, reconnaissent la réalité. Stephen Walt :

« L’essentiel: la solution à la situation en Syrie consiste à reconnaître la victoire d’Assad et à collaborer avec les autres parties intéressées pour y stabiliser la situation.Malheureusement, cette approche raisonnable, bien que peu savoureuse, est un anathème pour le “marais”de la politique étrangère, – démocrates et républicains confondus, – ses membres sont en train de rassembler les arguments habituels, usés jusqu'à la corde, pour expliquer pourquoi tout est de la faute de Trump et que les États-Unis n'auraient jamais dû retirer un seul soldat. »

Je suis confiant pour le moment que le DeepState sera contenu par Trump et que le plan  “Win-Win-Win” réussira. Erdogan se rendra bientôt en Russie pour discuter des prochaines étapes vers la paix en Syrie. Les discussions porteront sur un plan commun visant à libérer le gouvernorat d’Idleb sous contrôle djihadiste. Cette étape nécessitera peut-être un sommet entre le président syrien Bachar al-Assad et Erdogan, pendant lequel la Russie et l’Iran contribueront à faciliter la tâche.

Les États-Unis s’étant retirés du dossier syrien, de telles étapes vers la paix seront désormais beaucoup plus faciles.

The Moon of Alabama (traduction le Sakerfrancophone)