Les surprises du “soufflé hystérique”

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Les surprises du “soufflé hystérique”

Conservons donc, pour la rapidité du propos, l’expression de “soufflé hystérique”, employé dans notre texte du 23 juillet 2014 pour caractériser ce déferlement colossal de dénonciation de la Russie dans l’affaire de la destruction du vol MH17. Cela n’a rien à voir avec la vérité de la situation,– on connaît l’extrême pauvreté du cas de la culpabilité russe, alors qu’aucune enquête sérieuse n’a encore eu lieu, – alors que le cas inverse (culpabilité de Kiev) n’est même pas envisagé malgré qu’il est soutenu par nombre d’arguments. On a là un effet massif du système de la communication effectivement activé dans le mode hystérique. Là-dessus, les plus fameux partisans de l’intervention pour sauver la vertu ukrainienne contre la barbarie russe, sans oublier les “terroristes” du Donbass, les McCain, BHL & compagnie, envisagent d’un même élan de transformer l’essai en jugeant que l’idée d’une intervention armée va de soi. Ils attendent du même “soufflé hystérique” qu’on obtienne une semblable majorité en faveur de l’initiative.

Un sondage effectué aux USA, où l’extrémisme interventionniste est le plus franc et le plus massif, réserve des surprises significatives. Le site Reason.com, de la revue du même nom, commente ces résultats, le 23 juillet 2014, et notamment le chiffre extraordinaires de seulement 5% des personnes interrogées partisanes d’une présence militaire US en Ukraine, alors qu’une nette majorité désigne la Russie comme “coupable” dans l’affaire de la destruction de MH17.

«Saber rattling doesn't poll well anymore. After a civilian airline was shot down over Ukraine last week, America's hawks stepped up their calls for a more muscular intervention in the country, with Sen. John McCain (R-Ariz.) calling the White House "cowardly" because it hasn't armed the government in Kiev. But a new YouGov survey shows only 15 percent of Americans favoring such aid. Forty-six percent in the poll think Russia was involved in the crash, and only 14 percent believe it wasn't. But that hasn't translated into an enthusiasm for intervention.

»That reluctance should not be surprising. When Reason polled Americans about the Ukraine war in April, 58 percent wanted the U.S. to stay out of the conflict altogether. Asked what to do if Russia attempted to invade more of the country, a majority was willing to impose stricter economic sanctions, with 61 percent in favor and 32 percent against. But by essentially the same margin—62 percent to 33 percent—Americans were opposed to sending military aid. They were opposed even more lopsidedly, 76 percent to 20 percent, to sending in U.S. soldiers. That last sentiment seems to have grown even stronger since then: In this week's YouGov survey, only 5 percent of the country endorsed the idea of deploying troops to Ukraine. That's just 1 percentage point more than were willing to tell pollsters last year that the world is controlled by shape-shifting reptile people.»

Suivent d’autres commentaires sur d’autres résultats de sondages et d’enquêtes concernant d’autres théâtres d’opération, ainsi que la question générale de l’engagement US à l’extérieur, avec une tendance constante, à une très forte majorité, du refus des engagements extérieurs. Par contre, le public US se dit très partisan de l’aide financière massive à Israël, – le cadeau annuel du contribuable US à Israël, – montrant par là une très forte imprégnation de la propagande pro-Israël, des lobbies, des engagement quasi-unanimes des hommes politiques, du monde des élites-Système, etc., mais également dans le public lui-même. (Il s’agit d’une réalité américaniste qu’il faut bien accepter comme telle : la cause israélienne est dans tous les segments de la société complètement et immuablement acceptée et soutenue. Qu’on le déplore éventuellement, à cause de son caractère unilatéral et biaisé ne change rien à ce constat de fait.) L’article conclut, en revenant au point de départ, c’est-à-dire à l’Ukraine : «But that is small comfort for the Ukraine hawks, given how reluctant the public has been to enter Kiev's conflict in any military manner. In that war, Americans don't even want to lose a drone.»

La conclusion générale de ce sondage pour ce qui est de l’Ukraine, et l’appréciation que nous donnons du phénomène “soufflé hystérique”, sont a contrario très largement renforcées par un autre sondage, dont les résultats sont publiés par Politico.com le 21 juillet 2014. L’option d’une implication militaire directe des USA en Ukraine est très minoritaire, mais nettement moins que dans le sondage rapporté par Reason.com : 17% contre 5%. La précision essentielle pour notre propos est que ce sondage rapporté par Politico.com a été effectué avant la destruction de MH17. La comparaison relative est que l’idée d’une implication militaire US est encore plus minoritaire, jusqu’à être inexistante, après un événement dramatique qui a été quasi-unanimement présenté comme un acte d’agression des Russes, ou de leurs partisans, en Ukraine, et dont on aurait pu attendre qu’il augment le pourcentage du public favorable à une implication militaire US.

L’analyse essentielle est alors que le phénomène “soufflé hystérique”, c’est-à-dire cette mobilisation énorme, instantanée, de toute la presse-Système et des élites-Système en faveur de la thèse qu’on sait, même si cela est contre nombre d’évidences et manifestement au nom d’une perception très fortement influencée par un emportement partisan quasiment grotesque et sans aucune démarche rationnelle, ce phénomène très puissant est aussi très court et totalement dénué de substance. Le “soufflé hystérique” semble, lorsqu’il se produit, d’une puissance inarrêtable, irrésistible, il emporte tout et noie toute velléité de tenter d’imposer une vision alternative, ou même la simple proposition de considérer une vision alternative, – sans parler d’attendre les résultats des enquêtes sur la catastrophe. Mais c’est un effet d’apparence, une sorte d’énorme “écume du jour”, justement sans aucune substance du fait de son outrance et de la fragilité, voire de l’inexistence des faits avérés ou de bon sens sur lesquels il aurait dû s'appuyer. Le résultat est effectivement que cette énorme puissance momentanée se dissout très rapidement, sans laisser de traces durables et solides. Même si la majorité, plutôt indifférente que silencieuse, continue à tenir pour acquise la culpabilité russe, cela n’installe en rien une conviction durable et solide. La démonstration de ce phénomène se trouve dans l’extraordinaire faiblesse des partisans, même pas d’une intervention, mais d’une implication de forme militaire des USA en Ukraine.

(En même temps, – et c’est le tribut rendu à la faiblesse de ce phénomène mais aussi à son existence initiale et très courte de grande puissance, la politique de sanctions [antirusse], qui est par excellence dans l’esprit du public, et d’une façon très contestable d’ailleurs, une politique de non-intervention, est favorisée. C’est-à-dire qu’on favorise une politique qu’on perçoit, toujours de façon très discutable, comme une politique de désapprobation sans risque et, d’une certaine façon, “en s’en lavant les mains”, – sans voir qu’en réalité la politique des sanctions constitue une pression qui vaut bien celle d’une implication directe US en Ukraine, et dont les effets à terme peut-être très courts peuvent être plus graves mais aussi beaucoup plus diversifiée qu’une implication directe US, en provoquant des effets de riposte, des effets pervers, etc., c’est–à-dire en accentuant le désordre qui pose encore plus de problèmes aux USA. On voit bien que la contradiction règne partout, dans ces circonstances où l’immédiat et l’éphémère constituent la marque même de l’action générale.)

La conclusion générale se résume en une mise en cause extrêmement précise et troublante de l’arme extrême du système de la communication, qui est l’attaque massive, instantanée, selon une coordination de narrative radicalement orientée (antirusse, dans ce cas). Le résultat immédiat est massif et radical dans le sens recherché. Mais il ne dure pas du tout et ses effets secondaires sont, pour ses initiateurs, complètement pervers. Bien sûr, pour cela, il faut une “presse alternative” d’information et de spéculation, selon une autre dynamique du système de la communication, ceux de l’internet, des réseaux sociaux, dont la tendance est très souvent, et radicalement, contestataire de la réaction-Système initiale du “soufflé hystérique”. Il se développe alors un “bruit de fond” contestataire qui renforce l’effet pervers secondaire chronologiquement, une sorte de “coup de fouet en retour”. A côté de cela, certains centres de pouvoir qui n’ont pas apprécié la première réaction hystérique sans pouvoir rien y faire (comme la communauté du renseignement aux USA) peuvent alors introduire leurs réserves contre les premières évaluations. Tout cela nourrit puissamment les réactions du public qu’on a détaillées ci-dessus et confirme plus que jamais l’aspect-Janus du Système de la communication. (Si l’on veut, c’est une situation qu’on pourrait aller jusqu’à qualifier dans le chef du “soufflé hystérique” d’orwellienne, par le biais de dynamiques très puissantes de type-pavlovien, mais qui sont trop dénuées de substance pour réellement influencer la psychologie dans le sens voulu, et qui sont aussitôt contrecarrées par des réactions contraires. Le résultat, c’est une situation de désordre et pas du tout une situation de type-orwellien caractérisée par une inversion structurée et tenue par un ordre de contrainte, et ce désordre provoquant plutôt des effets de repli hostile de la population au lieu des effets mobilisateurs qu’on espérait.)

Le résultat général de cette évolution du public retrouve effectivement l’épisode syrien de la crise chimique d’août-septembre 2013. Alors qu’on croit acquis un soutien du public (effet du “soufflé hystérique”), on se trouve brusquement placé devant une opposition déterminée contre les mesures extrêmes qu’on envisageait (implication, intervention directes). Pour l’Ukraine, c’est le schéma syrien en bien plus pressant ; voir à nouveau le 23 juillet 2014 :

«Cette circonstance peut conduire à des surprises désagréables, cette fois du côté de l’opinion publique, avec relais éventuel, dans un cas ou l’autre, vers des représentations législatives. Dans le cas syrien, la crise du chimique avait été entamée selon la certitude d’un fort soutien de l’opinion publique, très hostile en théorie et en sondages à Assad. C’était la phase dite du “soufflé hystérique”, et c’est sur cette base que les politiques évoluaient en privilégiant une narrative maximaliste d’intervention. Puis des dissensions étaient apparues dans les pouvoirs politique, notamment à Washington, – mais pas que... Ainsi eûmes-nous les surprises, d’abord du vote négatif (contre une attaque contre Assad) des Communes à Londres, puis d’une Chambre des Représentants du Congrès US hostile à une attaque contre la Syrie, tout cela sur la base d’une opinion publique qu’on voyait basculer dès lors qu’il s’agissait de passer de l’indignation à l’action clairement engagée. Le même processus pourrait se renouveler avec l’Ukraine et MH17.»


Mis en ligne le 25 juillet 2014 à 06H03

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