Les machines à laver attaquent

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Les machines à laver attaquent

7 août 2025 (19H00) – Pour cette fois, je vais suivre une méthode inédite : présenter d’abord  le texte qui va servir de base, sinon de viande déchiquetée, à mon propos, et l’examiner ensuite, déchet par déchet, pour éclairer sa pleine signification. On fera alors le point, – disons “d’exclamation” pour faire le malin.

Le texte vient du site ‘usa.news-pravda.com’ de ce 7 août 2025. Il provient originellement du site ‘Top War’ et il est présenté sous le titre aguichant de :

« “Provenant aussi des machines à laver ?” – Plus de 6 500 puces électroniques d’origine chinoise ont été décomptées sur le porte-avions de l’U.S. Navy USS ‘Gerald R. Ford’ »

Sans plus attendre, voici le texte en question, – il n’est pas trop long et uniquement factuel, ce qui vous permettra de ne pas perdre le fil de nôtre réflexion.

« Les États-Unis ont décidé de lancer un audit à grande échelle des approvisionnements destinés à l'armée et à la flotte. Cela s'explique par le fait que, récemment, l'utilisation croissante d'éléments de base chinois dans les armes américaines a commencé à être révélée. En gros, l'équipement est américain, mais à la loupe et au tournevis, on découvre…

» Ainsi, le tout nouveau porte-avions américain, l'USS Gerald R. Ford, a utilisé d'importantes quantités d'acier acheté en Chine, ainsi que plus de 6 500 puces électroniques chinoises. Le paradoxe : ce porte-avions américain est assemblé à partir de matériaux et d'éléments produits dans le pays qu'il est censé “contenir” militairement dans la région Asie-Pacifique. Les  “narrateurs” occidentaux n'osent tout de même pas aller jusqu’à écrire : « Un porte-avions américain assemblé à partir de machines à laver chinoises. » Néanmoins, on note que les puces chinoises responsables des mécanismes rotatifs de l'une des antennes de l'USS Gerald R. Ford se révèlent être parfaitement identiques à la base des éléments des “machines à laver” ordinaires.

» Des pièces et composants chinois ont également été retrouvés dans les chasseurs F-35 de 5e génération de l'US Air Force et de la Navy. Et, comme le disent les plus brillants, les États-Unis n'ont toujours pas créé leurs propres armes hypersoniques, car l'usine de Shanghai fournissant ce matériel ne peut pas gérer les commandes de microélectronique… »

Ainsi et après s’être demandé si “l’usine de Changhai ne traine pas volontairement les pieds (la Chine, elle, a de l’hypersonique), je vous propose un petit arrêt standard pour reprendre votre souffle. La suite, peut-être encore plus intéressante, est faite par le directeur d’un think tank américaniste prestigieux qui s’occupe de l’analyse des systèmes avancés, de l’intégration des technologies dans les systèmes d’armes et toute cette sorte de chose... Il s’agit de Brian Clarke, directeur du Center for Defense Concepts, qui fait partie du prestigitissime (plutôt que “prestigissime”, qui fait un peu étriqué) Hudson Institute, l’un des plus puissants et des plus huppés parmi les ‘think tannks’ américaniste, de politique étrangère et de sécurité nationale. Donc, que du beau monde, et des sources absolument sacrées dans leur respect des normes et des réalités du Système.

Clarke : « Des composants chinois étaient utilisés auparavant. Mais ils étaient alors utilisés par des fabricants de basse technologie. Aujourd'hui, tout a changé. Pendant longtemps, le ministère de la Défense n'avait aucune information sur les armes utilisant des composants chinois.

» Même si l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement pouvait être suivi par de multiples intermédiaires, il serait peu probable que le problème soit résolu rapidement. »

Clarke again : « On peut tracer les composants chinois dans les armes américaines, mais on ne peut pas devenir indépendant de la Chine du jour au lendemain. Cela pourrait prendre des décennies, et non des années. »

On en a déjà dit pas mal, n’est-ce pas ? Dans tous les cas, c’est mon point de vue, et je commence aussitôt mon roboratif déchiquètement des divers éléments qui doivent nous intéresser.

Des machines à laver, dites-vous ?

On parle du titre, de sa goguenard partie (“Provenant aussi des machines à laver ?”). Il s’agit du rappel des commentaires sarcastiques des sachants-experts de tout l’Occident-affirmatif pour caractériser l’état lamentable des forces armées russes lorsque la guerre fut lancée : ils en sont, ces pauvres moujiks, à aller prendre les puces électroniques des machines à laver pour faire marcher leurs chars. Éclats de sourire élégants et entendus sur toutes les chaînes, – c’était en mars 2022.

... Et celle-là, au fait, l’aviez-vous remarquée, vous et nous qui restons interdits devant la pyramide de technologies ultra-hyper-avancées dont est constitué le ‘Ford’ ?

« Parallèlement, les puces chinoises responsables des mécanismes rotatifs de l'une des antennes de l'USS Gerald R. Ford se révèlent être parfaitement identiques à la base des éléments des “machines à laver” ordinaires. »

Une mer de puces chinoises

Bien entendu, puisque vous l’avez lu, on rappelle cet impressionnant amoncellement de puces électroniques chinoises (6 500) et ces « importantes quantités d'acier acheté en Chine » qui permettent au ‘Ford’ de prendre la mer (avec difficultés) et de naviguer (avec quelques autres difficultés) vers les zones de combat potentielles, notamment la Chine qui est l’objectif final de la conquête du monde par la plus formidable ‘War Machine’ que le monde ait jamais connue...

Et tout cela, entièrement américain-américaniste, on peut être sûr. On trouve même des éléments de même provenance sur le F-35, cette merveilleuse machine, dont les experts américanistes ne cessent d’accuser les Chinois de l’avoir piraté, – par l’intermédiaire de puces électroniques et de machines à laver la vaisselle, je suppose.

L’art du contrôle de soi

D’abord, relisez le premier paragraphe du texte dans le contexte d’une interrogation de la façon dont la bureaucratie du Pentagone, – celle dont parle Rumsfeld le 10 septembre 2001, – croit pouvoir d’elle-même, selon le mot prêté à Auguste par Pierre Corneille : « Je suis maître[sse] de moi comme de l’univers ». Voici la citation qui vous montre la lente progression, à partir de l’ignorance complète, de l’utilisation de matériels chinois sophistiqués pour la construction des armes USA les plus poussantes :

« Les États-Unis ont décidé de lancer un audit à grande échelle des approvisionnements destinés à l'armée et à la flotte. Cela s'explique par le fait que, récemment, l'utilisation croissante d'éléments de base chinois dans les armes américaines a commencé à être révélée. En gros, l'équipement est américain, mais à la loupe et au tournevis, on découvre… »

Car, vous comprenez, ce temps de l’innocence et de l’ignorance n’a pas été que le temps d’un instant. Il vient de loin et l’infection a eu le temps de gagner, – car, comme dit le directeur Clarke :

« Pendant longtemps, le ministère de la Défense n'avait aucune information sur les armes utilisant des composants chinois... »

Le temps, Madame, le temps ne fait rien à l’affaire

Bien entendu, toutes les mesures vont être prises, et encore illico presto. Donc, on espère rétablir une situation enfin normale, nationale, très ‘America First and Only’ dans un temps assez leste, assez vif... Disons, comme l’évoque Clarke, d’ici quelques décennies, d’autant que, pendant ce temps, on aura réglé son compte à la Chine et à ses machines à laver...

 « Même si l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement pouvait être suivi par de multiples intermédiaires, il serait peu probable que le problème soit résolu rapidement. » [...]  « On peut tracer les composants chinois dans les armes américaines, mais on ne peut pas devenir indépendant de la Chine du jour au lendemain. Cela pourrait prendre des décennies, et non des années. »

Psychologie et menace

Si l’on résume pour pouvoir mieux extrapoler et philosopher, On peut être assuré de deux choses :

• Ce cas exposé ici n’aurait certainement pas existé il y a un demi-siècle et au-delà. L’une des priorités de l’arsenal américaniste, bien mis en place pendant la Deuxième Guerre mondiale fut de ne devoir jamais dépendre, – sinon le strict minimum qui doit rester l’exception et être colmaté au plus vite, – d’une source extérieure de fourniture de composants pour les systèmes d’armes. Depuis 1989-1991 et la folie de l’Amérique hyper-puissance, cette nécessité a été abandonnée selon l’axiome que la supériorité absolue des USA, technologique mais aussi et surtout psychologique qui interdit toute mise en cause de soi-même, suffiront largement à obtenir ce qui est nécessaire au Pentagone et qui n’est plus produit du fait de la désindustrialisation et l’abandon de l’idée d’une base industrielle stratégique .

« Les deux piliers de cette référence [...] sont ces deux traits de la psychologie américaniste auxquels nous revenons si souvent. [...] ces principales vertus de la psychologie de l’américanisme : inculpabilité et indéfectibilité. Ces deux traits psychologiques strictement américanistes...

» Comprend-on ceci ? il manque au bureaucrate-américaniste la clef de l’accès à une psychologie s’écartant perversement de ces deux piliers ; il n’en a nul besoin parce qu’aux USA, il n’en existe pas d’autre et qu’il a, lui le bureaucrate-américaniste, la vertu de les mépriser. Tout ce qui ne ressort pas de la psychologie américaniste est classé ‘top-top secret’ et jeté dans le feu grondant de l’inquisition washingtonienne. »

• Ces aspects notamment psychologiques interdisent que la bureaucratie américaniste n’envisage jamais un changement d’attitude avec des coopérations, des partages de tâches et des échanges de capacités. La crise du technologisme ne cessant de s’accentuer, il est évident que ces constats faits avec le porte-avions ‘Ford’ (lui-même ayant souffert pendant cinq ans des retards et difficultés considérables de la mise au point de nouvelles catapultes électroniques) se retrouveront en pleine accélération et en pleine aggravation avec les systèmes d’armes à venir, pour le temps qu’il reste au Complexe Militaro-Industriel de profiter d’un pouvoir politique assez stable pour le ravitailler en trillions de dollars.

Comme on le voit avec ce “détail” concernant les missiles hypersoniques, dont les USA ont promis les premiers déploiements en Allemagne en 2026, – une des dernières farces-bouffe en vogue, – les USA dépendent des Chinois pour cette arme de supériorité stratégique où ils ont dix ans de retard sur la Russie et sur la Chine (et sur l’Iran, et... etc) ; – et l’on imagine l’empressement des Chinois à leur fournir le matériel nécessaire :

« Et, comme le disent les plus brillants, les États-Unis n'ont toujours pas créé leurs propres armes hypersoniques, car l'usine de Shanghai ne peut pas gérer les commandes de microélectronique… »

• … Même si certains peuvent juger qu’on en parle un peu trop dans nos références, on ne parlera jamais assez de la capacité visionnaire de cette crapule pseudo-neocon que fut Don Rumsfeld montra le 10 septembre 2001... Peut-être préparait-il le complot & faux-drapeau de 9/11, le lendemain, mais certainement il avait dessiné le destin de la puissance américaniste :

« Notre sujet aujourd’hui est un adversaire qui constitue une menace, une sérieuse menace, contre la sécurité des États-Unis d’Amérique [...]

.» Peut-être cet adversaire paraît ressembler à ce que fut l’Union Soviétique, mais cet ennemi s’en est allé : nos ennemis sont aujourd’hui plus subtils et plus implacables. Vous devez penser que je suis en train de décrire un de ces dictateurs décrépits qui survivent encore. Mais leur temps est passé, à eux aussi, et ils ne font pas le poids à côté de cet adversaire que je décris.

» Cet adversaire est beaucoup plus proche de nous. C’est la bureaucratie du Pentagone. Non pas les gens mais les processus. Non pas les hommes et les femmes en uniforme mais l’uniformité de la pensée et de l’action que nous leur imposons bien trop souvent...  »