Le “printemps de Washington”, in extremis ?

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Faudra-t-il écrire un jour, dans ces dignes colonnes, que Washington D.C. et la Grande République donnent au monde une “leçon de démocratie” ? Le Diable en rit par avance… Dans tous les cas, voici, in extremis puisque l’été ne commence que demain, l’annonce qu’il pourrait y avoir un “printemps de Washington” comme il y eut un “printemps de Prague”. C’est le sens, on s’en doute, de la chronique de Justin (Raimondo), ce 20 juin 2011, sur Antiwar.com, sous le titre «The American Spring».

Il jubile, Justin, et on le comprend. Si la lumière doit venir, comme elle commence à pointer, elle viendra en effet de l’immonde, le quasi-fasciste, l’obtus et épouvantable parti républicain, soutien du non moins catastrophique GW, tout cela qui donnait la nausée dans les beaux salons du partis des salonnards, où l’on aime bien que les tueries pentagonesques soient accompagnées des fleurs de rhétorique qui rendent convenables à leur goût le bruit des explosions et le sang qui tâche ; au lieu que ce sont ces rustres qui aujourd’hui nous font implicitement la leçon ; au lieu que le parti démocrate, icône progressiste du monde chantant de demain, avec son président multiculturaliste et si brillamment intelligent, ne peut que suivre, pour ses membres les plus éclairés et les plus honnêtes, les républicains fraîchement repeints antiwar, tandis que sa nomenklatura de direction est obligée de suivre, elle, la ligne complètement absurde, maladroite et enfermée dans un bellicisme nihiliste, et illégale de surcroît par rapport au Congrès, de l’incomparable BHO. Justin est républicain (et libertarien) et n’a jamais désespéré, au fond de lui, que son parti revienne à sa tradition d’isolationnisme (bien tempéré, dans notre époque) et non-interventionniste, – que le GOP (Great Old Party) redevienne vraiment le GOP. Il croit qu’on touche au but.

Ainsi Justin célèbre-t-il “the American Spring”, – qui vaut bien, on s’en doute, l’American Dream

«The War Party has lost the intellectual battle – and it’s just a matter of time before they lose the political battle as well. The wind is in the sails of the USS Isolationist, which might be renamed the USS Tea Partier – Captain Ron Paul at the wheel. Before you know it, the neocons will set sail for another shore and hightail it back to the Democratic party, where they were spawned. If the Dems are smart – and they aren’t – they’ll rebuff these parasites, who attach themselves to larger political animals and feed until their host is nothing but a drained husk. Which is what the GOP was in the wake of Obama’s election victory.

»Revived, and renewed by a populist upsurge, the Republican party – incredibly enough – is becoming the main political vessel of anti-interventionism in the US only a few years after leading this country into two of the most unsuccessful wars we’ve ever fought. There’s a lesson in there, somewhere, which I wonder if the present Republican leadership is capable of understanding, let alone learning.»

• Quelle est la situation générale ? Jason Ditz, également sur Antiwar.com ce 20 juin 2011, décrit la position du président Obama comme complètement déséquilibrée : massivement appuyé sur le GOP pour ses entreprises guerrières, il découvre brutalement que cette assise se dissout comme le sable vous coule entre les doigts. “L’attaque contre la Libye est peut-être ‘une guerre trop loin’” observe Ditz, qui pourrait y ajouter l’événement symbolique de la “liquidation” de ben Laden. Quoi qu’il en soit, la Chambre pourrait bien voter, un de ces jours, un texte supprimant le financement de toutes les opérations relatives à l’affaire libyenne. Désormais, la bataille est devenue fondamentalement légaliste, en fonction de la fameuse loi dite War Powers Act de 1973, qui fait obligation au président de solliciter dans les 60 jours l’approbation du Congrès à des opérations militaires qu’il a engagées sous sa propre autorité. Comme l’observe Dennis Kucinich, un des pétroleurs démocrates qui mène la charge avec ses “amis” républicains antiwar, «the situation had the makings of a constitutional crisis».

Jason Ditz : «Though there are a handful of diehard hawks in the Senate for whom any war on any flimsy justification is to be praised, the Republican Party is seeing a major rethink on war, with the unilateral war in Libya even extending into the once unquestioned Afghan conflict. At this point the closest the hawks are presenting to an argument is to angrily demand that the rest of the Congress “shut up.”

»And while the Senate has been largely mum on the issue, the House is expected to vote, potentially in a matter of days, on defunding the conflict. Such votes were being fought tooth and nail by House Republican leadership just weeks ago, but now livid at the president’s claims that Congress has no oversight over the war, they are not just allowing the vote but it seems to have a strong chance of passing through the House with plenty of bipartisan support.»

• Effectivement il y a, à nouveau, un “mystère Obama”. Pourquoi le président a-t-il ignoré le Congrès, après qu’on ait perçu les premiers signes d’une très sévère résistance, ou même avant d’ailleurs ? Ditz observe, devant l’entêtement d’Obama à proclamer que les opérations en Libye ne ressortent pas d’une guerre et qu’il n’a aucun besoin de l’accord du Congrès, que le Congrès est passé d’une humeur moqueuse à une humeur furieuse («Now, as the White House continues to reiterate the claim, Congress has gone from mocking to livid»). Le cas d’Obama est d’autant plus étrange qu’il a contre lui les juristes du département de la justice (DoJ) et du Pentagone, ce que la Maison Blanche a bien du reconnaître ! Le National Journal du 17 juin 2011 observait :

«A senior administration official confirmed the dispute Friday night after The New York Times reported that Defense Department General Counsel Jeh Johnson and Caroline Krass, the acting head of the Office of Legal Counsel at the Department of Justice, both concluded that the scope of the U.S.’s actions in Libya do amount to the definition of “hostilities” envisioned by the War Powers Act.»

D’une façon générale et bien qu’il n’ait aucune obligation de s’incliner devant l’avis péremptoire de l’Office of Legal Counsel du DoJ, on observe qu’il est “extraordinairement rare” dans l’histoire des USA qu’un Président outrepasse cet avis. Cela rend d’autant plus pressante et mystérieuse la question autour de l’entêtement de BHO ; il est fort probable que des aspects très personnels aient joué, comme l’assurance, voire l’arrogance du personnage nimbé dans sa fonction suprême, chose qui monte un peu vite à sa tête par ailleurs décrite – un peu vite, là aussi ? – comme bien pleine et si bien faite ; et, aussi, des faiblesses de perception stupéfiantes d’une Maison Blanche enfermée dans la même bulle d’arrogance suprématiste, avec les erreurs majeures de l'incompréhension du climat du Congrès qui vont avec… Pour un homme qu’on dit d’une habileté suprême dans les manœuvres politiciennes intérieures, dont on attend des merveilles tactique de ce point de vue pour sauver sa réélection, cela laisse à penser. L’affaire est d’autant plus misérable (pour BHO) que, comme l’explique le sénateur républicain Bob Corker, de la commission sénatoriale des relations extérieures, Obama aurait sans doute eu un soutien bipartisan très puissant pour la Libye s’il s’était conformé aux règles dès le début, au début mai justement, – avec alors le Sénat complètement sur sa position pro-Système, et la Chambre bien peu mobilisée (Corker  : «The president would likely have received overwhelming support for the operations in Libya, but his approach has needlessly burned through goodwill with Congress and violated the trust of the American people»).

Maintenant, il nous semble qu’il faut bien s’entendre… Si l’évolution actuelle est un événement très important, et fondamental si elle se poursuit, ne serait-ce que par la perspective de “crise institutionnelle” (Kucinich), elle n’en est pas pour autant prometteuse, dans le cas d’une affirmation victorieuse du Congrès, d’une régularisation apaisée de la situation à Washington dans le sens d’une politique extérieure repliée, plus modeste, correspondant mieux à la situation générale de crise profonde des USA. Au contraire, le résultat sera un supplément de désordre, puisqu’à la poussée du Congrès (de la Chambre, le Sénat restant très pro-Système) pour une fois en accord avec le sentiment populaire vont correspondre des résistances furieuses des centres de pouvoir restés bellicistes, le Pentagone en premier ; cela, d’autant plus que ces centres se sentent de plus en plus acculés à une défensive désespérée. (A cet égard, la critique des services légaux de la tactique d’Obama n’implique en rien que le Pentagone épouse la ligne antiwar. C’est une critique tactique, justement. Pour le reste, le Pentagone reste ce qu’il est, un des centres fondamentaux de la poussée belliciste du Système.) Au reste, cette même perspective de désordre existe si le Congrès ne l'emportait pas, car il y aurait à ce moment un formidable potentiel de rancoeur, d'hostilité, un climat d'une sorte de “pré-Watergate” dans l'attente d'une autre erreur du président qu'on ne se priverait pas de favoriser. En attendant telle ou telle issue, constatons que les deux adversaires se trouvent de plus en plus enfermés dans leur attitude de radicalisation qui ne cesse de se renforcer, avec l'obligation de ne pas céder pour ne pas perdre la face, et leur autorité respective... Désordre là aussi, d'ores et déjà.

Mais ce désordre, au contraire de l'apparent pessimisme de la prévision, ce serait la meilleure chose du monde, comme on le comprend aussitôt. Il contribuerait encore plus à déstabiliser et à miner la force dominante de Washington D.C., qui reste le Système… Et tout cela accentuerait d’une façon bien sympathique le climat du même désordre, en mode turbo, dans cette période conduisant aux présidentielles de 2012. “Que la bête meure”, voilà l’essentiel…


Mis en ligne le 20 juin 2011 à 10H58