Le président et les deux gouverneurs

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Le président et les deux gouverneurs

26 avril 2020 – Les choses se mettent en place élégamment, very nicely. Les “éléments de crise” (comme l’on dit “éléments de langage”) sont en place et opérationnels : un président en bien mauvais état, deux (au moins) gouverneurs, une Cour Suprême, un candidat en bien mauvais état, un ex-président du Brésil en activité et une pandémie. Agitez le tout et attendez le premier mardi de novembre pour que la greffe prenne... Après quoi, “après eux le déluge” ?

Covid19 a mis en évidence les faiblesses de Trump, comme nul n’en ignore. La gestion de la pandémie a été pour le moins hasardeuse et erratique. Trump évolue entre la nécessité de rattraper ses gaffes de départ instituant la quasi-inexistence de cette pandémie en apparaissant comme un défenseur des citoyens contre l’infâme virus, et d’autre part sur la nécessité dans son chef de “rouvrir l’Amérique” à sa puissance économique paralysée par le “confinement” contre l’infâme virus (“Reopen America”, selon le slogan d’Alex Jones d’Infowars  qui joue le rôle de mobilisateur des forces populaires pro-Trump).

En deux mois, son influence et son ascendant, – pour ne pas parler d’“autorité” pour son cas, – se sont trouvés fortement freinés par cette crise-Covid19. De par la répartition des autorités constitutionnelles, Trump a vu son pouvoir central contesté par les pouvoirs des gouverneurs des États, et particulièrement les deux démocrates de deux des plus importants États, Cuomo pour l’État de New York et Newsom pour la Californie. Cuomo a acquis une fameuse visibilité en tenant une conférence de presse quotidienne sur la situation de la pandémie dans son État, qui fait quasiment concurrence à celle de Trump ; pour certains, Cuomo paraît certaines fois être un président-bis, ou un “président-alternatif”, surtout quand Trump fait des gaffes.

Newsom fait moins de vagues de communication, mais certaines de ses interventions et de ses décisions secouent notablement leur galère commune. Un  fameux article de Francis Wilkinson sur Bloomberg.News  le 9 avril a attiré l’attention à cet égard, tant il sonne une charge sécessionniste dans le cadre devenu ainsi révolutionnaire de la lutte contre Covid19 :

« La Californie a déclaré cette semaine son indépendance vis-à-vis des faibles efforts du gouvernement fédéral pour lutter contre Covid-19, – et peut-être d’un peu plus. Les conséquences pour la lutte contre la pandémie sont presque certainement positives. Les implications pour la guerre civile qui se prépare entre le Trumpisme et la majorité américaine naissante du XXIe siècle, incarnée par l'électorat libéral multiracial de la Californie, sont moins claires.
» S’exprimant sur MSNBC, le gouverneur Gavin Newsom a déclaré qu’il utiliserait le pouvoir d'achat massif de la Californie “en tant qu’État-nation” pour acquérir les fournitures hospitalières que le gouvernement fédéral n’a pas réussi à fournir. Si tout se passe comme prévu, a déclaré M. Newsom, la Californie pourrait même “exporter une partie de ces fournitures vers les États qui en ont besoin”.
» “État-nation”... “Exporter”... »

Si cela ne s’appelle pas (encore) “sécession”, cela s’appelle au moins “nullification”, selon la thèse juridique de Jefferson en 1798, reprise par Madison l’année suivante, selon laquelle les États de l’Union peuvent “annuler” un ordre fédéral (du président) s’ils le jugent inapproprié pour leur situation. 

Au reste, Trump a  rétropédalé devant l’attitude des gouverneurs dans la crise-Covid19, après avoir assuré qu’il avait, en tant que président des États-Unis, prééminence sur eux dans leurs affaires internes. L’affaiblissement de Trump est d’ailleurs visible dans d’autres domaines, notamment dans le dernier épisode du Golfe Persique où il a tweeté qu’il donnait l’ordre à la Navy de couler toute vedette iranienne qui s’approcherait d’un des navires de sa glorieuse flotte. Le Pentagone a fait savoir qu’il n’y avait pas d’ordre de cette sorte, laissant entendre qu’il ne fallait pas trop  prendre au sérieux le président lorsqu’il tweete... Cela rend d’autant plus sensible  l’observation de Joaquin Flores dans son analyse sur les  color revolutions  qui se préparent aux USA, avec les glissements sécessionnistes. Flores cite un article affirmant qu’au Brésil, les militaires ont  privé Bolsonaro de tout pouvoir à cause de sa politique face à Covid19, et que cela pourrait arriver à Trump, notamment à l’occasion de l’élection de novembre prochain :

« Que s’est-il passé à mesure que les choses se sont déroulées ? Bolsonaro est resté fidèle à sa  [politique Covid19] et a finalement été privé de tout pouvoir réel par les militaires. Cela nous rappelle de manière pressante ce que notre “calendrier alternatif” pourrait réserver à Trump, si l’on considère les conséquences d’une déclaration de sécession plus marquée de la Californie... »

Le “calendrier alternatif” de Flores concerne, – comme toujours, – une attaque des démocrates contre Trump, à l’occasion de la crise-Covid19, notamment par l’intermédiaire des pressions et des décisions des deux puissants gouverneurs Cuomo et Newsom. Il est vrai que Covid19 a absolument bouleversé la situation politique aux USA.

La campagne des présidentielles est à l’arrêt, comme l’économie. Cette situation, ajoutée à une intervention de la Cour Suprême à la demande des républicains concernant la procédure de vote dans le cadre de la pandémie, alimentent les rumeurs selon lesquelles Trump pourrait être tenté de reporter les élections présidentielles, ou intervenir d’une autre façon. C’est dans ce cas qu’on évoque les hypothèses sécessionnistes, aussi bien qu’une intervention de l’armée du type-Bolsanaro.

Le problème est que, face au problème-Trump il y a le problème-Biden. Le problème est que l’alternative à l’actuel président, – une victoire de Biden, – est aussi catastrophique que le président reconduit, quelque haine démocrate que l’on éprouve à son encontre.  Jim Kunstler  fait une description hilarante du pauvre Biden et je ne peux résister à mon devoir d’information, qui m’invite au plaisir de citer les deux premiers paragraphes ; l’on y voit le pauvre Biden enfermé, pardon “confiné” (Covid19 oblige !) dans la cave de sa maison par les porte-flingues du parti démocrate pour éviter l’une de ses désastreuses sorties publiques... On garde le texte en anglais, essentiellement pour la déclaration de Biden, qu’on imagine d’ores et déjà empaillé avec son haut-de-forme et ses superbes claquettes pour son inauguration et sa prestation de serment de janvier 2021 :

« These are strange days, indeed. But in what alternative universe can anyone imagine Joe Biden actually making it through a presidential election campaign ? The party he supposedly leads stuffed him into a broom closet last week after he gibbered through a session with CNN’s leading light Anderson Cooper. They can’t just hide the poor fellow there until November 3.
» Asked about reopening everyday life in America, Mr. Biden said, “You know, there’s a… uh, during World War II, uh… you know, where Roosevelt came up with… a thing, uh, that, uh… you know, was totally different than a… than the… the, it’s called… he called it the… you know, the World War II… he had the war… the War Production Board….” »

Voilà un résumé bien incomplet de la situation extrêmement compliquée où se trouvent les USA aujourd’hui : un président très affaibli embourbé dans une épouvantable pandémie et tenu à bout de bras par tel ou tel pouvoir, avec un adversaire sur la voie d’une sénilité achevée ; et deux gouverneurs démocrates puissants à la tête de deux des plus puissants États de l’Union, qui ne cessent d’affirmer leurs pouvoirs constitutionnels dans un domaine extrêmement ambigu, argument de toutes les querelles internes conduisant aux situations de guerre civile. Pour verrouiller cette bouilloire proche du point de l’ébullition, cette haine sans retour dont j’ai déjà parlé, qui est le détonateur le plus efficace et de la plus grande puissance qu’on puisse imaginer.

Il sera bien difficile d’éviter l’explosion, et je pense que l’on doit être plus que jamais porté à penser qu’elle se fera effectivement du côté du droit des États contre le centre, c’est-à-dire en perspective des affaires de nullification affirmée, sur la voie d’une sécession ou d’une complète révision du fédéralisme, – avec bien entendu l’hypothèque d’une intervention des militaires, mais ils ne pourraient éviter la nécessité d’un compromis politique avec les États de l’Union. Il y a une complète logique (métahistorique, bien sûr)  dans cette hypothèse, dans la mesure où l’événement entrevu offrirait le pendant géopolitique à la crise-Covid19, pour compléter celle-ci et achevant de donner sa véritable forme à la Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES). Ce n’est pas nouveau ici, où l’on tient l’hypothèse de la déstructuration des USA comme un passage fondamental pour établir fermement l’effondrement du Système.

... Quoi qu’il en soit, qui pourrait imaginer perturbateur plus éhonté et fouteur de désordre que ce Covid19 aux USA ? Une fois de plus, les événements cosmiques rassemblent les forces et les dynamiques pour faire de ce 3 novembre 2020 un perfect storm. On se prépare aux surprises de référence métahistorique.