Le paradoxe diabolique Bolsonaro-Obrador

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Le paradoxe diabolique Bolsonaro-Obrador

Pépé Escobar, qui collabore désormais directement avec le site ConsortiumNews de Robert Parry (mort au début de cette année), publie un article tonitruant et apocalyptique sur la situation au Brésil avec le premier tour des élections et l’arrivée en tête de Bolsonaro et ses 46% de voix. Pour Escobar, Bolsonaro représente un énorme danger d’une sorte d’hyper-fascisme qu’on imagine postmoderne menaçant la démocratie occidentale (son titre : « L’avenir de la démocratie occidentale est en jeu au Brésil »). Un court extrait de son texte donne une vision de sa perception apocalyptique :

« Le concept de la Dystopie est insuffisant pour décrire [ce que serait un Brésil livré à un Bolsanaro]. Les Brésiliens progressistes sont terrifiés à l'idée de faire face à ce qui serait une mutation en “Brazil” (le film), une terre en friche livrée à des Mad Max, ravagée par des fanatiques évangéliques, des rapaces capitalistes avec leurs casinos néolibéraux et une armée enragée voulant recréer une dictature 2.0. »

Escobar explique également que Bols0naro a préparé son coup en collaboration avec Steve Bannon, l’ex-éminence grise de Trump, qui a mis sur pied une “guerre hybride” pour imposer cette candidature. La description de l’action de Bannon fait appel aux techniques les plus modernes, avec avalanche de FakeNews, manipulations dans tous les sens et de toutes les façons, etc. D’une façon assez paradoxale, on a là comme une réminiscence de la campagne USA-2016, sans pouvoir situer exactement quel côté est désigné : cela signifie-t-il que Trump, qui avait Bannon à ses côtés, a été élu à la façon dont Bols0naro procède, qui est la thèse défendue par la coalition anti-Trump, des démocrates d’Hillary Clinton à Soros et à ses Black Live Matters ? Ou bien, au contraire, cela désigne-t-il les opérations diverses et “hybrides” montées contre Trump, avec l’activisme de Soros et le montage du Russiagate ? L’ambiguïté est complète parce qu’il s’agit de savoir où est le plus grand danger et qui est l’“ennemi principal”. (En attendant, Trump, désigné en 2016 comme un dictateur fasciste et un Hitler postmoderne, tarde bien à rencontrer toutes les caractéristiques de cette prévision.)

Escobar accorde également une large place à l’action de Bannon en Europe, qu’il décrit comme une prise en main de tous les courants populistes qui se seraient alignés sur ses consignes pour lui permettre d’accomplir, au profit de ses seules conceptions, son plan de conquête de l’Europe en révolte... « En Europe, Bannon est sur le point d'intervenir comme un ange de malheur dans un tableau du Tintoret annonçant la création d'une coalition populiste de droite à l'échelle européenne. Bannon est notoirement loué comme un don du Ciel par le ministre italien de l'Intérieur, Salvini; le Premier ministre hongrois, Viktor Orban ; le nationaliste néerlandais Geert Wilders ; et le fléau de l'établissement parisien, Marine Le Pen. »

Là encore, il faut observer que la réalité est infiniment plus nuancée et le tableau beaucoup plus ambiguë et confus, plutôt du Jerôme Bosch à la manière de Picasso. Il est vrai que Bannon s’est installé en Europe avec de vastes projets, mais l’accueil qui lui a été réservé est pour le moins divers et contrasté, bien loin de l’unanimité enthousiaste et de la quasi-soumission évoquées par Escobar. Avant-hier, Marine Le Pen a pris nettement ses distances, et l’on sait que l’extrême-droite autrichienne et le Premier ministre hongrois Orban ont montré des réticences jusqu’à des fins de non-recevoir. La présence de Bannon est intéressante pour alimenter l’idée d’une “Internationale Populiste” ; elle n’a rien, strictement rien à voir avec l’image simpliste de l’arrivée en terre conquise d’un dictateur-manipulateur postmoderne venant rassembler ses troupes.

Pour résumer, on dira que l’analyse d’Escobar, faite comme d’habitude avec son style haut en couleur et ses formules enflammées et entraînantes, peint une situation apocalyptique qui répond peut-être un peu trop à une analyse rationnelle faite par la gauche populiste brésilienne, dont ce commentateur est proche, cette gauche complètement assommée par le résultat de Bolsonaro. Cette remarque sur l’emportement d’un jugement rationnel n’implique nullement par stupide logique binaire un jugement favorable, ou un dédouanement de Bolsonaro, elle constate simplement l’emportement. La description de la position de Bannon comme manipulateur de l’Europe en plus du Brésil, est, elle, démentie par les faits. Nous craignons qu’une fois de plus la raison ait imposé ses analyses pseudo-rationnelles, avec des combinaisons extrêmement tortueuses à l’appui, là où il n’y a que désordre d’une part, révolte populaires contre le Système s’exprimant comme elle peut d’autre part.

Cela est d’autant plus à considérer que le jugement apocalyptique de Bolsonaro (pseudo-populiste mais créature de Bannon) par un commentateur fameux et fameusement antiSystème (Escobar) implique en contrepartie une vision favorable de la seule alternative possible pour lui, qui est le populisme de gauche tel que l’incarnait Lula. Or, nous avons un exemple de la réussite d’un homme qui a été affublé depuis toujours de l’étiquette de populiste de gauche, en la personne du Mexicain Obrador, qui a été élu président cet été et qui entrera en fonction en décembre. Un article du site DesobedientMedia.com repris par ZeroHedge.com décrit une situation apocalyptique pour les perspectives de la présidence Obrador, montrant par-là que les scénarios catastrophiques ne sont pas, dans le monde de l’antiSystème de plus en plus chaotique, l’apanage des populistes de droite.

Le sujet essentiel de cet article s’appuie sur les connexions de parti d’Obrador avec les cartels mexicains de la drogue, et les capacités de ces cartels de développer des ADM (Armes de Destruction Massive), et notamment l’arme nucléaire. Cette perspective est renforcée par les contacts extérieurs des cartels, notamment avec les terroristes islamistes (al Qaïda, Daesh)... On notera cette précision intéressante, sinon édifiante pour ce qui est du jugement qu’on peut porter sur les opérations des divers services de sécurité du bloc-BAO (des USA), d’un rapport de Judicial Watch de juin 2016 (« Law Enforcement Sources: Gun Used in Paris Terrorist Attacks Came from Phoenix ») affirmant que les armes utilisées lors des attentats de Paris de 2015 venaient des livraisons faites par des services US de sécurité (antidrogues) aux cartels, lors d’une opération secrète de tentative d’infiltration de ces cartels. (L’opération Fast & Furious a eu comme seul effet de livrer gratuitement des cargaisons d’armes étrangères détenues par les services US à un cartel mexicain pour tenter sans succès de le dresser contre un autre cartel. L’opération, mise à jour par des fuites, a été dénoncée depuis par diverses autorités dont le Congrès.)

« Les liaisons internationales offrent aux cartels l’opportunité non seulement de distribuer des agents nucléaires et biologiques à d’autres groupes, mais également d’acquérir davantage de ces matières. Des réseaux terroristes internationaux tels qu'Al-Qaïda et ISIS entretiennent depuis longtemps des liens étroits avec des groupes de cartels du centre et du sud du fait de leur implication dans le trafic de personnes et de trafic de drogue, facilitant ainsi le transport d'armes, d'actifs et de matériels à travers l'Atlantique.

» Le rapport [de Judicial Watch, du 29 juin 2016affirmant que les armes utilisées lors des attaques terroristes à Paris en 2015 étaient imputables à l'une des ventes d'armes illégales qui avaient eu lieu au cours de l'opération Fast and Furious montre également la capacité des groupes criminels transnationaux mexicains à transporter non seulement des drogues, mais également d'autres produits à travers le monde. »

Voici maintenant la conclusion de l’article, qui se concentre sur la situation d’Obrador et celle de son gouvernement à venir dans ce contexte de la puissance des cartels et des liens, directs ou indirects, d’Obrador et de son parti avec ces cartels :

« Bien que le nouveau président mexicain, Andrés Manuel López Obrador (AMLO), soit perçu comme un populiste[de gauche] apportant un changement radical par rapport à l’élite mexicaine au pouvoir, son parti a des liens avec des organisations criminelles. AMLO a directement préconisé un certain nombre de politiques qui amélioreront radicalement plutôt que de nuire à la position des cartels. Le Parti de la révolution démocratique (PRD) d’Obrador est décrit par les observateurs comme un “cheval de Troie” depuis de nombreuses années. En 2011, des enregistrements audio ont révélé que le candidat du PRD au poste de gouverneur de Michoacan, Silvano Aureoles, avait reçu 2 millions de dollars du cartel des Templiers. En novembre 2014, l'ancien maire d'Iguala (Mexique), José Luis Abarca, a été arrêté puis inculpé pour enlèvement et meurtre de 43 étudiants mexicains par le cartel Beltrán Leyva. Abarca, qui a ordonné à la police municipale de confier les étudiants à des membres du cartel, était également membre du PRD.

» AMLO a provoqué l'indignation lors de sa campagne en proposant l'idée d'une amnistiepour les responsables du trafic de drogue. Il est membre du Foro de Sâo Paulo, dont font partie des États tels que le Venezuela, où le gouvernement collabore directement avec des groupes de trafiquants tels que le Premier commandement (Primeiro Comando da Capital ou PCC). Les réformes économiques vantées par Obrador ont également l’effet utile d’aider les intérêts des cartels. Le 28 août 2018, Reuters a annoncé qu’un document rédigé par les conseillers d’Obrador détaillait un plan visant à fermer indéfiniment les réserves de pétrole et de gaz du Mexique aux sociétés internationales. Les compagnies pétrolières mexicaines telles que Pemex déclarent perdre plus d'un $milliardpar an au profit des intérêts des cartels, ce qui signifie que les tentatives du gouvernement visant à protéger les groupes étrangers du secteur pétrolier vont permettre au crime organisé de mieux contrôler ces importants intérêts commerciaux.

» Un gouvernement aussi proche de ces organisations donnerait aux cartels de trafiquants mexicains l’influence dont ils ont besoin pour rester les fournisseurs de 90 à 94% de toute l’héroïne consommée aux États-Unis. Avec des armes de destruction massive en leur possession, ils pourraient non seulement dominer le Mexique, mais aussi menacer les États-Unis, d’autant plus que les relations entre les deux États ont été extrêmement dégradées par les politiques du président Donald Trump en matière d’immigration, de trafic illicite et de sécurité frontalière. Prendre des mesures adéquates pour dégrader les capacités des cartels est essentiel pour améliorer les opérations de lutte contre la criminalité au Mexique et assurer la sécurité nationale des États-Unis. »

On tirera de tout cela l’enseignement plus que jamais répétée dans notre chef de la formidable domination du désordre en tourbillon crisique dans les affaires du monde ; et ce désordre interférant de plus en plus dans les jugements antiSystème, dans tous les cas ceux des antiSystème qui veulent absolument émettre des analyses rationnelles de la situation pour en juger en sauvegardant leur cause. Cela conduit à des analyses extraordinairement tortueuses et labyrinthiques, – nous ne parlons même pas de “complots” car nous sommes bien au-delà, dans les deux camps, entre Russiagate et “bannonisme” par exemple, comme autant de simulacres de convenance ; ces analyses où très vite apparaissent des contradictions difficilement supportables, où l’approximation de l’information conduit souvent à des déformations factuelles qui affaiblissent malheureusement ce qu’il peut y avoir de constructif dans l’analyse.

Bref, le désordre, qui frappe d’abord la chose dont il (le désordre) est né, c’est-à-dire la “démocratie occidentale”... Une vision complémentaire par rapport à ce qu’on a lu des divers populismes, et pour corser encore le débat, consiste en effet à terminer la révolution (au sens spatial) en revenant à d’où nous sommes partis, au fondamental du Système, justement cette “démocratie occidentale” qu’Escobar juge menacée.

Ce 10 octobre sur RT France, la nouvelle émission “Interdit d’interdire” de Frédéric Taddeï abordait le thème du 60èmeanniversaire de la Vème République. Parmi les intervenants, Henri Guaino s’éleva contre ceux qui critiquent ce cadre institutionnel de la Constitution de la Vème République en lui faisant porter la responsabilité de la crise actuelle (en France), – et ce faisant, élargissant l’objet du débat... D’abord aux acteurs eux-mêmes, qui reflètent et épousent si bien leur temps : « Le problème de cette Constitution, c’est de trouver des personnages qui soient à la hauteur de cette fonction [de président de la République] et qui sachent ne pas en abuser ».

... Elargissant ensuite et essentiellement, à la “démocratie occidentale” dont il a défini la crise dans un sens universel : « ...C’est fou ce que la démocratie allemande marche bien aujourd'hui[…] La société allemande est ravagée par la précarité. Elle a un taux de pauvreté plus important qu’ailleurs et on voit monter les extrêmes. Quant aux États-Unis,[…] c’est extraordinaire de mesurer ce que le visage de Trump incarne aujourd'hui de la réussite absolue du système démocratique américain.  

» La crise de la politique ou la crise de la démocratie n’est pas liée directement à nos institutions parce que si c’était le cas, ça irait très bien ailleurs et pas du tout chez nous. Or cela va mal dans toutes les sociétés occidentales, dans toutes les démocraties occidentales... [...]Il faut donc s’interroger sur les causes et arrêter de penser que la réponse est toujours institutionnelle. »

 

Mis en ligne le 11 octobre 2018 à 08H45

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