Le mythe du glaive

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Le mythe du glaive

3 avril 2013 – Il y a une citation célèbre du Livre d’Isaïe, qui doit certainement inspirer nos psychologies enfiévrées et nos esprits réduits à l’affect… «Et Il jugera les nations, et Il convaincra d'erreur des peuples nombreux; et ils forgeront de leurs glaives des socs de charrue, et de leurs lances des faux.» Le glaive est donc devenu notre manière de penser la modernité, manière post-postmoderniste si l’on veut. (Et l’on vous jure qu’après, sans aucun doute, le glaive deviendra soc de charrue, – la chute passe tout, – et sauve tout…) La chose, cette manière-là de penser par l’idée de l’arme, a pris, dans ces mêmes psychologies conduisant à ces mêmes esprits, la dimension d’un mythe ; tout étant inversion lorsqu’on parle de ces gens-là, il s’agit donc d’un mythe inverti, qui dit le contraire de ce qu’on lui fait prétendre. (Vous n’avez pas affaire à des Achille-au-pied-léger, pressés de montrer leur héroïsme, ayant choisi «une vie courte, mais glorieuse, plutôt qu'une existence longue mais sans éclat» ; vous avez affaire à des bureaucrates et à des scribouillards à la psychologie captive.)

La Syrie et la question des armes qu’il faudrait livrer aux rebelles sont une illustration de cette dérive d’entropisation de l’intelligence, et illustration valant démonstration effrayante et catastrophique. La question générale de la crise syrienne s’est en effet contractée depuis plusieurs mois et, d’une façon agressive sinon hystérique, sinon paroxystique, sur la question des armes, – des armements que devraient recevoir les rebelles, et qui leur permettrait de l’emporter en liquidant celui-qui-ne-mérite-pas-d’exister (dixit Fabius, successeur de Vergennes, à propos d’Assad le Syrien). Ensuite, c’est entendu, “ils forgeront de leurs glaives des socs de charrue”, ou des ordinateurs si vous voulez, et ce qui est sûr c’est que les lendemains chanteront.

On a suffisamment parlé, ces derniers temps, de livraison d’armes aux rebelles syriens et aux débats à la fois byzantins et monstrueux qu’elles occasionnent, jusqu’à susciter des pugilats en marge d’un sommet, entre princes respectivement saoudiens et qatariens. On peut en voir là-dessus le 16 mars 2013, le 18 mars 2013, le 26 mars 2013, le 29 mars 2013 (les princes puncheurs). (Nous laissons là aussi de côté l’aspect, on devrait dire l’évidence du fait. Discuter sur le fond de la logique de la position du bloc BAO, c’est s’attaquer avec la raison à l’explicitation d’une position essentiellement réglée par l’affectivité, par une psychologie malade, par la confusion extrême de l’intelligence qui s’en déduit. Cette discussion n’a donc pas lieu d’être, puisqu’il s’agit ici de rien moins que d’un diagnostic d’ores et déjà posé.)

Le domaine des livraisons d’armes aux rebelles a d’abord été un aspect normal d’un ensemble (le bloc BAO) engagé dans son soutien aux rebelles. On sait que, pour notre compte, l’idée du “soutien aux rebelles” croule sous le poids des réserves et critiques que nous en faisons (voir le 2 avril 2012, le 1er juin 2012, le 17 décembre 2013, etc.). Mais ce domaine des livraisons d’armes était en lui-même à l’abri de ces critiques et ressortait évidemment du principe de l’aide aux rebelles ; le principe est faussaire, stupide, etc., mais ses conséquences (livraison d’armes) n’ont à voir qu’avec la logique interne de cette position politique. Pourtant et entretemps, la question des livraisons d’armes a acquis une spécificité propre, – et l’on voit plus loin pourquoi, qui est l’essentiel de notre propos. Elle est devenue fondamentale, et presque le seul centre du débat sur le soutien aux rebelles (notamment parce que l’hypothèse alternative et radicale d’une intervention armée du bloc BAO se heurte à des obstacles colossaux, et surtout à une impuissance évidente de ceux qui l’évoquent avec régularité)… Très vite, on a “enrichi” ce débat évidemment faussaire de précisons significatives : il faut des armes “lourdes”, des armes en général dites “avancées”, et en général avec la précision et l’efficacité qu’on en attend ; il faut surtout dans ces armes “avancées”, plus précisément, des systèmes sol-air portables par un seul homme, et maniables par un ou deux servant(s). Ce dernier point est celui qui nous attache précisément, qui a été souvent développé, qui est devenu un symbole de la “lutte inégale” des rebelles vertueux contre un pouvoir tyrannique et usurpateur des vertus de la modernité, et disposant notamment de la traîtresse et massacreuse puissance aérienne contre laquelle les rebelles ne peuvent rien, comme offerts en holocauste, – ainsi, en effet, se développe la narrative. Dans cette narrative, nous verrions aussi bien, d’ailleurs et venu du récit antique, le missile sol-air portable, individuel, tiré contre un hélicoptère (surtout) ou un avion, comme la fronde de David qui frappe mortellement le monstrueux Goliath…

Cela demande évidemment à être explicité… Ce symbole de la technicité opérationnelle autant que des vertus des récits les plus antiques et bibliques que représente l’armement sol-air portable et individuel à fournir aux rebelles contre la puissance aérienne syrienne a une histoire, qui a pris rang, elle aussi, de symbole libérateur, et libératoire lorsqu’il est soumis comme argument puisqu’il permet de se dispenser d’argumenter réellement en se repliant sur une référence unanimement perçue comme vraie. Il s’agit de la guerre d’Afghanistan des années 1980, des moudjahidines contre les forces soviétiques principalement, – ou, comme la psychologie conduit à l’interpréter, “les combattants de la liberté contre la barbarie”… C’est dire si, là aussi, il y a une narrative. On ne s’étonnera pas qu’elle mêle, dans ce cas, l’héroïsme de l’hollywoodisme, la vertu idéologique de l’américanisme et celle du dollar. Il s’agit de la version de la guerre d’Afghanistan selon laquelle c’est spécifiquement un système d’arme, bien entendu américaniste, le système sol-air portable et individuel Stinger, qui a permis à la résistance afghane de l’emporter. Ce point de vue a été, au fil du temps et de l’action du système de la communication, détaché du reste de l’histoire très complexe des arcanes officieuses et/ou secrètes de ce conflit. (La CIA et le financement US y jouèrent leur rôle dès juillet 1979, comme le montre l’interview fameuse de Brzezinski de janvier 1998 au Nouvel Observateur [voir le 31 juillet 2005], mais aussi l’Arabie Saoudite, l’Égypte, le Pakistan, etc., pour citer quelques-unes des très nombreuses forces qui apportèrent des soutiens divers, souvent intéressés, à la résistance afghane.)

La “saga du Stinger” est devenue un récit autonome qui induit une sorte de “vertu en soi”, basé sur l’action du député républicain du Texas Charles Wilson, de la milliardaire républicaine et anticommuniste Joanne Herring, etc., tout cela étant renforcé par un livre en 2003, puis couronné par un film en 2007, La Guerre de Charles Wilson, avec Tom Hanks et Julia Roberts. Tout le monde y trouvait son compte : l’américanisme et ses intérêts autant que sa communication humaniste et moderniste, la réputation des USA défenseurs de la liberté, Hollywood et ses blockbusters libéraux et maquillés en une “histoire” faussaire, l’industrie d’armement et le technologisme US, etc. Accessoirement, on parlait avec des larmes dans les yeux des “combattants de la liberté” afghans, mais ce n’était manifestement pas le sujet central.

Cette formidable narrative soutient principalement, depuis près de deux ans, toutes les suggestions d’armer les rebelles syriens contre Assad, avec d’autant plus l’argument que ces rebelles sont désarmés face à l’aviation syrienne. (Nous parlons d’un “soutien psychologique” à ces suggestions, qui n’a pas nécessairement besoin d’être explicité. La narrative concernant la guerre d’Afghanistan des années 1980 constitue l’une de ces interventions massives à effets psychologiques rationnellement non contrôlés, donc inconscients, auxquelles le système de la communication nous a habitués ; cette intervention se situe en-deçà de l’analyse de la raison, de l’expérience qui doit soutenir cette analyse, etc. Cette narrative du système de la communication a une force implicite, non exprimée directement et ainsi à l’abri de la critique historique, sur les psychologies influençant sans le moindre filtre rationnel le jugement des différents acteurs du bloc BAO dans la crise syrienne.) Outre une exaltation quasi réflexive-pavlovienne du rôle des USA, de l’industrie des armements US, etc., la narrative Stinger/Afghanistan permet une identification de la rébellion syrienne à la vertu de la résistance afghane des années 1980. (On oublie, pour ne pas alourdir le propos, qu’une partie non négligeable de cette résistance préparait l’expansion islamiste qui a suivi, mais en observant aussi avec une certaine ironie qu’on retrouve le cas en Syrie.)

On peut lire par ailleurs un article sur le rôle des Stinger en Afghanistan, que nous mettons en ligne ce même 3 avril 2013. Il apparaît que ce système joua un rôle important sur la fin du conflit (1986-1987), mais en aucune façon un rôle décisif et encore moins exclusif ; en 1986-1987, Gorbatchev était déjà déterminé à un retrait, et l’efficacité des missiles sol-air portables à cette époque fut rendue possible par l’extrême concentration, à partir de 1984, des moyens et tactiques d’intervention des Soviétiques par la voie aérienne. En aucun cas, on ne peut créditer le Stinger, et le missile sol-air portable, d’une part décisive dans la victoire de la résistance. Certains chefs de la résistance, comme Massoud (qui ne plaisait que moyennement aux Américains), préférèrent s’en tenir aux tactiques de la guerre asymétrique, ou guerre de 4ème génération (G4G), d’ailleurs avec un succès remarquable. (Il semble bien que Massoud n’ait jamais disposé de Stinger, et, dans la période 1979-1985 il avait refusé d’utiliser des SA-7 Strella soviétiques, de même type que les Stinger mais moins performants.)

L’épisode Stinger/Afghanistan remis dans la perspective de la vérité du conflit afghan montre, pour ce qu’il en fut de l’usage du Stinger, que les conditions quasiment sine qua non d’emploi se trouvent dans une base d’infrastructure et d’organisation solide et stable de la part des utilisateurs, avec un minimum de connaissances technologiques et opérationnelles. Bien entendu, cette description vaut exactement autant pour tout autre type d’armements “avancés”, de hautes technologies. Il est loin d’être acquis que la rébellion syrienne puisse présenter de tels caractères, alors qu’on y trouve presqu’autant d’affrontements entre groupes concurrents, qu’entre eux-mêmes et le régime Assad. D’autre part, bien entendu, l’analogie des situations est absolument contestable, notamment dans le fait que les rebelles afghans luttaient contre une force étrangère d’invasion tandis que l’armée syrienne peut être qualifiée de beaucoup de choses mais certainement pas de “force étrangère d’invasion”. A partir de la référence Stinger/Afghanistan, et la vérité que nous avons exposée du décalage entre la présentation de communication et de relations publiques, et la réalité opérationnelle, on peut s’interroger sur la réelle efficacité qu’aurait un afflux d’armes avancées vers la rébellion anti-Assad. C’est là finalement le point opérationnel central du débat. Notre appréciation est que l’introduction de telles armes, si elle changerait nécessairement les conditions du conflit, et notamment la politique de “la guerre syrienne”, n’amènerait certainement pas ce changement radical en faveur des rebelles qu’attendent les acteurs du bloc BAO. Il nous semblerait plutôt qu’elle introduirait un facteur de désordre supplémentaire très important en renforçant le conflit dans son intensité, sans nécessairement donner aux rebelles une capacité supplémentaire décisive, peut-être même en produisant un effet contre-productif en leur faisant abandonner une méthode de guerre asymétrique pour un conflit plus conventionnel pour lequel ils ne seraient ni organisés, ni unifiés, ni même formés. Elle conduirait sans nul doute à des engagements supplémentaires du côté du régime syrien, notamment du côté russe, mais aussi irakien et iranien, qui introduiraient un facteur d’incertitude de plus en même temps qu’une extension du conflit.

Toutes ces réflexions devraient avoir été faites, avec suffisamment de force pour ne plus présenter l’argument des armements avancés comme évident, et le voir perdurer, presque impératif, avec une prégnance remarquable. Ce n’est pas le cas. L’argument n’est combattu que par des hypothèses selon lesquelles il pourrait aller vers des mains découvertes impures, – celles des islamistes parmi les rebelles, – nullement sur sa valeur propre qui reste intacte, qui continue à être exaltée parfois avec une fièvre étonnante, sinon suspecte. C’est cette situation qui, finalement, nous intéresse, et qui nous ramène à notre exposition du cas au début de ce texte : ce que nous nommons “le mythe du glaive”. Il est alors beaucoup moins question de la “guerre syrienne”, des rebelles, de la référence Stinger/Afghanistan, et beaucoup plus, sinon essentiellement, de la psychologie malade qui règne dans les directions politiques et les élites (intellectuelles dans le sens de sa démarche médiatique) du bloc BAO ; mais cell-ci (la psychologie malade) s’exerçant sans vergogne à propos de ceux-là (“guerre syrienne”, rebelles, référence Stinger/Afghanistan, etc.).

L’armement comme “cause” politique et morale

Narrative diverses, référence implicite à l’Afghanistan des années 1980 dans son seul aspect vertueux, aspect de la technologie avancée des armes envisagées, dilemme des “bons” rebelles et des islamistes, – à l’aide de tous ces “ustensiles” que nous avons rapidement passés en revue, cette question de l’armement des rebelles a pris la place centrale dans la psychologie des acteurs-Système (bloc BAO) dans un processus qui s’est développé en un peu plus d’un an. Dès lors que les Russes et les Chinois s’opposaient à l’ONU à une nouvelle opération type-Libye (en février 2012), l’intervention de cette sorte, qui était pourtant la favorite de la politique-Système, devenait un risque considérable et passait au second plan des options envisagées ; sa réapparitions au premier plan à l’une et l’autre occasions, d’une façon épisodique, indique qu’il s’agit désormais d’une option “accidentelle”, qui pourrait à l’extrême d’une situation incontrôlée être choisie d’une façon inopinée ou se développer d’elle-même, mais qui resterait comme ayant été activée d’une façon effectivement accidentelle. En d’autres mots, cette option n’est plus maîtresse de la psychologie des acteurs-Système (bloc BAO), et c’est effectivement l’armement qui l’a remplacé. Le processus psychologique a donc cherché à faire de la question de l’armement des rebelles une “cause” qui correspondît aux grandes tendances de cette psychologie, et à la politique qui va avec, chargée de tous ses principes, de sa morale, etc… (Ce processus psychologique se décline essentiellement dans le cadre de l’infraresponsabilité, selon la politique de l’affectivité.)

La transmutation de la question technique de l’armement des rebelles a d’abord subi une transformation par inversion, permettant d’évacuer la fâcheuse question : “Pourquoi n’intervenez-vous pas en Syrie ?” La réponse vraie impliquerait en effet, selon le jugement des esprits purs qui veillent à la dimension morale des expéditions du bloc BAO, 1) un aveu de faiblesse du bloc BAO, en abandonnant le projet “naturel” des principes-Systèmes de la modernité avancés comme arguments ; 2) un aveu de soumission par rapport aux positions des régimes russe et chinois, par nature détestable et “antimoderne” (en fait antiSystème) ; 3) un aveu de lâcheté puisqu’on ne lance pas l’attaque en faisant capituler les grands principes devant les réalités des rapports de force. L’inversion s’effectua alors en renversant la raison évidente (“Nous livrons des armes parce qu’on ne peut envahir la Syrie”) au profit de son contraire (“La livraison d’armes fera bien mieux l’affaire et sera plus morale qu’une invasion en permettant aux seuls Syriens de libérer sans coup férir leur pays du jougs”). Du coup, l’armement devenait une “cause”, recevait une sanctification et pouvait devenir le territoire des arguments des psychologies faussaires et malades du bloc BAO ; il devait apparaître à la fois comme vertueux, comme irrésistible, comme représentatif des “valeurs” du bloc BAO. C’est alors que, bien entendu, le symbolisme joue à plein et, devenu caricature de symbolisme dans le chef de ceux des pays du bloc BAO qui l’instrumentent inconsciemment, devient une sorte de symbolisme inverti, destructeur et paralysant.

D’abord, l’on en revient aux grandes forces du Système né du déchaînement de la Matière, présentées sous forme de mythes incontestables. Dans cette représentation qui est faite d’une importance décisive, sinon presque sacralisée, des armes avancées et à hautes technologies produites par le bloc BAO, on retrouve l’action des deux sous-systèmes du Système. D’une part, le système du technologisme est ici affirmé et restauré dans sa pleine puissance, en s’exprimant au travers de la vertu et de la puissance dévastatrice proclamées de ces armes dont on débat de la livraison aux rebelles, jusqu’à les considérer comme ce facteur de rupture de la situation encore plus efficace qu’une intervention en Syrie (selon l’interprétation ci-dessus, inversant l’appréciation du processus). D’autre part, le système de la communication joue à plein, accessoirement sur les appréciations constantes et constamment déformées de la situation sur le terrain, essentiellement en développant dans un arrière-plan puissant et essentiel pour la psychologie, des narrative telles que cette référence vertueuse au couple Stinger/Afghanistan.

Le résultat à ce point est de basculer dans la foi aveugle dans l’efficacité des hautes technologies dans l’armement, par ailleurs réaffirmée depuis quelques années avec l’usage des drones. (Curieusement, les dénonciations et les protestations contre les drone-tueurs sont perçues comme confortant cette foi dans l’automatisme et l’impunité de ces armes, comme signes de leur efficacité. C’est une réaction invertie d’une psychologie malade, confondant effectivement le bruit et l’effet de communication, avec le signe de l’efficacité : les dénonciations et les protestations contre les drones-tueurs sont au contraire le signe de leur inefficacité et de l’échec de l’automatisme et des valeurs technologiques, puisqu’elles sont déclenchées essentiellement par le plus scandaleux, par les “dégâts collatéraux”, les identifications ratées aboutissant à l’assassinat de cibles non désignées, etc., c’est-à-dire déclenchées par les erreurs de ces machines, donc leur inefficacité.) Cette “foi aveugle dans l’efficacité des hautes technologies dans l’armement” représente, dans les circonstances qu’on considère, et outre l’aspect opérationnel trompeur, une tentative d’affirmer la puissance et la vertu de la modernité du bloc BAO contre des forces perçues comme rétrogrades et vicieuses dans le sens d’absence de la vertu de la modernité. La puissance et la vertu sont en effet présentes dans la perception des hautes technologies, qui représentent aussi bien, dans cette interprétation, le triomphe de la science et du progrès et, par conséquent, le triomphe de la vertu qui accompagne inévitablement la science et le progrès. (Les “forces perçues comme rétrogrades et vicieuses”, c’est bien sûr Assad, mais c’est aussi, de plus en plus, les islamistes parmi les rebelles, dont le potentiel de vilenie est en train d’acquérir un niveau égal à celui d’Assad.)

Bien entendu, cette foi dans le technologisme, portant sur des armements, porte sur des armements qui recèlent par nature, – directement par la technologie, indirectement par la victoire qu’ils sont censés susciter, – leur transformation en outils de paix par divers processus de transformation une fois l’inéluctable victoire acquise. Il s’agit bien de l’exhortation d’Isaïe («Et Il jugera les nations, et Il convaincra d'erreur des peuples nombreux; et ils forgeront de leurs glaives des socs de charrue, et de leurs lances des faux»), et l’image d’autant plus bienvenue qu’elle suggère la forme religieuse qui marque ce type d’intervention. On notera tout de même, accessoirement mais d’une façon qui n’est pas indifférente, que ces gesticulations autour des armements et dans ce cadre vertueux de la modernité triomphante, permet également de satisfaire avec une élégante discrétion à un hubris de puissance qui caractérise la psychologie du bloc BAO. Cette manifestation de puissance n’est pas un facteur politique ni un facteur rationnel ; il s’agit d’un signe de plus du dérangement de la psychologie, et une indication de plus que la politique est bien passée complètement au niveau de l’affectivité, dans ce cas de la pulsion d’affirmation de puissance qui est un des effets de cette psychologie dérangée.

On doit alors considérer cette fixation devenue désormais obsessionnelle sur la question des armements avancés, non plus comme une simple disposition dans la recherche d’un moyen d’intervenir en faveur des rebelles, mais comme une véritable exposition de la crise psychologique des directions politiques du bloc BAO, un véritable théâtre si vous voulez des innombrables frustrations, faiblesses et vices de fonctionnement qui accablent nos psychologies. Cela n’élimine pas la rationalisation opérationnelle du fait, puisque les conditions de la “guerre syrienne” persistent, mais cela la transforme en figeant la pseudo-politique du bloc BAO sur cet aspect théâtral d’exposition de soi-même, – sorte de “spectacle gratuit, il y en aura pour tout le monde”. En tant qu’intervention dans la situation politique, cela a pour effet d’accentuer jusqu’à la schizophrénie et la paralysie l’activité politique du bloc BAO, en interférant jusqu’à l’interdiction sur toutes les possibilités de développement, voire de changement politique du bloc BAO, – ou la politique devenue prisonnière de l’obsession interprétée théâtralement. Littéralement, les dirigeants du bloc BAO ne sont plus capables de raisonner hors de ce schéma de livraison d’armes avancées avec le débat qui l’accompagne, et la politique syrienne se trouve complètement réduite à ce débat.

Bien entendu, on n’échappe pas à la conclusion sempiternelle de toutes les actions du bloc BAO, qui sont d’être développées selon la crise générale qui affecte le bloc, et d’exposer en pleine lumière, d’une façon opérationnelle, les caractères de cette crise. La question des armes ne fait donc que perpétuer l’état de complète dissolution de la politique du bloc BAO, et sa situation de chose manipulée par sa propre crise, et plus que jamais jouet du Système qui domine et détermine toutes les pensées (d’abord) et toutes les actions du bloc BAO. On observera simplement que la crise syrienne, ou “guerre syrienne”, est en vérité un territoire privilégié pour cela. Par sa durée, par sa résistance aux pressions du Système via le bloc BAO, elle expose et ne cesse d’aggraver l’état de dissolution du bloc et d’accélérer la réduction de sa politique à une dérive folle soumise d’une part, elle-même, aux pressions du Système, d’autre part aux conséquences chaotiques d’une pensée réduite à l’affectivité, par conséquent aux influences de forces extérieures comme le système du technologisme, autant qu’aux illusions dispensées par les narrative du système de la communication. Aujourd’hui, le front principal de la “guerre syrienne” est donc celui de la poursuite vertigineuse de la dissolution de l’intelligence des pays du bloc BAO. C’est une guerre-éclair et sans fin, au moins jusqu’à plus-soif...

 

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