Le JSF, un point central de la crise USA-Israël

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S’il fallait une confirmation de l’importance centrale, politique et stratégique, du programme JSF, d'une façon générale et dans ce cas pour les relations entre les USA et Israël, et une confirmation de la gravité de la crise de ce programme, nous aurions certainement les deux avec le texte signalé dans Ouverture libre ce même 2 juillet 2010. On y trouve également confirmation de la persistance inflexible de l’extrême fermeté de la position US vis-à-vis d'Israël (voir au 17 février 2009) et de l’importance de l’enjeu pour les relations entre les deux pays (voir au 24 juillet 2009).

@PAYANT En effet, ce qui frappe dans cette affaire, c’est l’absence de négociations dans les “négociations” en cours entre les deux pays, avec un diktat du côté US, et rien d’autre (“signez d’abord, on discutera ensuite”). La nouvelle signalée nous indique également que l’engagement d’Israël dans le programme JSF est, pour les USA, un sujet central, traité au plus haut niveau du gouvernement (Obama, Gates), comme elle nous confirme l’extrême réticence des militaires israéliens vis-à-vis du programme. Seul le ministre Barack est partisan de signer un “engagement formel” avec les USA, pour des raisons uniquement politiques et stratégiques, sans considération techniques et opérationnelles, ni même financières. Barak, qui est d’abord un politicien de peu d’envergure, c’est-à-dire sans vision à long terme pour ce qui concerne la réalité des intérêts de sécurité nationale d’un pays, croit fermement que les USA sont extrêmement sérieux et qu’un refus israélien, voire même la poursuite d’une position d’attentisme, mettraient en péril les “relations stratégiques” entre les deux pays et aggraveraient les conditions de la crise en cours. Son “manque d’envergure”, qui n’est pas une surprise pour qui connaît Barak, est dans ce que, pour lui, les intérêts de sécurité nationale de son pays se résument aux relations avec les USA. Quoi qu’il en soit, Barak veut une décision et il a lancé des consultations dans sa bureaucratie et chez les militaires, pour pouvoir déterminer une position ferme pour septembre prochain.

Du côté des militaires israéliens, y compris dans la force aérienne et dans la bureaucratie du ministère de la défense, la position est nette. Le programme JSF est trop incertain, trop en crise lui-même, pour qu’Israël s’engage dès aujourd'hui, même pour une tranche minimale de 25 avions, sans aucune garantie ni la moindre concession du côté US. Les militaires israéliens ont le sentiment, sans aucun doute justifié, de servir de pion pour le Pentagone dans sa tentative de renforcer un programme qui est partout à Washington l’objet des suspicions les plus graves. Même la position du Pentagone est d’ailleurs incertaine, comme le comprennent les Israéliens, et les militaires israéliens craignent, s’ils s’engagent, de faire les frais, au propre et au figuré, d’un changement de politique du Pentagone vis-à-vis du JSF (et les dernières nouvelles à cet égard sont toujours aussi peu encourageantes). Ils craignent d’être prisonniers d’un programme qui peut encore être retardé (le délai officiel de livraison éventuelle pour eux est passé en 4 ans de 2013 à 2016), et qui le sera d’ailleurs sans aucun doute ; et d’un avion dont les capacités opérationnelles elles-mêmes sont désormais mises en doute, même chez des conseillers du secrétaire à la défense comme un Andrew Krepinevitch, alors qu’ils n’ont aucune garantie de pouvoir eux-mêmes intervenir un jour pour modifier leurs propres avions. Dans tous les cas et de toutes les façons, estiment ces militaires israéliens, une signature formelle de commande aujourd’hui ferait d’Israël un otage d’un programme par ailleurs dans une situation extrêmement compromise, avec un avenir très incertain malgré l’enjeu colossal qu’il représente pour l’industrie et les forces armées US.

Le programme JSF est une pièce importante dans des relations USA-Israël qui sont plus complexes et contrastées qu’elles ne paraissent à ceux qui en font une analyse uniquement idéologique et polémique, et qui sont véritablement en crise aujourd’hui. A côté d’un engagement solennel des USA en faveur d’Israël, constamment réaffirmé, parfois même d’une façon grotesque tant il s’affirme inconditionnel, il existe certaines réalités qui montrent des tensions très fortes et un réel durcissement. Le premier volet dépend évidemment de la scandaleuse position d’influence du lobby pro-Israël, qui parvient à rassembler toutes les pressions et moyens divers de corruption pour en faire une arme extrêmement efficace de manipulation du Congrès au profit d’Israël. Cela entraîne la position de l’administration, une position essentiellement de communication car ce volet fait effectivement partie du fonctionnement du système de la communication. A côté de cela, les réalités politiques et stratégiques sont soumises à des appréciations extrêmement réalistes, voire cyniques, des deux côtés. Du côté US, le Pentagone n’est plus du tout l’ami inconditionnel d’Israël parce que l’action et les intérêts d’Israël ne correspondent plus entièrement à son action et à ses intérêts. Le traitement cynique que fait le Pentagone de l’offre de commande du JSF par Israël, et, surtout, la persistance presque à visage découvert et au plus haut niveau (Obama, Gates) de ce traitement cynique, en sont un signe indubitable. Le Pentagone ne cache même pas une position qui est un véritable chantage vis-à-vis d’Israël, parce que le Pentagone a désespérément besoin, sur la scène washingtonienne, d’une commande non-US du JSF et qu’Israël fait l’affaire. Cette dernière remarque vaut d’autant plus, évidemment, que le Congrès vote chaque année une aide de plusieurs $milliards pour Israël, pour des achats militaires.

Ainsi du contraste signalé plus haut. Alors qu’on peut à juste titre estimer que les USA apparaissent souvent comme un pion d’Israël, à cause de l’action des lobbyistes, notamment dans le domaine de la communication et de la politique étrangère dans l’un ou l’autre grand dossier, – tout en ignorant si la politique US serait différente s’il n’y avait pas la pression d’Israël, – on observe exactement le contraire dans le cas du JSF où Israël est un pion du Pentagone. Or, l’affaire du JSF, comme nous l’avons souvent observé, est bien plus qu’une affaire de quincaillerie, voire même d’un armement militaire central. C’est une question stratégique et politique fondamentale, pour nombre de raisons que nous avons souvent détaillées, et elle est effectivement reconnue comme telle puisque c’est le principal argument de Barak en faveur du JSF (commande pour ne pas compromettre les “relations stratégiques” avec les USA).

Il n’est pas du tout assuré que Barak aura l’accord de ses militaires et de sa bureaucratie pour septembre, pour une commande minimale de 25 exemplaires dans le programme JSF. Il nous apparaît même qu’un tel accord est assez improbable. Le Pentagone, lui, attend de pied ferme un tel accord. Septembre 2010 sera donc un rendez-vous important pour les relations stratégiques entre les USA et Israël (à moins d’une surprise politique au plus haut niveau d’ici là, seule exception à cette prévision). Si Israël ne cède pas, ces relations risquent de s’aigrir considérablement et il n’est pas du tout impossible que l’aide militaire sacro-sainte des USA à Israël ne soit pas affectée, ne serait-ce que par une clause de conditionnalité concernant l’engagement d’Israël dans le JSF. Dans ce dernier cas, il s’agirait d’une circonstance qui serait ressentie, par la publicité qui en serait faite, comme une ingérence US intolérable dans les affaires de sécurité nationale d’Israël, – là aussi, avec possibilité de crise. Qu’on se comprenne bien : il est entendu implicitement que l’aide militaire US à Israël doit aller à des commandes de matériels militaires US, c’est même un des canaux favoris de “blanchiment” de l’argent du contribuable US pour l’industrie d’armement US. Mais que la chose soit officiellement proclamée, et pour un cas si spécifique, où Israël serait à la fois le cobaye et l’otage d’un programme pourri, c’est une toute autre affaire, différente en substance de la situation implicite exposée plus haut. C’est une affaire qui pourrait aisément engendrer une crise spécifique aigüe, où même le Congrès pourrait se trouver contre Israël puisque l’argument de mettre en péril la sécurité d’Israël ne serait plus valable (théoriquement, on forcerait Israël à acheter ce qui est, officiellement, “le meilleur avion du monde” pour tout le XXIème siècle, – encore une fois, selon les artifices innombrables du système de la communication…).


Mis en ligne le 2 juillet 2010 à 07H42