Le féminisme et son Titanic

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Le féminisme et son Titanic

19 octobre 2020 – J’ai noté un passage dans le texte sur le Titanic de Charles Hughes Smith, ou CHS (*), qu’on voit par ailleurs sur ce site. Je l’ai noté, pour un membre de phrase, qui mérite mieux à mon avis que d’être perdu sur un “p’tit coin” de paragraphe. Voici un extrait de la chose, avec, marquée de gras pour l’occasion et par mes soins propres, le passage qui m’importe :

« Qu’ont fait les autorités de ces informations ? Totalement incapables d’agir efficacement, elles ont complètement oublié leur expérience et leur mesure et ont consacré toutes leurs ressources à faire respecter la hiérarchie des classes et l’aspect chevaleresque des relations entre sexes de l’époque : 80% des passagers masculins ont péri et 25% des passagers féminins. »

Je trouve, d’une façon très neutre et très volontairement neutre je le précise parce que je ne veux aucune polémique, que c’est un sujet pour le féminisme, ce constat : qu’on aime ou pas, qu’on décompte ou non, qu’on méprise ou ignore les vieux préceptes réactionnaires (« Les femmes et les enfants d’abord »), ceux-là qui si profondément inégalitaires pour une âme bien nettoyée au Ripolin moderniste, il reste que les femmes ont largement profité des mœurs dans tel ou tel cas où c’était une question de vie ou de mort.

Je rapproche aussitôt une autre remarque, qui concerne un événement chronologiquement très proche du naufrage du Titanic.

Je veux parler de la Grande Guerre. Que ne voyons-nous de si nombreux documentaires, voire de films, d’ailleurs fort intéressants quand c’est bien fait, sur la condition et la situation des femmes pendant la Grande Guerre ! C’est le fait qu’elles aient dues, en un sens, ‘remplacer’ les hommes, à l’usine, dans les champs, dans la direction des foyers... qu’elles aient donc été confrontées à des travaux de force et à des situations qui nécessitaient des décisions, tout cela à quoi elles n’étaient nullement préparées, – mais tout cela aussi, si l’on veut voir le bon sens de la chose comme c’est si souvent le cas, qui accéléra considérablement l’émancipation de la condition féminine, on sait dans quel sens, de quelle façon, etc.

(Sur ce dernier point de l’influence et de la direction des foyers : les femmes l’ont souvent dispensée et exercée dans l’histoire, souvent avec autorité et influence, parfois avec des constats inattendus. Par exemple, j’ai vu et entendu récemment un documentaire fort bien achalandé sur les plus récentes trouvailles historiques sur l’influence des femmes viking au sein de la société des Vikings, occupant une position de direction incontestée sur les terres où vivaient les colonies, pendant que les hommes partaient en expéditions guerrières, et position nullement remise en question lorsque les hommes rentraient. L’un dans l’autre, on peut juger que le poids des femmes dans la direction des colonies vikings était plus importante que celles des hommes, que cet ordre subsistait avec la présence des hommes revenus de la guerre, et qu’à cet égard on peut avancer l’hypothèse que les femmes se trouvaient en général dans des positions plus fortes que celles des hommes, dans une société où les tâches étaient démocratiquement réparties, sans interdit majeur et donc avec l’accord de tous.)

Fort bien pour ce rôle des femmes, suppléant à l’absence des hommes partis à la guerre. Imaginez pourtant que l’esprit d’aujourd’hui soit transporté en 1914-1918 et ait régné du temps de la Grande Guerre ; c’est-à-dire que les femmes jouent le même rôle que les hommes, bénéficient des mêmes droits et remplissent les mêmes devoirs. Cela signifie qu’elles auraient participé à la tuerie et qu’elles auraient été frappées selon les mêmes proportions, dans les mêmes conditions. Pour s’en tenir à la glaciale comptabilité, on décompterait 800 000 femmes mortes au combat et autour de deux millions blessées, et souvent affreusement blessées car, – “gueules cassées” obligent, – l’état technologique de la modernité et du Progrès durant la Grande Guerre faisait que la capacité destructrice par les éclats de fer, qui tranchent, coupent, amputent, déforment affreusement (surtout marquant au visage) était infiniment supérieure à la capacité réparatrice de la médecine de guerre et des grands blessés, avec la chirurgie esthétique de guerre. On retrouve cette situation comme une constante, expliquant en bonne part la terrifiante et affreuse boucherie (supériorité des armes défensives affreusement tueuses, – artillerie, mitrailleuses, – contre des armes offensives très faibles, jusqu’à l’arrivée à maturité de l’aviation d’appui en 1917-1918, et des chars en 1918).

J’écris cela en complète ignorance de l’examen ou pas de ce cas (la femme et le féminisme dans la Grande Guerre de ce point de vue), n’ayant qu’une culture très sommaire des études et travaux sur le féminisme. Si la question a déjà été traitée, qu’on me pardonne de la soulever ici à nouveau, et d’une façon sans aucun doute amateur[e] et béotienne ; si elle a été résolue, à Dieu vat et l’on verrait avec intérêt comment elle a été résolue ; si elle est irrelevant parce qu’un peu trop complexe à résoudre, le Sphinx s’en occupera...  Pour mon compte, je ne l’ai abordée qu’après y avoir pensé plusieurs fois, et avec mon attention attirée par le passage de l’article de CHS sur les pourcentages des personnes de chaque sexe emportées par le naufrage.

Je crois ou crains en même temps, que le féminisme, qui est une activité assez récente, qui est aujourd’hui (le féminisme d’aujourd’hui) très différent du mouvement des “suffragettes” qui impliquait une réelle autonomie du rôle des femmes et nullement une idée de concurrence, d’affrontement, du suprémacisme vis-à-vis des hommes, je crains que ce féminisme ne tende à emprisonner les femmes aux hommes d’une autre façon et de la façon inverse si vous voulez, quitte à les singer négativement, à les détester absolument en désignant comme idéal le contraire de ce qu’ils sont prétendument. Je crains que le féminisme courant soit beaucoup trop en rupture avec le passé des femmes de caractère, des femmes indépendantes, des femmes qui ont fait la gloire des femmes sans faire un mouvement sociétal. Je crains que la femme qui sorte de ce féminisme soit triomphante à la façon des hommes triomphants aujourd’hui, c’est-à-dire autant dépendante du Système que le sont les hommes dont elle entend planter leurs têtes au bout de leurs piques fort acérées.

Mais enfin, tout ça même crémerie, même simulacre ; heureusement, avant qu’on puisse répondre aux questions envisagées ici, le Système aura été pulvérisé en un milliard de morceaux, effondré, explosé, désintégré, pfffuittt... Seule chose qui importe. Ce doit être pour cette raison, en vérité, que je ne m’intéresse pas vraiment et refuse de m’y intéresser, au féminisme, comme aux autres mouvements sociétaux de la même boutique, assuré que nous sommes sur une autre voie, plus large, plus irrésistible et qui emporte tout, et qui imposera de toute autre références.

 

(*) CHS pour Charles Hugh Smith. J’ignore si son prénom est Charles ou Charles Hugh, et si son nom est Smith ou High Smith ; dans l’incertitude, et si j’y reviens, peut-être adopterais-je lâchement la formule des initiales comme proposé ici, puisque j’ai par ailleurs une complète détestation de l’emploi de l’ensemble ‘prénom + nom’, simplement par horreur de l’imitation des modes, des automatismes de langage imposés par notre organisation du vivre-ensemble, depuis que dans le monde politico-communicationnel et des communicants français, on est incapable de dire “Macron” sauf cas de colère ou de mépris ostentatoire, et alors qu’il faut s’attarder à l’interminable “Emmanuel Macron”. En fait, s’il le fallait vraiment, je préférerais encore un “monsieur Macron” sec et froid. Cette attitude pour les mœurs du pseudo-siècle, au fond, c'est du même type de celle que j'ai pour le féminisme. (J'avais d'abord écrit ‘félinisme’, coquille aussi récélatrice qu'un lapsus.)