Le Diable est un joueur invétéré...

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Le Diable est un joueur invétéré...

05 février 2018 – Je vais poursuivre, sur un mode un peu plus léger (à peine) le texte du 28 janvier 2018, commentant lui-mêle un arrticle d’Israël Shamir à propos d’une nouvelle fournée de sanctions US antirusses, alors imminentes. Entretemps, il y a eu une liste, dressée par le Trésor US à l’intention du Congrès, désignant autour de 200 personnalités russes susceptibles de tomber sous le coup de nouvelles sanctions, notamment sinon  essentiellement par la saisie de leurs avoirs hors de la Russie. Enfin, j’en viens au principal qui va faire l’objet de cette page du Journal.dde-crisis, une analyse du Saker-US sur la chose, du 3 janvier 2018. (Titre : « US Sanctions, Baffled Russians, Hot Air and History », que j’adapterais en Français de cette façon : “Sanctions US, Russes ébahis, du vent et l’Histoire”.)

Ces 200 personnalités menacées de sanctions sont des dirigeants russes, notamment diplomatiques, Lavrov en tête, et des oligarques et hommes d’affaire : “Ils ont pris le bottin diplomatique et le classement annuel de Forbes pour établir cette liste”, dit à peu près le Saker-US, d’humeur réellement roborative et pleine de sarcasmes. Les intentions des fonctionnaires US est “de faire paraître pour des gangsters les dirigeants politiques russes” et de “frapper les oligarques là où ça fait mal, du côté du compte en banque”. Le résultat très probable, déjà même en cours, car la menace de sanctions est toujours perçue dans le cas du compte en banque comme la certitude d’une sanction, c’est le rapatriement à la laison de leurs avoirs hors de Russie et surtout aux USA, de la part des oligarques qui avaient ainsi fait ces placements.

C’est à peu près ce qu’annonçait Shamir ; c’est certainement ce qu’espérait Poutine (qui a dit sa frustration de n’être pas sur la liste des proscrits, avec son ami Lavrov) ; c’est la meilleure chose qui puisse arriver aux souverainistes russes, et la pire pour les “Occidentalistes-Atlanticistes”. L’argent revient dans la mère-patrie alors qu’elle engraissait les banques yankees, la Russie est conduite à renforcer encore son indépendance et ses mesures pour se détacher de l’ordre du bloc-BAO, et particulièrement des structures financières anglo-saxonnes. Moi qui n'entends pourtant rien à la finance, sans doute par une sorte de répulsion sénile et de snobime obscolescent , je comprends assez bien ce mécanisme qui joue effectivement sur la finance, mais également et surtout sur la psychologie de base, la plus simple possible.

... Mais comment ne comprennent-ils pas cela, les américanistes ?

Le Saker-US avance plusieurs explications, cinq en tout. Il choisit la cinquième pour son compte, et je souscris des deux mains à ce choix, qui est d’ailleurs le mien depuis des années contre toutes les écoles du “complotisme” et de Grand Jeu géopolitique.

« [La cinquième explication,] c'est l’interprétation qui dit essentiellement que c’est beaucoup plus simple [que les quatre autres explications précédentes] et qu’aucune explication complexe n’est nécessaire : l’Administration Trump et le Congrès sont composés d’idiots ignorants qui n’ont aucune idée de ce qu’ils font et qui aiment prendre des décisions politiques juste pour se donner la sensation qu’ils comptent encore dans le monde alors qu’ils ne comptent plus du tout. Poutine lui-même semble être dans [le cas de cette explication], lorsqu’on apprend qu’il a dénommé et défini officiellement ce dernier document américain comme une “complète stupidité.

» D’après mon expérience, le processus de prise de décision aux États-Unis n’est presque jamais le résultat des efforts d’un seul acteur. Les décisions politiques américaines sont la somme des effets de nombreuses forces différentes agissant ensemble pour produire un résultat qui semble parfois absurde mais qui est encore la conséquence logique de l’effet conjoint de tous les groupes qui l’ont déterminé. Toutes les explications ci-dessus pourraient donc être correctes, quoique à des degrés divers. Pour autant, je suis et reste très favorable à la dernière car, comme Poutine, j’en suis venu à la conclusion que l’Empire est dirigé par des idéologues stupides et ignorants qui vivent dans un monde totalement détaché de la réalité. »

On comprend la jubilation du Saker-US, qui doit être celle de tout bon jugement et saine appréciation que le comportement, les actes et les entreprises de “D.C.-la-folle”, – notamment et particulièrement cette folie des sanctions sans fin, – ne peuvent être dictés que par l’impulsion d’une sottise également sans fin qui, à chaque occasion, parvient à créer une initiative audacieuse, illégale et dont l’effet final est inéluctablement de renforcer celui que l’on veut frapper. L’explication est d’une évidence lumineuse, elle permet de comprendre toute l’histoire, disons de ces dix-sept dernières années, depuis que le Système fonctionne en mode de surpuissance. Le caractère essentiel de ce comportement est surtout de ne tirer strictement aucune leçon de toutes les sottises qui s’alignent impeccablement durant cette période, pour n’en interrompre ni le rythme, ni la puissance, ni en troubler de quelque façon que ce soit l’ordre parfait.

Une telle perfection, une telle continuité finissent par convaincre qu’il y a là quelque chose d’une intervention supérieure, parce qu’on trouve en effet dans ce processus comme une allure de quasi-infaillibilité qui dépasse très largement les capacités humaines et même celles de la papauté sous le règne de l’éclairé-Bergoglio. Il y a beau temps déjà que mon esprit aux aguets s’est laissé gagner par cette sorte d’explication, et jamais depuis que je l’ai dans l’esprit elle ne m’a fait défaut ni n’a été prise en défaut.

Bref, nous dirions une fois pour toutes qu’il s’agit d’une manigance du Diable, ce joueur invétéré qui n’aime rien tant que faire valoir les dons dont la nature des Abysses l’a doté et de se faire valoir à mesure par conséquent. J’ai fini par juger assez normal après tout que son extrême qualité pouvait, non devait inévitablement se transmuter en son ultime défaut ; et qu’il s’agit bien, dans le vertige délicieux de manipuler et d’utiliser des créatures humaines à l’avantage de son parti, de céder peu à peu, puis soudain, par goût du jeu en mode inverti en un sens, de céder brusquement à ce même penchant pour la destruction, cette fois au désavantage de ces créatures qu’il manipule et utilise... Car la tentation, pour lui ce joueur, est irrésistible !

Le Diable est un joueur invétéré, dont on dit également qu’il a inspiré les concepteurs du JSF.

J’entends son ricanement, contemplant cette cacophonie de “D.C.-la-folle” et se disant dans un claquement sec de ses mâchoires diaboliques comme un signal du travail bien fait, qu’il a réussi au-delà de toutes ses espérances à créer une discorde et des chamailleries sans précédent. Oubliant décidément complètement qu’il s’agit de la base même, du “camp de base” de son propre parti, le Diable admire en artiste, en esthète, la perfection du désordre qui se développe sous sa baguette.

Je dois dire qu’à la manière de Lincoln, j’ai quelque inquiétude pour la Grande République : à se prendre pour Dieu, on finit dans les bottes du Diable et on le paye, avec agios et intérêts.