Sanctions, “Old Money” et destin de Poutine

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Sanctions, “Old Money” et destin de Poutine

Dans son style habituel, plein de sous-entendus et de références entendues, Israël Shamir nous parle (le 27 janvier 2018 sur UNZ.com) des prochaines sanctions que les USA préparent, notamment contre les avoirs de certains oligarques russes, et les effets sur la position de Poutine, et plus vastement, sur l’évolution politique en Russie. Les sanctions US vont porter notamment sur les avoirs considérables de ceux qu’on nomme “les oligarques” hors de la Russie, ce qui devrait avoir des répercussions internes également considérables en Russie.

Shamir parle de la “Old Money” (le “Vieux-Fric”) désignant les oligarques de l’époque Eltsine, qui ne sont pas particulièrement pro-Poutine (sauf une exception ou l’autre) et qui sont souvent très activement anti-Poutine ; il parle aussi de la “New Money” (le “Nouveau-Fric”), qui désigne les oligarques pro-Poutine, qui se sont établis avec le soutien du président et qui viennent souvent des milieux de la sécurité (on les nomme aussi siloviki, terme qui désigne le complexe de sécurité nationale autour du FSB [ex-KGB]). Shamir explique que Poutine ne lèvera pas le petit doigt pour défendre la “Old Money” tandis qu’il défendra la “New Money”, et même d’une façon préventive, en faisant savoir qu’il riposterait dans ce cas en saisissant des avoirs occidentaux (notamment les participations dans des sociétés russes). Shamir en déduit que les rédacteurs des lois qui seront soumises au Congrès, n’écoutant que leur “intérêt national”, proposeront effectivement des sanctions contre la “Old Money”.

Tout cela se déroule à l’ombre de ce que Shamir nomme “The Deal”, désignant ainsi “le marché” informel conclu durant la période-Eltsine, qui concernait diverses situations de part et d’autre ; entre l’Ouest, le futur bloc-BAO mettant la Russie à l’encan d’une part, la Russie, l’ex-URSS exsangue dans les années 1990 d’autre part. La description que fait Shamir, toujours dans son style expéditif fourmillant de demi-détails pour initiés, concerne une direction russe toujours soumise à diverses tensions et pressions contradictoires, et un Poutine loin d’avoir les mains libres et conservant certaines pratiques et orientations complètement alignées sur le bloc-BAO (notamment dans le domaine financier et aussi concernant nombre de fortunes édifiées sur les ruines de l’URSS, grâce à un pillage sans précédent des ressources nationales). Poutine, précise Shamir, « est depuis longtemps très mal à l’aise avec “The Deal”, comme il le dit implicitement depuis son discours de 2007 à Munich, mais il continue néanmoins à le respecter. Aujourd’hui encore, l’économie russe suit le modèle occidental... »

Mais cette fois, cela pourrait changer, parce que la saisine des avoirs d’un grand nombre d’oligarques (“The Old Money”) donnerait le coup fatal à un “marché” (“The Deal”) qui a déjà reçu nombre de coups de canif. Alors, Poutine aurait les mains libres pour appliquer la politique, toute la politique qu’il entend suivre ? En principe oui, à moins qu’il ne soit trop tard...

« Si l’on laisse de côté les théories conspirationnistes, nous pouvons arriver à une conclusion. L’attaque que l’establishment US prépare contre les avoirs russes affectera probablement “The Old Money” des oligarques de l’ère-Eltsine... [...] Cette confiscation donnera le coup de grâce au fameux “Deal” et Poutine sera alors libéré [pour éventuellement modifier sa politique].

» Mais peut-être est-il trop tard pour lui. Une rumeur étrange et invérifiable a commencé à circuler à Moscou. Elle précise que le candidat du Parti Communiste Pavel Groudinine a un très fort soutien parmi les “siloviki”, c’est-à-dire les hommes mis en place par Poutine et qui viennent pour l’essentiel, mais pas tous, des services de sécurité, parce qu’ils sont mécontents de la façon dont Poutine a trop strictement respecté “The Deal”. Mais ceci est une autre histoire, à laquelle je m’attacherai dans ma prochaine livraison. »

L’approche de Shamir est complexe et porte sur des situations et des positions extrêmement hypothétiques puisque ressortant de démarches officieuses, sinon clandestines. D’une certaine façon, la cohérence du propos peut être mise en cause, notamment le fait que les USA se dirigeraient vers des sanctions qui toucheraient d’abord leurs alliés au sein de l’establishment russe et risqueraient de provoquer, sinon provoqueraient inéluctablement un tournant politique de durcissement à Moscou. Shamir insiste sur le fait que les divers centres de direction US reposent souvent, pour se faire leur opinion sur la Russie comme sur les autres pays étrangers, sur des émigrants de ces pays (*) qui sont hostiles aux régimes en place, ce qui est là aussi un argument paradoxal sinon contradictoire si les sanctions US frappent vraiment le “Old Money” de gens qui sont en principe des adversaires de Poutine.

D’autre part, il faut reconnaître que ce ne serait pas une grande nouveauté si Washington prenait des mesures de rétorsions qui, par ignorance, aveuglement et stupide indifférence, finiraient par lui faire plus de mal qu’elles n’en feraient à celui qu’elles viseraient. On pourrait même se rassurer en reconnaissant qu’il y aurait dans ce cas une logique extrême mais très rassurante entre une telle décision contre-productive et le comportement général actuel, à “D.C.-la-folle”. On peut donc attendre que Shamir, même s’il s’est laissé emporter dans des contradictions étranges, nous communique une appréciation fondée et qu’effectivement un nouveau train de sanctions finisse par frapper la “Old Money”, conduisant la direction russe, – Poutine et les autres, – à considérer que “The Deal” qui maintient la politique russe dans une réserve et une modération remarquables, n’est désormais plus d’application.

Dans tous les cas, et quoi qu’il en soit des révélations que nous promet le chroniqueur Shamir, l’occasion nous paraît bonne pour préciser qu’il nous semble de plus en plus apparaître que l’élection présidentielle de cette année pourrait effectivement marquer un tournant crucial dans la politique russe, – Poutine ou pas Poutine. La présidence Trump constitue, sans que la direction russe (Poutine) ait quelque responsabilité que ce soit, un “ratage” phénoménal du point de vue des attentes russes pour une normalisation de la situation générale. D’une certaine façon, Trump était une sorte de “dernier espoir” d’une telle normalisation – mis à part des événements extraordinaires qui menaceraient tout le monde comme l’effondrement achevé du système de l’américanisme.

Trump avait annoncé une telle orientation (normalisation des relations avec Moscou) et le constat inévitable est bien au contraire une aggravation de ces relations sous sa direction, – ou pseudo-direction, qu’importe. La conclusion, du point de vue russe, est l’appréciation inévitable d’une impasse où la Russie ne peut accepter de se laisser enfermer dans la mesure où cette impasse met cette puissance dans l’obligation fatale d’attendre sa destruction d’une façon ou l’autre, du fait de la course suivie par les USA.

Ce raisonnement est depuis quelques années celui de la fraction “dure” extrémiste de la direction russe, et il tendrait à se répandre pour devenir de plus en plus un raisonnement acceptable par la majorité de cette direction. L’évolution de l’attitude des siloviki signalée par Shamir rencontre cette observation, bien évidemment. S’il le fallait, Davos et tout ce qui l’a accompagné ont provoqué un choc de plus en confirmant que les Européens sont totalement incapables de résister aux USA, même aux USA de Trump, comme l’observe Finian Cunningham, ce qui réduit à rien le mince espoir que les USA puissent être “contenus” par une “alliance” du reste des puissances. C’est dans ce climat souterrain mais puissant, qui ne fait guère d’éclat mais qui est d’une extrême et très profonde gravité, que s’annoncent les élections présidentielles en Russie.

C’est-à-dire qu’on en arrive à un point où l’élection ou non de Poutine, disposant d’un avantage de popularité écrasant, a une importance de moins en moins grande. D’une certaine façon, Poutine lui-même ne pourrait faire autrement que comprendre qu’il ne pourra plus suivre très longtemps sa ligne modérée. Dans la situation qui existe et persiste aujourd’hui, le réalisme dont tout le monde juge que c’est sa principale qualité, devrait justement le conduire à un durcissement qui reflétera le véritable rapport des forces à l’intérieur de la direction russe.

Outre l’option extrême évoquée par Shamir et dont on attend avec intérêt qu’il la précise, on doit avoir à l’esprit qu’il existe une possibilité de “compromis” permettant un passage “en douceur” (!) vers cette politique “durcie”. Il s’agit de l’option d’un Poutine élu, qui modifierait son cabinet pour mettre en place un dauphin représentant cette politique “dure”, éventuellement avec une démission de Poutine à mi-mandat pour permettre à son dauphin de verrouiller cette nouvelle politique que lui-même aurait dû mettre sur les rails.

 

Mis en ligne le 28 janvier 2018 à 13H05

 

Note

(*) Les exemples choisis par Shamir pour illustrer son propos ne sont pas des plus heureux : « Les USA, un pays d’émigrants, ont toujours été attentifs aux attaques d’émigrants d’autres pays [contre leurs propres pays,] en prêtant l’oreille à un Masha Gessen, ou à un Ahmed Chalabi, l’émigré irakien affirmant que l’Irak avait des ADM, ou à un Alexandre Soljenitsyne et ses histoires horribles à propos du Goulag, etc. » Il est difficile d’accepter qu’on mette sur le même pied un Chalabi et un Soljenitsyne, ainsi que l’énorme et grossier simulacre des armes de destruction massive de Saddam avec la tragique et épouvantable épopée du Goulag ; cela, qui est déjà beaucoup, sans oublier que Soljenitsyne-émigré aux USA se fit remarquer, dans ce pays du libéralisme triomphant, par son fameux discours de Harvard de juin 1978, où il montra dans une envolée visionnaire que le système du libéralisme était aussi destructeur et nihiliste que le système du communisme.

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