L’Allemagne sans souteneur ?

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L’Allemagne sans souteneur ?

Il y un mois et demi, tout le monde, – sauf les Allemands, habitués à la discipline formelle et au diktat des positions officielles, y compris quand le POTUS est un cinglé nommé Trump, – avait pris un peu par-dessus l’épaule le tweet du 15 juin de Trump annonçant un retrait de forces US d’Allemagne. Trump parlait de 8 000 ou de 9 500 hommes, et le Pentagone prenait soin, sur un ton assez léger avec un brin d’inquiétude tout de même, de préciser que rien n’était décidé. Les sources habituelles des journalistes comme-il-faut, réduisait cela à une foucade tweetée de Trump de plus ; d’ailleurs, disait-on entre les lignes, comment Trump pourrait-il lancer une telle décision alors que sa position intérieure aux USA est si précaire ? C’est là une question d’importance, on le verra plus loin.

Eh bien dans tous les cas, on est obligé de convenir qu’il est en train de le faire, et le Pentagone suit avec tous les détails montrant qu’il s’est laissé convaincre : ce n’est pas moins de 11 900 ou 12 500 hommes (selon les sources) que les USA retirent d’Allemagne, dont 6 400 rentrent aux USA (ce retour à la maison d’un contingent si important est une surprise de taille à l’intérieur de la surprise générale). Les 5 500 restants seront déployés, non pas en Pologne comme supposé et comme la Pologne le réclamait mais en Belgique et en Italie, où l’on n’en demandait pas tant ; et ne pas déployer en Pologne, c’est par contre faire comme la Russie le réclamait...

Présentation de la nouvelle par RT.com :


« Le président américain Donald Trump a défendu sa décision de retirer près de 12 000 soldats allemands en invoquant ses importations de gaz en provenance de Russie. Washington a récemment intensifié ses efforts pour bloquer les livraisons.
» “L’Allemagne paie à la Russie des milliards de dollars par an pour l'énergie, et nous sommes censés protéger l’Allemagne de la Russie. De quoi parle-t-on !” a-t-il tweeté, peu après que le secrétaire à la défense Mark Esper ait déclaré que les États-Unis allaient retirer quelque 11 900 soldats américains d’Allemagne, alors que le plan initial prévoyait le retrait de quelque 9 500 personnes.
» Trump a également cité la longue querelle sur les contributions à l'OTAN, accusant l’Allemagne de ne pas assumer sa juste part des coûts pour l’alliance militaire. 
» “De plus, l’Allemagne est très en retard dans le paiement des 2% de son PIB pour sa participation à l’OTAN. Nous déplaçons donc des troupes hors d'Allemagne !”, écrit Trump, faisant référence à l’exigence de participation financière à l’Alliance pour les États membres.
» Dans un communiqué publié hier, Esper annonce qu’environ 6 400 soldats américains quitteraient l'Allemagne pour rentrer aux USA, tandis que 5 600 autres seraient redéployés dans deux autres pays de l’OTAN, l’Italie et la Belgique. Malgré qu’il reste un contingent de 24 000 G.I. en Allemagne, les opposants à la réduction des effectifs ont condamné cette décision, arguant qu’elle “brise une alliance de 75 ans sans raison”.
» Mécontente, l’Allemagne soutient que le retrait porterait un coup au rôle de l’OTAN en Europe. Contrairement à l’affirmation de Trump selon laquelle le retrait prévu “renforcera” l’alliance, améliorant sa “capacité de dissuasion contre la Russie”, les politiciens allemands considèrent qu'il s’agit d'un geste qui creusera un fossé entre Berlin et Washington. 
» “Malheureusement, cela menace les relations germano-américaines”, a déclaré Markus Soeder, le Premier ministre bavarois et le chef de l’aile autonome CSU de la CDU-CSU de Merkel.
» Les États-Unis et l’Allemagne sont de plus en plus en désaccord en raison des pressions de Washington sur Berlin pour l’abandon du gazoduc Nord Stream 2 avec la Russie. Sa construction a été interrompue l’année dernière après que les États-Unis aient menacé de très fortes sanctions des transports impliqués dans le projet. Au début de ce mois, les États-Unis ont intensifié leur campagne de pression, déclarant qu’ils imposeraient des sanctions à toute personne investissant ou travaillant à la construction ou à l'entretien du gazoduc à l’avenir.
» L’Allemagne a jusqu’à présent défié les efforts des Américains pour la contraindre à abandonner le projet, accusantWashington d’empiéter sur le droit souverain de Berlin.
» Une analyserécente de la société de conseil en énergie Wood Mackenzie a suggéré que les consommateurs européens verraient le prix du gaz chuter de 25 % après que la Russie aura commencé à pomper le combustible sur les 1 200 km de trajet sous-marin. L’achèvement du gazoduc russe devrait coûter cher aux fournisseurs US de gaz naturel liquéfié (GNL) ; une firme US affirme que “les pertes de revenus pour les producteurs de gaz américains en amont pourraient être importantes”. »


Cette décision de retrait partiel de forces US d’Allemagne a une importance symbolique qui, en d’autres temps moins torturés par les crisiques gigantesques de CGES, aurait eu l’honneur de la très-grande nouvelle du jour, avec crise et grincements de dents à mesure. En trois-quarts de siècle d’alliance de soumission totale de l’Allemagne aux USA, contre une pseudo-défense US symbolisée par la présence décidée conjointement de forces américanistes, c’est un coup de tonnerre même si on l’entend à peine dans le grondement général. La forme même de la décision rend le coup de tonnerre encore plus blessant et furieux ; décision prise selon une vision antagoniste dans un cadre de sanctions très dures déjà prises par les USA, comme un moyen de pression hostile pour contrecarrer le programme NordStream 2 et forcer à la poursuite sinon l’accroissement de l’acquisition du gaz US plus cher. Dans l’esprit, c’est une véritable rupture de la ‘mystique’ de l’Alliance Atlantique et un coup terrible à l’arrangement maître esclave entre les deux pays, – encore un coup des Black Lives Matter, pourrait-on supputer...

On s’interrogera : qui s’intéresse encore à la ‘mystique’ de l’Alliance Atlantique ? Pas nous certes, et Trump encore moins semble-t-il, dont le mysticisme se calcule en $milliards et $milliards d’exportation. Il faut admettre que ce désintérêt est assez justifié, objectivement dirait-on, alors que l’OTAN dérive dans une mer indifférente comme un vieux rafiot énorme, rouillé et fonctionnant au gaz d’une usine à gaz désaffectée. Ce qui est assez bouffon, c’est qu’Italiens et Belges se retrouvent avec une nouvelle sorte de migrants illégaux, des G.I. américanistes dont le repli vers leurs territoires améliore selon Trump et façon ‘défense en hérisson’ selon nous, la qualité de la dissuasion US contre la Russie.

On aura donc un sujet concret de plus pour les angoisses existentielles des experts du musée de survie où sont exposés les restes de l’Alliance Atlantique, mais on n’ira pas au-delà. On n’anticipera même pas une réaction vive de l’Allemagne dans le domaine, par exemple pour quelque chose de plus affirmée au niveau de cette chose insaisissable qu’est la défense européenne, et on suivra la poursuite dans un affrontement de plus en plus vif au sujet de NordStream 2. Cela fait au moins un sujet d’appréciation ironique pour les Russes, dans le cadre de la désintégration poursuivie du ‘lien’ transatlantique.

Restons-en là pour la nouvelle, parlant de ‘désintégration lente’ de l’OTAN, de désintérêt presque hostile de Washington D.C. et de “D.C.-la-folle” pour l’Europe, voire d’un aménagement des orientations stratégiques du Pentagone, en même temps qu’une position tactique d’accommodement avec le président après les heurtsqui ont eu lieu concernant le traitement des manifestations Grande-Émeute2020, à Washington, début-juin.

Un autre sujet nous paraît plus intéressant, qui concerne la position et les pouvoirs du président dans cette période d’intense crise intérieure, conjuguée et à l’occasion d’une fin de mandat qui, – réélection ou pas, – devrait en bonne logique politique conduire à une paralysie certaine et voyante de la politique extérieure US. On a déjà vu ce phénomène dans deux exemples des années 1970 :
• En 1973-74, Nixon fut plongé dans une paralysie complète de sa politique extérieure pourtant notablement ambitieuse à cause du Watergate. Selon Anatoli Dobrynine, alors ambassadeur d’URSS aux USA, Nixon était prêt à réaliser avec Brejnev ce que Gorbatchev fit avec Reagan quinze ans plus tard : « Notre analyse était donc de penser que le Watergate était une sorte d’intrigue organisée par ses ennemis politiques pour renverser[Nixon]. Et, à Moscou, la plupart de ces ennemis étaient de toute façon considérés comme les opposants à de meilleures relations[des États-Unis] avec l’Union soviétique. » (Dobrynine dans In Confidence, Random House, 1995.)
• En 1979-1981, Carter fut totalement paralysé dans sa politique extérieure par la crise iranienne (les otages de Teheran de novembre 1979) et la crise intérieure qui s’ensuivit à partir de l’embargo pétrolier iranien, et notamment avec les manipulations des républicains en toute complicité avec les ayatollahs iraniens, pour faire élire Reagan.

Ces observations introduisent un aspect particulier de la situation US actuelle dont on sait l’originalité et le caractère sans précédent, aspect qui est complètement contraire à ce que la pratique et la tradition (Nixon-Carter) nous en disent. Dans le texte du Journal-dde.crisis d’il y a trois jours, PhG notait à propos du texte, du même jour, « Notes sur un péril jaune-zombie », développant « une analyse sur les tensions gravissimes entre les USA et la Chine, avec détour vers la Russie, et les manœuvres des USA pour essayer de gruger la Chine sur la question des armes stratégiques » :

«D’une part, tout le monde s’entend pour convenir de l’importance de l’affaire, qui pourrait bien conduire à un véritable conflit. D’autre part, on prend soin de noter qu’il s’agit essentiellement du rôle et des actes des USA ; d’ailleurs il y a cette phrase, dans la conclusion, indiquant que tout repose sur les machinations américanistes : “Comme on le voit, nous ne prêtons pas un rôle essentiel à la Chine, ni même à la Russie dans cette affaire.”
» Certes, l’on ridiculise la “non-stratégie” US, et sans vergogne ni la moindre pusillanimité. [...]
» Pour autant, même ridiculisée, même objet du mépris le plus complet, cette non-stratégie reste puissante et d’un poids considérable, elle existe diablement puisqu’elle défait toutes les relations internationales et fait voler en éclats le rangement des choses, puisque personne n’est capable de stopper sa course, de la briser, puisque s’expriment la force brute, le chantage, la piraterie. »

Ce qu’on observe ainsi, c’est que Trump, effectivement au contraire de Nixon-Carter, a une ‘politique extérieure’ (est-ce le bon terme ?) extrêmement affirmée et cohérente par rapport à ses propres conceptions capitalistiques, mercantiles et mercatiques. Il ne s’agit pas de ‘coups’ désespérés lancés vers l’extérieur pour tenter de se sortir d’une paralysie intérieure, mais bien de la poursuite sans entraves de lignes ‘stratégiques’ qui lui sont chères.

Certes, nous tenons objectivement cette stratégie pour informe et immonde (« [...E]lle est vide, elle ne signifie rien, elle sonne creux, stratégie sans vie et sans colonne vertébrale sinon de la substance d’un éclair au chocolat [selon le mot du vice-président Theodore Roosevelt sur le président McKinley] ; stratégie molle comme une montre de Dali, sans dessein véritable [ni dessin tout court], stratégie de réaction sinon de réflexe, et alors de réflexe pavlovien ; stratégie nihiliste sans divertissement, pour clamer la gloire d’une puissance en décomposition extrêmement avancée, et qui se reconnaît à l’odeur »). Mais c’est celle que veut Trump, qui ne peut ni ne veut en imaginer une autre, et il la poursuit depuis le début : commerce, piratage, $milliards, sanctions, America First et Alone. Il n’en est nullement empêché par les divers pouvoirs et forces actives intérieures dans la crise actuelle aux USA, dont tant lui sont hostiles, et même vis-à-vis de lui-même, complètement à l’aise pour agir, sans rien lâcher qui pourrait lui apporter des soutiens extérieurs.

C’est bien là l’un des caractères les plus insolites de ces temps de Grande-GCES, où l’on évolue finalement dans des mondes parallèles, le même étant ici honni et réduit à merci par les foules humanitaristes, antiracistes et manipulatrices d’elles-mêmes ; et complètement en position de force là pour se conduire en goujat international et maître-chanteur globalisé, – et fasciste aussi, il ne faut pas oublier de le préciser. Pendant ce temps, l’Allemagne, l’UE, l’OTAN pleurent leur solitude transatlantique et le beau monde d’avant où l’on savait à quel souteneur se vouer.

 

Mis en ligne le 30 juillet 2020 à 11H20