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415728 décembre 2009 — John Feffer, co-directeur de l’Institute for Foreign Policy (IFP) publie un article à partir de l’idée d’une analogie extrêmement enrichissante, entre Obama et Richard Nixon. Il s’agit de l’article Emulating Nixon, du 24 décembre 2009 sur Antiwar.com.
Feffer observe que Nixon peut être parfaitement défini d’un certain point de vue comme un président guerrier, assoiffé de sang, qui lança des opérations de destruction massives au Vietnam et dans les pays alentours, notamment au Cambodge, qui ordonna les bombardements de Hanoï de décembre 1972 (opération Linebacker II) qui firent près de 1.500 tués civils. Feffer poursuit en observant que Nixon peut être parfaitement défini également comme un “président de paix”, qui chercha un arrangement avec les Soviétiques, qui ouvrit les USA à la Chine, qui établit des accords de limitation des armements stratégiques, qui lança le développement de la “détente” qui aurait pu mener à des situations nouvelles exceptionnelles s’il était resté au pouvoir. Les deux points de vue sont fondés.
«This bifocal view of Richard Nixon reveals one of the great paradoxes of the U.S. peace movement. Peace activists divide into two sometimes irreconcilable groups — the antiwar movement and the arms control community. The former considered Richard Nixon and his henchman Henry Kissinger to be war criminals. The arms controllers, meanwhile, worked through Nixon’s Arms Control and Disarmament Agency to score significant though partial successes.»
Aussitôt lui vient l’analogie avec Barack Obama. Comme Nixon, Obama apparaît à la fois comme “un président guerrier” – avec, en plus, l’analogie supplémentaire de reprendre une guerre qui lui a été léguée par son prédécesseur, comme Nixon avait hérité du Vietnam de son prédécesseur. Il s’agit évidemment de l’Afghanistan et du Pakistan essentiellement, où Obama se montre comme un zélé propagateur de la guerre. D’autre part et a contrario, il apparaît également comme un “président de paix”, qui recherche avec alacrité à signer un accord de désarmement des armes stratégiques, qui proclame la dénucléarisation comme un de ses buts principaux, qui recherche un arrangement avec la Russie en abandonnant le système anti-missiles BMDE dans sa forme agressive et anti-russe. Observons encore que Feffer précise qu’il n’y a nulle surprise à éprouver pour les diverses politiques d’Obama:
«When we call on the president to follow through on his promises, we have to be careful what we wish for. Yes, he called for nuclear abolition as a candidate, and he is following through on his pledge. But he also promised to refocus U.S. military attention on Afghanistan and vigorously wage war on terrorism, and, unfortunately, he has done that as well.»
D’autres éléments de la définition de Feffer, de Nixon pire “président de guerre” des USA («the greatest warmonger in U.S. history»), nous paraissent plus contestables:
«He destabilized Chile, looked the other way as his West Pakistani ally laid waste to East Pakistan (now Bangladesh), and ignored the Nigerian civil war and the resulting famine in Biafra.»
Cette sorte d’événements est à mettre “à l’actif” d’à peu près tous les présidents US, voire de présidents non-US, et ne nous semble pas concerner Nixon spécifiquement.
Après avoir fait une apologie de la non-violence comme moyen de lutte contre l’oppression, cela pour plaider au développement d’un large mouvement anti-guerre contre Obama, Feffer conclut:
«Obama the candidate said he would give the United States a new start after the truculence of the Bush years. But he is shaping up to be much like our second Quaker president, Nixon, in his simultaneous commitment to nuclear arms control and conventional warfighting. Alas, that’s not the Quaker tradition he should be emulating…»
A ce point, observons combien ce texte est déroutant… Il suggère une comparaison d’une extrême richesse, d’une fécondité inattendue, et il passe à côté des fruits les plus nourrissants de cette opération intellectuelle. Cela tient sans doute à la réputation qui est faite à Nixon, qui fut effectivement un “président de guerre” (nous parlons de l’essentiel, qui est le Vietnam) à partir d’une guerre qu’il n’avait pas lancée ni conduite, et qu’il entendait pourtant terminer à l’avantage des USA d’une façon ou d’une autre, éventuellement avec la plus extrême brutalité s’il le fallait. Peu ou prou, il s’agit de la situation d’Obama. De même, Nixon se conçut comme un grand organisateur, voire un pacificateur des relations internationales, et l’on pourrait croire que c’est l’ambition d’Obama avec la Russie principalement, mais aussi avec la Chine et avec le monde musulman. Mais Feffer ne va pas au terme de cette analogie qui implique, plus que les personnalités et les politiques des deux hommes, les relations des deux hommes avec le système dont ils dépendaient et dépendent.
Le plus intéressant, en effet, concerne précisément les relations des deux hommes avec le Complexe militaro-industriel (CMI, ou “le Complexe” selon le degré d’affection de notre humeur lorsque nous en parlons – élément central du système en général). Parlons alors, d’abord, de Nixon. Nous rappellerons cette phrase étonnante, que nous citons souvent, du metteur en scène Oliver Stone dans son film Nixon; la scène montrant Nixon allant rencontrer, impromptu, avec son chef de cabinet Haldeman et deux gardes du corps, des étudiants contestataires au Mémorial Lincoln, lors d’une soirée en 1971, à Washington D.C.; un cercle d’étudiants incrédules se formant autour du président, le pressant, l’interpellant, et soudain une jeune fille de 19 ans (l’âge est précisé) lui demandant pourquoi il ne fait pas tout de suite la paix au Vietnam, lui qui est président, qui a tous les pouvoirs et qui affirme vouloir faire la paix; Nixon répondant par des généralités qui laissent pourtant entendre une expression de sincérité, disant qu’il essaie, que c’est difficile, parlant d’une voix presque oppressée…
La jeune fille s’exclame soudain : «Mais on dirait que vous parlez d’une bête que vous n’arrivez pas à dompter!» Nixon repart, s’installe dans la voiture officielle, reste songeur puis, soudain, à l’intention d’Haldeman: «Bob, c’est incroyable, cette gamine de 19 ans, bon Dieu, elle a tout compris!»
On sait par ailleurs (voir notamment notre F&C du 25 septembre 2009) combien nous croyons juste la thèse du livre The Silent Coup de 1992 (thèse notamment acceptée en leur temps par les ex-présidents Nixon et Ford). Nous ne sommes guère adeptes des explications de la politique actuelle en forme de complots “opérationnels”, qui demandent habileté, sens de la coordination, capacités d’adaptation aux situations imprévues, dans le chef du système de l’américanisme que nous tenons pour absolument malhabile, voire impuissant dans les domaines de la finesse, de l’organisation et de la psychologie; par contre, nous croyons beaucoup au “complot” bureaucratique dans son sens général, dans le chef de ce même système, parce que la bureaucratie c’est sa raison d’être et qu’il y excelle. Comme l’on sait, The Silent Coup décrit le Watergate comme le résultat à l’origine d’un complot effectivement bureaucratique du Joint Chief of Staff, avec la complicité de Bob Woodward, ex-agent de la Navy passé au Washington Post.
Pourtant, Nixon était un “président de guerre”… Mais il avait une politique de “détente” avec l’URSS qui était perçue par les chefs militaires et leurs bureaucraties comme une attaque indirecte puissante contre le Complexe. Selon Silent Coup, le Complexe eut donc la peau de Nixon et le monde, essentiellement les intellectuels libéraux US et européens comme d'habitude emportés par leur idéologie, se félicita bruyamment du bon fonctionnement de la grande démocratie américaniste. Selon Anatoly Dobrynine, l’inamovible ambassadeur soviétique à Washington du temps de la “détente”, le Watergate fut effectivement de cette sorte:
«So our inclination was to think that Watergate was some kind of intrigue organized by his political ennemies to overthrow [Nixon]. And, in Moscow, most of these ennemies were considered anyway to be the opponents of better relations [of the US] with the Soviet Union.» (In Confidence, Random House, 1995).
Venons-en à Obama… “Président de guerre“, mais également poursuivant une politique de “détente“ et de désarmement avec la Russie, comme Nixon faisait avec l’URSS. Placé devant un Complexe à la fois infiniment plus tentaculaire et infiniment plus aux abois qu’il n’était du temps de Nixon; un Complexe à la fois plus puissant qu’il n’a jamais été et plus impuissant qu’il ne fut jamais; un Complexe nécessairement insatiable et cherchant un bouc-émissaire à ses déboires sans nombre, jamais satisfait et de moins en moins assuré, même si le président fait une guerre qu'il souhaite, d’autant moins satisfait si le président a des idées de réduction des armements nucléaires et d’entente stratégique avec d’autres puissances, comme Nixon avait une politique de limitation des armements stratégiques et de détente avec l’URSS.
Obama, avec sa décision sur l’Afghanistan et ses diverses reculades au profit du Complexe dans d’autres crises qui impliquent le Complexe, s’est placé dans une position ambiguë et peut-être bien plus dangereuse que s’il avait attaqué de front le Complexe. Il faut retenir cette leçon que le Complexe a eu la peau de Nixon qui le satisfaisait à moitié et qu’il n’a pas eu la peau de Gorbatchev qui l’attaqua de front (l’URSS avait le double du Complexe US, du côté soviétique, la comparaison des situations est, là aussi, tout à fait acceptable). La raison est que Gorbatchev, en attaquant, a mis le Complexe soviétique sur la défensive, il a divisé les forces qui le composent, il a instillé le désarroi dans sa bureaucratie; Nixon, au contraire, ne l’a pas affaibli parce qu'il a poursuivi et intensifié la guerre du Vietnam tout en s’en faisant un ennemi par sa recherche d’une entente stratégique avec l’URSS. Sans y songer vraiment, Gorbatchev avait appliqué la tactique de la “discorde chez l’ennemi”; Nixon n’avait pu appliquer cette tactique et Obama ne l’applique pas davantage, peut-être d’ailleurs parce qu’il ne le peut pas, comme Nixon, ou n’y songe pas, ou encore ne croit pas qu’il soit nécessaire d’attaquer le Complexe.
Mais nous parlons ici de situations objectives, sans nous préoccuper vraiment des opinions et convictions d’acteurs aussi complètement soumis aux pressions du Complexe. Nous disons et continuons à dire que la seule chance objective d’Obama de faire une grande politique et de marquer l’Histoire est d’attaquer le Complexe, ou le système – c’est la même chose – de front, en le mettant violemment en accusation pour le mettre sur la défensive d’une façon décisive. (“American Gorbatchev”, indeed.) Paradoxalement, c’est dans cette situation où il paraîtrait le plus menacé qu’il aurait la meilleure position de force. Dans la situation actuelle, Obama est tout désigné pour servir de bouc-émissaire aux crises diverses qui se poursuivent et s’amplifient, et pour susciter des offensives et des complots bureaucratiques du système.
S’il n’est pas un “American Gorbatchev” – et il n’en prend certes pas le chemin – Obama risque d’être un second Nixon, auquel on trouvera bien un Watergate quelconque (beaucoup plus qu’un “coup d’Etat”, cette chose vulgaire qui n’a évidemment pas cours dans un système si complètement légaliste et pointilleux sur les formes et dans le conformisme). Cette hypothèse n’est pas seulement une construction de l’esprit. Divers milieux républicains n’attendent qu’une chose, qui est la possibilité de reprendre la majorité au Congrès à l’occasion des élections mid-term de novembre prochain (2010), pour explorer une voie ou l’autre conduisant à une procédure d’impeachment contre Obama. (Cela revient à l’hypothèse du Watergate, puisqu’il y aurait effectivement eu cette procédure contre Nixon si Nixon n’avait pas démissionné.) Les pistes ne manquent pas, allant des polémiques les plus vulgaires (comme celle des doutes émis sur la réalité de la nationalité américaine d’Obama) à celles, plus solides, qui peuvent naître de circonstances controversées impliquant des situations proclamées vitales pour la sécurité nationale (l’engagement d’Obama, déjà largement contesté et mis en question de tous les côtés, de commencer le retrait des troupes d’Afghanistan à partir de juillet 2011, est un des cas les plus évidents). Les pressions du Complexe, dont la menace qu’elles représentent est partout reconnue, nourriraient des attaques violentes contre Obama.
Mais en présentant cette hypothèse, comme l’on s’en doute, il n’est pas assuré qu’il faille se désoler d’une telle possibilité. L’enjeu dépasse évidemment le sort d’un seul homme, en l’occurrence celui du président actuel des USA. On comprend bien que le régime, la structure même des USA ne résisteraient pas à un nouveau choc de type Watergate qui emporterait, d’une façon ou une autre, le président Obama. Quant à Obama, c’est à lui de choisir son destin. S’il continue sur la voie qu’il a choisie depuis six mois, il sera installé définitivement dans la position de prisonnier et d’otage du système; mais c’est peut-être la voie la plus sûre pour déclencher des événements graves, et il resterait alors comme une sorte de martyr politique qui aurait conduit le système à sa propre perte – volontairement ou involontairement – qui sait?
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