La Syrie à la lumière du “modèle libyen”

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La Syrie à la lumière du “modèle libyen”

Dans ces heures de folie syrienne, qui se souvient encore de la folie libyenne du printemps-été 2011 et des ambitions du bloc BAO à cet égard ? La Libye devait devenir le “modèle libyen”, c’est-à-dire la démocratie et les droits de l’homme apportés par le bloc BAO par un pays identifié comme dictatorial, rétrograde, éventuellement “État failli”, et tout cela sous la bannière éclairée du commandant-en-chef de notre inspiration civilisatrice, le colonel-type-Malraux BHL. Si la Russie y avait été plus impliquée et plus ferme dans sa politique, – sous la direction du président Medvedev, elle avait approuvé la résolution de l’ONU à partir de laquelle le bloc BAO était intervenu en dépassant d’une façon foncièrement illégal le mandat de l’ONU, –Lavrov aurait dit de cette aventure découvrant son vrai visage ce qu’il dit aujourd’hui de la Syrie en brûlant les étapes accessoires, qu’il s’agissait de l’entreprise d’établir un “chaos contrôlé” dont le bloc BAO entendait bien tirer tous les avantages afférents. (Cité dans notre texte du 4 septembre 2013, à partir de Russia Today du 3 septembre 2013 : «However, it appeared that Russia's partners in the matter – especially those who back the rebels – were less interested in the conference than in creating “controlled chaos”, as Lavrov put it») Voyons ce qu’il en est.

Patrick Cockburn, qui connaît l’intérêt sinon la nécessité de rappeler les exemples du passé, revisite la situation libyenne régulièrement. Il l’avait fait le 8 avril 2013. Nous notions : «Aucune surprise et, selon la terminologie classique héritée des communiqués soviétiques et des commentaires du Pentagone, “tout se déroule selon les plans prévus”. Le chaos est partout, plus actif que jamais dans le sens où il s’est installé structurellement...» Aujourd’hui, selon son texte du 3 septembre 2013 dans The Independent, c’est encore pire, disons au-delà du pire envisagé. Nous avons eu l’idée de soumettre ce texte de Cockburn à une source européenne, parce que l’UE a des représentations très présentes en Libye, pour avoir son appréciation. Le commentaires fut sans appel : «Bien entendu, nous avons des rapports réguliers et nombreux de nos représentations là-bas. On dira que Cockburn est très modéré, car la situation est pire encore que ce qu’il décrit». Ce que décrit Cockburn est, selon la formule que nous avons présentée, un modèle archétypique du “‘chaos contrôlé’-devenu-incontrôlable”.

Un extrait significatif du texte de Cockburn nous éclairera donc, quoique d’une façon plutôt modérée semble-t-il, sur l’état du “modèle libyen”.

«A little under two years ago, Philip Hammond, the Defence Secretary, urged British businessmen to begin “packing their suitcases” and to fly to Libya to share in the reconstruction of the country and exploit an anticipated boom in natural resources. Yet now Libya has almost entirely stopped producing oil as the government loses control of much of the country to militia fighters. Mutinying security men have taken over oil ports on the Mediterranean and are seeking to sell crude oil on the black market. Ali Zeidan, Libya’s Prime Minister, has threatened to “bomb from the air and the sea” any oil tanker trying to pick up the illicit oil from the oil terminal guards, who are mostly former rebels who overthrew Muammar Gaddafi and have been on strike over low pay and alleged government corruption since July.

»As world attention focused on the coup in Egypt and the poison gas attack in Syria over the past two months, Libya has plunged unnoticed into its worst political and economic crisis since the defeat of Gaddafi two years ago. Government authority is disintegrating in all parts of the country putting in doubt claims by American, British and French politicians that Nato’s military action in Libya in 2011 was an outstanding example of a successful foreign military intervention which should be repeated in Syria.

»In an escalating crisis little regarded hitherto outside the oil markets, output of Libya’s prized high-quality crude oil has plunged from 1.4 million barrels a day earlier this year to just 160,000 barrels a day now. Despite threats to use military force to retake the oil ports, the government in Tripoli has been unable to move effectively against striking guards and mutinous military units that are linked to secessionist forces in the east of the country. Libyans are increasingly at the mercy of militias which act outside the law. Popular protests against militiamen have been met with gunfire; 31 demonstrators were shot dead and many others wounded as they protested outside the barracks of “the Libyan Shield Brigade” in the eastern capital Benghazi in June.

»Though the Nato intervention against Gaddafi was justified as a humanitarian response to the threat that Gaddafi’s tanks would slaughter dissidents in Benghazi, the international community has ignored the escalating violence. The foreign media, which once filled the hotels of Benghazi and Tripoli, have likewise paid little attention to the near collapse of the central government.

»The strikers in the eastern region Cyrenaica, which contains most of Libya’s oil, are part of a broader movement seeking more autonomy and blaming the government for spending oil revenues in the west of the country. Foreigners have mostly fled Benghazi since the American ambassador, Chris Stevens, was murdered in the US consulate by jihadi militiamen last September. Violence has worsened since then with Libya’s military prosecutor Colonel Yussef Ali al-Asseifar, in charge of investigating assassinations of politicians, soldiers and journalists, himself assassinated by a bomb in his car on 29 August.»

Il est bon que Cockburn ait commencé son texte avec la question de la production du pétrole libyen et des habituels espoirs mercantiles que les autorités du bloc BAO avaient mis dans ce cas, et également dans le domaine plus vaste cher aux “réalistes” des “bonnes affaires à faire” dans la nouvelle Libye, “démocratique”, acquise à la modernité et le reste. Ce pays produisait 1,8 million de barils/jour sous Kadhafi ; après l’interruption brutale de la “révolution” (type “chaos contrôlé”), la production était péniblement remontée jusqu’à un pic du 1,4 million il y a quelques mois, comme l’indique Cockburn (alors qu’on attendait une augmentation des capacités économiques du pays, à l’avantage du bloc certes). Comme l’indique Cockburn, elle est actuellement à 160 000 barils/jour, type “‘chaos contrôlé’-devenu-incontrôlable”. Même pour l’entreprise mercantile où il paraît que nous excellons vertueusement, nous sommes des planificateurs “réalistes” du type-surréaliste.

Le spectacle de la Syrie post-Kadhafi est affreux, et devrait être une source de honte profonde et de révisions déchirantes quant à ses conceptions pour le bloc BAO. Il s’agit d’un jugement qui va de soi, qui a également à l’esprit et sans joie particulière, simplement selon l’objectivité du “réaliste”, qu’une telle attitude servirait à terme les intérêts du bloc BAO dans le sens où sa “machine interventionniste” devrait se réformer et chercher à être plus efficace. Mais écrire cela, ce n’est évidemment pas être “réaliste”, ce serait plutôt catalogué par le commentateur-Système dans la rubrique “polémique”, et encore polémique hautement suspecte. Ainsi soit-il.

Pour la Syrie, il reste qu’il continue à y avoir une école “réaliste”, suggérant que la crise syrienne a été réalisée d’une façon intentionnelle par le bloc BAO, et que le “chaos contrôlé” ainsi mis en place devrait peut-être aboutir à des situations d’entente de type néo-colonialiste, y compris même avec les Russes selon la théories des zones d’influence. Nous dirions, nous, que cette conception qui se veut “réaliste” est en fait du domaine complet de l’utopie, qui satisfait tant la raison confrontée à la sévérité extrême de la vérité des situations qu’elle a largement contribué à créer (puisque, dans ce cas, c’est notre raison pervertie jusqu’à l’inversion). Il faut savoir qu’aujourd’hui, lorsque vous consultez pour un avis rapide des sources dans certains services européens les mieux au fait de la situation diplomatique du bloc BAO dans cette phase de “préparation” d’une nouvelle phase de contrainte de la Syrie, avec possibilité d’attaque comme l’on sait, on vous répond dans le même sens que la réponse faite pour un avis sur l’article de Cockburn : «La situation est pire encore» que tout ce qu’on peut avancer en fait de description du chaos régnant entre les différents pays du bloc BAO, les institutions, etc., avec chaque service ou chaque pays intéressé apportant ses “preuves” de l’“attaque chimique” souvent avec des données impératives et contradictoires entre elles, sans la moindre coordination, avec des analyses complètement différentes sur l’opportunité d’une attaque, et des positions à mesure, avec des communications d’organisation de positions communes chaotiques. Nous sommes à des années-lumière de la préparation “contrôlée” d’une phase offensive, au contraire, dans ce cas, du “modèle libyen” : au moins, la préparation de l’intervention en Libye fut rapide, efficace et bien coordonnée. Dans le cas de la Syrie et dans la perspective interventionniste, nous sommes dans la situation du “‘chaos contrôlé’-devenant-incontrôlable” (nous avons un peu modifié la formule puisque la chose est en pleine activité irrésistible de devenir), avant même que l’opération impliquée ait commencé et, bien entendu, sans savoir si elle commencera jamais et comment... Notre appréciation à cet égard n’est pas, en effet, du type d’une alternative entre la réalisation de l’attaque d’une part et le bloc BAO abandonnant l’idée d’une attaque d’autre part, mais plus simplement (façon d’écrire) dans la menace de plus en plus “réaliste” et jusqu’ici en cours de réalisation de la préparation d’une attaque qui ne peut être que la seule issue possible pour ces esprits infectés par l’influence de la politique-Système, et se concrétisant en fait dans le développement accéléré du “chaos” dans cette phase soi-disant préparatoire du bloc BAO. C’est alors que nous irions effectivement vers la possibilité du “‘chaos contrôlé’-devenu-incontrôlable”, non pas en Syrie mais d'abord au sein du bloc BAO. C’est la description de la situation que nous proposions dans le texte déjà cité:

«... Quoi qu’il en soit de l’hypothèse (des hypothèses) envisagées, l’idée considérée ici est qu’il existe une concurrence potentielle entre deux “chaos contrôlés”-devenant-“incontrôlés”, – entre la situation syrienne sous la menace du bloc BAO, et la situation à l’intérieur du bloc BAO menaçant la Syrie. Le plus rapide à se développer ne serait pas nécessairement celui auquel, nous Occidentaux si habitués à notre propre supériorité, nous serions en général conduits à penser. Nous sommes à un moment où l’Histoire devenant métaHistoire a son mot à dire, qui supplanterait tous les autres. Si elle consentait à le dire, les événements nous réserveraient nécessairement des surprises.»

La seule possibilité d’échapper à cette menace, pour le bloc BAO, est l’affirmation soudaine d’un leadership incontestable, lequel ne peut venir, vu l’état des lieux, que d’un Obama washingtonien et sortant de ses illusions d’hybris dévorant et paralysant pour affirmer une autorité tenant compte de la vérité de la situation. A la lumière des événements washingtoniens, où le vote complètement manipulé entre Obama et les sénateurs qui soutiennent le plus son projet d’une commission sénatoriale en faveur de l’intervention éclaire plutôt qu’elle ne la modifie la situation extraordinairement incertaine et explosive du Congrès à cet égard, et accessoirement à l’audition des déclarations extraordinairement et extrêmement grotesques, pompeuses et arrogantes du susdit Obama lors de son étape suédoise, on se permettra d’éprouver un scepticisme qui est tout simplement du “réalisme”.


Mis en ligne le 5 septembre 2013 à 06H23

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