“J’écris ton nom, trahison”...

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“J’écris ton nom, trahison”...

26 décembre 2014 – Effectivement, nous esquissions dans un texte du 23 décembre la question qui nous occupe entièrement dans l’analyse présente, écrivant ceci à propos de la soi-disant “révolte des généraux” Dempsey-Flynn révélée et fortement documentée par Seymour Hersh dans la London Review of Books : « A aucun moment dans l’article [de Seymour Hersh] n’affleure l’impression que ce qui est décrit pourrait constituer une insubordination gravissime, voire une trahison des plus hautes autorités militaire, alors que le cas pourrait être perçu de cette manière. Mais non, décidément il ne l’est pas (perçu de cette manière). On en déduit ainsi que nous nous trouvons, dans ce domaine également, dans une époque sans précédent, sans rapport avec ce qui a précédé, où le désordre immense touche tous les domaines et tous les acteurs, y compris et même d’abord les producteurs de désordre, où les principes sont victimes de la déstructuration poursuivie par le Système ; il est alors logique d’admettre que sont détruits également les grands principes de légitimité et d’autorité auxquels étaient auparavant soumis les grands fonctionnaires et les grands chefs par rapport aux hiérarchies des structures gouvernementales. »

Pour mieux approcher et détailler cette question, nous avons choisi une opportunité intéressante, qui est le précédent d’une “révolte des généraux”, aux USA, datant d’avril 2006 (voir par exemple notre texte du 14 avril 2006). Cette révolte-là, comme on le lit dans le texte référencé, n’a pas grand’chose à voir avec le cas Dempsey-Flynn : il s’agissait de prises de position de plusieurs généraux à la retraite contre le secrétaire à la défense Rumsfeld, avec demande de démission, parce que Rumsfeld ne menait pas assez vigoureusement la guerre catastrophique en  Irak. Le cas était beaucoup moins grave, beaucoup moins significatif, que Dempsey-Flynn. D’autre part, au contraire d’aujourd’hui avec Dempsey-Flynn, la réaction de l’administration avait été extrêmement vive. On verra plus loin ce qu’il faut penser de cette remarque, qui fera partie de notre commentaire...

L’intérêt de ce rappel ne se limite pas à ces quelques remarques. A l’occasion de cette “révolte” de 2006 fut abordé, — comme c’était d’ailleurs tout à fait logique, – le très-grand sujet de la question des rapports entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire, et le principe constitutionnel de l’impérative et indiscutable sujétion du second au premier. (Cela dans une démocratie, puisque nous y sommes n’est-ce pas [What else ?],  puisque les USA prétendent l’être, ou encore l’être, et même la plus grande et la plus exemplaire de toutes, — narrative bien connue.) Justement, d’ailleurs, ce qui apparut comme un débat polémique (en 2006) bien plus que politique est le second point : la sujétion du pouvoir militaire au pouvoir civil était-il toujours (en 2006) aussi “impératif et indiscutable” ? Aujourd’hui, il n’y a rien de semblable, aucun débat de cette sorte ; ce n’est pas parce qu’il n’a plus de raison d’être, ce débat, bien au contraire, mais parce que la communication-Système, la presse-Système, ne débat plus de rien qui puisse seulement écorner si allusivement soit-il le Système tel qu’il est, – le Système comme un bloc, immensément puissant et fragile, assuré de lui-même jusqu’à la folie et vulnérable jusqu’à en être aux abois, auquel il ne peut être question de toucher . La presse-Système avec les experts-Système autour d’elle, est en mode d’autocensure-turbo, caractérisé par sa méthode favorite, le silence le plus complet, y compris sur le fait même de la chose. (Voir ce que la presse-Système fait des interventions de Flynn ou de l’article de Hersh, lequel faisait l’événement il y a dix ans chaque fois qu’il publiait : le désert du silence les accueille aujourd’hui, car « Je te censure, désert, d’être désert ».)

Le 25 avril 2006 parut dans le Los Angeles Times et dans le Statesman Journal de Salem, Oregon (le lien n’est plus accessible) un article de la professeur(e) Rosa Brooks, Associate Professor à la School of Law de l’Université de Virginie, examinant le cas des “révoltés“ d’un point de vue constitutionnel, en l’élargissait à la question des rapports constitutionnels entre les deux pouvoirs (civil-militaire) par rapport aux conditions existantes. Nous avions consacré un article à cette intervention le 25 avril 2006, toujours accessible bien sûr à cette date, sur ce site, sous le titre déjà révélateur de « Un cas légal pour l’insubordination ». Nous allons reprendre une partie de ce texte, éventuellement avec certaines modifications que nous jugeons nécessaires, tant du point de vue des évènements que du point de vue du jugement que nous portions alors par rapport à ce que nous en jugeons aujourd'hui, tant du point de vue de l’actualisation à notre époque pour montrer combien son raisonnement de 2006 pour une “révolte” en comparaison bénigne est toujours très actuelle. Nous dirons même que pour l’essentiel, il est en fait beaucoup plus actuel tant il s’applique à merveille à notre affaire (Dempsey-Flynn), et même plus encore que pour celle des “généraux rebelles” de 2006. Le voici, avec les modifications [entre braquets].

 « Un cas légal pour l’insubordination »

« ...Brooks expose le problème des prises de position des généraux (à la retraite) et considère la riposte de l’administration. La riposte fut très vive et les généraux ont paru en être surpris. Le commentaire de Brooks est déjà intéressant à ce point dans la mesure où il implique une certaine naïveté, et par conséquent l’absence d’arrière-pensées “putschistes” (le bien grand mot !) des généraux, et d’autre part une sous-estimation certaine de la férocité de leurs adversaires : “The dissenting generals seemed almost surprised by the speed and savagery of the administration’s counteroffensive. Maybe they had assumed that their combat records and decades of service would protect them. Or maybe they had been lulled into a false sense of security by the administration’s floundering Iraq policies and assumed that Rumsfeld and his White House backers were just too distracted and incompetent to go after a few courteous, highly decorated critics. But the generals should have known that this administration can be ferociously competent when there’s something really important — like President Bush’s poll numbers — at stake.

» Brooks note aussitôt que le pouvoir civil et tous ses affidés sollicitèrent aussitôt le fameux principe de la prééminence du pouvoir civil. C’était cousu de fil blanc, c’était évident, et, en plus, cela paraît complètement fondé, — au point où, détail révélateur, la professeur Brooks elle-même [semble y succomber temporairement, sans aucun doute par procédé dialectique bien qu’elle semvle affirmer que ce fut le cas “pour quelques minutes”, – l’ironie est significative] : “On the right, the key talking point in the War Against the Generals quickly emerged: ‘Civilian control of the military.’ It was an effective line of attack, and so clever that even many people who ought to have known better were suckered. The Washington Post editorial board on Tuesday, for instance, fell for it hook, line and sinker, worrying that the retired generals were threatening ‘the essential democratic principle of military subordination to civilian control. ... If (the generals) are successful in forcing Mr. Rumsfeld’s resignation, they will set an ugly precedent.’

» “They even had me nodding along there for a few minutes... ”

» Là-dessus, Brooks enchaîne sur l’explication fondamentale du principe du contrôle du pouvoir civil sur le pouvoir militaire. Cette loi fondamentale n’est pas un simple principe abstrait. Elle a une forte substance politique. Elle correspond à une situation de menace effective contre la République. Il est temps de détailler cette menace, d'analyser ses caractéristiques. “After all, every student of recent history knows that if you dilute civilian control of the military, you end up with fascism or a Latin American-style military junta. Because constant security threats are necessary to maintain the power and credibility of a military regime, a nation that lacks civilian control of the military gets ensnared in unending, pointless wars, often against an increasingly vaguely defined threat. Gradually, the broader society becomes militarized. Dissenters are denounced as cowards or traitors, and domestic surveillance becomes common. Secret military courts and detention systems begin to supplant the civilian judicial system. Detainees get tortured, and some end up mysteriously dead after interrogation.

» “We definitely wouldn’t want that kind of regime to control the United States, would we?... ”

» Nous voyons venir la subtile et ironique professeur Brooks. La description qu’elle nous fait du régime que personne ne veut voir aux Etats-Unis, et qui justifie la loi fondamentale de la prééminence du pouvoir civil sur les militaires — mais ce régime-là, nous l’avons, [pourtant] avec la prééminence du pouvoir civil ! Reprenons le raisonnement à la dernière phrase citée : “We definitely wouldn’t want that kind of regime to control the United States, would we?

» “It was at this point that I got the joke — because, dear reader, we’re well on the way to having that kind of regime. If Rumsfeld thought he could get away with calling himself Il Generalissimo, don’t you think he’d do so in a heartbeat? In the looking-glass world the Bush administration has brought us, it’s the civilians in the White House and the Pentagon who have been eager to embrace the values normally exemplified by military juntas, while many uniformed military personnel have struggled to insist on values that are supposed to characterize democratic civil society.

» [Une fois dit, l’argument s’impose comme irrésistible et dévastateur]... Le climat de peur entretenue, la guerre sans fin et complètement indéfinie, les fausses menaces qu’on peint en menaces apocalyptiques, la dénonciation des opposants comme “traîtres” et “couards”, la liberté de la presse restreinte sous l’argument du secret militaire, l’information biaisée au nom du patriotisme, le système de détention arbitraire, la torture, la disparition de détenus illégaux, les liquidations sommaires en territoires étrangers… La menace d’une “société de plus en plus militarisée” si des militaires prenaient la prééminence dans le pouvoir est d’ores et déjà accomplie, par des voies quasiment légales, sans jamais violer la loi, en restant dans un cadre à peu près constitutionnel, à cause de la couardise des élus et de la plupart des instances juridiques [; et paradoxalement, une “société de plus en plus militarisée”, mais nullement à cause de la prééminence des militaires, puisque ce sont eux qui se “révoltent” contre elle.] (Mais aussi, — et c’est là un point essentiel mettant en cause la viabilité et à la vertu fondamentale du [S]ystème, — à cause d’une préparation dans ce sens d’un demi-siècle, d’une complicité et d’une corruption psychologique générales, dénoncées d’une façon solennelle par nul autre qu'un président des Etats-Unis, — Dwight D. Eisenhower, dans son fameux discours sur les dangers du complexe militaro-industriel du 17 janvier 1961.)

» D’où l’appel de Brooks aux militaires. Il constitue non seulement une approbation de la “révolte des généraux” mais laisse entendre que celle-ci devrait toucher les officiers en service actif. C’est un appel de facto à l’insubordination, et qui plus est une insubordination en temps de guerre puisque le pouvoir légal nous dit que c’est le cas. “The claim that the six dissenting generals are betraying the principle of civilian control over the military is both silly and sinister. It’s silly because polite, reasoned criticism from retired generals is just free speech, a very far cry from ‘forcing’ the Defense secretary out. And it’s sinister because civilian control is a means of safeguarding democracy, not an end in itself. When that gets forgotten, the phrase becomes just another way to stifle dissent.

» “Military officers must obey all lawful commands and refrain from using so-called ‘contemptuous words’ about their civilian leaders. But when officers take the military oath, they also pledge to ‘support and defend the Constitution of the United States against all enemies, foreign and domestic, (and) bear true faith and allegiance to the same.’  That’s a hard oath, because bearing ‘true faith’ to the Constitution requires military personnel to speak out, regardless of the cost, when they think our civilian leaders have gone beyond the pale. Both our democracy and the lives of the soldiers who fight in our name depend on it. If officers remain silent when our military policies go terribly wrong, there’s little the rest of us can do to set things right again.

» Ce que recommande Brooks in fine, c’est bien de se tourner d’une façon radicale (vu l’enjeu) vers le principe (fort peu américaniste) de l’interprétation extensive de l’esprit de la loi contre la lettre de la loi. L’évaluation de ce qui est une menace du pouvoir légal contre la Constitution, dans la situation incertaine où nous nous trouvons et lorsque l’entité [mise en cause] est elle-même issue d’un processus constitutionnel puisqu’elle détient formellement l’autorité exécutive suprême déléguée par la Constitution selon un processus qui implique le soutien populaire formel, requiert effectivement cet exercice de définition de l’esprit de la loi qui se rapproche plus de certaines conceptions européennes (françaises) que des conceptions américanistes au point où elles en sont aujourd’hui où [la “légalité” du pouvoir constitutionnel] est [non seulement] réduit à sa plus simple expression [mais amené à l’inversion de lui-même jusqu’à être pure “illégalité”]. Au point où en est la Grande République, seule pourrait la sauver une référence aux systèmes juridiques européens, fondés sur la coutume, sur la pratique historique et sur l’appréciation du respect de l’esprit de la loi dans des cadres qui ne sont pas juridiques (pas de jurisprudence sur laquelle s’appuyer). C’est dans tous les cas ce que nous dit le professeur Brooks, à peine entre les lignes.

» … Et, dans tous les cas, c’est une démarche bien difficile pour un officier assermenté de la République. Elle demande un jugement personnel audacieux et une prise de position civique qui écarte le conformisme traditionnel de la société américaniste ; ce même officier assermenté n’y a certainement pas été habitué par une carrière toute entière marquée par ce même conformisme traditionnel. (En passant, notons que nous avons une mesure de la tension de la situation politico-militaire aux USA, [parce qu’une telle tension est nécessaire] pour qu’une telle “révolte des généraux”, [et même une insubordination approchant le concept de trhison aient] lieu malgré le lourd passé de conformisme de ces officiers.)

» Il s'agit d'une situation qui éclaire les limites peut-être décisives de l’État de Droit pur que sont les Etats-Unis. En un sens, comme le montre d’ailleurs l’Histoire et bien sûr en citant le cas d’un État de l’Union, il serait plus facile et plus “légal” de faire sécession que de contester le pouvoir civil constitutionnel comme le professeur Brooks recommande de le faire. Brooks a pourtant raison du point de vue de l’esprit de la loi, — comme, a contrario, Lincoln avait gravement tort en entreprenant une guerre pour faire rentrer les “rebelles”, qui n’en étaient pas de ce point de vue de l’esprit de la loi [sinon même du point de ve dela lettre de la Constitution], dans les rangs conformistes de l’Union. (C’était, dans le cas de Lincoln, l’habituel conflit entre le Droit et la Force, avec le vainqueur qu’on connaît.) Voilà la tragique limite de l’État de Droit au regard des vicissitudes de l’Histoire : même les plus indignes (GW, Rumsfeld & Cie dans l’esprit de Brooks) doivent en accepter les règles pour que le jeu constitutionnel puisse perdurer. Sinon, c’est l’impasse.

» (N.B. L’argumentation de Brooks n’est certainement pas sans rappeler l’argumentation de droit que certains exposèrent lors de la révolte des généraux français en 1961 contre la politique algérienne du général de Gaulle. Le président français, disaient les généraux, amputait le territoire national d’une de ses portions et, en violant la Constitution, justifiait la révolte. Mais l’analogie n’est qu’apparente. Le flou constitutionnel français fait la part belle à l’esprit de la loi, à la coutume, à l’expérience de l’Histoire. La blague anglaise sur la Constitution française fait bondir d’horreur les constitutionnalistes américanistes : “Une personne se présente dans une librairie spécialisée dans le droit et demande un exemplaire de la Constitution française. On lui répond que la librairie ne vend pas de publications périodiques.”) »

La trahison comme “contribution au bien commun”

Débarrassons-nous des détails... On pourrait argumenter que cette “révolte” de 2006 était plus significative puisqu’il y avait eu des prises de position publique des généraux en question (à la retraite), alors que l’affaire Dempsey-Flynn n’est qu’évoquée dans un article, et n’a nullement été appuyée par des déclarations des intéressés. Mais on pourrait contre-argumenter que Flynn, lui, s’est signalé à plusieurs reprises, en tant que général fraîchement à la retraite et parlant publiquement es qualité très précisément de son action dans un domaine ultra-classified, avec de très-graves mises en cause de la Maison-Blanche, particulièrement circonstanciées, datées, détaillées, répétées jusqu’à plus soif ; et, là-dessus, aucune réaction officielle au contraire de ce qu’il y avait eu de la part de l’administration GW Bush en 2006. (Flynn a tout de même eu la parole dans l’un ou l’autre organe de la presse-Système, – par exemple sur FoxNews, ou hors des frontières US, par le Spiegel et jusqu’à RT, – mais ces intervention à l’intérieur de la presse-Système essentiellement républicaine ou hors US, par tentation d’alimenter la haine-anti-BHO ou par goût commercial du sensationnel-sérieux sinon par activisme politique pour RT, n’ont provoqué aucun écho dans le reste de la presse-Système ; silence de la presse-Système par rapport à l’événement, mais aussi par rapport à elle-même lorsqu’un ou plusieurs de ses membres dérogent à la règle.)

Par conséquent, Dempsey-Flynn présente un cas qu’on peut évaluer comme similaire grosso-modo à celui de 2006 au niveau de la forme, mais infiniment plus grave sur le fond. Il y a bien une différence complète d’attitude de l’autorité suprême du pouvoir militaire (Dempsey), mesurant cette gravité infiniment plus grave. Il y a aussi une différence complète d’attitude du dérisoire ex-“Quatrième Pouvoir”, la presse devenue presse-Système qui a employé dans ce cas de 2015 son arme préféré mesurant son héroïsme courant, qui est le silence par autocensure systématique : en général et pour la plupart des membres de cette éminente corporation (la presse-Système), pas un mot de commentaire et d’explication des déclarations de Flynn, de ses activités, et l’équivalent de rien du tout comme réaction à l’article de Hersh, – alors que ses articles provoquaient en d’autres temps de véritables tsunami de communication, et d’abord dans la presse-Système.

On expliquera aussitôt cette différence du fait qu’en 2006-2007, les démocrates étaient dans l’opposition et l’administration GW Bush chargée de tous les péchés et dénoncée comme seule cause de la situation inique que décrivent tous ces évènements que nous rapportons. C’est vrai en [très-petite] partie, de notre point de vue, et faux pour l’essentiel. Il se trouve que l’administration Obama n’a rien changé de la politique Bush, si bien qu’on peut parler de politique-Système transcendant évidemment des pouvoirs civils qui se suivent avec des étiquettes différentes et se ressemblent comme des clones par leur soumission totale au Système. Il y a bien sûr une opposition féroce à Obama, de la part des républicains, mais c’est celle de la haine courante d’une part pour la lutte pour le pouvoir et ses privilèges, et surtout pour la surenchère haineuse selon laquelle l’administration Obama, malgré son zèle fantastique, ne fait pas encore assez dans le sens du Système en matière de surpuissance-autodestruction. Par contre il n’y a plus rien sinon un accident ou l’autre, – le silence du désert de la solidarité des esclaves-Système, – lorsqu’un événement apparaît qui met en cause quoi que ce soit qui concerne le Système. Ainsi s’explique le silence de la communication/presse-Système qui accueille l’actuelle “révolte des généraux” et les révélations de Hersh par rapport au tintamarre que provoquèrent les évènements de 2006 ou les articles d Hersh, que nous avons rappelés.

Cela nous ramène donc à notre cas actuel, l’affaire surnommé Dempsey-Flynn, que l’on peut étendre, ce que nous faisons, à Dempsey-Flynn-Hagel. Nous reprenons ce que nous observions plus haut en citant un texte précédent, — « l’impression que ce qui est décrit pourrait constituer une insubordination gravissime, voire une trahison des plus hautes autorités militaire...», – en nous débarrassant cette fois du conditionnel et de la prudence de la formulation : “ce qui est décrit” constitue sans aucun doute “une insubordination gravissime, voire une trahison des plus hautes autorités militaire”. Mais faut-il employer des qualificatifs tels que “gravissime” ? Plus encore, faut-il affirmer que des notions telles que “insubordination” et “trahison” ont la même valeur étique, morale aujourd’hui qu’elles avaient hier ? Pour l’aspect juridique du point de vue de la lettre de la loi, on restera beaucoup plus prudent, car ce domaine est nécessairement en retard sinon obsolète, puisque placé dans une situation absolument nouvelle, mais dont les autorités [autorités-Système] refusent de reconnaître la nouveauté en aucune façon. De même, la notion de Droit est totalement bouleversé par les évènements dont nous sommes nous-mêmes sans aucun doute les outils, – les causes c’est moins sûr. Par conséquent l’aspect juridique et du Droit du point de vue de la lettre est aujourd’hui caricature de ce qu’il prétend être. Au contraire, si l’on se place du point de vue de l’esprit de la chose qui est ce qui importe, on peut alors en revenir à la démonstration de la professeur(e) Brooks (« Ce que recommande Brooks in fine, c’est bien de se tourner d’une façon radicale [vu l’enjeu] vers le principe [fort peu américaniste] de l’interprétation extensive de l’esprit de la loi contre la lettre de la loi. »)

Dans le texte du 23 décembre déjà cité au début de cette analyse, nous poursuivions la citation présentée de cette façon : « Dans cet environnement complètement nouveau, inédit, sans précédent, etc., des notions comme “insubordination” et “trahison” deviennent insaisissables et soumises à des interprétations extrêmement changeantes. Puisque les principes ont été pulvérisées par le Système, les principes de subordination et d’obéissance par rapport au pouvoir le sont aussi... » C’est bien entendu dans ce sens que nous devons pousser notre démonstration et reprendre pour le cas présent à notre compte la démonstration de Brooks. Si l’attitude de Dempsey-Flynn-Hagel doit être qualifiée d’“insubordination” voire de “trahison”, il faut alors montrer en pleine lumière à quoi, à quelle “politique”, à quels “intérêts nationaux” ils ont refusé de se subordonner ; il faut montrer en pleine lumière exactement ce qu’ils ont trahi, quelle politique et quels intérêts nationaux ils ont “trahi”. C’est-à-dire que, pour faire la preuve de la faute si faute il y a, il faudrait juger précisément quelle politique est suivie par la direction politique et quels intérêts nationaux sont défendus par la direction politique. Il est inutile de dire que notre point de vue serait qu’il est extrêmement aisé, sinon évident, de montrer que cette “politique” et ces “intérêts nationaux” relèvent en réalité d’une appréciation tout aussi évidente qui en fait des actes inconstitutionnels. Par conséquent le comportement des officiers généraux, dont leur serment d’officier leur fait un devoir de “protéger la Constitution des États-Unis”, est non seulement complètement innocenté, mais invite même à considérer qu’il serait du devoir constitutionnel de ces officiers généraux de devenir des accusateurs des autorités civiles. (C'est ce que Brooks recommande finalement dans son article de 2006.)

C’est pour cette raison que nous croyons sans le moindre doute que les personnalités citées ne seront pas inquiétés par rapport aux allégations de Hersh, et même certainement pas entendus par des commissions du Congrès pour s’en expliquer, parce que le Congrès lui-même est fortement engagés, par sa situation de corruption permanente et de toutes les sortes, dans le soutien de politiques inconstitutionnelles et d’intérêts nationaux qui sont pures construction de l’esprit, ou bien de conceptions virtualistes et déterministes-narrativistes (corruption psychologique) également inconstitutionnelles. En réalité, l’“insubordination” et la “trahison” sont le contraire de ce que ces mots disent en général ; ils constituent des actes qu’on devrait qualifier de “patriotiques”, qui tentent de rattraper les grossières violations de la Constitution dans l’esprit de la loi que constituent les comportements des différentes branches de la direction civile.

De façon assez significative, et compte tenu des conditions radicalement nouvelles des évènements et des comportements de sécurité nationale, la notion de “trahison” qu’on peut et doit employer pour caractériser l’acte examiné ici correspond à ce que des théoriciens postmodernistes de la “transgression” estiment à l’inverse des conceptions classiques. L’ironie particulièrement significative est que ces conceptions postmodernistes qui sont totalement favorisées par le Système parce que la transgression est primitivement un outil de déstructuration et de dissolution, notamment dans le cas de la “trahison” dont il est fait l’éloge comme d’un acte qui s’attaque à des vertus structurantes classiques comme celle de l’honneur (éventuellement militaire), acquièrent ici un sens antiSystème extrêmement affirmé ; l’“honneur du soldat” devient dans ce cas la “trahison”, – attitude recommandée par la “transgression”, – par rapport à une directions-civile/Système devenue faussaire et invertie jusqu’à la folie. (C’est ce que Brooks recommande sans l’ombre d’une hésitation ; on peut faire l’hypothèse qu’elle le fait, quand elle le fait, d’autant plus, sinon exclusivement parce que la direction civile est celle de GW Bush qu’elle ne devait guère aimer en tant que théoricienne de tendance libérale-progressiste. Mais peu importe ou tant pis c’est selon, cela vaut aussi bien sinon plus encore pour la direction civile d’Obama soi-disant libérale-progressiste, selon le cas exposé puisqu’il s’agit d’une activité politico-militaire extérieure engagée et effective au nom des USA [en Syrie] alors qu’en 2006 il n’était question que des capacités d’un secrétaire à la défense.)

Dans sa contribution « La trahison comme transgression », Sébastien Schehr (*) expose cette sorte de thèse sur la “trahison”, s’inscrivant dans le courant de la transgression, lequel fait partie de l’arsenal de déstructuration sociétale du Système, essentiellement dans le domaine libertarien qui est une des branches dans l’association libérale-libertaire qui forme l’assise idéologique du Système. Il fait une sorte d’apologie de la trahison en lui trouvant une vertu quasi-structurante, en citant le cas des “lanceurs d’alerte” dont on connaît la popularité dans les milieux progressistes du Système, malgré ses aspects antiSystème évidents (pour nous), en référence implicite au cas Snowden : «[A] l’instar d’autres transgressions, la trahison comporte bien une dimension instituante : elle peut être fondatrice, même si cet aspect des choses n’est que rarement reconnu comme tel dans l’expérience ordinaire... [...] Au regard de la fonctionnalité de certaines formes de trahison, – pensons au cas des lanceurs d’alerte, – celle-ci peut même passer pour une déviance “positive” pour le bien commun ».

On douterait grandement que Schehr ait pensé que cet éloge vibrant puisse s’étendre un jour, assez proche par rapport à sa contributiuon, jusqu’à la plus haute direction de la puissance militaire des USA, donc que ce qu’il juge comme un “aspect structurant” de la trahison devienne par sa justification déstructurant d’une des plus puissantes structures du Système. (Si ce n’est “faire aïkido...) C’est pourtant le cas puisque l’évidence montre qu’on peut effectivement appliquer cet référence du “lanceur d’alerte” au cas Dempsey-Flynn-Hagel, mais d’une manière bien plus tranchée dans le sens antiSystème que dans le cas Snowden puisqu’il s’agit d’une attaque à finalité antiSystème (comme toujours, quoi qu’en veuillent ses acteurs, bien loin d’être antiSystème eux-mêmes) dans l’une des institutions fondamentales du système de l’américanisme, et donc sans aucun doute au cœur même du Système. L’effet opérationnel le plus net et le plus spectaculaire dans l’enchaînement des logiques contradictoire est un déni complet de facto de l’hystérique “fatwa” lancée par le Système contre les deux acteurs les plus démonisés de ces dernières années : Assad et Poutine. L’action du groupe Dempsey-Flynn-Hagel a aboutit, conformément à la logique-Système de la thèse de la transgression, à une utilisation complètement invertie, et vertueusement de notre point de vue bien entendu, de l’action déstructuration-dissolution propre au Système : les mots d’ordre anti-Assad et anti-Poutine se trouvent pris dans une position de contradiction interne totale qui contribue à leur complet affaiblissement.

Malgré la très faible publicité faite autour de cette affaire et l’absence complète de l’utilisation de ces mots terribles pour la branche militaire que sont “insubordination” et “trahison”, il est certain que le cas Dempsey-Flynn-Hagel ouvre le champ à une désacralisation des structures d’obéissance aveugle au Système à l’intérieur de l’institution militaire. Le fait du serment de “défense de la Constitution” apaise toutes les consciences lorsqu'il devent de plus en plus éident, sionon quasi-officiel, que la direction civile fonctionne presque en pilotage automatique en état constant de violation de la Constitution. Il s’agit bien entendu de la conséquence de l’affaiblissement dramatique, jusqu’à la délégitimation complète par ce comportement, du pouvoir washingtonien caractérisée par l’impuissance et la paralysie, et par conséquent de l’autorisation tacite donnée à soi-même d’apprécier l’antipolitique dévastatrice de ce pouvoir d’une manière critique jusqu’à s’autoriser à “trahir”. C’est dire notre conviction qu’il y aura d’autres Dempsey, d’autres Flynn, d’autres Hagel, pas nécessairement dans leurs mêmes fonctions mais sans aucun doute dans cette même chaîne hiérarchique à ce niveau suprême. Peut-être même sont-ils d’ores et déjà au travail, dans ce mode de la dissolution souterraine qui constitue le caractère même de la Grande Crise d’Effondrement du Système, – selon la description presque poétique de notre commentateur dde.crisis : « [C]ette crise qui pulvérise notre civilisation, souterrainement, à la fois sans bruit et avec plein de craquements incertains, comme une plaque tectonique fait vibrer un continent entier, dans une atmosphère de folie rampante et d’aveuglement lumineux... »

 

Note

(*) Dans Paradoxes de la transgression, avec diverses contributions dont celle de Schehr, sous la direction de Michel Hastings, Loïc Nicolas, Cédric Passard, CNRS éditions, Paris 2012.

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