Je suis blanc mais je me bronze

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Je suis blanc mais je me bronze

23 mai 2021 – La maire, – ou dit-on le.a maire.e.esse, quelque chose de la sorte ? – bref, la maire de Chicago, « Mayor Lori Lightfoot », – c’est-à-dire, si je traduis bien “Lori Pied-léger”, un vrai nom de NativeAmerican, elle qui est Africaine-Américaine, – eh bien, Lightfoot est une bien étrange personne, complètement, absolument de son temps qui est malheureusement le nôtre. Elle a déchaîné une tempête de commentaires chuchotés ; Jonathan Turley a observé qu’il était moins question de savoir si la décision de Lightfoot était illégale au regard des lois concernant des dirigeants élus, ce qui est évident, mais de savoir « si les médias sont prêts à poursuivre Lightfoot pour sa politique discriminatoire ». Bien sûr, ils ne feront rien parce qu’ils se tiennent magnifiquement, le petit doigt sur la couture d’un pantalon qui en est dépourvu.

Robert Bridge donne ce titre à son commentaire sur cette décision de refuser de parler à un journaliste blanc parce qu’il est blanc :

« La guerre est la paix, la ségrégation est la “diversité” ? Un maire de Chicago qui [refuse de donner des interviews aux]  journalistes blancs montre que les États-Unis sont entrés en des territoires périlleux »

Ancienne athlète, juriste, scénariste, actrice et écrivain.e, mais aussi métisse, juive par sa mère polonaise, d’origine gambienne par son père, de religion musulmane, – et interrogée par “Figaro-Vox”,  – Rachel Khan observe à propos de la décision de Lightfoot :

« Cette déclaration de la maire de Chicago n’advient pas comme ça d'un coup comme un cheveu sur la soupe. C'est la logique du dogme racialiste poussé à l’extrême, par certaines associations comme celle de Fara Khan. Depuis plus d’une trentaine d'années et c’est ce que j'évoque dans mon livre “Racée”, certaines personnalités afro-américaines ont pris ce genre de positions radicales.

» Le caractère inédit cette fois c'est que cette déclaration vient d'une élue, d'une ville très symbolique qu'est Chicago. Cela signifie aussi que les États-Unis, sont tellement imbibés par les “wokes” et le communautarisme qu'ils sont désormais prêts à recevoir ce genre de propos qui divisent encore un peu plus leur société. À partir du moment où la «race» est un critère de sélection quel que soit le sujet, il n'y a pas d'autre mot que de qualifier de raciste cette parole. Cette dernière rejoue clairement une névrose ségrégationniste. »

J’aurais pu choisir comme titre de cette chronique effarée et pleine d’ivresse stupéfaite, – plutôt celui-ci : “Je suis blanc mais je me soigne”, ou bien encore : “Je suis blanc et j’entre en transes” ; peut-être même que le titre finalement retenu et qu’on voit en tête de ce texte signifierait-il, dans sa deuxième partie, plutôt que “me bronzer” dans un stupide état de fara-niente (farniente), – que j’entends plutôt “me bronzer l’âme” comme l’on fait son âme forte par le bronze, lorsque l’on doit préparer son âme à de terribles batailles. Mais pourtant ! Est-il bien sûr qu’il s’agisse d’âmes dans leur chef et de “terribles batailles” dans nos champs de démence et d’hystérie comme jeunes pousses au printemps, – le printemps de notre hystérique démence ?

Il est bien assuré pour mon compte que cette Fin des Temps doit se rythmer comme une tragédie, mais avec cette présence constante et augmentant à mesure du bouffe de la folie absurde et maniaco-oppressive des races. Cette dynamique sévèrement hallucinée de carnaval des fous qui va jusqu’à ridiculiser la tragédie énorme que nous mettons en pièces en la mettant en scène ne cesse de me surprendre. Décidément, le “concept” (!) de tragédie-bouffe est complètement à sa place, jusqu’à être notre vérité-de-situation prépondérante.

Jamais je n’ai prévu le Covid, bien entendu ; mais plus encore, cette importance cosmique accordée à la race, jusque dans ses plus petits détails, jusque dans sa plus petite police d’investigation, jusque dans les derniers recoins de la bêtise prétendant à la métahistoire, cela aussi est venu sans que je ne vois rien venir. Je veux bien que le racisme soit dit comme une tragédie, – quoique ce soit le suprémacisme, et de toutes les couleurs s’il vous plaît, et de toutes les vertus bien plus encore, qui m’inquiète bien autrement ; mais qu’on la fasse bouffe à ce point, cette tragédie ! Qu’on en arrive à des agenouillements, à des portes fermées aux couleurs du jour et à des statues descellées, à des textes de l’antique sagesse revus et corrigés, à des révisions historiques vertigineuses et à des accusations terrifiantes de ces révisionnismes, – mais pourtant, soyons justes et apprécions la tactique, accusations fort bien sélectionnées pour l’apparat médiatique et le soutien superbement friqué du Woke-Capitalisme.

Voyez-vous, je suis d’une époque où Nino Ferrer pouvait chanter « Je voudrais être un Noir » et Nougaro « Armstrong », tandis que Pierre Barouh balançait sa Samba Saravah sans souci des mots interdits : « Elle est blanche de formes et de rimes / Blanche de formes et de rimes / Elle est nègre, bien nègre dans son cœur ». On pouvait avoir un président du Sénat d’une famille métisse mélangée d’esclaves venue de la Martinique, qui serait devenu président de la République par intérim si de Gaulle avait perdu son référendum d’octobre 1962.

Tout cela se faisait sans que n’éclatassent à chaque occasion les fureurs guerrières, les folies médiatiques et maniaco-dépressives, les bouleversements grotesques et les simulacres clownesques que nous traversons, en maudissant notre nous-mêmes et notre passé qu’on ne cesse de toutes parts de recomposer pour qu’il soit à la mesure de notre souveraine bêtise. Nous parvenions encore à nous supporter, et ceux qui se disaient nos adversaires de leurs adversaires ne versaient pas dans le ridicule hypertrophié et paroxystique de l’intelligence produisant en mode-turbo la susdite souveraine bêtise.

La période fut achevée à la fin de la décennie qui sonne aujourd’hui dans nos mémoires comme un glas terrible, d’où nous ne nous sommes jamais relevés, le laissant bientôt se transformer en un tocsin sans fin. Déjà pointait la finitude ineffable d’un monde, et nous ignorions grandement que les dieux, – qui persistent à exister bien au-delà de nos excommunications, – auraient l’ironie méprisante de faire en même temps de notre civilisation le bouffon de son destin tragique.

Dans ses “Entretiens avec le général de Gaulle” (Albin Michel, 1994), Michel Debré rapporta ainsi ce que de Gaulle lui avait confié le 26 mai 1968, sur la fin “des événements du Mai-devenu-Saint”, alors qu’il était question d’un référendum, trois jours avant l’épisode de Baden-Baden qui le rétablirait temporairement ; et finalement, ces confidences, comme prémonitoires, valant bien pour son référendum final d’avril 1969 sur la “participation” :

« “Je ne souhaite pas que ce référendum réussisse. La France et le monde sont dans une situation où il n’y a plus rien à faire et, en face des appétits, des aspirations, en face du fait que toutes ces sociétés se contestent elles-mêmes, rien ne peut être fait... Je n’ai plus rien à faire là-dedans, donc il faut que je m’en aille. Et, pour m’en aller, je n’ai pas d’autre formule que de faire le peuple français juge de son destin”. [Et Debré d’ajouter] : Ce qui paraît le plus frapper [de Gaulle], c’est le fait que les sociétés se contestent elles-mêmes et n’acceptent plus les règles, qu’il s’agisse de l’Église ou de l’université, et qu’il subsiste uniquement le monde des affaires, dans la mesure où [il]  permet de gagner de l’argent. Mais sinon, il n’y a plus rien. »

Ainsi devrait-on en venir, pour suivre la séquence ultime de notre Fin des Temps, dans ce tourbillon du trou noir de la bêtise faite-reine, à nous inspirer de l’attitude de Saint-Augustin. Il est dit alors Augustin d’Hippone (Annaba, en Algérie) dont il était l’évêque ; et il est un “pays” à moi (je peux le dire comme n’importe qui de cette terre) puisque né en 354 à Thagaste bien avant l’invasion arabe de ceux qui nous font aujourd’hui la leçon comme s’ils étaient créateurs et propriétaires de cette terre ; Thagaste, l’actuelle Souk-Ahras (“protégée des lions”), dans la partie constantinoise de l’actuelle Algérie.

Pour ce faire, pour réaliser l’exemple d’Augustin devant la chute du monde des mortels, j’emprunte quelques phrases de la préface à “La Cité de Dieu”, dans l’édition de La Pléiade, préface de notre maître admirable Lucien Jerphagnon... En effet, Augustin d’Hippone composa cet ouvrage dans l’instant métahistorique presque-vide qui suivit la chute de Rome en août 410, la fin de ce « phantasme séculaire de Rome capitale éternelle du monde, “Roma aeterna” »

Jerphagnon, donc : « Quand la nouvelle [de la chute de Rome d’août 410] arriva à Hippone [en 411], Augustin avait déjà la plus grande partie de sa vie derrière lui... »  Certes, il restait actif car bien des événements locaux le maintenaient en alerte au milieu de cet immense bouleversement, mais il avait déjà la plus grande partie de lui tournée vers des horizons d’éternité qui concerne les âmes poétiques.

« Mais il appréhendait le monde et ce qui s’y passait selon une double dimension : matérielle et spirituelle, temporelle et éternelle, terrestre et céleste, pécheresse et sainte. En ce qu’il avait de délibéré et en même temps de réflexe, ce dualisme était sans doute une séquelle de sa longue saison dans le manichéisme. Dans une telle perspective, c’était bien évidemment le pôle divin qui devait orienter la pensée des hommes et déterminer leur appréciation des événements, et non les vicissitudes d’un monde qui par nature est éphémère. »

Jerphagnon rapporte qu’Augustin expédia l’affaire quand nous fûmes mis, en 411, au courant de l’affreuse nouvelle. L’évêque n’y va pas de mainmorte dans le genre qu’il faut accepter la destinée que les dieux (pardon, Dieu) nous réserve(nt). Il y a son sermon “Sur le saccage de la Ville”, et d’autres du même temps de 411 :

« “C’est exact, nous avons gémi, pleuré sans pouvoir nous consoler, je ne le nie pas, j’en tombe d’accord : cette histoire est triste, et la Ville a cruellement souffert...” [...] “Vous vous étonnez que le monde périsse ; mais c’est comme si vous vous scandalisiez que le monde vieillisse. Il est comme l’homme : il naît, il grandit, il meurt... »

Effectivement, Jerphagnon nous peint un Augustin préoccupé “du pôle divin” et bien peu préoccupé du sort de Rome. Il nous en informe par la description d’une oraison funèbre expédiée par un homme qui sait que le destin passe sans se soucier des catastrophes terrestres. 

« Si le travail de deuil n’a point trainé, sans doute est-ce, comme dit François Pashoud, “que Rome a toujours laissé Augustin parfaitement froid”. Sauf, dirais-je, comme instrument providentiel du Christ, encore qu’il se garde bien des imprudences d’un Orose. Si l’expansion romaine avait réalisé les conditions d’une meilleure diffusion du christianisme, l’essentiel était que cette chance-là fût offerte aux élus, le cours des événements n’ayant qu’une importance relative à cette fin ultime. Or, impliquait-elle que Rome demeurât éternellement en l’état , alors que, selon l’Apôtre, “la figure de ce monde passe” ? Et Augustin de noter tout uniment dans le même sermon “De Urbis excidio” : “Tout cela n’a été construit que pour s’écrouler un jour”. »

Jerphagnon remarque alors qu’Augustin « ne croyait pas si bien dire ». Un peu plus d’une décennie plus tard, il s’éteignit dans Hippone alors que les Vandales assiégeaient la ville. Ainsi fut accomplie, pour cette partie du monde, la Grande Crise de l’Effondrement de la Rome Éternelle.

Tout cela, ma foi (c’est une image), est plein d’enseignement ; et j’ignore encore de quelle couleur exactement était la peau de l’évêque d’Hippone. Nous demanderons donc à madame la maire, “Lori au Pied-léger”.