Histoire d’une passion

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Histoire d’une passion

25 novembre 2025 – On a dit et redit, – on le découvre à intervalles réguliers comme un secret enfin exposé d’une terrible conspiration, d’un affreux complot, – que l’Europe actuelle est un enfant secrètement reconnu et adoubé de l’américaniste CIA et du globaliste français, né négociant en négoce, Jean Monnet. On le savait déjà, ferais-je remarquer, depuis que les gros bras du PCF peignaient sur les murs parisiens et provinciaux « US Go Home ». Les Russes-Soviétiques, parrains et financiers du PCF, en savaient quelque chose ; après tout, ils s’étaient vu offrir de profiter du ‘Plan Marshall’, et si Molotov, premier “monsieur Nyet” du genre, avait refusé, c’était expressément expliqué par l’argument que la Russie-URSS ne voulait pas mettre en grave péril sa souveraineté et son identité culturelle. Comme on voit, cela date d’avant la Guerre Froide, et d’ailleurs ceci (le refus) explique en bonne partie cela (la Guerre Froide).

Je rappelle ces choses peu connues, notamment l’offre du Plan Marshall faite à la Russie-URSS, pour expliquer une certaine ironie de ma remarque “on le découvre à intervalles réguliers comme un secret enfin exposé d’une terrible conspiration, d’un affreux complot”. C’était déjà à livre ouvert en 1947 et ce n’est pas pour rien que gaullistes et communistes (avec d’autres) ont voté ensemble (en 1953) pour pulvériser la CED, machine de guerre pour partir à la guerre sous contrôle US ; et que les communistes français ont constamment soutenu le “fasciste” de Gaulle dans sa politique atlantiste, ou plutôt anti-atlantiste.

Bien entendu, écris-je sombrement, après le départ de De Gaulle convoqué par son trépas soudain mais auprès duquel il se savait appelé, ces manœuvres de résistance cessèrent peu à peu. Je rappelle tout de même que l’Europe eut une occasion de se libérer et que cette occasion fut refusé par celui que le destin appelait à l’accepter : le ci-devant gaulliste Chirac, le président de la république le plus proaméricain au fond de lui-même de tous les présidents. Cela se passait en mai 1995, quand une brusque tension en Bosnie Herzégovine nécessita l’intervention des forces “de maintien de la paix”, et Chirac, qui menait la manœuvre, refusa de le faire au nom de l’UEO, – seule organisation de coopération militaire européenne, dissoute depuis qu’on se rassure, – où il était pourtant soutenu par les Anglais et les Belges (tous présents militairement avec les Français). Il préféra se tourna vers l’OTAN pour obtenir de cet organisme sa légitimité (?) d’action. Il s’apprêtait à se rapprocher du commandement intégré et espérait en échange un grand commandement (le Sud, avec la Méditerranée). Il ne l’obtint pas, évidemment ; l’US Navy n’allait pas lui confier un certain droit de regard sur la sacro-sainte VIème Flotte, et le croire c’est ne rien connaître à nos “alliés américains”.

Il y eut ensuite quelques avatars, et même une épopée jugée sublime où Chirac, emporté par son bouillant ministre Villepin (discours à l’ONU de février 2003), se retrouva au côté du massif et puissant Schroeder, et d’un nouveau venu, un nommé Poutine de Russie, pour contrecarrer les folies américanistes. Le reste de l’Europe (Belges mis à part, on l’oublie trop souvent) ronronnait en savourant un éditorial (« Nous sommes tous Américains ») qui ne pouvait venir que d’un journaliste français d’un journal de référence pratiquant avec élégance  l’art de la trahison et de la félonie. Mais pour le fameux trio, il était trop tard : Schröder était en terme de mandat, Chirac entrait dans l’ombre de sa maladie de l’esprit, Poutine se retrouvait seul et se préparait à de grandes batailles.

Je crois qu’on peut dire, à partir de ces épisodes, que l’Europe devenue UE entra dans sa période, et avec quel enthousiasme, la plus totalement servile et soumise aux USA. Les Français étaient enfin arrivés au modèle standard (Sarko, Hollande, Manu). 2008, l’année où l’Europe capitula sur la question de l’Ukraine, symbolisa l’entrée de l’Europe dans cette période de délicieuse soumission.

Pratiquement, pourrait-on dire, jusqu’à aujourd’hui puisque rien ne vient vraiment faire croire à un véritable aggiornamento de révolte contre la soumission, non ? Eh bien, c’est-à-dire que...

L’affaire du “plan de paix-28” devenu -19

En effet, toute cette soumission décrite plus haut vit USA et UE agir de conserve en Ukraine à partir de l’automne 2013, puis très vite pour préparer le coup de Kiev (février 2014), avec quelques épisodes exotiques (le « Que l’UE aille se faire foutre » de l’exquise Victoria Nuland). Logiquement, l’Ukraine aurait dû être la suprême célébration du ‘Global Project’ antirusse des USA flanqués d’une UE exigeante et collée à ses basques sous la surveillance d’une NSA travaillant depuis des décennies en terrain conquis.

Et où en sommes-nous aujourd’hui ? Dans cette affreuse ornière du “plan de paix-28” concocté en secret par la bande à Trump, et contesté presqu’à la mort par l’UE qui présente sa propre version si différente là où ça fait mal ; puis là-dessus, – nouvelle du jour avant la suite, – les USA accaparant les Ukrainiens pour faire un nouveau plan de paix (“plan de paix-19” puisqu’en 19 points) qui écarte complètement les Européens-UE (en attendant ce qu’en diront les Russes). Quelle extraordinaire odyssée toujours en cours ! Voir les Européens soumis comme ils ne furent jamais auparavant au Capo di Tutti Capi américaniste, se retrouver en pleine logique d’affrontement, après d’autres épisodes qui ont accéléré la dégradation que personne ne mesura, bien plus encore que par rapport aux deux autres acteurs, Ukrainiens et Russes...

J’emprunte à l’excellentissime Elena Fritz la dernière partie de son texte de commentaire d’actualité à l’heure des plans concurrents et du “scandale dans la famille” atlantiste auquel nous assistons...

« Classification analytique

Les États-Unis poursuivent un plan qui sert avant tout les intérêts américains : limitation des coûts, arrêt des dommages géopolitiques, priorisation en année électorale.

L'UE lutte pour donner l'impression d'être capable d'agir, mais reste structurellement dans l'ombre de Washington.

L'Ukraine exploite tactiquement les conflits au sein de l'Occident et évite de s'engager clairement tant que l'on ne sait pas quel projet l'emportera.

» Le problème central demeure :

Il n'y a pas « l'Occident », mais une communauté d'intérêts informelle dont les membres poursuivent des objectifs stratégiques de plus en plus divergents. Les plans de paix parallèles rendent ces différences visibles, plus clairement que n'importe quelle déclaration émise lors d'un sommet.

» Conclusion :

Il ne s'agit pas d'une avancée diplomatique, mais d'une lutte de pouvoir entre Washington et Bruxelles. La question de savoir si l'un des deux projets servira un jour de base à de véritables négociations ne se décidera pas dans les salles de conférence européennes... »

L’expression « dans l’ombre de Washington » pour qualifier l’Europe-UE nous va très bien, – dans tous les cas, c’est bien là mon sentiment. Cette “ombre”, c’est comme une prison si confortable, des chaînes d’une douceur infinie, que l’Europe a brandies avec joie et fierté pendant des décennies... Et puis au bout du compte : tout ça pour ça ! Pour en arriver à une posture d’affrontement que l’on ne vit nullement venir, que personne n’ose assumer mais qui gagne très très vite en infection, comme un Ukrainien blessé à la jambe, au front, à qui l’on garantit des soins dans les dix heures et qui, dix jours plus tard, est enfin évacué et doit être amputé pour cause de gangrène.

Nous avons été soumis sans vraiment y prêter attention, comme enivrés par le plaisir de la soumission qui nous dispense de toute volonté et de tout caractère, et sommes devenus ce que nous sommes aujourd’hui, des fous inconscients qui se débattent dans leurs chaînes qu’ils ne cessent d’adorer, qu’ils ne parviennent pas à ne plus adorer. Pendant ce temps, le Capo di Tutti Capi sombre à bonne vitesse, en bon émule de ‘Titanic’, – il nous entraîne, peut-être... Ou bien, est-ce nous qui coulons à ses côtés, et même le dépassons, encore plus vite que lui.

Le professeur Xueqin Jang, renommé comme animateur de la chaîne populaire éducative ‘Predictive History, ici dans une interview du 26 novembre dans le programme de Glenn Diesen, travaille sur le phénomène de l’effondrement des civilisations, et surtout sur les prévisions qu’on peut faire à ce propos. La civilisation occidentale “coche toutes les cases” comme disent nos journalistes de plateaux, répond à toutes les théories sur les causes et les manières de l’effondrement. Les deux interlocuteurs constatent que nous sommes dans une phase de grande vitesse, lorsque le déclin a passé le relais à l’effondrement. Voilà pourquoi, finalement, toutes les folies européennes et transatlantiques, toutes ces choses incompréhensibles et complètement inverties, tous ces choix absurde de soumission ou de fureur guerrière contre celui qui nous battra à plate-couture, toutes ces rodomontades, ces roucoulades qui ressemblent à des mélodies de séducteur vieillissant à la coiffure gominée dans un asile de vieillards, – voilà pourquoi tout cela est extrêmement logique et n’a rien, finalement, absolument rien pour nous choquer.