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6344Bien entendu, parce qu’il s’agit d’un glossaire impliquant une interprétation spécifique, nous considérons ici le fait de la psychologie, hors des points de vue courants, qu’ils soient scientifique, médical, intellectuel, etc. Nous lui allouons un rôle, du reste fondamental, dans l’agencement métahistorique que nous tentons de définir et de proposer. Cette approche est nécessairement globale, considérant la psychologie comme un tout, comme une chose en soi, et une chose définie par sa position dans notre conception générale ; elle peut avoir toutes les formes possibles selon les événements et l’orientation choisie, être considérée d’une façon collective sous une impulsion extérieure et devenir elle-même une force extérieure, ou collective en organisant une résistance collective à cette impulsion extérieure, sans être pour autant privée de capacités et de manifestations individuelles pour déterminer une position individuelle dans les dynamiques collectives. On voit, plus précisément, que nous lui assignons une fonction d’un outil spécifique fondamental dans notre rangement général.
A partir de là, néanmoins, nous pouvons être conduit à apprécier telle ou telle spécificité (scientifique, médicale, intellectuelle), mais seulement en descendant vers cette spécificité et donc en plaçant cette spécificité en-dessous de la définition que nous développons ici, à son service, pour participer à son élaboration sans jamais prétendre l’orienter à son avantage. Nous devons également préciser que nous définirons dans l’un ou l’autre article spécifique différent de cet article du Glossaire.dde, l’une ou l’autre spécificité de notre conception de la psychologie que nous tenons comme d’une réelle importance. (Il est notamment question, parce que le cas a déjà été largement abordé, des articles à venir du Glossaire.dde sur la “maniaco-dépression”, comme pathologie fondamentale pour notre propos général, ou le duo psychologique “inculpabilité-indéfectibilité” comme caractère extraordinaire de la psychologie de l’américanisme, en vérité réalisée pleinement en une psychologie-Système, ou encore l’“indéfectibilité”, etc...)
Enfin, pour compléter cette introduction, nous dirons d’une façon synthétique que notre définition de la psychologie se rapprocherait d’une “perception pseudo-cognitive” définissant sa fonction, où la conscience jouerait un rôle variable selon les circonstances et les situations, dont elle-même, la conscience, serait la complice éventuellement involontaire et dont l’intelligence recevrait l’influence éventuellement sans mesurer ce phénomène ; cette observation vaut également dans un sens subversif, déstructurant et dissolvant comme l’on voit agir le Système dans ce sens aujourd’hui, ou dans un sens contraire de résistance et de résilience de cette résistance, dans une fonction clairement antiSystème. L’on comprend encore que nous importent essentiellement, dans notre intérêt pour la psychologie et pour sa définition, les situations qui se définissent par rapport à la modernité, notamment et essentiellement autour du “déchaînement de la Matière”, avant cet événement majeur pour le préparer, après lui pour le poursuivre et l’amplifier ; mais nous intéressent également, en sens inverse, les situations où la psychologie peut nourrir des attitudes contraires de résistance dans les mêmes périodes envisagées. Cette chronologie renvoie évidemment à l’importance que nous accordons à cet événement du “déchaînement de la Matière”. Pour autant, la centralité de cette référence historique ne nous interdit en rien d’investiguer la psychologie, dans certaines occasions, dans bien d'autres périodes, jusqu’aux confins de la période de l’empire romain par exemple, et, à l’inverse, et bien entendu abondamment sur notre site, dans notre propre époque… Quoi qu’il en soit, dans cet article de base de l’appréciation de “notre Psychologie” (l’énoncé du titre signifie notre appréciation de la psychologie, avec une majuscule à Psychologie pour marquer ce choix), nous nous en tenons à l’épisode métahistorique essentiel de notre rangement, comme creuset du “déchaînement de la Matière”, mais bien entendu en connectant fermement et abondamment cet épisode à notre situation actuelle de crise.
Dans le numéro de janvier 2013 des Cahier de dde.crisis (nouvelle collection), dont le thème est “Proximité du Mal”, nous écrivons notamment ceci concernant la psychologie dans le rôle que nous assignons… Nous partons, dans cette réflexion autour de “la proximité du Mal”, du constat qu’actuellement la psychologie est le véhicule privilégié, dans son éventuel état de faiblesse, pour la pénétration en-dedans nous du chaos qu’entretient et développe le Système, dans sa marche vers la déstructuration et la dissolution,
«Plus précisément, cette attaque du chaos vise évidemment la psychologie, essentiellement sinon exclusivement. La psychologie est bien entendu notre faiblesse, notre talon d’Achille, comme on ne cesse de le constater historiquement, avec tel ou tel épisode, avec à l’esprit le précédent du grand bouleversement que machina le “persiflage” au XVIIIème siècle, permettant “le déchaînement de la Matière” de 1776-1825. La psychologie fut toujours notre territoire disputé, entre conquête du Mal et champ de bataille pour repousser le Mal, et elle l’est plus que jamais, se définissant cette fois en raison des circonstances conjoncturelles que nous connaissons comme une porte d’entrée potentielle du chaos en nous-mêmes dans cette période fondamentale de notre crise d’effondrement.»
Nous avons mentionné cet épisode et cette conception du rangement que nous faisons pour nous-mêmes de l’Histoire, à nombre d’occasions. C’est un leitmotiv de notre rangement métahistorique, le pivot de notre conception de l’histoire, la clef de notre perception de notre “époque”, la cause de la transmutation de l’histoire en Histoire, en métahistoire (ou métaHistoire).
Effectivement, dans notre système général, la psychologie tient un rôle essentiel, parce qu’elle est la clef de l’investissement de l’intelligence par les forces du “déchaînement de la Matière”, et elle est cette clef par ce qu’il y a de plus bas dans le domaine de l’influence de l’esprit, mais aussi de plus puissant ; parce qu’elle est la clef également, éventuellement, de la défense contre les forces du “déchaînement de la Matière”, retournant à notre avantage cette situation d’affrontement. Notre conception générale à cet égard, qui explique l’importance accordée à la psychologie, est en effet que les grands mouvements des choses et des hommes dans l’histoire, s’il nous prend le goût de la “revisiter” avec audace pour découvrir sa dimension métahistorique, dépend pour notre propos non de l’intelligence et des idées mais de la psychologie qui détermine la force avec laquelle sont accueillies les idées, par conséquent la capacité d’appréciation critique de ces idées par l’intelligence, la force avec laquelle on parvient à envisager ces idées jusqu’à leurs termes et, par conséquent, tous les effets que provoquent ces idée. Selon que notre psychologie est forte ou faible, intraitable ou vulnérable, l’intelligence en est affectée et l’esprit se trouve dans la même position vis-à-vis des sollicitations extérieures. Bien entendu, cette hypothèse doit être étendue, à partir du constat initial (XVIIIème siècle), à tout le comportement humain dans son historicité, et jusqu’à sa plus pressante actualité, et par conséquent valable également pour notre époque ; bien entendu, l'exceptionnalité de la puissance des forces extérieures négatives en action durant cette période de l'Histoire (XVIIIème jusqu'à nous) mesure l'importance bien plus considérable du rôle de la psychologie tel que nous le concevons.
(On observera ceci, pour un propos plus large mais qui doit être nécessairement signalé et souligné ici, que nous tenons cette hypothèse comme également fondamentale, sinon encore plus fondamentale en un sens, en ce qu’elle permet de préserver l’intégrité essentielle, disons l’essence de l’intelligence, et celle de l’esprit qui forme le centre spirituel de l’être, même si cette intelligence et cet esprit peuvent devenir mauvais par proximité (invasion dans ce cas) du Mal pénétrant par le biais d’une psychologie rendue impuissante par son épuisement et aussi ferme “qu’un éclair au chocolat”. Ainsi restons-nous en accord avec notre conception fondamentale, selon laquelle l’homme, ou plus hautement dit l’être en général n’est pas mauvais en soi… Voir Plotin, bien entendu : «… Mais les autres, ceux qui participeraient de lui [du Mal] et s’y assimileraient, deviennent mauvais, n’étant pas mauvais en soi.»])
Nous prenons ce cas précis, souvent rencontré dans nos colonnes et qui fournit l’épisode opérationnel central de notre argument métahistorique : l’épisode du “persiflage”. L’histoire du mot “persiflage”, dont nous avons déjà évoqué certains aspects, est extraordinaire, essentiellement dans son usage soudain intensif, puis soudain quasiment disparu, pour la période qui nous importe à cet égard (le XVIIIème siècle, qui conduit à son terme au “déchaînement de la Matière”).
(Ci-dessous et après l’intertitre suivant, nous introduisons des extraits de La grâce de l’Histoire, dans des parties à venir dans notre processus de publication. Ces extraits sont entre guillemets mais en caractères normaux.)
« Il y a tout de même des certitudes… Le mot “persiflage” apparaît exactement en 1734 dans un écrit de Voltaire, une correspondance, et nul ne sait d’où il vient. (Lettre à Maupertuis, apparition, intronisation du mot, – pour le coup, souligné de gras par nous : «Savez-vous que j’ai fait prodigieusement grâce à ce Pascal ? De toutes les prophéties qu’il rapporte, il n’y en a pas une qui puisse honnêtement s’expliquer de Jésus-Christ. Son chapitre sur les miracles est un persiflage. Cependant je n’ai rien dit et l’on crie. Mais laissez-moi faire. Quand je serai une fois à Bâle je ne serai pas si prudent.»)
» Il n’y a pas de mot qui semble mieux être approprié pour définir le XVIIIème siècle et nous le faire sentir tel qu’il est en réalité, c’est-à-dire, peut-être, et entre autres choses, comme une mystification. (Précisons aussitôt ce que nul ne doit ignorer, que “mystification” est l’un des sens du mot “persiflage”.) Le monde civilisé, c’est-à-dire la France et le reste autour d’elle, fait la ronde autour de la France, non en “la persiflant” mais en la considérant comme la “nation du persiflage”, comme s’il s’agissait de l’illumination fondamentale, la Lumière ultime qui nous ouvrirait les voies de l’avenir. («Die persiflierende Nazion», écrit Richter dans sa Politique ou Introduction à l’esthétique, de 1804, alors qu’il entend désigner la France de Voltaire.) «Le succès du persiflage est tel qu’il finit par être regardé à l’étranger comme caractéristique du style français, écrit Elisabeth Bourguinat dans Le siècle du persiflage (PUF, 1998) ; le mot lui-même, jugé intraduisible, est d’ailleurs adopté tel quel par différentes langues européennes… […] Il semble donc que le persiflage ait connu une vogue considérable, au point que le terme de “vogue” ou celui de “mode” semblent insuffisants : les modes, par définition, n’ont qu’un temps, alors que, plus de cinquante après, le persiflage est toujours ressenti comme “nouveau”, “moderne”, “à la mode”… »
» “Cinquante ans plus tard”, après 1734, c’est déjà presque 1789. Nous y sommes. La “mode” qui n’en est pas une cessera bientôt, on l’a déjà dit. «Le persiflage sera rejeté dans l’enfer de l’Ancien Régime, écrit encore madame Bourguinat ; Voltaire et Rousseau entreront dans le Panthéon révolutionnaire.» Nous devrions avoir vite compris, dans ces conditions qui ne dissimulent rien, combien le persiflage a préparé la Révolution en symbolisant, en fabriquant, en développant l’esprit sarcastique de l’irresponsabilité développée comme un jeu de l’esprit ou comme une mystification de la raison. L’on rit et l’on danse à pleurer dans ce siècle si plein de brio, avec l’intelligence qui étincelle, qui finit par vous donner une sorte de nausée tant son charme suinte d’inconséquence joyeuse. A ce moment où la raison s’imagine enfin prendre le pouvoir en se moquant joyeusement de la raison, naît une sourde fureur en même temps qu’un mépris rétrospectif, et parfaitement involontaire, voile le regard que vous portez sur cette société si parfaitement accomplie, entre ses aristocrates arrivés dans leur voyage au bout du persiflage et ses abbés frondeurs qui persiflent la religion, Rome et ses évêques ridiculement enturbannés dans leurs ors et leurs pompes, entre ses philosophes qui font s’esclaffer leurs bailleurs de fond, complices et persifleurs eux aussi, qu’ils promettent à la lanterne pour autant. La Cour elle-même rit de la Cour, et le Roi, du Roi lui-même sans doute. Le persiflage rassemble ainsi en un mot l’extraordinaire labeur de déstructuration d’une civilisation accompli selon une mode devenue un rite social, voire une psycho-sociologie à elle toute seule, développée sur le rythme d’une danse de Jean-Philippe Rameau, à l’ombre des perspectives des grandes villes européennes imitées du modèle français.
» Bien, laissons cela puisque notre religion est faite. Madame Bourguignat, citant l’un ou l’autre, qu’importe, conclut ce qui nous habite comme une évidence désormais… Le persiflage est «révolutionnaire et subversif» et il a, «bien involontairement, fait le lit de la Révolution – alors que la philosophie, pour sa part, la préparait activement… ». Je me demande bien pourquoi il faudrait garder cette réserve du “bien involontairement”, car je suis bien persuadé que la volonté ne joue, là-dedans, pas le moindre rôle, par sa présence ou par son absence, et que la chose va son train sans que nous en ayons ni conscience ni la moindre intention. La chose nous dépasse, elle est complètement extérieure à nous ; c’est “bien naturellement, nécessairement et, par conséquent, tout aussi fatalement” qu’il (le mot “persiflage”) “a fait le lit de la Révolution”, qu’il eût fallu écrire. J’irais jusqu’à concevoir, en raison du rôle que j’attribue à la psychologie, au moteur de nos attitudes, par rapport au rôle de la manufacture de la pensée qui passe au second plan, que le persiflage, à lui seul, “fait le lit” et “prépare”… Nous laissons la philosophie et ses idées aux préoccupations avantageuses de nos idéologues et de nos intellectuels. Ils serviront à expliquer la Révolution une fois celle-ci faite, dans le sens d’en dissimuler le sens fondamental. »
Ainsi est exposé le rôle que nous attribuons, par la grâce incertaine et faussaire d’un seul mot qui résume et en même temps conduit l’esprit d’un temps en lui donnant sa tendance irrésistible, la pénétration irrésistible de la psychologie, comme préparation non moins irrésistible de la Révolution, – comme on dit d’une “préparation d’artillerie” pour une bataille, et la bataille gagnée d’avance par l’abrutissement ménagée par cette préparation, – “abrutissement” valant encore plus pour l’effet d’accaparement des psychologies que pour l’effet sanglant sur les corps… Maintenant, reste à voir l’essentiel, qui est l’état de cette psychologie, qui fait qu’elle est ouverte et sans défense, qu’elle s’offre à cette préparation qui est une pénétration irrésistible, – là encore, comme l’on dit d’une percée décisive dans une bataille.
A nouveau, nous empruntons un passage de La grâce de l’Histoire, de la même partie à paraître, qui décrit cette évolution et cet état de la psychologie, bientôt victorieusement investie par le persiflage et par l’esprit du persiflage. Un mot résume effectivement l’état de la psychologie, qui nourrit cette évolution vers une vulnérabilité totale, déjà ouverte par ses voies d’eau, qui attend comme l’on dit d’une destinée irrémédiable, le traitement qui va achever de la transformer pour en faire le principal moyen de la Révolution elle-même irrésistible. Ce mot est celui de “fatigue” et nous voyons surgir cette “fatigue” des agitations de trois siècles, née de la Renaissance et de ses propres agitations, échevelées, sublimes et tragiques, préparant en l’annonçant sans barguigner la modernité fatale. Ce n’est pas l’idée qui compte, c’est le traitement soumis par avance et capitulant avant même la bataille de l’esprit acceptant l’investissement par l’idée, sans même tenter de la dominer, sans essayer de la dompter pour l’orienter à son avantage ; c’est bien que la psychologie a préparé le terrain, et que sa “fatigue” a affaibli l’intelligence, anémié les idées, épuisé par avance l’esprit.
« … “Fatigue”, en effet, – le mot est dit. Dans ce parcours du retournement incroyable des perceptions de cette époque terrible, où s’entrechoquent Renaissance, Réforme, pourriture papale portée à son sommet par le “Borgia pape !” de Nietzsche, licence et libération des mœurs, haute culture et sublimation du grand art, “anarchie intellectuelle” et pessimisme, magie et humanisme, guerre des religions et classements à la fois logiques et faussaires des acteurs, confusion des valeurs et contrainte des jugements, tous les ferments de la modernité à la fois rêvée et réelle, – dans ce tourbillon et à cause de ce tourbillon se trouvent la graine et le ferment d’une terrible fatigue de la psychologie. Elle seule, et nullement le complot, ni le parti pris, ni les idées, ni les jugements faussés et confus sans qu’on ait la moindre idée de celui qui se rapproche d’une réalité satisfaisante, elle seule, la fatigue, explique l’évolution des esprits par une sorte de “complot inconscient”, mécanique, de la psychologie durant les deux siècles qui suivent. Elle seule explique que les plus hautes intelligences, les plus superbes talents, tenant pour acquises ces perceptions permises et forcées par le désordre d’événements emplis de ces contradictions qu’on a observées, vont se trouver dans un état d’extrême vulnérabilité lorsqu’interviendra cette force historique immense qui prend naissance au cours du XVIIIème siècle et s’affirme décisivement au tournant des XVIIIème et XIXème siècles ; cette force, attirée par cette fatigue psychologique et la vulnérabilité qui s’ensuit, ou bien profitant d’elles, comme si elle existait, cette force, aux aguets, tapie dans les profondeurs de la Matière, bien avant que l’occasion ne se manifeste ? – Question déjà posée, comme un avertissement fondamental, que nous retrouverons plus loin, sans aucun doute, qui tient la clef fondamentale de notre appréciation générale...
» Ce que j’entends décrire ici, je le répète avec la plus grande force possible, n’est pas une évolution spécifique de la pensée occidentale, même si c’est de cela directement qu’il pourrait sembler s’agir à première vue ; mais l’évolution de la pensée occidentale, d’abord parce que la fatigue de la psychologie, construisant, installant et absorbant ces retournements incroyables de la perception, donne à la pensée, avec cette psychologie, un outil usé, perverti, qui n’a plus rien de la précision et de la rigueur d’emploi qui font sa force. La psychologie fatiguée, épuisée, de l’Occident, encore plus que malade, entrave la logique et la rigueur de la pensée, amollit cette pensée, favorise le sentimentalisme, la sensiblerie du raisonnement. (La maladie vient ensuite, conséquence de la fatigue, lorsque la “force historique immense” se sera installée en triomphatrice, après le tournant du XVIIIème au XIXème siècle.) La pensée reste haute, la plume est superbe, le talent immense, mais tout cela est frappé de la vulnérabilité qu’implique la fatigue de la psychologie. Fatigue et vulnérabilité sont des états qu’on peut réparer ou tenir à distance, donc de peu d’importance pour le caractère et pour le jugement ; lorsqu’elles affectent la psychologie, on ne les distingue pas, ou bien on les tient comme choses négligeables si l’on s’en avise un instant. En conséquence de cela, nous tenons au contraire qu’il s’agit de facteurs essentiels, qui installent la scène terrible du drame qui va se nouer à la fin du XVIIIème siècle.
» L’outil de la pensée, la psychologie qu’on a vue épuisée, intervient dans l’orientation de la pensée avant que la conscience et sa raison n’abordent le labeur de concevoir, d’ordonner et de formuler cette pensée ; l’outil est distordu par la fatigue, il a perdu subrepticement sa fonction d’outil au service de l’esprit pour devenir quelque chose qui oriente, qui influence l’esprit par sa faiblesse et sa fourberie involontaires, – l’influence, l’arme des faibles et des fourbes ; son influence est toute entière marquée par l’imprégnation à laquelle il cède d’une conception émolliente et sentimentale des choses. Littéralement, c’est-à-dire mécaniquement, l’outil est gauchi. Dans le cours de ce même processus d’épuisement de la psychologie résultant des bouillonnements des XVème et XVIème siècles, avec les interprétions auxquelles on était conduit, d’apparence séduisantes mais également épuisantes par les paradoxes et les contradictions, il se développa quelque chose que nous pourrions désigner comme une sorte de “pensée conformée” ; mais il s’agit d’une “conformation” vile et basse, cédant au plus tentateur ; et, dans cette sorte, le résultat est, avant que le processus de la pensée véritable n’intervienne, une pensée conformiste inscrite dans un schéma d’un conformisme très puissant, très prégnant, puisque formé lui-même à partir de tous les accidents historiques qu’on a décrits. En quelque sorte, l’essence (le conformisme) a précédé la substance (la pensée) ; et cette pensée conformée, évidemment, dans le sens de la confusion, de la mollesse, de la faiblesse même, de la vulnérabilité à la tentation des subversions évidentes.
» Reste ce fait que l’esprit pris dans son sens le plus vaste qui le place au-dessus de la raison, lorsque l’intuition l’investit de toute sa puissance, s’en trouve affaibli et rendu stérile, infécond, par sa propre fermeture à cette intuition qui dérange sa conformation, voire son conformisme. L’intelligence d’un tel esprit ainsi abaissé n’a plus le rôle qu’on lui assigne et la grandeur éventuelle de cette intelligence peut devenir une tromperie, si le produit de cette intelligence elle-même est une tromperie influencée par la psychologie transformée en un outil usé et gauchi qui en fait une inspiratrice intrigante ; les intelligences les plus hautes peuvent le rester effectivement mais elles peuvent en même temps porter la marque de la fatigue de la psychologie comme nous l’avons décrite, et être faussées à mesure, c’est-à-dire hautement. Une terrible mécanique de perversion de la pensée se met en place, où le sophisme va s’installer, appuyé sur le diktat de la vertu morale et la tentation du confort de l’irresponsabilité intellectuelle qui se manifeste dans l’acceptation de ce diktat.
» Il est nécessaire d’affirmer hautement que, dans la description de cette hypothèse à la fois psychologique et historique, nous induisons l’affirmation d’une indépendance considérable et d’une différence également très grande des deux processus, entre le processus de la psychologie et le processus du développement de la pensée sous la conduite de la raison. La psychologie considérée comme un outil, et comme un outil autonome, pouvant ingérer des influences qui lui sont propres et qui auront un effet sur la pensée, subit une fatigue qui n’est pas un simple dysfonctionnement biologique mais qui a une influence intellectuelle. La psychologie est “fatiguée”, comme on l’a vu, comme l’on dit à un conducteur “vous fatiguez votre voiture” parce qu’il la fait fonctionner en première ou en seconde vitesse à très haut régime alors qu’il devrait enclencher la troisième ou la quatrième vitesse ; il s’agit de la “fatigue” d’un usage à contretemps, pris à contre-pied… Mais l’essentiel dans cette erreur qu’on décrit volontairement au plus bas, comme mécanique, est qu’elle s’exprime finalement par des contresens et des faux-sens qui vont influencer la pensée ; le contretemps et le contre-pied mécaniques s’expriment, lors du passage de la psychologie à la pensée, par des contresens et des faux-sens qui affectent l’intelligence du monde, à ce point fondamental du passage entre le domaine de la perception inconsciente de la situation du monde conduite par un processus psychologique épuisé et celui de la formation de la pensée. Le résultat est en effet cette situation terrible où la plus haute intelligence, la pensée et le talent les plus élevés ne sont plus du tout une garantie assurée d’un jugement mesuré de la situation du monde, ni une garantie de justesse et de sagesse alors que l’esprit croit au contraire que ces vertus évidentes sont toujours présentes et actives.
» Le lecteur garde toujours à l’esprit que nous ne sommes nullement dans le domaine de la critique de la pensée, de l’opinion que cette pensée exprime, du jugement qu’exprime cette opinion. Nous nous plaçons en deçà de ce processus intellectuel au sens le plus large, chronologiquement avant que ce processus n’ait lieu. Nous tentons d’expliquer comment la pensée occidentale a “progressé” (nous aurions préféré le terme “évolué” mais l’on comprendra la logique du choix puisqu’il s’agit d’évoluer vers la “pensée progressiste” caractéristique de la modernité) pour parvenir à une situation où la catastrophe a été rendue possible, où elle s’est effectivement déclenchée et répandue comme une traînée de poudre qui conduirait à l’apparition catastrophique d’une peste épouvantable enfin reconnaissable comme telle. En effet, au point de fusion de cette “apparition catastrophique” de la peste se trouve la conjonction de trois événements qui eux-mêmes renvoient, comme en un cercle vicieux qui serait un piège d’une histoire à cet instant totalement subvertie, à cette même “progression” de la pensée occidentale, – la catastrophe, avec nos “trois Révolutions”, entre 1776 et 1825, pour prendre au plus large, entre la Déclaration d’Indépendance des USA et la fameuse phrase qui épouvanta Stendhal en lui faisant découvrir ce que représentait en vérité le libéralisme investi par l’économie et le technologisme de la modernité, et ainsi acquérant sa vérité fondamentale («Les Lumières, c’est désormais l’industrie»), – Révolution américaniste, Révolution Française et révolution du choix de la thermodynamique. »
Cette question de la faiblesse de la psychologie ne nous a plus quittés, avec des hauts et des bas selon les époques, et c’est bien entendu la raison qui nous fait lui accorder toute l’importance qu’on voit dans nos analyses. Nous jugeons que nous sommes dans une période où cette importance est décuplée à la mesure de l’importance prise par le système de la communication (voir dans notre Glossaire.dde, le 14 décembre 2012), et cette intervention du système de la communication renforçant immensément ce caractère collectif de la psychologie qui fait du phénomène de son évolution un phénomène politique et métahistorique d’une importance décisive. Nous vivons aujourd’hui une bataille aussi capitale que celle qui fut livrée au Siècle des Lumières, mais selon un enjeu bien plus décisif après l’accumulation de subversion, de déstructuration et de dissolution des deux siècles depuis le déchaînement de la Matière.
Plus qu’elle n’a jamais été, même au Siècle des Lumières, la psychologie est le champ de bataille privilégié de notre époque, qui est l’époque de la crise fondamentale du Système. Plus que jamais également, parce qu’elle est exacerbée comme elle ne le fut jamais par le système de la communication qui a ses propres lois et son autonomie, la psychologie reste le domaine de l’inattendu et elle n’est donc pas un champ de bataille manipulable, dont on comprend par avance les caractères et qu’on oriente selon ses intérêts, mais un champ où la bataille est à la fois d’un enjeu suprême et apparaît à la raison d'une issue incertaine. Plus que jamais enfin, joue ce caractère qui accompagne toute notre démarche, de l’importance primordiale de la psychologie par rapport aux idées et à l’intelligence, et ce fait que la force et l’orientation de la psychologie par rapport aux puissances extérieures, selon ce qu’elles sont, déterminent ce que l’intelligence fait des idées dans un sens déstructurant ou dans un sens structurant, et déterminant ainsi l’état de l’esprit, le niveau et le degré de sa puissance et de son autonomie, son orientation vers la perversion basse ou vers la vertu haute, – déstructuration et dissolution de lui-même ou recomposition et structuration de lui-même…
Nous mentionnions cette spécificité de la situation de la psychologie dans ses rapports avec le système de la communication, dans un passage de notre texte du 4 janvier 2013, sur la “proximité du Mal”. Ce passage montre toute l’actualité de la question, que l’on peut évidemment retrouver dans une multitude de texte sur le site dedefensa.org. Il le montre d’une façon concrète selon l’interprétation du rôle que nous donnons à la psychologie, quand l’on sait les conséquences multiples et contradictoires, avec des aspects déstructurants et d’autres structurants, des exemples cités (Pussy Riot dans le cas de l’attaque ou de la résistance de la Russie, et Innocence of Muslims dans le cas des conséquences négatives ou positives du “printemps arabe”).
«Il faut bien préciser que cette question de la “proximité du Mal” est essentielle, notamment et prioritairement pour la psychologie. La “proximité du Mal” se manifeste, dans ses conséquences malignes, d’abord par une infection de la psychologie. La pénétration de la psychologie, comme on le voit par exemple avec le “persiflage” du XVIIIème siècle, est la tactique favorite, sinon exclusive, du Mal. Aujourd’hui, cette infection de la psychologie implique la pénétration du chaos engendré par le Système, et la voie accélérée vers l’entropisation de cette psychologie. La chose est évidente dans la situation chaotique où se trouve le bloc BAO du point de vue de ses “valeurs”, de ses conceptions soi-disant morales. Chaque incident le montre, dans sa disparité extraordinaire du développement, en général à propos de faits dérisoires à l’origine, débouchant sur des évènements alors monstrueusement important. Ce chaos est bien la marque, selon deux exemples récents, des faits dérisoires que sont les incidents Pussy Riot (pour la Russie) et Innocence of Muslims (pour le monde musulman), se transformant en affaires politiques complètement déstabilisantes et déstructurantes, – essentiellement, pour le bloc BAO lui-même, pour ses élites dont la psychologie est totalement infectée.»
L’actualité de la psychologie et la puissance de son rôle sont encore mieux mises en évidence par la diversité affirmée de ses orientations. A l’image du système de la communication actant aussi bien dans le sens du Système que contre lui, la psychologie est elle-même une voie d’accès des influences pernicieuses du Système, autant qu’une arme pour se défendre contre le Système (comme l’est, exemple extrême dans ce sens, l’inconnaissance, où la psychologie agit comme un moyen de repousser l’influence du Système). Son évolution, corrélativement avec l’influence formidable exercée par le système de la communication, crée chez elle autant des situations favorables au Système que des situations antiSystème.
Cette situation générale montre combien la psychologie est aujourd’hui un phénomène d’une égale importance dynamique qu’elle le fut au XVIIIème siècle pour permettre aux événements de se développer d’une façon décisive, mais d’une puissance bien plus grande à cause du système de la communication, et d’une diversité beaucoup plus affirmée. Il n’existait pas, au XVIIIème siècle, une faction notable dans la situation de la psychologie, capable de résister au persiflage ; il existe aujourd’hui, dans la même situation de la psychologie, une faction affirmée, qu’on peut même qualifier de “dissidence” sinon de “résistance”, qui s’appuie sur une psychologie résiliente (antiSystème) agissant comme une arme contre la pression d’influence, de déstructuration et de dissolution du Système comme représentation opérationnelle du Mal. Il est effectivement difficile pour le Système de recommencer à son avantage, dans les mêmes conditions d’impunité, l’opération qui fut réussie au XVIIIème siècle avec le persiflage, alors qu’il est lui-même, le Système, en place, qu’il s’est découvert pour ce qu’il est… Au XVIIIème siècle, dans le courant psychologique générale, rares étaient les psychologies assez fortes pour deviner intuitivement à quoi aboutirait, en fait de déstructuration et de dissolution, la poussée infâme à laquelle toutes les psychologies étaient soumises, et armer l’esprit qu’elle sert dans le sens d’une résistance. Aujourd’hui, la psychologie qui connaît ce précédent peut trouver la résilience d’organiser sa propre résistance aux pressions du Système et alerter l’esprit à la lumière de ce précédent pour juger de l’orientation des événements, et susciter sa propre résistance qui est une lutte à mort.
Donnons enfin, pour notre conclusion, cette précision ultime qui concerne ces deux derniers points (la résistance “qui est une lutte à mort”, au XVIIIème siècle comme aujourd’hui). Il n’y a dans cette exhortation à la résistance “qui est une lutte à mort” aucune fonction politique, disons dans le cadre d’un “programme politique”. Le cadre est métahistorique et n’a rien à voir avec l’organisation rationnelle d’un aprèsSystème que nous sommes bien incapables de concevoir même dans ses plus grandes lignes. Lorsqu’on dit que rares étaient les psychologies, au XVIIIème siècle capable de “deviner intuitivement… la poussée infâme”, et “d’armer l’esprit… dans le sens d’une résistance”, cela ne signifie pas une allusion à la protection de l’ordre ancien qui, de toutes les façons, était lui-même condamné par sa propre décadence, voire sa complicité avec la subversion, mais bel et bien un appel à la résistance contre l’attaque du déchaînement de la Matière dans ses effets déstructurants et dissolvants. La même chose vaut pour aujourd’hui : on ne résiste pas au Système pour rétablir quelque chose qui a déjà existé et qui se meurt, ce quelque chose également complice de facto et éventuellement sans s'en aviser du Système, ni pour établir un “programme politique” qui ferait s'activer d’une façon illusoire à ce qu’on pourrait installer après la mort du Système. Dans un cadre métahistorique, les prétentions organisatrices d’un avenir aprèsSystème du sapiens sont dérisoires et ne servent qu’à confirmer la vanité dudit sapiens, fût-ce même qu’il se prétendrait antiSystème… On résiste et l’on se bat pour détruire le Système parce que le Système est évidemment la dynamique de notre mort, la dynamique de la déstructuration, de la dissolution et de l’entropisation. (Pour cela, oui, le Système est bien l’opérationnalisation du Mal.) Dans ce cadre, on comprend l’importance primordiale du rôle de la psychologie tel que nous l’avons définie, bien plus que les idées et l’intelligence, prisonnières si on les laisse à elles-mêmes de tout ce qui a précédé, et qui ne peuvent s’en libérer et alors redevenir créatrices que grâce à l’apport d’une psychologie assez puissante pour inspirer la force de la résistance et de “la lutte à mort”.
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