Falling in Line?

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Falling in Line?


18 octobre 2002 — « To Fall in Line », — voilà une expression qui revient souvent chez nos amis américains, ces temps derniers. Elle exprime l'idée que les autres pays du monde, les alliés des USA d'abord, puis les autres, après une résistance symbolique à la volonté américaine (dans ce cas, celle d'attaquer l'Irak), cèdent et s'alignent sur la politique américaine, selon la volonté américaine, — « To Fall in Line ». Il semble que cela ne soit le cas pour l'instant.

Le 12 septembre, les amis zélés des Américains, qui sont légions, applaudirent le “coup” de GW, allant à l'ONU et retournant le monde entier à son avantage, — « To Fall in Line ». Cela devait être un simple aller-retour Washington-New York, une formalité, pour obtenir le blanc-seing du Rest Of the World (ROW), pour confirmer que les États-Unis ont les mains libres, pour laisser le président faire ce qu'il entend faire au nom de la puissance américaine, pour laisser l'Amérique affirmer une fois de plus son autorité incontestable sur le monde. Il était entendu chez tous les commentateurs que la tâche importante du président était d'emporter l'adhésion du Congrès, le reste étant simple formalité.

Les événements n'ont pas confirmé cette attente. Les inspirateurs du président, les fameux neo-cons, en sont conduits à expliquer que le président ment désormais, par vertu si l'on veut, pour le bien de tous et d'abord de la puissance américaine, parce qu'il est désormais en guerre et qu'à la guerre il faut ruser. Selon les neo-cons (William Kristol), cela signifie que, lorsque GW cède à l'ONU, c'est une façon de “mentir” vertueusement, une manoeuvre tactique pour tromper Saddam, et que cela n'a pas la valeur symbolique du recul ni la moindre signification politique. Cette sorte d'explication donnée pour remonter le moral des troupes mesure, à la lumière des derniers événements à l'ONU, le désarroi existant dans les fractions les plus extrémistes parmi celles qui soutiennent GW.

... A l'ONU, en effet, c'est un recul américain, et c'est ainsi que seront interprétés les derniers événements. La proposition faite par les Américains cette nuit à l'ONU est, placée dans son contexte d'affrontement diplomatique et d'évolution du rapport des forces, rien de moins qu'une défaite américaine. Tout cela est naturellement présenté sous le vocable de “compromis”, comme un arrangement sémantique impératif pour la super-puissance américaine. Nul n'ignore que, pour cette super-puissance, il n'était concevable que de voir les autres en venir à ses termes (« To Fall in Line ») ; toute autre évolution est le contraire d'une victoire. (Autre surprise du jour : la “chambre d'enregistrement”, aujourd'hui, c'est le Congrès, qui vote comme un Parlement-croupion, tandis que l'ONU est devenue le “cactus”, qui parle à voix haute, sur son propre registre.)


« Seeking to win a new U.N. resolution on Iraq, the United States has removed language explicitly threatening military action, while making clear Baghdad will face consequences if it fails to cooperate with weapons inspectors, diplomats and U.S. officials said Thursday.

» The latest compromise appeared tailored to win support from powerful Security Council members including France and Russia, which want to give Iraq a chance to cooperate before authorizing force. A senior White House official, speaking on condition of anonymity, said the proposed resolution wouldn't spell out the consequences but says Iraq's President Saddam Hussein will be in “material breach” if he violates any U.N. resolution.

» That term, material breach, allowed for military action to be taken in Kosovo in 1999. The official said that since no measures would be ruled out in the text, the White House believes President Bush would have “maximum flexibility” to mete out consequences should Saddam fail to comply.

» Moreover, the official said the new U.S. proposal doesn't require a second resolution before Bush acts. But diplomats, who spoke on condition of anonymity, said that if the Iraqis obstructed inspections, the United States would be required to consult with the Security Council before taking any action. »


Bien entendu, la “bataille” n'est pas finie et notre commentaire porte sur sa signification substantielle. Si l'on consultait les Français, d'ailleurs, ils protesteraient en toute candeur et s'exclameraient qu'il n'y a pas de “bataille” dans le sens qu'il faut un vainqueur, — et ce serait une affirmation sincère. Si l'on cite les Français, c'est parce que ce sont eux, justement, qui mènent la “bataille” contre les Américains et sont les architectes de la “victoire” de jeudi soir, — même si ces mots doivent être bannis, et sont effectivement bannis (à moins de parler de la “victoire du bon sens”, ce qui serait une litote bien française). Les Français continuent imperturbablement à se référer in fine à Vergennes et à avancer que la diplomatie implique qu'il n'y ait ni vainqueur ni vaincu ; bref, tout continuant as usual, à part qu'un événement s'est produit à l'ONU. Il n'implique en aucune façon que l'issue est garantie à l'ONU, ni que la guerre n'aura pas lieu, ni que les Américains changent de politique. (Pour ce dernier cas, Kagan a raison sur le fond, aussi bien pour le positif que pour le négatif: l'Amérique manipule le multilatéralisme pour arriver à ses fins aussi bien que pour limiter ses pertes, comme c'est le cas ici. [Kagan a tort sur le cas tactique : le discours de GW à l'ONU du 12 septembre, qu'il tendait à présenter comme une subtile manoeuvre, prend la voie de s'avérer une erreur tactique majeure, à un point où le tactique pourrait devenir stratégique, — on verra ...])

Concluons sur quelques points.

• Effectivement, le discours du 12 septembre fut une énorme erreur de l'administration GW. Toute la stratégie des Américains, — qu'on l'apprécie ou qu'on la déteste — est basée sur l'unilatéralisme et sur l'affirmation de leur puissance unique. La venue à l'ONU n'était concevable que pour aussitôt soumettre toute l'Assemblée, à commencer par le Conseil de sécurité, à la volonté US. Pêchant par leur incroyable travers d'arrogance, les Américains n'avaient rien prévu, donc rien préparé, estimant qu'il y aurait évidemment ce phénomène : « To Fall in Line ». Ce ne fut pas le cas. Les Américains furent donc obligés d'entrer dans le jeu de l'ONU, c'est-à-dire le bourbier de l'ONU, avec des alliés fidèles aussi sûrs que des scorpions (les Britanniques) et une résistance extérieure dont ils n'imaginaient pas une seconde qu'elle pût exister. A l'ONU, ces dernières semaines, les Américains n'ont rien appris parce qu'ils n'apprennent jamais rien. Ils ont simplement accru notablement le désordre de leur état réel, derrière la représentation hollywoodienne de leur puissance. Le revers américain de l'ONU, c'est d'abord le désordre accru à Washington. En attendant la suite.

• Les Français ont acquis ou, plutôt, confirmé un formidable crédit. Ils sont apparus comme le seul pays capable de s'opposer aux USA par les moyens de la diplomatie et de l'habileté. (Les Américains sont stupéfaits des capacités des Français. Avec les Français, les Américains ne cessent d'être stupéfaits, dans quelque domaine que ce soit, tandis que les Français continuent à être stupéfaits par les Américains, à se dénigrer eux-mêmes, à encourager leurs partenaires à être stupéfiés par les Américains.) Cela n'est pas une surprise ni une vertu particulière de cette France d'aujourd'hui, sauf sur les plans tactique et psychologique (l'habileté de l'ambassadeur français à l'ONU, l'entêtement de Chirac). C'est simplement que la France est, dans un monde gagné par la corruption psychologique générale et le complet désordre que suscitent les diverses poussées de globalisation (y compris celle de l'unilatéralisme US), le seul pays à conserver une diplomatie basée sur des principes. Ce sont les principes habituels de la France : les principes de la recherche de la pluralité dans l'équilibre des relations internationales, de l'affirmation de l'indépendance et de la souveraineté, de Richelieu à Vergennes, réaffirmés par de Gaulle. La France est organiquement incapable, sauf dans des moments de crise aiguë où elle n'a plus de diplomatie, de concevoir une autre orientation.

• Les Français sont sûrs de mener le combat de la raison et du bon sens. En réalité, ils sont perçus comme une puissance qui s'affirme/cherche à s'affirmer face aux USA ; demain, ils seront perçus comme une alternative (c'est ce qu'avait compris de Gaulle, cette éternelle capacité alternative de la France, cette fois face au pan-expansionnisme). Cela est une fatalité qui tient à l'existence, on dirait à l'essence de la France, par conséquent quoiqu'elle en veuille, et malgré son état actuel de considérable corruption de tous ordres. (A cause de son organisation organique qu'on a mentionnée plus haut, la France a toujours su résister à la corruption et à sa propre corruption, voire s'en accommoder, comme le montre l'exemple de Talleyrand qui fut à la fois l'un des plus grand corrompus de l'histoire de France, et l'un de ses meilleurs diplomates du point de vue des intérêts nationaux : les trahisons de Talleyrand avaient toujours un sens national.)

• Pour l'affaire qui nous importe, rien n'est fini. La guerre contre l'Irak est toujours “à l'agenda” de GW, et tout le reste, les projets déstabilisateurs, la “guerre contre la Terreur”, la doctrine de la frappe préemptive ; mais aussi, le malaise intérieur américain, que les péripéties onusiennes vont encore accentuer, et qui importe plus que tout. La France, elle, se trouve dans une situation privilégiée, avec un statut de puissance, dans le sens de l'influence sans aucun doute, fortement régénéré. Cela ne signifie pas qu'elle saura exploiter ce qu'elle-même ne considère pas vraiment comme une “victoire”, et nous serions presque inclinés à dire : au contraire. Cela signifie par contre que les grandes tendances de la réalité des nations existent toujours, conformes à l'histoire. Ni la puissance US, ni son unilatéralisme, n'ont rien changé à l'histoire. Il reste complètement à démontrer à la Pax Americana (l'étrange expression, lorsqu'on y réfléchit) son affirmation théorique, qui doit tant à l'hubris, qu'elle équivaut en puissance d'influence et en inspiration à la Pax Romana. Nous sommes vraiment très, très loin du compte.