La leçon de Kagan

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La leçon de Kagan


14 septembre 2002 — Voici une leçon salutaire de Robert Kagan : «Multilateralism, American Style», ce jour dans l'International Herald Tribune. On la verra aussi comme une interprétation (celle de Kagan) du discours de GW Bush, le 12 septembre, devant l'Assemblée générale de l'ONU.

Robert Kagan, qu'on a déjà rencontré, on le connaît comme le nouveau gourou à la mode des conceptions en vogue à Washington. C'est lui qui est censé exprimer la pensée profonde dominante à Washington. Dans le cas qui nous occupe, on reconnaîtra que Robert Kagan nous est d'une aide précieuse, essentiellement par sa franchise brutale et un peu cynique.

Ce que nous dit en substance Kagan, c'est ceci : certains, notamment en Europe, ont pu croire, et certainement avec beaucoup de soulagement, que GW (avec son discours du 12 septembre) était devenu multilatéraliste, notamment parce qu'il a dit qu'il voulait bien chercher à convaincre les Nations-Unies d'approuver sa guerre contre l'Irak, qu'il tenait effectivement à voir d'autres rallier sa cause, — bref, en apparence, tout le contraire de l'unilatéraliste qu'on dénonce ; eh bien, soit, dit Kagan ; disons qu'il est multilatéraliste, mais alors il faut s'entendre sur les mots. Voici donc un petit exercice de définition qui n'est pas inutile.


« Clearly multilateralism has different meanings on either side of the Atlantic. Most Europeans believe in what might be called principled multilateralism. In this view, gaining UN Security Council approval is not a means to an end but an end in itself, the sine qua non for establishing an international legal order.

» Not many Americans would agree. Most Americans are not principled multilateralists. They are instrumental multilateralists. Yes, they want to win international support. They like allies, and they like approval for their actions. But the core of the American multilateralist argument is pragmatic. »


En résumé, Kagan nous dit que le multilatéralisme n'est qu'un moyen qu'emprunte les USA, selon les circonstances, pour imposer leur vision unilatéraliste un moment dissimulée. Il emploie spécifiquement l'image de “la main de fer dans un gant de velours”, l'appliquant au couple unilatéralisme-multilatéralisme : « It's the unilateralist iron fist inside the multilateralist velvet glove. »

Par conséquent, avertit Kagan, il ne faut pas trop s'attacher aux querelles internes, à Washington, entre unilatéralistes et multilatéralistes, entre ceux qui recommandent de se passer de l'ONU et d'une alliance et ceux qui, au contraire, recommandent de passer par ceci et cela. (Ces querelles, comme celle qui a eu lieu au mois d'août, où de nombreuses voix se sont élevées contre les intentions de GW d'attaquer unilatéralement l'Irak.) Il s'agit d'une simple variation sur un même thème.


« In fact, despite what many believe, there really isn't a debate between multilateralists and unilateralists in the United States today. Just as there are few principled multilateralists, there are few genuine unilateralists. Few inside or outside the Bush administration truly consider it preferable for the United States to go it alone in the world. Most would rather have allies. They just don't want the United States prevented from acting alone if the allies refuse to come along.

» So the real debate in the United States is about style and tactics. Some of the administration's critics, such as Richard Holbrooke and Joseph Nye, say the United States should build goodwill by working hard for Security Council support. When that fails, the United States can go ahead and do what it wants, but the good-faith effort to accommodate allied concerns will have won the United States Brownie points. »


Et ainsi de suite ... Tout le reste est sur le même registre. Kagan a-t-il raison ? Reflète-t-il la pensée dominante à Washington ? On le dit et, par conséquent, les questions valent d'être posées. On notera, avec un peu d'appréhension et une certaine nostalgie, que la même sorte de débat agitait les cénacles occidentaux (et américains alors) sur la situation en URSS, sur les débats conservateurs versus libéraux au Kremlin, du temps de la Guerre froide. Certains, en Occident, disaient que les libéraux cherchaient l'entente (on nommait cela “détente”) avec l'Ouest alors que les conservateurs voulaient l'affrontement, la victoire sur l'Ouest et la conquête du monde ; d'autres disaient que les libéraux cherchaient la même chose que les conservateurs, mais par d'autres moyens, plus soft si l'on veut. Voilà que Kagan nous sert la même formule, et cette fois Washington serait notre Kremlin type-XXIe siècle.

Pour le reste et pour conclure, et il s'agit d'ailleurs de la conclusion de Kagan, pour ceux qui pensent encore qu'il faudrait tout de même envisager des nuances, des consultations entre alliés et ainsi de suite, Kagan nous déclare ceci :


« This blend of unilateralism and multilateralism reflects a broad and deep American consensus. Americans prefer to act with the support of other countries if they can. But they're strong enough to act alone if they must. That combination may prove to be the winning formula in Europe and elsewhere. Maybe it won't be quite the principled multilateralism Europeans and Kofi Annan prefer. In an age of American hegemony, it will be multilateralism, American style. »