Entre “FakeNews acceptables” et Terreur

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 5055

Entre “FakeNews acceptables” et Terreur

28 janvier 2019 –En novembre 2014, un site US eut la riche et abondante idée de faire le décompte du nombre de fois où, dans le système de la communication du bloc-BAO, la Russie avait envahi l’Ukraine. Vous savez que l’invasion de l’Ukraine par la Russie est un fait historique évident, aveuglant, émouvant, poignant, bouleversant, que nul esprit sensé ne peut songer à contester ; mais plus encore, c’est le nombre de fois où cette invasion eut lieu qui est impressionnant... Voilà ce que cela donnait, dans nos colonnes, le 15 novembre 2014 :

« Le site Red Pill Times a eu, le 13 novembre 2014, la riche et laborieuse idée de recenser le nombre de fois où, à en croire les autorités additionnées Kiev-OTAN-département d’État-bloc BAO-Presse-Système, – et qui oserait ne pas croire à cette masse référentielle ? – la Russie lança une invasion de l’Ukraine. (L'expression de Stealth Invasion  [voir le 2 septembre 2014], doit être rappelée à cette occasion pour confirmer le sérieux du propos.) Le résultat est à la fois surréaliste et effrayant : 36 occurrences ont été déterminées. (36 en 9 mois, ce qui fait exactement 4 invasions par mois, ou une invasion par semaines, ou 0,1042 invasion par jour.) Cela laisse à penser sur l’incroyable héroïsme ukrainien, particulièrement de la direction-Kiev... » (Etc., etc., ou disons bla-bla-bla, – l’article, tentant de ridiculiser par la moquerie vicieuse l’incomparable courage civique et militaire de Kiev & Cie, – et de l’OTAN certes, et de l’UE ô combien...)

Voilà que ce chiffre de 36 pris arbitrairement comme symbole, selon un laps de temps arbitraire, – je ne considère que l’aspect symbolique et ne prétends à aucune rigueur scientifique, – est supplanté par un autre chiffre qui est celui des plus incroyables FakeNews développées dans le cadre du Russiagate : 42 contre 36...

Le recomptage est fait par un anodin et vicieux observateur du monde de la presseSystème et assimilés, à propos de certaines légèretés de langage, disons une certaine, et belle et bonne liberté prise vis-à-vis de la vérité. Il faut savoir ce que vertu veut dire, mille diables ! Je ne peux comprendre en quoi une chose comme la vérité serait une entrave à l’exercice des libertés fondamentales de l’esprit humain et de la vertu postmoderniste : comment ?! L’on n’aurait pas le droit de prendre des libertés, – plusieurs en plus, ce qui multiplie d’autant la vertu, – vis-à-vis de la vérité ?!

Quoi qu’il en soit, j’en viens à mon “observateur vicieux et anodin” selon un texte qui vient, devinez, – de RT.comévidemment(le 22 janvier) :

« Un énorme scoopdu site BuzzFeed nous annonçait la semaine dernière que Donald Trump avait donné ordre à son ancien avocat, Michael Cohen, de mentir devant le Congrès. Ce n’était que le dernier d’une longue série de bobards de la campagne antirusse nommée “Russiagate”.

» L’article de BuzzFeed, qui a fait l’objet d’un démenti officiel[du procureur Mueller lui-même], fait partie d’un phénomène que l’on pourrait qualifier de “fausses nouvelles acceptables” – des fausses nouvelles qui ont la côte des médias parce qu’elles servent une certaine narrative. Dans ce cas, cela renforce le récit de Russiagate, que les médias traditionnels ne cessent d’user jusqu’à la moelle depuis deux ans. Ne disposant d’aucune preuve irréfutable que Trump a “collaboré” avec la Russie pour remporter les élections de 2016, ils se raccrochent désespérément à toute trace de fausses preuves qu’ils pourraient trouver.

» La semaine dernière, un utilisateur astucieux de Twitter a compilé une liste d’énormes 42 nouvelles-FakeNews sorties du Russiagate, présentées comme des scoops et finalement démenties ou aménagées. Voici sept des cas les plus scandaleux... »

Comme on l’a lu dans le texte, il y a un renouveau d’agitation autour des “nouvelles” produites par le Russiagate, disons depuis le fin de l’année 2018Cela n’est ni indifférent, ni fortuit, pourrait-on supposer. Ainsi en est-il de Stephen F. Cohen, dans The Nation, s’interrogeant sur cette frénésie renouvelée du Russiagate...

« Pourquoi cette frénésie maintenant? Peut-être parce que les promoteurs de haut niveau du Russiagate craignent que le Procureur Spécial Robert Mueller ne produise pas la “bombe” espérée pour mettre fin à la présidence de Trump. Certes, le chroniqueur David Leonhardtdu New York Times semble inquiet et exigeant. “Le président doit partir” observe-t-il, exhortant à l’action dans le sous-titre de son article, “Qu’est-ce que nous attendons ?”. (Dans certains pays, un article comme celui-ci, et il y en a beaucoup, serait lu comme un appel à un coup d’État.) Peut-être pour inciter les démocrates qui ont maintenant pris le contrôle des comités d’enquête de la Chambre à agir dans le sens qu’on devine. Peut-être plus simplement parce que le Russiagate est devenu une sorte de culte politico-médiatique qu’aucun fait ni aucune preuve ne peut réduire et encore moins démentir. »

J’attire votre attention sur la dernière phrase parce que c’est la plus fascinante, la plus constructive, la plus ouverte, – bref, la piste à suivre : « [L]e Russiagate est devenu une sorte de culte politico-médiatique qu’aucun fait ni aucune preuve ne peut réduire et encore moins démentir. » En conséquence, cette narrative est d’ores et déjà entré dans l’histoire officielle comme un fait historique nécessairement étranger à toutes contestation, et qui plus est un fait historique sacralisé puisque devenu “une sorte de culte politico-médiatique”. (De même, l’“invasion russe” de l’Ukraine, d’ailleurs sorte de prélude du Russiagate et effectivement point de rupture dans l’objectivisation de la narrative, est elle-même devenue, dès 2015-2016, un fait historique qu’il est impensable de contester sous peine d’être accusé de “révisionnisme”.) Le propos de Cohen est justement choisi : nous sommes entrés dans l’ère d’une nouvelle religion, à la fois si intense et si contrainte jusqu’à la terreur qu’on doit effectivement la qualifier de “nouveau culte”... Le culte est celui du Russiagate et la religion celle du FakeNewsisme : le phénomène est désormais assez long et vigoureux pour être identifié comme structurel.

Le culte exige de dévorer régulièrement de nouvelles victimes, de plus en plus vite, de plus en plus de victimes, – un appétit d’ogre, ma parole ... Par conséquent, comme dans une Révolution qui dévore allègrement ses propres enfants, personne n’est à l’abri de ce phénomène touchant absolument tous les domaines de la politique, c’est-à-dire de l’hystérie de la psychologie exacerbée par les divers courants déstructurants de la société développés en mode de surpuissance par le Système, tout cela engendrant un désordre qui ne suit plus aucune consigne, plus aucune “ligne” politique, encore moins un complot ou quelque chose de la sorte... On le voit lorsque les progressistes eux-mêmes, qui ont été les principaux outils et propagateurs de ce phénomène, en deviennent les victimes. La dernière attaque en date dans le cadre du Russiagate, est contre Bernie Sanders, et il est accusé d’être un agent du Kremlin alors qu’il vient d’annoncer qu’il sera candidat pour l’élection de 2020. C’est Catlin Johnson qui nous annonce la chose, la première à annoncer que les progressistes qui ont lancé ou soutenu le Russiagate vont commencer à y passer :

« L'autre jour, j'ai publié un articledisant que nous pouvons nous attendre à voir de plus en plus de campagnes de diffamation décrivant les progressistes comme des agents du Kremlin et des idiots utiles de Poutine à l'approche des élections de 2020. Depuis la publication de cet article, deux événements se sont produits: un rapportselon lequel Bernie Sanders est sur le point d'annoncer sa candidature à la présidence de 2020, et une forte augmentation de la part des démocrates centristes le dénonçant en tant qu'agent du Kremlin. »

Russiagate, comme l’invasion russe de l’Ukraine, est entré dans l’histoire, – je veux dire dans la “petite” histoire, l’hagiographie-Système, dans les articles de magazines et les documentaires télévisés qui font “du bon boulot” comme dirait Fabius. L’entraînement est irrésistible et il concerne d’abord un problème psychologique bien plus qu’une situation classique de contrainte extérieure, ou de corruption. Ce problème psychologique se manifeste dans les convictions nées de l’hystérisation de la perceptionpour une partie non négligeable du personnel de la presseSystème, surtout aux USA, et pour une autre “partie non négligeable” du même personnel la soumission à la terreur de la nécessité de conformité au culte. Parlant de la question du féminisme qui est totalement contiguë à celle de l’antirussisme (Russiagate) jusqu’à s’y confondre, – cette vaste nébuleuse du simulacre de la postmodernité aux abois et radicalisée qui frappe le monde de la communication-Système, – Natacha Polony explique (Éléments, n°178, février-mars 2019), en réponse à la question de savoir ce qui est “le plus dommageable, la censure ou l’autocensure ”...

« A coup sûr, l’autocensure, ne serait-ce que parce qu’elle va au-delà de ce qu’exigerait la simple censure. Sur les questions de société, par exemple, un grand nombre de nos confrères sont d’une prudence de Sioux : au moment de la campagne “MeToo” [dénonciation de contraintes et violence sexuelles à la suite du scandale Weinstein] j’ai été frappée par le spectacle consternant donné par des journalistes qui se contorsionnaient pour expliquer qu’ils étaient depuis toujours de fervents féministes et qu’il n’y avait aucun excès dans ce mouvement, alors qu’ils n’en pensaient pas un mot. Je trouve terrible de voir des gens obligés de s’humilier et de mentir en public pour éviter que leurs confrères ne lsd regardent de travers... »