En attente

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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En attente

19 juin 2017 – Il y a un certain temps déjà que je me préoccupe de mon absence de jugement, et pour tout dire d’absence de sentiment vis-à-vis de ce nouveau président. J’ai fait une entorse à cette attitude psychologique lors de la visite de Poutine à Versailles, mais je crois que c’était plus à cause de Poutine qu’à cause de Macron, et que c’était conjoncturel plus que structurel.

Hors cela, le phénomène subsiste ; je veux dire qu’il subsiste, après son installation au pouvoir et malgré les législatives ; ou bien est-ce à cause des législatives avec ces résultats en dents de scie, d’une énorme majorité promise de “Chambre introuvable” au premier tour devenue majorité beaucoup plus équilibrée entre les deux tours ; ou bien est-ce à cause du poids écrasant de l’abstention qui n’a cessé de grandir, qui laisse à chacun la liberté embarrassante de lui trouver une explication comme lorsqu’on se trouve devant l’énigme du Sphinx : l’irrésistible attrait de la pêche du dimanche ou le silence de la révolte qui se prépare ?

Comment exprimer cela ? Il n’y a aucune antipathie, mais pas non plus de la sympathie, non rien d’arrêté dans mon chef vis-à-vis de lui. Il m’est extrêmement difficile de dire “président Macron”, ou “président de la République” et “président de France” à son propos, non par sentiment de rancœur, d’insurrection, d’illégitimité, mais par difficulté de perception, parce qu’il m’est difficile de sortir des clichés qui m’ont envahi l’esprit, du “jeune homme“ au “gamin”, et qui effectivement dénotent cette absence de sentiment, donc de jugement. Chaque fois que je le vois, c’est comme si c’était la première fois que je le voyais, et j’ai de ces exclamations dont je ne peux me déprendre malgré qu’elles soient déraisonnables et qu’elles pourraient laisser croire que mon jugement s’est retranché dans le sarcasme ou la caricature : “Tiens, qu’est-ce qu’il fait là, ce gamin ?”, ou bien “Quel jeune homme de belle allure, bien conventionnel, tout à fait propre sur lui, on en ferait mille comme lui et pourtant c’est lui qui se trouve là, – mais que fait-il donc là ?”

Tout le monde sait qui il est ce Macron, l’homme de Rothschild, l’homme de la globalisation et de Bruxelles où règne le bordel et l’impasse les plus incroyables, la créature d’Attali qui n’a même plus la force d’être suffisant (je parle d’Attali), l’Attali qui est à bout de force, un peu comme la globalisation soi-même et Bruxelles en plus. C’en est même trop beau jusqu’à la caricature d’être autant une créature faite de complots et d’ambitions catastrophiques à ciel ouvert (je parle de Macon mais ce pourrait être d’Attali) ; c’en est trop beau, justement, à ce point qu’on n’en éprouve guère de sentiment fixé... On comprend alors de quoi je veux parler. Plus encore et de ce point de vue, ce sentiment d’absence-de sentiment peut s’élargir à l’ensemble de l’opération de cette présidentielle France-2017, de tous les événements, de toutes les rumeurs qui l’ont accompagnée et qui continuent à perdurer.

Tout se passe comme s’il y avait là-dedans quelque chose qui, non seulement ne fait pas sérieux, mais qui plus est, qui n’est pas sérieux, quelque chose qui vous dit d’une certaine façon “Attendez, je ne suis pas encore assez fait, comme l’on dit d’un fromage, pour être vraiment sérieux”... Éprouver cela, justement, par les Temps formidables que nous traversons et les crises terribles qui roulent et qui nous secouent, et qui nous écrasent, c’est quelque chose d’extrêmement sérieux, dans le sens de la gravité je veux dire.

Si j’explore plus avant cet étrange territoire de l’absence de sentiment, comme on explore un territoire du rien là où il devrait y avoir un tout qu’il s’agit d’identifier et qu’il serait très aisé d’identifier, je m’aperçois que j’entre sur le territoire de l’attente ; et, secondement, que ce territoire-là de l’attente ne m’est pas inconnu, que je m’y trouve déjà pour une autre occurrence. Ainsi m’apparaît bientôt l’étrange similitude entre la présidentielles USA-2016 et la présidentielles France-2017, notamment symbolisée par la victoire d’un candidat venu de nulle part et pourtant fabriqué en plein jour, au vu et au su de tout, comme on fabrique un simulacre pour le placer selon la technique du contre-feu au cœur du simulacre.

A Washington D.C., mais avec un peu d’avance sur nous la Grande Nation bien entendu, nous sommes également dans l’attente. Trump n’est pas vraiment président, et je crois qu’il ne le sera jamais même s’il le reste ; mais avec lui (c’est-à-dire contre lui), l’“opposition” n’en est pas vraiment une au sens politique, c’est plutôt une sorte d’énervement extraordinaire de la psychologie, qui ne sait ce qu’elle veut ni où elle va, cette psychologie énervée qui est là pour pousser à réclamer de casser tout ce qui peut l’être. Tous également, eux aussi, Trump, son “opposition” qui veut tout casser, Washington D.C., tous ils sont dans l’attente d’un événement qui les dépassera évidemment. Eh bien, je pense que c’est la même chose avec Macron, les “En-Marche”, les “oppositions laminées-puis-sauvées-de-justesse”, les abstentions, tout cela, tout est en attente également.

Somme toute, je pense que Trump et Macron ont d’abord servi à une chose, à marquer d’une façon un peu symbolique la sortie d’un marigot, d’une sorte de cloaque où nous étions enlisés mais qui aurait été un passage obligé. Certes, je vous concède que l’un des cloaques avait autrement plus d’allure que l’autre (je parle du cloaque US et du cloaque français), mais un cloaque reste un cloaque. Les deux grandes républiques réduites à leurs caricatures figées sont donc sorties d’une sorte d’immobilité aux facette différentes, agitées comme lorsqu’un hémiplégique est secoué de tic (est-ce possible, ça ?), pleines de grâce et de rouerie ou pleines de placidité bonhomme et de gaucherie, avec les agitations inutiles qu’on imagine dans cette sorte de situation.

Mais tout cela, le franchissement de cette étape, tout cela pourquoi ? Nul ne le sait, nous ne le savons pas, littéralement nous sommes tous dans l’attente, avec tout de même des indications (voir Washington D.C.) que nous ne sommes nullement privés d’événements folkloriques très inattendues et d’une bien curieuse facture. Personne ne sait rien de ce qui nous attend au bout de cet étrange entre-deux dont Macron est l’un des pions. Je crois qu’il existe une machinerie sourde, qui nous surmonte bien entendu, qui est au-dessus de nous infiniment, qui a été mise en marche, qui avance avec une force inimaginable, qui poursuit son dessein dont nous ne savons rien.

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