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334429 août 2021 – On n’en a pas fini, et on n’en aura pas fini avant longtemps d’analyser cette “guerre” d’Afghanistan (les guillemets suggère ce que j’en pense), l’échec qui l’a caractérisée tout au long des opérations, et la catastrophe qui l’a conclue à ce stade de la séquence. Pour suivre sans trop s’ennuyer, et sortir, et hausser chacun de nos esprits, toujours menacé d’anesthésie, il faut chercher quelques commentateurs originaux ; il nous faut du “hors des sentiers battus”. William S. Lind est l’un de ceux-là, on peut le suivre sans craindre de se faire agresser.
On a déjà parlé de Lind sur ce site, assez souvent à une époque, moins (mais à peine, après tout) depuis qu’il s’est largement retiré du monde de la communication tout en maintenant une chronique régulière sur le site où on le retrouve, qui fait un clin d’oeil aux traditionnalistes. C’est un spécialiste de l’histoire et de la technique des conflits, fameux surtout pour ses thèses sur la Guerre de Quatrième Génération (G4G) avec ses rapports avec les modèles des États faillis ; mais également, dans un mode plus spécifiquement historien, très intéressé par la Grande Guerre et attentif à mettre en évidence le rôle fondamental de la France bien souvent minoré et dédaigné par les historiens anglo-saxons suivant le train britannique qui attribue bien évidemment l’essentiel de la vertu opérationnelle et la gloire guerrière à l’armée de Sa Majesté.
Ci-dessous et pour mieux nous rappeler de lui, un extrait d’une présentation d’un texte de Lind, sous le titre général de « Vision de William S. Lind ». On y retrouve d’autres références plus lointaines de Lind sur notre site :
« Nous-même connaissons bien William S. Lind (première citation et référence à Lind le 3 mars 2003) et son concept de G4G (première citation et référence le 30 juillet 2006). Le concept de Lind, que nous avons souvent interprété de différentes façons opérationnelles nous intéresse parce qu’il est si proche des conceptions gaullistes (voir le 23 janvier 2009), c’est-à-dire d’une conception principielle du monde basée sur la souveraineté et la légitimité.
» Nous avons la perception que les événements, tout en ne déclassant en rien la G4G telle qu’elle est présentée, surtout selon sa référence à la Grande Stratégie, doit donner à un nouveau prolongement, que nous nommons G5G, déjà référencée pour introduire une analyse plus profonde. »
Lind a un parcours original, marqué par ses très fortes convictions catholiques et un choix politique qu’il a quelquefois qualifié, d’ailleurs en référence à la France, de “royaliste”. Il ne faut donc pas s’étonner, et c’est bien mon cas, s’il donne une analyse de l’affaire afghane d’un point de vue philosophique extrêmement “essentialiste” (j’aurais pu écrire “essentiellement essentialiste” ?) qui prend pour cible et dénonce le “nominalisme” caractérisant selon lui la “vision du monde” de l’establishment washingtonien... Bien, on pourrait aussi bien parler, – mais ceci n’exclue certainement pas cela dans une époque où tout se dégrade, – de simulacre, de narrative et de virtualisme.
Par ailleurs, et pour corser le propos, on peut faire un tour du côté d’une vision originale sinon exotique, venue de l’étrange et peu ou prou improbable guerrier de ‘veteranstoday.com’ [VT], Kevin Barrett. L’éditeur de VT ne recule jamais devant une hypothèse audacieuse et des changements spectaculaires de position, parfois avec des interprétations ou des sources dont il faut savoir saisir l’intérêt.
J’ignore dans quelle catégorie classer ce texte de Barrett, qui nous annonce que les talibans venus au pouvoir, qu’il applaudit avec force, pourraient demander l’ouverture d’une enquête internationale sur l’attaque du 11 septembre 2001 (20e anniversaire dans une quinzaine). Cela nous rappelle au moins qu’au doit, nous, rappeler à la grande campagne de chasse au complotisme qu’a déclenché le Covid dans le chef des milices de la vigilance, que le complotisme de la modernité-tardive ne date pas de nos temps vaccinaux, qu’il a connu sa naissance tumultueuse et son existence-première (qui n’est pas terminée) avec les remous autour de l’attaque 9/11... La plume à Barrett :
« Les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan quelques semaines seulement après le retrait des troupes américaines annoncé par Biden, – et moins d'un mois avant le 20e anniversaire des événements du 11 septembre 2001. Les médias occidentaux, se faisant l'écho de leurs sources gouvernementales et militaires, se disent choqués. Qu'est-ce qui a provoqué ce désastre ? Comment une armée de péquenauds ruraux, dévoués et mal équipés, a-t-elle pu vaincre la seule superpuissance du monde ?
» La réponse, en un mot, est le moral. La résistance afghane s’est battue fièrement pour défendre sa nation contre un envahisseur étranger. Les Américains et leurs laquais locaux, en revanche, n'ont jamais vraiment eu le cœur au combat. Pourquoi ? Parce qu'ils savaient tous, d’une manière ou d’une autre, qu’ils se battaient pour un mensonge.
» Étonnamment, les politiciens pusillanimes et les abrutis de [la presseSystème] ne semblent pas l'avoir compris. Ils continuent à colporter sans vergogne le gros mensonge qui nous a mis dans le pétrin afghan en premier lieu.
» Le New York Times rapporte : “Le dimanche (15 août, jour de la prise de Kaboul par les talibans), Blinken a également déclaré que les talibans n’oseraient pas risquer d’être surpris en train d'abriter des terroristes internationaux comme Ben Laden, qui a planifié les attaques du 11 septembre 2001 depuis l'Afghanistan.” La National Public Radio nous dit : “Le casus belli de l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis à la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001 était le refus des Talibans de livrer Oussama ben Laden, – considéré par Washington comme un fugitif international.” Et ainsi de suite.
» Comme d'habitude, [notre presseSystème] colportent des fake news. La vérité est qu'Oussama Ben Laden n’a jamais été recherché en relation avec les événements du 11 septembre, car il n'y a jamais eu de preuves tangibles contre lui. Ce n'est pas mon opinion. C'est la position officielle du FBI, comme l'a déclaré pour mémoire le porte-parole du Bureau, Rex Tomb : “La raison pour laquelle le 11 septembre n'est pas mentionné sur la page des personnes les plus recherchées par Oussama Ben Laden est que le FBI ne dispose pas de preuves tangibles reliant Ben Laden au 11 septembre.” [...]
» Les talibans ont toujours su que Ben Laden n'avait rien à voir avec le 11 septembre, comme l'a souligné Suhail Shaheen, le principal porte-parole des talibans, dans une interview accordée à CBS en 2019. [...]
» L’agence de renseignement du Pakistan, l’ISI, est dirigée par des hommes qui comprennent et ont des informations privilégiées sur le ‘false flag’ du 11 septembre. J'ai interviewé l'ancien chef de l'ISI, Hamid Gul, dans mon émission de radio en 2010, et Gul a été très clair à ce sujet.
» L’ISI sait bien ce qu’est le 11 septembre et entretient de bonnes relations avec les talibans. Il est à l’aise avec le premier ministre pakistanais Imran Khan, qui est favorable à la vérité sur le 11 septembre.
» L’ISI devrait expliquer aux hauts dirigeants talibans qu'ils doivent mettre la question de la vérité sur le 11 septembre au premier plan. Les talibans devraient demander une enquête internationale sur la démolition contrôlée du World Trade Center.
» En blanchissant le nom de Ben Laden et en prouvant qu’Al-Qaïda n'a rien à voir avec le 11 septembre, les talibans pourraient renforcer leur légitimité et prouver que l'occupation contre laquelle ils se sont battus si longtemps et si efficacement était fondée sur un mensonge. »
Certes, il serait étonnant que les talibans, et les Pakistanais d’une certaine façon, suivent le conseil de Barrett dans le contexte évoqué nous mettant dans une atmosphère particulièrement ‘rock’n’roll’. Il n’empêche pas pour autant qu’avec la prise de pouvoir des talibans, on en revient effectivement aux origines de l’actuelle séquence ouverte dans le fracas extraordinaire du 11 septembre 2001, suivi presqu’aussitôt (le 7 octobre 2001) par l’attaque de l’Afghanistan des talibans d’alors. C’est comme si une révolution, dans le sens orbital et spatial que rappelait Hanna Arendt, parvenait à son terme en revenant à son point de départ. Le symbolisme ne manquera pas de frapper ceux qui y sont attentifs.
Donc, William S. Lind, sur lequel je reviens, est là, ci-dessous, pour nous rapporter ce qui, à son avis justifia, guida et structura l’extraordinaire catastrophe qu’est cette campagne de vingt ans en Afghanistan. Si son propos prend pour cible le nominalisme, on retrouve évidemment et par conséquent le penchant de Lind pour la légitimité, l’autorité, et la façon dont les choses sans essence ni transcendance en sont dramatiquement privées. Si c’est effectivement le cas, on comprend combien ce qui constitue la mascarade de civilisation que nous sommes devenus se trouve dans un état de déliquescence très accentuée.
Nul ne s’étonnera que le site où Lind publie des chroniques deux à quatre fois par mois, dont celle-ci il y a six jours, se nomme ‘traditionalright.com’ (aisé à traduire).
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Les Républicains tentent de rendre le président Biden responsable de la défaite en Afghanistan, tandis que les Démocrates désignent l'accord de paix du président Trump avec les Talibans comme en étant la cause. En fait, une victoire des talibans est devenue inévitable lorsque, au début de la guerre, les États-Unis ont élargi leurs objectifs, passant de la chasse ou de l'élimination d'Al-Qaïda à la transformation de l'Afghanistan en une démocratie moderne et laïque. Cet objectif était inatteignable, quoi que nous fassions. Si nous voulons blâmer les présidents, les coupables sont George W. Bush et son idiotie et Barack Obama et son vide élégant. Le premier a permis la dérive de la mission et le second a présidé à sa poursuite, se contentant de botter en touche. Il est tout à l'honneur de Biden et de Trump d'avoir pris la décision, après dix-neuf ans d'échec, d’éteindre la lumière et de débrancher la prise.
Mais comment l'ensemble de l'establishment de Washington en matière de défense et de politique étrangère a-t-il pu se tromper à ce point ? Une réponse est que, si vous voulez devenir et rester un membre de l'establishment, vous ne devez jamais faire de vagues. Comme presque toutes les personnes en question veulent être quelque chose, et non faire quelque chose, elles suivent cette règle, où qu’elle mène. Une défaite à la guerre n'est qu'une petite affaire comparée à un risque pour leur carrière.
Une autre réponse est que les membres de l'establishment sont presque tous nominalistes. C'est-à-dire que s'ils donnent un nom à une chose, celle-ci prend une existence réelle dans leur esprit. L’armée nationale afghane en est un parfait exemple. ‘Parce que nous l'appelions une armée, que nous lui donnions beaucoup d'argent, d'équipement et de formation américaines, et que nous connaissions son ordre de bataille, c'était une armée. Mais ce n’était pas le cas. À part quelques unités de commandos, c'était un ramassis de types qui avaient besoin d'un emploi et qui n'avaient que peu ou pas d'intérêt pour le combat. Ces hommes voyaient rarement leur solde, car elle était volée avant de leur parvenir. Les rations et les munitions subissaient souvent le même sort. Cette armée s'est effondrée du jour au lendemain parce qu'elle n'a jamais vraiment existé en dehors de l'esprit des nominalistes de l'establishment.
Ce même nominalisme s’est appliqué à l’ensemble du gouvernement afghan. Les nominalistes de Washington pensaient qu’il était réel ; les Afghans savaient qu’il ne l’était pas. Un commandant de bataillon des Marines tout juste rentré d'Afghanistan a bien exprimé cette situation : « Parler à un villageois afghan du 14e siècle du gouvernement de Kaboul, c'est comme parler à votre chat de la face cachée de la lune. Vous ne savez pas ce que c’est et lui, il n’en a rien à battre. »
On constate que le nominalisme est omniprésent dans l’élaboration de la politique américaine. Les nominalistes de Washington pensent que l’Irak est un État. Ce n’est pas le cas, car le pouvoir réel est entre les mains de milices ethniques et religieuses. L’État n'est qu’une façade, mais comme il a un parlement, des élections, des ministres, etc., il est réel pour les nominalistes. Il n’est pas surprenant que notre politique là-bas ait été une série de désastres depuis le désastre initial de l’invasion de la chose.
Le nominalisme de l’élite de Washington ne se limite pas à la politique étrangère. Elle considère l’armée américaine de la même manière. Si vous appelez quelque chose une armée, elle doit être capable de se battre, même si vous avez rempli ses rangs de femmes, fait dépendre la promotion du politiquement correct plutôt que des capacités militaires et mis des bureaucrates à la place des généraux. Lorsqu’elle perd une guerre, comme elle vient de le faire en Afghanistan, on dit que c’est la faute à “pas d’chance”. Le fait qu’elle ait cessé d’être une véritable armée il y a des décennies n’a pas droit de cité.
Les civils de l'establishment de Washington se sont imprégnés du nominalisme depuis qu'ils ont commencé leur “éducation” dans diverses institutions d'élite. Malheur à ceux qui ont fait remarquer que l’ONU s'est avérée inutile d’une crise à l’autre, que nos alliés “démocratiques” sont tous en réalité des oligarchies ou que l’idée des “droits de l'homme” varie énormément dans sa définition d’une culture et d’un peuple à l’autre. Appeler une entité un État, une armée ou une démocratie signifie qu'elle le devient comme par magie. Et la pensée magique qui domine l'image que l’establishment se fait du monde conduit à des débâcles répétées dont il ne tire nulle leçon.
Un retour à la réalité à partir du nominalisme ne peut se produire que lorsque l'ensemble de l'establishment est remplacé. C'est ce qui vient de se passer en Afghanistan à une vitesse stupéfiante. Je soupçonne que l’effondrement de l’establishment américain sera tout aussi rapide lorsqu’il commencera.
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