Disneyland à Ramstein Air Force Base

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Disneyland à Ramstein Air Force Base

11 juin 2016 – Une circonstance précise, d’il y a quelques jours ou quelques semaines, confrontée à une autre circonstance précise, d’il y a à peu près et autour de quarante ans, permet d’apprécier l’évolution de la puissance américaniste par rapport à une situation de confrontation qui est aujourd’hui décrite comme à peu près similaire en urgence et en pression avec celle d’il y a quarante ans (1975-1977). Cette occurrence d’il y a quarante ans est particulièrement remarquable et concerne USAFE (US Air Force in Europe), ce qui permet d’avoir un point de comparaison précis avec les circonstances actuelles, qui concernent également USAFE. Elle porte sur le déploiement de l’avion de combat F-15 Eagle, dont le développement (programme F-X) commença en 1967, dont le premier exemplaire de présérie vola en 1972, dont le premier exemplaire de série vola en 1975 et montra rapidement ses exceptionnelles qualité faisant de lui l’avion de combat le plus puissant du monde, et dont la première unité opérationnelle fut formée en 1976. PhG put suivre ce processus jusqu’à la cérémonie de déploiement du premier escadron de F-15 à Bitburg, en avril 1977.

« C’était à la fin du mois d’août 1975, une journée très chaude, lourde, terminée par un orage. A cette époque, j’étais bien vu des autorités-Système, comme il m’est déjà arrivé de le rapporter. J’avais un excellent ami, un Hollandais, un multilingue remarquable, au service de la Presse et de l’Information de l’OTAN. Il me trouvait régulièrement des “coups” remarquables, et cette fois c’était une rencontre avec le général commandant AAFCE et USAFE, à son quartier-général de Ramstein. Le général John Vogt était vraiment un dur, une sorte de LeMay beaucoup plus massif et la mine un peu moins hargneuse. Ses avant-bras étaient aussi gros que mes cuisses, il venait du Vietnam et n’avait pas dû être tendre. Enfin, il fit son métier et m’instruisit des dernières nouvelles, et lâcha la nouvelle encore secrète selon laquelle l’USAF avait demandé d’urgence le déploiement en Europe d’un Wing [une escadre, 72 à 84 avions de combat] des nouveaux F-15 en Europe. L’époque était à une alarme grandissante devant ce qu’on jugeait être les intentions agressives des Soviétiques ; quoiqu’on en pense, — et on peut en penser pas mal, – cette situation avait du poids, avec 150.000 hommes dans le VIIème Corps US en Allemagne, les Britanniques, les Français les Allemands, de l’autre côté rien qu’en RDA les 338.000 hommes et les 4.000 chars du Groupe des Forces Soviétiques en Allemagne, etc. Les USA jugeaient alors les Soviétiques en plein rééquipement aérien (MiG-23, MiG-25, Su-24) et les gens d’USAFE s’en inquiétaient. Ils voulaient le F-15 de supériorité aérienne, essentiellement pour contrer les incursions des MiG-25 dans l’espace aérien de l’OTAN et pour renforcer décisivement le contrôle de l’espace aérien OTAN... »

Wikipédia a parfaitement rapporté l’opération Eagle Ready (le nom de code de ce déploiement en urgence du F-15), qui marqua l’une des plus remarquable opération de projection de puissance de l’USAF dans un temps de grande tension (début de la “seconde Guerre Froide” commencée en 1975, selon divers axes de montage permettant un renversement de la politique de détente). Mettant pour l’instant à part ces considérations politiques, – constantes avec la politique de l’américanisme, – on s’attachera ici à la description technique du renforcement de l’USAFE selon la description qu’en fait Wikipédia à sa rubrique USAFE :

« In 1976, the new McDonnell Douglas F-15A Eagle air superiority fighter was introduced into USAFE service. The Soviet Union's new MiG and Sukhoi fighters made the U.S. Department of Defense anxious. The MiG-25 'Foxbat' made them pull out all the stops to get the F-15A into USAFE. The F-15A was deployed to Germany in April 1977 with the 36th TFW at Bitburg Air Base West Germany. The 32nd TFS at Soesterberg AB Netherlands was also upgraded to the McDonnell-Douglas F-15A Eagle as part of Project Ready Eagle. By 1986, all USAFE F-4 wings were replaced by F-15 and F-16 fighters. [...] Preparations for the switch to the F-15 went ahead at full speed. Its introduction to the USAFE was given the project name `Ready Eagle' and, naturally, included transition training for the USAFE pilots.

» This retraining was the joint responsibility of USAFE and TAC and first began in January 1976 at Langley AFB, Virginia, where the 1st TFW, was stationed. At Langley AFB, the USAFE's future F-15 pilots were given a crash course that familiarized them with the new aircraft in a relatively short time. The first F-15As arrived at Bitburg AB on 7 January 1977. These were two TF-15A (later redesignated as F-15B) trainers that had flown non-stop from Langley AFB in seven and a half hours.

» These Eagles were to be used primarily for ground crew familiarization in anticipation of the arrival of the 525th TFS's first F-15As. The 23 aircraft for this first operational squadron left Langley AFB on 27 April 1977 for a mass Atlantic crossing. Over the following months, the aircraft for two other squadrons (22nd TFS and 53rd TFS) arrived. The 36th TFW's full strength of 79 fully operational F-15As was reached in December 1977. Project Ready Eagle was completed in precisely one year. »

... Si nous avons assisté sur ce rappel dont nous avons pu être témoin via-PhG, c’est pour mettre en évidence les conditions actuelles où il est également question de renforcement divers, dont un renforcement aérien pour USAFE. (En 1976, USAFE comptait près de 800 avions de combat en Europe ; en 2010, selon le dernier chiffre officiel, elle en comptait 158, et a du depuis en abandonner quelques dizaines de plus selon les besoins hors-Europe.)

Cette fois, aujourd’hui en 2016, il s’agit du général Gorenc, nouveau chef de l’USAFE, qui annonce pour la prise de son commandement des mesures remarquables de renforcement. Il est question de 24 F-15C dont le retour vers les USA est retardé d’un an ; il y a 40 ans, le F-15 était un formidable avion, aujourd’hui, même dans ses plus récentes versions, il vole selon une cellule et des concepts vieux de quarante ans, selon un rythme qui accumule les affaiblissements de structure et les contraintes de vol. Pour compléter ce “renforcement” il y a eu l’année dernière, un déploiement de quatre (4) F-22 dans divers pays et diverses bases en Europe, essentiellement en Europe de l’Est (Pologne, pays baltes) pour bien faire savoir aux Russes de quoi l’on parle, avant de regagner les USA. On sait que le développement du F-22 (programme ATF, ou Advanced Tactical Fighter) a commencé en 1983, avec un premier vol en 1990 et la première version opérationnelle livrée fin 2005. Ses performances décrites comme exceptionnelles sont très fortement mises en cause par divers incidents systémiques non résolus ou résolus par des mesures de circonstance, si bien (ou si mal) qu’il est estimé voler à moins de 50% de ses capacités théoriques selon certains experts. Le F-22, dont la production a été réduite de 700+ à 395, puis à 187 exemplaires, n’a jamais atteint ses pleines capacités opérationnelles jusqu’ici et l’on peut douter qu’il ne les atteigne jamais ; il est très vulnérables et souvent surclassé par des avions de la génération ou de la demi-génération précédente (Rafale, Su-35).

La nouvelle à ce propos du déploiement de 2015 vient de l’éditorial de Air Force Magazine, qui est le magazine mensuel de l’Air Force Association (AFA), principal lobby officiel de l’USAF, quasi-organiquement couplé à l’USAF. Il s’agit du numéro paru dans le courant mai 2016, où l’éditorialiste John A. Tirpak nous parle de “The View from Ramstein”. Ramstein est le lieu dont parlait PhG plus haut, cette petite ville allemande de Rhénanie-Palatinat où se trouve l’immense base US du même nom, et le Quartier Général d’AAFCE (Forces Aériennes alliées Centre-Europe/OTAN, devenues depuis AIRCENT) et (surtout) d’USAFE (USAF en Europe). Voici le texte de Tirpak...

« Russia has built a robust, “layered” air defense system “from the Baltics to the Black Sea, and now the Mediterranean,” and this in part drives the need to deploy F-22 Raptors to the European theater more frequently. So said US Air Forces in Europe and Air Forces Africa chief Gen. Frank Gorenc during a recent visit to Washington.

» Last year’s “Rapid Raptor” deployment of four F-22s to a number of USAFE-AFAFRICA bases, including a stop in Poland, might be construed as a “logical  first step” in basing  fifth generation  fighters on the continent, he said. The deployment was “the beginning of the process” of such a move, shaking out how F-22s, which need “extensive” low observable maintenance, could deploy in small numbers to a number of relatively austere air elds. The exercise was the start of introducing  fifth generation  fighter capabilities to NATO, some members of which—non-US—will soon have F-35s. It is necessary for the Alliance to begin exercising with this new capability. The F-35’s stealth and sensor attributes, along with the fact that many partners will  held almost identical jets, will provide an almost “exponential” increase in NATO airpower and interoperability, Gorenc asserted.

» Gorenc doesn’t see the deployment of F-22s as provocative or destabilizing. The F-15Cs based at Lakenheath, UK—and which have been extended there, thanks to European Reassurance Initiative money in the Fiscal 2017 budget—are “purely” defensive, and a more frequent presence of F-22s should be construed in the same way. “Wanting to defend your sovereign airspace couldn’t be more de-escalatory,” Gorenc said, adding that he has no way of measuring whether either the ERI or the deployment of F-22s had succeeded in “deterring” Russia from more aggressive action.

» To “complicate” an adversary’s problems in the event of war, Gorenc said he’s moving to “explore” more deployments of small groups of aircraft to bases around Europe. He described a scenario in which a  flight of aircraft could land at an austere location, refuel and rearm, take off,  y a combat mission, and recover in yet a third location. The concept is called “Rapid X” and involves positioning support equipment and maintainers at such  elds before the aircraft land, then whisking them off to other locations. These airfields don’t have “the full infrastructure” of a NATO base, but the agility of being able to operate from many unexpected locations would be a force multiplier, he said. It makes “the adversary’s problem that much harder.” »

Ces deux situations ont une certaine similitude, qui autorise une comparaison sur les capacités respectives des forces aériennes US prises comme un exemple significatif de l’état général des forces, en 1976 et en 2016, dans les environnements similaires et compte tenu que, à notre sens, le F-15 représentait par rapport à la génération précédente (F-4E) un saut qualitatif opérationnel bien plus important que le F-22 aux capacités très-réduites par rapport à la génération précédente (F-15).

• En 1976 comme en 2016, régnait un environnement politique de montage très spécifique, sur la menace de l’Est. Autour de 1975-76 eurent lieu notamment l’épopée du Team B de la CIA, où s’illustrèrent quelques futurs neocons et où l’évaluation officielle des dépenses de défense soviétique furent radicalement révisées à la hausse ; où un montage avec le Pentagone par l’ancien ministre Lord Chalfont devenu éditorialiste du Times fut réalisé autour d’un rapport assez anodin d’un général belge, Robert Close, à la fois naïf et séduit par la célébrité, qui permit de développer dans l'univers de la communication l’appréciation complètement hypothétiques des possibles capacités d’offensive soviétique (“en 48 heures sur le Rhin”). En 2016, une paranoïa du même type a été développée, mais basée non plus sur des évaluations éventuellement tordues et sollicitées de situations existantes (budget de la défense soviétique, présence du GFSA en RDA), mais sur des narrative totales sinon totalitaires basées sur des évènements complètement fictifs (invasion effective de forces régulières russes de l’Ukraine orientale, projets d’invasion des pays baltes, etc.).

• Comme on le comprend, il existe une vérité-de-situation en 1976, qui substantifie en partie les montages qui sont faits, où joue bien entendu la propagande mais sans perte totale de contact avec la réalité sur laquelle les différents partenaires et adversaires s’entendent à peu près : pour eux tous, effectivement, il existait une réalité commune, qui est perçue différemment et distordue à mesure. Les forces en présence étaient puissantes, massives, effectivement déployées en situation d’affrontement, et si l’on peut discuter et contester les intentions, ce fait permet effectivement de disposer d’une réalité commune. En 2016, cette situation est complètement différente. Il y a certes des forces en Russie, mais simplement parce qu’il s’agit de la Russie et qu’elle dispose d’une armée puissante. Les accusations contre la Russie concernant l’Ukraine orientale sont dénuée jusqu’ici de la moindre preuve lorsqu’elles concernent, ce qui est le cas, des unités constituées, blindées, donc quasi-impossibles à dissimuler. (On laissera de côté les actions clandestines, infiltration, livraisons d’armes, etc., qui s’effectuent de tous les côtés et dans tous les camps et qui ne peuvent être tenues pour un état d’agression au sens militaire, politique et juridique classique.) Même l’“invasion” de la Crimée n’a pas existé en tant que telle puisque, par traité, la base russe de Sébastopol pouvait compter jusqu’à 25.000 hommes autorisés à circuler dans la ville ; les unités engagées par les Russes l’ont été selon ces dispositions légales, alors qu’un référendum donnait une écrasante majorité pour le retour à la Russie. Enfin, les plans d’attaque contre les pays baltes, outre l'absurdité politique et stratégique largement démontrée du projet, n’ont jamais existé dans la réalité puisqu’aucune concentration de forces spécifique n’a été observée dans ce sens du côté russe. Il s’agit d’une complète fiction, d’une narrative.

De l’autre côté, du côté de l’OTAN, qui s’est accolée à la Russie en position offensive sinon agressive, les forces sont ridicules par rapport aux forces qui se trouvent naturellement en Russie, du fait de l’existence même de l’armée russe. Il est inutile de rappeler les détails divers de cette vérité-de-situation qu’on a souvent évoquée. Il y a donc un déséquilibre extraordinaire selon la construction narrativiste qui en est faite : une force très faible qui est postée agressivement contre une puissance militaire considérable, et qui ne cesse de multiplier les provocations (exercices, déclarations, patrouilles très proches des frontières et des côtes) et de dénoncer l’agression dont elle est l’objet.

• Les effets de ces deux déploiements comparés, en 1976 et en 2016, sont à mesure : d’un côté, un effet militaire logique et contrôlé, de l’autre une extraordinaire narrative. En 1975-1977, USAFE voulait avoir des F-15 d’abord pour interdire le ciel des pays alliés au MiG-25 Foxbat. Cet avion aux très hautes performances avait une version de reconnaissance qui pouvait voler jusqu’à Mach 3/Mach 3,2, à des hauteurs de 20 kilomètres, soit en quasi-impunité par rapport aux capacités de défense aérienne d’alors. Ce sont spécifiquement ces incursions de la version de reconnaissance (en Europe, y compris en France, mais aussi en Iran et dans d’autres pays du Moyen-Orient) qui inquiétaient directement l’USAF ; l’entrée en service des F-15, aux très hautes performances (vitesse de Mach 2,5, plafond de 20 kilomètres, très grande supériorité sur le MiG-25 en combat aérien) constitua une mesure de véritable dissuasion qui convainquit l’URSS de cesser ses incursions. Les Soviétiques ne tenaient absolument pas à risquer un incident qui aurait abouti éventuellement à la destruction d’un MiG-25, mais surtout qui aurait exposé d’une façon publique les incursions de l’avion dans l’espace aérien occidental.

Le simulacre de l’indéfectibilité règne

En 2016, que se passe-t-il ? Laissons les F-15 désormais gâteux, dont le départ à l’asile de vieillard est retardé d’un an (pompeusement baptisé programme ERI), et parlons des quatre (4) F-22 qui ont passé quelques semaines en Europe, juste comme pour faire trempette du bout des doigts de pied dans le ciel de la Baltique pour voir si l’eau est froide, et qui sont aussitôt repartis. Ce sont ces “mesures de renforcement” que Gorenc salue d’un très-très-modeste  « [Gorenc] has no way of measuring whether either the ERI or the deployment of F-22s had succeeded in “deterring” Russia from more aggressive action ». (Traduisons l’adresse de Gorenc à Tirpak : “Vous savez, pour être franc, je ne suis pas vraiment sûr que c’est le déploiement des F-22 qui a dissuadé les Russes de ne pas lancer des actions [encore plus] agressives [que celles, nombreuses, qu’ils ont déjà lancées...], – mais bon c’est assez probable...”) On ne peut qu’admirer cette retenue, puis on se pince tout de même, et l’on sort les pieds devant sinon pliés en quatre d’un fou-rire nerveux de Ramstein-Disneyland Air Force Base : les quatre (4) F-22 ont sans doute, – peut-être, sûrement même, – empêché des “agressions russes” en plus de celles que ces épouvantables Russes ont déjà perpétrées.

(Le reste du texte de Tirpak concerne l’avenir de l’USAF en général, et de USAFE en particulier. Pour celle-ci et la situation en Europe, c’est simple : les JSF [F-35] vont arriver, dans l’USAF et dans les forces aériennes alliées, ils interviendront sous un contrôle US central et sous le contrôle tactique et opérationnel des F-22. La suprématie aérienne de l’Alliance sera ainsi totale, pour les décennies, – ou bien, soyons plus réalistes, pour les siècles à venir. Il n’y a pas là-dedans un gramme d’hésitation dans le propos ni une seule précision sur les capacités du F-35. Nous ne faisons pas partie du même monde.)

Il est impossible de tenter une comparaison raisonnable des deux séquences, – F-15/1976 et F-22/2016, – il est impossible de présenter une critique rationnelle des explications de Gorenc. Nous sommes dans deux univers mentaux différents sinon deux univers tout courts, sans liens entre eux, le premier s’appuyant sur une réalité éventuellement aménagée, le second sur une narrative absolument fictive et donc sans la moindre aspérité de vérité qui permettrait la critique. L’énormité du propos (quatre [4] F-22 accompagnés de leurs infirmiers et trempant le bout du doigt de pied avant de rentrer précipitamment tandis que l’armée russe pourrait bien avoir reculé jusque derrière l’Oural devant ce Barbarossa-2.0, tremblante d’effroi, abandonnant sur l’instant ses plans de conquête immédiate, etc.), cela nous signale que nous sommes sur une planète inconnue. Le rappel de 1976 sert simplement à observer qu’il exista une époque où la réalité avait encore un sens, et si nous donnons tant de détails c’est pour montrer que l’exemple rend compte de tout cet univers qui existait en 1976 et qui est laborieusement simulé en 2016.

... C’est dans ce sens (c’est-dire cette absence de sens) qu’on peut se poser la question, à la lumière des deux exemples confrontés ci-dessus, de la signification des manœuvres et gesticulations en cours en Europe de l’Est, en Méditerranée et en Mer Noire. Il n’y a, dans tous ces mouvements, aucune stratégie cohérente. Les évolutions en Méditerranée orientale de deux grands porte-avions d’attaque US (sur une flotte de 10 actuellement tirée à l’extrême avec cinq-six en opérations, déploiement qui devra vite être réduit) n’a aucun sens stratégique. La seule chose qu’on pourrait observer d’un point de vue stratégique est qu’on enferme ces deux grandes unités, dont la zone de responsabilité comprend également le Golfe Persique et l’Océan Indien, – rien que cela, – dans un cul-de-sac dont la seule fonction affichée est de provocation des Russes alors qu’il suffit de s’en tenir au seul exposé de leurs missions pour comprendre ce qui se passe. Comme à l’habitude pour une US Navy réduit aux acquêts par le faible nombre de ces grandes unités et les obligations énormes de leur maintenance (comme ce fut le cas en 2007 avec l’Iran), ce n’est qu’un effet de calendrier : le USS Dwight D. Eisenhower arrive pour couvrir la Méditerranée et l’Océan Indien, tandis que le USS Harry S. Truman va quitter d’ici la fin du mois cette même zone pour une période d’entretien.

ZeroHedge.com commente ces exercices de déploiement qui sont en réalité l’effet de simples nécessités techniques de remplacement des unités en terme d’opération par des unités sortant de temps d’entretien, en rapportant les déclarations fracassantes des porte-paroles militaires tout en s’interrogeant sur le sens final de ce déploiement qui n’est donc pas stratégique mais accidentel et de communication : les Russes menacent-ils d’envahir la Méditerranée ? Quelques détails là-dessus ne sont pas inutiles pour mesurer le climat de communication, – et nullement le climat stratégique... Le chaos est remarquable et rend à nouveau la critique quasiment impossible, sinon à observer encore une fois que nous nous trouvons sur deux planètes différente : la rencontre “technique” transformée en une manœuvre stratégique puissante qui constitue un avertissement terrible pour les Russes, mais cette manœuvre stratégique réduite à rien par sa véritable cause alors que les Russes, en l’occurrence, n’avaient besoin d’être avertis de rien puisque n’envisageant pas une seule seconde de “conquérir” la Méditerranée orientale....

«... But it turns out the carrier strike group had another, far more important mission when it entered the Mediterranean. According to the WSJ, this 20-story-tall aircraft carrier with a crew of 5,000 made an unplanned diversion from the Gulf to the eastern Mediterranean last week: a quick pivot intended to send a clear message to Russia. A military official in Washington said the Truman’s shift was a signal to Moscow and a demonstration of the Navy’s operational flexibility and reach.  “It provides some needed presence in the Med to check… the Russians,” the official said. “The unpredictability of what we did with Truman kind of makes them think twice.”

» Unless the Russians were planning on annexing the Mediterranean we somehow fail to see how this works. Ironically, what is meant to be a show of force, may be just as easily interpreted as a sudden onset of defensiveness. Why the sudden insecurity? 

» The Truman will not be the only US carrier in the region. According to RT, the US military presence in the Mediterranean has been boosted even further ahead of a NATO summit in Warsaw. The USS Dwight D. Eisenhower aircraft carrier strike group will allegedly support “US national security interests in Europe.” “The USS Dwight D. Eisenhower Carrier Strike Group (IKE CSG) entered the US 6th Fleet area of operations today in support of US national security interests in Europe,” the US European Command (EUCOM) has announced.

» The carrier USS Dwight D. Eisenhower is to take the place of the USS Harry S. Truman that will head back to the United States, finishing its eight-month mission, Navy officials on board the Truman said, according to Reuters. In June, however, both carriers will be stationed in the Mediterranean simultaneously... just in case the message to Russia from just one carrier is lost in translation.

» Washington claims that the increased military presence is aimed at fighting Islamic State and balancing Russian extensive military efforts. “The presence of two carrier strike groups in the Mediterranean Sea demonstrates our commitment to safety and security in the region,” the statement read. “These forces further serve to support European allies and partners, deter potential threats and are capable of conducting operations in support of the counter-ISIL [Daesh] mission.”

» As the WSJ notes, Rear Adm. Bret Batchelder, the highest-ranking officer on the carrier, told visiting reporters this week that moving the “capital ship” of the U.S. Navy from the Gulf through the Suez Canal is a flexing of muscle meant to reassure North Atlantic Treaty Organization allies of the American commitment to maintaining the balance of naval power in the Mediterranean.  “It is a demonstration of capability. That’s for sure,” he said. “There are undoubtedly folks who are watching that and this is just a graphic representation of what we’re capable of. »

Ces divers ensembles rendent une impression extraordinaire d’irréalité, ou cette idée que “leur planète est une autre planète que la nôtre”, alors que les F-22 sont tout de même des F-22 même si l’on peut s’en moquer, et les porte-avions d’attaque de 90.000-100.000 tonnes des porte-avions d’attaque de 90.000-100.000 tonnes dont il est préférable de ne pas se moquer. Mais rien n’y fait : il reste cette présentation extraordinaire des F-22 réduits à quatre et à leur valeur opérationnale bancale  et saisissant de terreur la Russie, et le mouvement du USS Harry S. Truman présenté comme « an unplanned diversion... a quick pivot », comme si ce porte-avions de 100.000 tonnes avait effectué son mouvement du Golfe Persique à la Méditerranée orientale en quelques heures, avec un effet de surprise total...

Toute cette construction est complètement baroque, tordue, sans le moindre sens stratégique, et utilisée du point de vue de la communication d’une façon qui fait qu’on se demande si l’on ne va pas obtenir des résultats inverses à ceux que l’on attend ; mais quels résultats attend-on d’ailleurs ? Silence-radio... Impressionner favorablement les Baltes et les Polonais ? C’est déjà fait, au point que l’on se demande si la réunion de l’OTAN en Pologne ne devrait pas directement se tenir dans un hôpital psychiatrique. Faire peur aux Russes ? Les Russes connaissent toute cette quincaillerie et les manœuvres de communication, ainsi que la véritable situation des forces armées US (la véritable valeur du F-22 en attendant le catastrophique F-35, la flotte des porte-avions hyper-réduite et occupant l’essentiel de son temps à des périodes d’entretien, sans compter l’extrême vulnérabilité de ces géants très visibles).

Notre dernière hypothèse à côté du fatras de communication, est une explication de circonstance mais impliquant une réelle conviction, marquée notamment par l’absence de réserve chez les intéressés eux-mêmes, chez un Tirpak qui reprend religieusement le propos de Gorenc sans émettre la moindre réserve : comme si les uns et les autres se disaient “nous voulons nous confirmer à nous-mêmes notre puissance incontestable et supérieure à toute autre”, – et plus précisément, l’USAFE veut se confirmer à elle-même, et l’US Navy veut se confirmer à elle-même...  Cela signifierait plus encore, de manière décisive : l’USAFE elle-même croit à son scénario des quatre (4) F-22 décourageant la Russie de “toute nouvelle agression”, de même que l’US Navy avec son rassemblement de porte-avions et tout le reste.

Pour ce qui concerne notre principal exemple, on peut difficilement envisager l’argument de la complicité ou la soumission volontaire ou involontaire de ceux qui rapportent les propos de Gerenc sans la moindre réserve. Les gens de l’AFA ne sont pas des gens de la presse-Système comme les autres, ils font partie intégrante de l’USAF par leurs positions de lobbyistes agréés. In illo tempore, ils étaient capables de se montrer critiques de l’orientation prise par l’USAF, ayant conscience de la situation extrêmement grave, comme on le voyait dans notre texte du 12 décembre 2008, dans nos Notes sur l’“air dominance”en perdition, où la situation catastrophique de l’USAF était dénoncée, ainsi que le choix catastrophique des années 1990 d’avoir pris une orientation du “tout-stealth” pour l’équipement de l’USAF, par Rebecca Grant devant une assemblée de l’AFA, sans que personne n’émette la moindre critique contre cette analyse. On notera qu’on peut dire la même chose de l’US Navy, dans sa situation de 2016 par rapport à ce qu’il en était en 2006-2007, lorsqu’une situation similaire de deux porte-avions rassemblés devant l’Iran se présenta : en 2007, il s’agissait pour l’US Navy d’éviter un conflit, et toutes les supputations sur le nombre de porte-avions étaient utilisées dans ce sens ; aujourd’hui, ce serait le contraire, ou du moins l’apparence du contraire, l’opérationnel se réduisant à la communication.

La conclusion est donc que les chefs militaires US eux-mêmes ont tous succombé au mal que certains d’entre eux (l’US Navy face à l’Iran en 2006-2007) distinguaient dans leurs directions civiles il y a dix ans pour mieux garder leurs distances et faire ce qu’il fallait pour éviter tout incident. Certes, ces chefs militaires US peuvent à la fois dire que les forces armées US sont dans un état d’effondrement, et que les forces russes ont acquis une très grande puissance ; cela ne les empêche pas d’affirmer tout ce qu’on les entend dire à propos du F-22 et des porte-avions. On retrouve la compartimentation de la psychologie américaniste, entre le constat bureaucratique et de planification des faits qui fait partie d’une démarche cognitive fondée et courante, et qui est utilisé dans les circonstances qui l’exigent, et le développement des caractères d’inculpabilité et surtout d’indéfectibilité qui sont un compartiment fondamental et insensible aux faits de la psychologie US... (« Ce caractère [l’indéfectibilité] doit être placé aux côtés du caractère d’inculpabilité qu’on a déjà signalé et tenté d’analyser, à la fois comme un complément et comme une façon de le prolonger dans la ‘réalité’ des affaires humaines telle que la perçoit la psychologie américaniste. Nous pourrions le nommer par exemple ‘indéfectibilité’ [du mot ‘indéfectible’: “Qui ne peut défaillir, être pris en défaut”] »).

Entre 2006-2007 (avec l’arrière-plan réaliste de 1976) et 2016, la situation militaire US n’a fait qu’empirer mais les chefs militaires US ont quasiment rejoint leurs directions-Système dans la posture de suprémacisme totalement illusoire et quasi-surnaturel à laquelle invite l’indéfectibilité. Le simulacre règne, au niveau même de la puissance des armes.

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