Comment voulez-vous NE PAS l’assassiner ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Comment voulez-vous NE PAS l’assassiner ?

15 septembre 2016 – L’ambiguïté du titre ne doit pas tromper ; d’abord, parce qu’on est malin et qu’on se connaît bien, on a compris que le “l” de “l’assassiner” désigne l’impavide et pachydermique Donald Trump ; ensuite, parce qu’il y a le fait absolument indéniable que ce titre signifie exactement ce qu’il prétend dire, c’est-à-dire “Comment faire pour ne pas assassiner Donald Trump ?” ; ou encore et plus précisément, de la part des tueurs potentiels, et dit sur un ton d’irritation exacerbée et presque d’angoisse : “Mais que voulez-vous, à la fin ?! Nous ne pouvons pas ne pas vouloir assassiner Donald Trump !” (Et ajoutant, in petto, entre leurs dents : “Après tout, hein, ce n’est pas de notre faute...”, ce qui est précisément ce qu’entend signifier le titre et qui peut effectivement paraître ambigu.)

Dit en d’autres mots sur un mode plus indirect, cela signifie que, dans les circonstances qui se dessinent à une vitesse extraordinaire, il devient tout simplement impensable qu’on n’en vienne pas, presque fatalement, c’est-à-dire selon la fatalité elle-même et comme en toute innocence, à envisager dans la plus extrême urgence l’exécution de la seule mesure possible pour sauver ce qu’il reste de la maison commune de l’immense incendie qui a embrasé le système de l’américanisme bombardant depuis tant de temps de ses gâteries diverses le sort glorieux des Etats-Unis ainsi que de divers et nombreux pays des terres extérieures auxquels il est bon de rappeler qui est le patron Ici-Bas : assassiner l’incendiaire. Pour un peu, je les verrais bien, ces comploteurs à ciel ouvert, demander discrètement de l’aide à la victime pour quelle veuille bien leur faciliter la tâche, tant il doit apparaître à tous, et à lui en premier bien entendu, qu’il est de l’intérêt de tous que The Donald soit assassiné d’une façon qui ne laisse aucun doute sur sa propre responsabilité, sur le caractère maléfique (inversion, toujours) de son aventure, sur le caractère obscène, anticonstitutionnel, absolument détestable, du succès qu’il rencontre partout... Croirait-on ceci : ce qui est présentement ne peut pas être depuis déjà un sacré bout de temps !

Croirait-on à un jeu, à une parodie de ma part ? Il y a de cela et puis il n’y a pas que cela. Cela fait plusieurs mois, bien entendu, que circule cette idée d’un assassinat, et plus elle circule plus elle paraît folle, parce que plus le temps passe et plus grandit la stature de Trump par rapport à celles de ses adversaires et, par conséquent, plus son assassinat devient un acte risqué aux conséquences impossibles à évaluer. Comment faire pour réconcilier l’évidence de la seule vérité qui doit nous importer, qui est la narrative-Système, avec cette sorte de situation qui prétendrait à rien moins qu’être une “vérité-de-situation” ? C’est-à-dire ramener la Vérité à de meilleurs sentiments, pour qu’elle s’accorde avec la seule vérité concevable, qui est celle de la narrative-Système...

Son parcours lui a servi d’une manière miraculeuse car cet homme a un pacte avec le Bon Dieu déguisé en Diable. L’affaire, si l’on se souvient bien, se résumait à ceci : quand il était facile de l’éliminer, notamment par assassinat, nul ne le prenait au sérieux dans ces milieux où règnent l’arrogance et l’hybris si sûre d’elle-même, et nul n’aurait condescendu à lui faire ce cadeau qui eût affirmé une importance qu’il n’avait évidemment pas. On ne flingue pas un clown, parce qu’un clown n’a aucune importance, et celui-là particulièrement,  – et suit une charade chronologique des raisons successivement impératives pour vous démontrer, et sa condition de clown et son extrême “n’a aucune importance”, et donc l'absence d'action à son encontre :

1) parce il va s’effondrer dans les sondages,

2) parce qu’il v être balayé dans les primaires,

3) parce qu’il ne sera pas désigné par le parti républicain,

4) parce que dès qu’il sera tout seul “dans la cour des grands”, tout seul devant la Queen-Hillary il se dissoudra comme un gruyère dans ses trous et il sera, je vous le dis, dissipé aux quatre vents mauvais comme un misérable petit tas de poussières déguisés en secrets, à la première toux sérieuse et caverneuse de Her Majesty et ainsi de suite, et ainsi soit-il...

Ainsi a-t-on écarté successivement toutes les occasions de l’éliminer sans faire trop de poussière jusqu’à ce qu’il devienne à la fois inévitable de n’avoir d’autre issue pour s’en débarrasser que de l’assassiner, et à la fois extraordinairement incertain, risqué et finalement complètement improbable de se lancer dans l’Inside Job de l’assassiner. Leur humeur est terrible et l’on croit entendre leurs cris d’orfraie et d’effroi à la fois devant l’impudence de The Donald, à la fois devant l’extension du domaine de la nécessité de l’assassiner sans tarder, à la fois devant l’extension parallèle du domaine de l’impossibilité de l’assassiner sans prendre un risque aussi effrayant que l’acte lui-même.

Je ne parle pas uniquement dans le vide et mon pénible humour noir n’est pas privé de tout sens, sans aucun doute. Il est hors de doute que le The-Donald monte dans les sondages à mesure que la Queen-Hillary s’effondre dans une toux de plus en plus belliqueuse et impuissante et certains jusqu’alors pourtant parmi les plus sceptiques ne cachent plus combien le candidat-Donald s’est transformé pour un meilleur. Il est hors de doute que la rumeur de l’assassinat comme argument ultime pour faire comprendre à Trump qu’il est temps de s’effacer a trouvé ces derniers temps des relais notables et intéressants. Ce sont notamment les déclarations de Dimitri Kisiliov, nommé en 2013 par Poutine à la tête du réseau Rossiya Segodnya (Sputnik News), qui ont suscité des spéculations considérables de certains domaines difficiles à qualifier de manière indépendante et mesurée, et puis aussi notamment de l’Infowars.com d’Alex Jones, et jusqu’au très-exotique WhatDoesItMeans des Sisters of Sorcha Faal. Est-ce bien sérieux, tous ces galopins-là ? Interroge-t-on aussitôt ; je serais bien en peine de répondre, sinon que la filière Kisiliov-nommé-par-Poutine semble bien correspondre au goût du jour puisque voilà Poutine avec la main dans le sac... De même, si l’on vous pose la question : le New York Times, le Washington Post qui nous instruit de la thèse du virus-Poutine qui aurait infecté Hillary, Le Monde, The Guardian, Christiane Amanpour-de-CNN hurlant que ce n’est que sexisme que de s’acharner sur Hillary puisqu’après tout une fille peut bien être malade comme un garçon un ou deux jours (« Can’t a girl have a sick day or two? Don’t get me started, because when it comes to overqualified women having to try a hundred times harder than under qualified men to get a break, or even a level playing field, well, we know that story »), – dites-moi, tout cela, est-ce bien sérieux ? Dans quel univers, dans quel labyrinthe kafkaïen tout cela se passe-t-il ?

L’atmosphère de ces Temps-Derniers est glauque, mais plutôt du fait d’une incertitude de plus en plus enchafouinée par une sorte de brouillard que par un crépuscule sordide ; il est de plus en plus difficile de distinguer la moindre solidité à une sorte d’évocation selon laquelle nous serions en train de vivre une tragédie relevant de l’histoire, voire de l’Histoire (métahistoire, ma référence de prédilection) ; la réalité désintégrée permet la décomposition des perceptions, la libération des crédulités, l'impunité des constructions partisanes, les réticences de l’esprit critique ; j’avance à pas comptés, sans aucune certitude où m’appuyer, écoutant à tous les échos ces surprenantes affirmations et ces spéculations sans frein... Si demain il n’était pas assassiné, ni après-demain et ainsi de suite, que se passerait-il ? Est-ce que nous serions conduits à observer le monde de la communication dans cette grande bagarre USA-2016 selon le rythme des “manchettes” annonçant chaque jour en exclusivité : “Encore un jour où il n’a pas été assassiné ” ?

L’on comprend enfin que l’hypothèse de l’assassinat sur laquelle j’ai beaucoup glosée, et d’une façon baroque et de peu de sens, n’en est qu’une parmi d’autres, parmi les événements “inattendus” qui nous attendent et que nous attendons ; ce n’était ni une intuition, ni une prémonition, encore moins une prévision et, en déroulant le cas de cette façon baroque, je n’ai fais que rendre compte de l’incertitude complète où je me trouve à l’égard d’une telle hypothèse... Nous avons déjà tant balayé le champ des nouvelles extraordinaires possibles, où tout est envisagé, que ce soit les émeutes après le 8 novembre, le report de l’élection, le départ d’Hillary, et bien entendu “son” assassinat à lui, et même à la limite une élection normale, qu’il ne semble plus y avoir d’interstices ou de fente par où le Ciel pourrait glisser la chose qui ferait qu’au milieu de l’attente de tous ces événements inattendus que nous attendons (nos “unknown knowns” du philosophe-Rumsfeld), apparaisse soudain l’inattendu que nous n’attendions pas (notre “unknown unknown” du même).

Après tout, il faut bien lui reconnaître, au Ciel, qu’il a bien réussi son coup pour “le 9/11 de Hillary”... Alors, j’attends, le souffle court et retenu, de découvrir par quelle diablerie le Ciel va encore parvenir à nous prendre par surprise dans sa tragédie, nous qui avons tout prévu dans notre tragédie-bouffe qui tourne si vite comme un manège que le tragique ne parvient plus à l’être tout à fait. Nous nous en remettons, pieds et poings liés par nous-mêmes, au maître bon-vouloir du destin.