Comment nous les avons durcis à mort

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Comment nous les avons durcis à mort

• Les Russes égrènent devant nos yeux qui ne savent plus rien voir, pour des oreilles encombrées de sable, les vérités catastrophiques (pour nous) de l’épouvantable aventure ukrainienne. • Les Russes sont devenus très durs, finalement presque aussi durs que nous craignions qu’ils soient, il y a des années. • Nous avons créé cette catastrophe avec notre théâtre du simulacre de nos vertus. • Nous ramassons les pierres des ruines, sans avoir toujours rien compris. • A ce rythme, nous aurons bien vite la Russie à nos frontières, avec la meilleure armée du monde.

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Les nouvelles et les déclarations provenant de la Russie indiquent un durcissement continu de la position de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine résumée par la déclaration de l’ambassadeur russe à l’ONU (ou faisant fonction,) Polyanski selon lequel il ne reste que deux alternatives qu’une alternative pour ce pays avec le régime en place : la capitulation sans conditions ou la disparition en tant qu’État. La situation militaire et politique de l’Ukraine sombre dans le chaos de la défaite et de l’épisode classique du désordre et de l’intrigue politique dit de “fin de règne”, symbolisé par l’affrontement Zelenski-Zaluzhni et résumé par ce constat en forme d’analogie historique d’Alexander Mercouris :

« une situation dite de “la dualité du pouvoir”, semblable à la période que connut la Russie après la chute du tsar du début 1917, avec un gouvernement transitoire à Moscou et un ’Conseil des Soviets’ à Petrograd, ces deux pouvoirs se chamaillant constamment [jusqu’au coup d’État d’octobre] et l’armée étant paralysée face aux Allemands... »

Pendant ce temps, l’Occident-maladif signe presque paisiblement le désastre sans guère de précédent qu’il a lui-même organisé avec une remarquable rigueur, ne trouvant rien après tout à se reprocher dans le climat d’auto-rectitude morale qui le baigne. En plein processus de tourbillon crisique à Bruxelles (querelle paralytique entre la Commission et la Hongrie plus quelques autres à voix basse) et à Washington (pouvoir dispersé entre plusieurs centres concurrents autour d’un président dément et impotent), sans aucun moyen d’action militaire et diplomatique, il nous instruit d’avis et d’analyses si-constructifs et ô combien rationnellement comptables, – du type, si vous voulez un exemple de pure grandeur stratégique :

« L'Ukraine est confrontée à un hiver “très difficile”.

» Il n'y a pas de “pot magique” de financement, selon Matthew Miller, porte-parole du département d’Etat. »

Aussi constate-t-on que la seule évolution, à côté du marigot d’impuissance infâme où baigne le bloc-BAO, se trouve du côté de la Russie. Cette évolution est puissante, décisive et structurellement révolutionnaire, et elle nous réserve bien des surprises amères et déplorables. Comme nous écrivons plus haut, un durcissement absolument décisif de la Russie va faire de l’“après-guerre” une période de grande souffrance et certainement de crise décisive, pour le coup et par contrecoup, pour le monde américaniste-occidentaliste en pleine dissolution. Un dialogue dynamique Christoforou-Mercouris est à consulter, pour nous éclairer bien à-propos.

L’homme qui y croyait trop

Tout cela pourrait commencer, si l’on veut, par cet aveu de Poutine du “j’ai été naïf” de croire aux paroles et promesses occidentales. Poutine est candidat-président pour 2024-2030 sur le thème “On ne m’y reprendra pas et l’Occident-collectif va souffrir”.

« Dans une interview avec le journaliste russe Pavel Zarubine diffusée dimanche, Poutine a admis qu'il était un dirigeant “naïf” au début de sa carrière politique, même s'il avait une solide expérience dans les services de renseignement soviétiques.

» Le président russe a déclaré qu’il pensait que l’Occident avait compris que la Russie était devenue un pays complètement différent après l’effondrement de l’Union soviétique et qu’il n’y avait plus de divergences idéologiques justifiant une sérieuse confrontation.

» Selon Poutine, même lorsqu’il a vu les efforts occidentaux pour soutenir le terrorisme et le séparatisme en Russie il y a vingt ans, il a pensé que c’était “l’inertie de la pensée” qui en était la cause. “Ils étaient encore trop habitués à combattre l’Union soviétique”, pensait-il.

» Mais en réalité, l’Occident essayait délibérément de nuire à la Russie, a déclaré le président. “Après l’effondrement de l’Union soviétique, ils pensaient qu’il leur suffirait d’attendre encore un peu pour briser la Russie elle aussi”. »

Après tout, les propos de Poutine sont parfaitement corroborés par le document qui a fait surface, cette vidéo montrant le sénateur Lindsay Graham qui est l’un des super-porte-flingues républicain au Sénat de la nébuleuse neocon, avec son acolyte alors encore vivant McCain, haranguant les soldats ukrainiens en décembre 2016 et leur promettant la guerre (et la victoire de l’Ukraine sur la Russie, cela va sans dire et encore mieux en le disant, grâce au soutien indéfectible des USA cela va encore plus vite)... Tout cela est comme allant de soi, sans nécessité de complot et toute cette sorte de choses ; simplement, on passe de “la défensive” à “l’offensive” sous les yeux énamourés du “roi du chocolat”, le président Porochenko, les doigts chargés de l’encre de la signature des accords de Minsk...

Avec tous ces éléments et les déclarations de Poutine, on voit se dresser la toile de fond du durcissement russe face à la situation actuelle de l’Ukraine et la crise qui l’accompagne. Partant des déclarations de Polyanski et d’autres officiels russes de haut niveau, Christoforou-Mercouris aboutissent à ce qu’ils jugent être les positions actuelles de la Russie, impliquant l’absence de toute négociation et des conditions inflexibles imposées par Moscou. L’idée, qui rejoint notamment un long développement d’Alastair Crooke vers ses perspectives préférées est que la Russie a décidé d’opérer à l’occasion de ce conflit à une recomposition de toutes les terres russes rassemblées à l’intérieur de la Fédération de Russie, soit toute la partie orientale dans un croissant qui va de Kharkov et de sa région au Nord jusqu’à toutes les rives de la Mer Noire, y compris Odessa bien entendu, – sans préjuger, certes pas, de nombreux autres agrandissements possibles si l’on consulte les cartes d’antan...

Tous les commentateurs dissidents qui croisent le fer avec grande fougue avec le conformisme américaniste-occidentaliste insistent sur ce point de la résurgence de la re-russification de ces terres de la Russie traditionnelle, – comme Bhadrakumar par exemple :

« Ces remarques [de Poutine] portent la marque d’un homme d’État qui parle en position de force et qui en est conscient. Poutine a affirmé que les forces russes “améliorent leur position presque tout au long de la ligne de contact. La quasi-totalité d’entre elles sont engagées dans des combats actifs. Et la position de nos troupes s’améliore tout au long [de la ligne de contact]”. Poutine n’a fait part d’aucune volonté de compromis avec les États-Unis et l’Union européenne.

» De manière significative, Poutine a déclaré que la partie sud de l’Ukraine a “toujours été un territoire russe… Ni la Crimée ni la mer Noire n’ont de lien avec l’Ukraine. Odessa est une ville russe”. Cette déclaration est de mauvais augure, car elle implique que l’opération russe pourrait après tout s’étendre à Odessa, qui se trouve sur la rive occidentale du Dniepr, et même plus à l’ouest, le long de la côte de la mer Noire, jusqu’en Moldavie, ce qui fera de l’Ukraine un pays sans accès à la mer. »

L’actuel gouvernement doit disparaître, l’armée ukrainienne être démilitarisée, tous ses équipements majeurs transférés à la Russie, et le gouvernement mis en place, à la place de Mister Z ou Mister Z repeint aux couleurs de Cyril, selon la ligne d’une stricte neutralité.

Quelques exemples pour la réflexion

Les Russes, par la voix de l’un ou l’autre (Poutine, Choïgou, etc.) ont présenté quelques situations des pertes ukrainiennes d’une façon très précise, montrant que leur volonté d’anéantissement de la puissance Otano-ukrainienne est une réalité absolument catastrophique pour l’Occident. Cela consiste à montrer, par l’exemple de l’acte accompli, que les intentions de la Russie à partir des nécessités stratégiques sont à lire dans le feu et la fureur de la guerre, pas dans les bavardages des plateaux-salons de la TV. Cela doit être entendu comme une sorte d’avertissement de la Russie, qui concerne autant les pays de l’OTAN que cela a concerné l’Ukraine elle-même ; et cela doit être considéré comme un fait sous la forme d’une image symbolique de ce “durcissement” russe dont nous parlons.

• On parle d’abord des pertes ukrainiennes, avec une part très importante accordée aux résultats catastrophiques de la “contre-offensive” de l’été. (A noter que les estimations russes rejoignent celles du colonel Macgregor, ce qui devrait alimenter les bavardages courants des officines d’influence et des professionnels de la délation et de la diffamation.)

« Les pertes totales de l’Ukraine depuis le début de la campagne militaire de Moscou approchent les 400 000 soldats, a affirmé le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou. Le président Vladimir Poutine, qui présidait mardi une réunion du collège du ministère, a déclaré que les troupes russes avaient désormais le dessus sur toute la ligne de front.

» Selon Choïgou, “depuis le début de l'opération spéciale, les pertes des forces armées ukrainiennes ont dépassé 383 000 militaires, tués et blessés, 14 000 chars, véhicules de combat d'infanterie et véhicules blindés de transport de troupes, 553 avions de guerre et 259 hélicoptères, 8 500 pièces d'artillerie, et des systèmes de fusées à lancement multiple.

» Le ministre a affirmé que Kiev avait subi près de la moitié de ses pertes totales en personnel militaire depuis le début de sa tentative de contre-offensive début juin. Cette initiative coûteuse n’a pas permis d’obtenir des gains territoriaux conséquents, comme l’ont récemment reconnu de hauts responsables de Kiev et des capitales occidentales. »

• Une place importante est faite dans ces bilans aux matériels livrés par les pays de l’OTAN à l’Ukraine. Les Russes, et Poutine lui-même, y accordent une très grande importance dans la mesure où la destruction et la saisie de tels matériels, effectives et encore à vernir, constituent un puissant dossier visant à totalement détruire le mythe de la supériorité des armements et des technologies occidentales par rapport à ceux de la Russie. C’est un enjeu d’une extrême importance, y compris l’importance politique :

« Tout au long du conflit ukrainien, des pays comme les États-Unis, l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont fourni à Kiev des centaines de pièces d'équipement militaire lourd de pointe fabriquées en Occident, telles que les chars Leopard 2, Abrams et Challenger, véhicules de combat Bradley, et plus encore.

» Les forces russes ont cependant signalé à plusieurs reprises avoir détruit ou capturé ce matériel, qui a souvent été présenté dans les médias occidentaux comme étant supérieur à tout ce que la Russie a à offrir.

» Plus tôt ce mois-ci, des soldats russes en Ukraine auraient saisi un autre lot d'équipements lourds fabriqués aux États-Unis et en Allemagne. Dans une vidéo publiée par le journaliste russe Vladimir Soloviev, on pouvait voir les troupes russes s'approcher d'un char Leopard 2A4, qui avait apparemment été abandonné par ses opérateurs ukrainiens car il n'y avait aucun signe de dommage sur le char.

» En août, le ministère russe de la Défense a même organisé une exposition d’armes occidentales capturées près de Moscou, présentant de tout, des véhicules blindés de transport de troupes américains M-113 et suédois CV90-40 aux chars à roues français AMX-10RCR et aux véhicules blindés australiens Bushmaster. Au total, l'exposition présentait plus de 870 types d'armements saisis par les forces russes, y compris des exemples d'équipements de fabrication soviétique et ukrainienne. »

Dans son commentaire, Mercouris a précisé que des discussions avancées sont en cours en Russie, particulièrement sur cette question des équipements occidentaux livrés à l’Ukraine. Les Russes, selon le durcissement de leur position, prévoit dans les conditions qu’ils imposeraient à l’Ukraine la saisie de tous ces équipements, dont notamment les systèmes de haute technologie comme les missiles ‘Patriot’, les systèmes HIMARS, les missiles de croisière ‘Storm Shadow’, etc. Leur conduite sera dictée par cette précision déjà apportée par Poutine en juillet dernier, à propos d’équipements déjà apportés :

« Le président Poutine a également déclaré que les armes occidentales capturées feraient l'objet d'une “rétro-ingénierie” [“ingénierie de riposte”] afin d'adopter toute technologie qui pourrait s'avérer utile aux forces russes. »

C’est évidemment un sujet ultra-sensible pour l’Ouest, notamment pour le Pentagone qui estime tous ses équipements comme couverts par la plus haute classification possible, sinon quasiment divine, autant que par la posture de superpuissance subsistant dans l’imaginaire américaniste, et donc équipements devant être protégés à tous prix selon leur degré de sanctification par le Vatican. Ce serait alors un enjeu de la plus haute importance, qui pourrait aboutir à des situations très délicates, des évacuations d’urgence type-Afghanistan des Occidentaux, des interventions de commando de la part des Russes pour les empêcher, donc un terrain très propice à des incidents très graves impliquant des pays de l’OTAN.

Là aussi, le durcissement russe est partout perceptible, de ne faire aucun “cadeau” à ceux qui ont soutenu l’Ukraine, de repousser tout arrangement pouvant leur faciliter leurs opérations. Nous débouchons ici sur les premiers arpents de la terra incognita suivant cette guerre en Ukraine.

De Kiev à Lvov au 18 juin de Zelenski

De fa it, la très intéressante et ironique, sinon jubilante conversation entre les deux compères Christoforou et Mercouris débouche rapidement sur des perspectives où le sur-mesure ukrainien craque de toutes parts. Lorsque Mercouris énonce les conditions draconiennes probables de Moscou pour une capitulation “sans condition”, du type qu’affectionnait Franklin Delano Roosevelt, ce grand humaniste, – rattachement puis intégration d’un bon tiers de l’Ukraine, plus peut-être, démilitarisation complète, livraison de tous la quincaillerie militaires, liquidation du régime de Mister Z., accès à tous les laboratoires avec les divers vaccins pour sauver le monde transgenre, instituts scientifiques, etc., de toute l’Ukraine-etc. – Christoforou un peu interloqué il faut le dire, interroge :

« Christoforou : Mais l’Ouest n’acceptera jamais de telles conditions !

» Mercouris : Non, jamais.

» Christoforou : Il préfèrera que l’Ukraine soit détruite et anéantie...

» Mercouris : Moais... »

Moue dubitative (à peine) de Mercouris pour saluer la courtitude suffisante pour expliquer la stratégie américaniste-occidentaliste. Finalement, ils s’entendent tous les deux pour envisager, avec refus des conditions russes :

• Soit la sauvegarde in extremis d’une toute-petiote partie de l’Ukraine, à peu près 10% du territoire, autour de Lvov devenant la capitale d’une sorte de Taïwan européen réclamant la souveraineté sur tout le territoire de l’ex-Ukraine et peut-être bien après tout de la Russie elle-même ;

• Soit rien du tout, sinon un gouvernement autour d’un Mister Z. réparé d’urgence aux normes OTAN-UE et formant un gouvernement en exil dans l’attente de son 18-juin postmoderne (Mercouris estime que c’est ce qu’il y a derrière la proposition britannique de déployer des troupes que n’a pas l’Angleterre pour défendre l’Ukraine comme fit Churchill soi-même au bon jeune temps des colonies) ;

• ... Moyennant quoi, ce gouvernement des Compagnons de la Libération de l’Ukraine Libre deviendrait membre de l’OTAN et membre de l’UE, non ? Et tous les membres de ces deux augustes entités invités à reconnaître internationalement le seul représentant de l’Ukraine, non ? Tout cela relèverait de la pure calomnie et de la plus grossière caricature parodiée si nous n’étions dans l’étrange époque où nous sommes.

Si vous ajoutez à cela le projet allemand de déployer une brigade en Lituanie en 2026-2027 dans une sorte de remake d’une opération ‘Barbarossa’ dans la Baltique, vous voilà transportés au royaume de BidenLand, avec la fée-Nuland comme cheftaine pour nous faire visiter le Pays des Merveilles. Il est évident que l’on se trouve là sur le terrain de la pure spéculation et nul ne nous en voudra d’écrire avec une assurance de vieux baroudeur de la plume que c’est bien le seul où, aujourd’hui, l’on puisse évoluer de manière assurée.

Le spectacle et l’enseignement se trouveront surtout, ces prochains mois, dans l’espèce de grand écart entre le déroulement de l’impitoyable vérité-de-situation et le prolongement incessant et jacassant des restes de notre énorme simulacre écartelé entre diverses narrative aux accents colorés. Outre les Russes qui ne répondent plus parce qu’ils ont accepté de devenir cette puissance que nous avons passé des années à inventer dans nos rêveries de terreur pour mieux la dénoncer et qu’ils sont sur le chemin de reconquérir leur identité, les premiers à abandonner ces jeux de plus en plus vertigineux sont évidemment les USA, qui vont se concentrer de plus en plus sur leurs propres folies, comme ils l’ont montré avec le ratage complet (d’abord la Chambre puis le Sénat) du vote d’une rallonge de l’aide financière à l’Ukraine. Eux, ils seraient plutôt sur la voie de découvrir que leur identité n’est qu’un simulacre, comme d’autres découvrent que le roi est nu.

Jamais, donc, on ne vit tragédie aussi grande qui prêtât si complètement à rire et à ironiser, comme si la catastrophe elle-même avait quelque chose de plus décisif, de plus vigoureux, de plus vital, de plus rassurant que l’épouvantable ‘Big Now’ que nous nous sommes inventés. Ils ont cassé toutes les statues, de Michel-Ange à Rodin, pour pouvoir installer, grandiose et “en Majesté”, la tragédie-bouffe.

 

Mis en ligne le 20 décembre 2023 à 16H35