Brusquement réveillé, le géant dort toujours

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Brusquement réveillé, le géant dort toujours

• Le Pentagone ne cesse de s’agiter et de faire donner ses correspondants fidèles dans la presseSystème : pour lui, le vrai danger c’est la Chine et toute l’attention portée à l’Ukraine est mauvaise conseillère. • Mais il existe au département d’État et sous l’oreiller de Biden un clan fidèle à Mister Z. de très forte influence. • Que faire, alors que le Pentagone ne serait même pas sûr du tout de battre la Chine si la chose se présentait ? • La réponse est simple : puisqu’on ne peut ni affronter ni battre la Chine, attaquons la Chine et la Russie.

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Nous pourrions commencer cet article par la phrase de début de l’article que l’historien Eric Zuesse publie le 18 juin 2023 sur le site ‘TheDuran.com’, de nos compères Christoforou-Mercouris. L’article de Zuesse (comme le nôtre, certes) concerne la vidéo de Christoforou-Mercouris du 17 juin, « China’s War Party vs Russia’s War Party », qui nous avait beaucoup intéressés et déterminés nous-mêmes à écrire un article, – celui que vous lisez en ce moment.

Zuesse est très élogieux pour Mercouris, et ce n’est certainement pas flagornerie d’auteur pour l’hôte qui publie son article. On connaît Zuesse, comme on connaît Mercouris, et c’est cela qui doit conduire notre jugement. Il se trouve qu’ainsi Zuesse nous donne un condensé de l’intervention de Mercouris, ce qui nous permet d’intervenir à partir de deux sources de très bonne facture.

Note de PhG-Bis : « Ce que PhG ne dit pas, mais il le pense et va jusqu’à le chuchoter, l’accès à deux sources de bonne qualité permet certes de prendre une bonne distance d’appréciation, mais surtout, surtout, de vérifier que l’on ne se trouve pas nous-mêmes dans un univers fictif, dit de-‘fantasy’... »

Zuesse intervient donc à partir d’une analyse assez courte, mais très générale et pratiquée en profondeur, de la politique étrangère, c’est-à-dire militaire, des Etats-Unis. C’est une chose essentielle de bien comprendre cette politique, et de revenir régulièrement sur cette compréhension pour la mettre à jour, parce que nos continuons à dépendre tous de cette politique, d’autant plus si elle est conduite par des fols qui n’entendent rien des fureurs et des exclamations du monde, – comme c’est le cas, dans une mesure inimaginable et rocambolesque :

«  Comme d'habitude, la meilleure analyse de la politique étrangère des États-Unis est celle d'Alexander Mercouris sur The Duran. Le 17 juin, il titre son article “China war party vs. Russia war party” et démontre (puisque chaque source à laquelle il se réfère dit ce qu'il décrit) que le président américain Biden et son équipe à la Maison Blanche sont des fantaisistes qui refusent tout simplement d'accepter la réalité, à savoir que l'Amérique ne peut pas gagner simultanément des guerres contre la Russie et contre la Chine. Le département d'État neocon de Biden exige la conquête de la Russie, tandis que le département neocon de la “défense” de Biden exige la conquête de la Chine. »

Zuesse utilise le terme “fantasists” à propos de l’équipe Biden, à propos du mot US (d’origine française, bien sûr) “fantasy” dans sa signification bien particulière, – à la fois bande dessinée et cinéma hollywoodien, – dont la signification est celle-ci, du ‘Wiki’ pour ce cas qui n’est pas systématiquement déformé par leur censure :

« ...Un genre artistique et littéraire qui représente des phénomènes surnaturels imaginaires, souvent associés au mythe et souvent figurés par l'intervention ou l'emploi de la magie et de l'anachronisme. »

Cela signifie effectivement que Biden et sa bande vivent réellement dans ce monde imaginaire, – bande dessinée et cinoche, – déjà souvent caractérisée par nous par la fameuse citation de 2002 de Karl Rove (« ... quand nous agissons nous créons notre propre réalité...  Nous sommes [les créateurs] de l’histoire... », etc.). Tous ont la psychologie qui importe pour cela, à commencer par l’empereur lui-même, avec ses 80 ans et son apostrophe pour saluer l’audience de son discours d’hier : « God save the Queen, man ».

Sérieux, tout cela...

Un Pearl-Harbor postmoderne

L’article du site ‘Politico’, site washingtonien très proche du pouvoir et souvent pris comme canal d’informations officieuses, porte comme titre cette affirmation sans ambiguïtés, qui nous suggère que le Pentagone a voulu nous faire savoir la gravité de la situation de son point de vue :

« The Pentagon Is Freaking Out About a Potential War With China (Because America might lose) » – « Le Pentagone panique à propos d'une guerre potentielle avec la Chine (parce que l'Amérique pourrait perdre) »

Zuesse explique la signification fondamentale du texte, du point de vue du Pentagone. Même si à aucun moment il n’est suggéré que l’Amérique devrait se “désengager” quasi-complètement de la guerre en Ukraine, l’analyse qui est faite de la situation face à la Chine le suggère avec la plus grande force, par simple effet de conséquence, – par “la force des choses”, comme disait le Général :

« ... [I]l n’y a pratiquement aucune chance que l’Amérique soit capable de gagner une guerre contre la Chine SAUF si l’Amérique prend immédiatement un engagement de mort contre la Chine, comme elle l’a fait contre le Japon et l'Allemagne en réponse à l’attaque de Pearl Harbor par le Japon, le 7 décembre 1941. »

C’est dire si l’on trouve de l’argumentation par pelletées de tonnes en faveur d’un “réarmement” US dans le Pacifique, brassés par tous les experts imaginables, du Pentagone lui-même, dans l’orbite du Pentagone, dans son champ d’attraction, etc. Du coup, toute la communication autour d’un nouveau Pearl-Harbor est réactivée, avec l’idée-maîtresse que si la Chine attaque et conquiert Taïwan, ce sera comme un second Pearl-Harbor, – puisque, après tout, Taïwan étant la proie de la Chine, Taïwan c’est un peu l’Amérique, – un peu, beaucoup, passionnément...

« La Chine représente la même menace pour l'existence de l'Amérique que le Japon le 7 décembre 1941; et l'article dit des choses comme que l'Amérique a gaspillé “des décennies de ce que beaucoup considèrent comme une réflexion illusoire des deux partis politiques sur la transformation de la Chine en une ‘partie prenante’ amicale dans un système international pacifique”, – et une hypothèse sous-jacente est que l'Amérique possède déjà Taïwan, et donc que si cette province de Chine fait officiellement sécession de la Chine, et que la Chine envahit Taïwan, ce sera comme le Japon l'a fait lorsqu'il a envahi Pearl Harbor ; et, donc, l'Amérique doit “armer Taïwan” maintenant, afin de devenir capable de gagner la guerre de l'Amérique pour prendre Taïwan à la Chine. »

Ce développement décrit assez bien la fièvre qui s’est emparée du Pentagone durant les dix dernières années, depuis que la Chine s’est imposée comme une redoutable concurrente des USA, avec une flotte qui dépassé en nombre (bientôt plus de 400 unités) l’US Navy. Par conséquent, si on le fait au moins parce qu’il n’est pas politiquement correct de seulement le laisser voir, on y montre, – dans cet article et sans doute au Pentagone, – fort peu de considération pour l’Ukraine de Mister Z.

... Mais l’Ukraine de Mister Z., c’est le département d’État avec ses vedettes hurleuses à la mort (Blinken, Nuland), – et c’est aussi Biden lui-même, dont toute la famille a des liens sentimentaux si nombreux et sonnants et trébuchants avec Kiev et ses alentours, –  « God save the Queen, man » ! Christoforou-Mercouris font valoir fort justement qu’il y a plus d’attachement passionné à “leur” guerre du côté des neocon antirusses que du côté du syndrome chinois de l’immense bâtiment pentagonal sur le Potomac. On en arrive donc à conclure que la seule issue à cet affrontement, c’est bien entendu de faire les deux d’un coup : qui ne peut pas le moins-que-rien peut le super-plus. Ainsi, commente Zuesse, il faudra bien se faire à la conclusion évidente : nous aurons donc les deux guerres dans le monde de “fantasy” exceptionnaliste de D.C. :

« Le fait que Joe Biden n'ait pas renvoyé toute son équipe de politique étrangère, y compris les personnes qu’il a nommées au département d'État et au département de la “défense”, et plus de 90 % des deux chambres du Congrès américain, prouve à quel point il est stupide de n'exiger rien de moins que le rêve néoconservateur d’une conquête simultanée de la Russie et de la Chine par l'Amérique. Aucun de ces deux objectifs n'est réalistement possible, mais lui (et eux) continuent d'exiger les DEUX. C’est la raison pour laquelle le récent projet de loi sur la limitation de la dette a augmenté le financement de l'armée, mais rien d’autre, et a réduit les dépenses pour les pauvres. Ils considèrent que les pauvres ne sont pas indispensables, mais que la poursuite de la domination mondiale de l'Amérique ne l'est pas, – elle est “existentielle”, pour tous les neocon, y compris Biden et la quasi-totalité des membres du Congrès. »

Le cyclope qui clignait de l’œil

Autrement dit, il est temps de convenir qu’il est temps de s’y mettre : relancer la machine, mobiliser la machine, refaire l’Amérique de 1940-1945, partie d’une armée de rien du tout pour aboutir à un effectif de 15 millions d’hommes, 17 500 avions de combat en Europe occidentale et une marine de 99 porte-avions ! (Chiffres de 1945.) Mais rien ne se passe...

« L'article de ‘Politico’, rédigé par Michael Hirsh, l'indique clairement, puisqu'il se termine par ces mots :

» “Après Pearl Harbor, l'amiral japonais Isoroku Yamamoto a lancé son célèbre avertissement (la citation est apocryphe) disant que tout ce que le Japon avait accompli avec cette attaque-surprise était de “réveiller un géant endormi et de le remplir d'une terrible détermination”. C'est à peu près ce qui s'est passé, et les États-Unis ont complètement détruit la machine militaire japonaise.

» Mais aujourd'hui, selon [Seth] Jones [un responsable du Pentagone sous la présidence d'Obama], le géant “reste couché dans son lit. Ses yeux sont ouverts et il reconnaît qu’il y a un problème. Mais il doit sortir du lit”. »

Elémentaire mon cher Watson, puisque la démonstration par l’hypersonique a largement précédé l’énoncé même du problème de l’appel à la mobilisation du géant endormi. Si l’on avait espéré que le géant ne dormait que d’un œil et qu’il serait ainsi très vite éveillé, n’est-ce pas parce qu’on avait oublié qu’il a pris, sur la pente de sa dégénérescence, le nom de “Cyclope” ?

L’Amérique du XXIème siècle a déjà montré ce qu’elle est capable de faire en matière de mobilisation, l’inertie extraordinaire qu’elle est capable de produire comme si “inertie” était le concept nouveau producteur d’énergie créatrice et industrieuse dévoreuses d’elles-mêmes. Nous avons suivi cette affaire du développement des systèmes hypersoniques, depuis le printemps 2018 (révélation par Poutine de l’avance russe) avec les différents constats, à mesure du temps passant ; 5-10 d’avance des Russes, cinq années depuis cette révélation, aucune urgence dans les actes sinon des échecs de programmes tandis que les hypersoniques (russes) sont entrés dans la danse en Ukraine... Le géant a entr’ouvert un œil, – même pas les deux, selon notre observation attentive du cyclope, – et rien d’autre à l’horizon, sinon des budget qui s’accumulent à la vitesse de l’endettement sans rien donner, une chute qui se poursuit, du matériel qui vieillit, des forces qui se wokenisent de toutes les couleurs et à très grande vitesse, les LGTBQ qui sont acclamés comme une priorité, des programmes mirifiques qui donneront des choses magnifiques dans 30 ans ou 40 ans.

...  D’ailleurs, est-ce bien la faute du géant, – si par “géant”, on entend le Pentagone, si même on entend “l’Amérique” ? Le géant est-il encore maître de lui-même, paralysé par ses lilliputiens sans nombre comme autant de termites calamiteuses de gaspillages, sa corruption sans limites, ses inégalités et ses inconséquences, ses dégénérescences immondes, ses illusions comme de la drogue, une drogue qu’il infuse à son tour vers ses serviteurs, ses fournisseurs, ses inspirateurs, dans une ronde sans fin tournant autour de l’immense simulacre qu’il est devenu ?

Et monsieur Christian Brose, directeur de la stratégie chez Anduril Industries, un des experts que ‘Politico’ a largement consultés, de nous suggérer en guise de conclusion cette hypothèse de prospective finalement sans grand risque au point où l’on en est :

« Nous pourrions injecter mille milliards de dollars par an dans le budget de la défense aujourd'hui, nous n’obtiendrions pas d’augmentation significative des capacités militaires traditionnelles au cours des cinq [dix ? quinze ?] prochaines années. »

Nous signons des deux mains cette estimation. Pour le budget de la défense, le Principe de Peter a frappé depuis pas mal de temps et le mal ne fait que s’aggraver au rythme de la pente d’après : plus on met de l’argent, plus l’on gaspille et plus l’on corrompt.

 

Mis en ligne le 18 juin 2023 à 20H40