Bouillie ou diarrhée ? Nous hésitâmes...

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Bouillie ou diarrhée ? Nous hésitâmes...

14 avril 2022 (13H40) – ... Je me réfère au texte d’hier où il est question de la « bouillie mystique de l’Amérique ». Il y a eu dans le chef de l’artisan du titre hésitation concernant le terme employé : bouillie ou diarrhée ? On reconnaîtra mon sens de la mesure et de la correction, préférant le premier au second qui fait, disons, un petit peu trop personnel, un petit peu trop catacombes intimes, vous voyez ? Néanmoins, on signale le dilemme dans le texte pour introduire le mot, rattrapé graphiquement aujourd’hui par le titre qui reprend les deux mots :

« On ignore s’il faut craindre cette sorte de bouillie ou diarrhée mystique de l’Amérique devant ‘Ukrisis’, – difficile d’identifier exactement le dysfonctionnement, – mais nous dirions qu’elle est de toutes les façons inévitable, nous confirmant l’extraordinaire amplitude de cette crise et l’implication désormais de la GrandeCrise elle-même. »

Cette citation a aussi l’avantage d’introduire le cœur du propos, qui concerne l’extension de la GrandeCrise, aux États-Unis pour ce cas et selon un processus d’hystérisation psychologique selon la mystique de pacotille coutumière dans ce pays. Plus encore, la présence d’un vieillard complètement senile dementiaà sa tête et sans toute sa tête en renforce l’hypothèse. Plus aucune symbolique suprême n’est en capacité d’opposer la voix de la raison non-subversive mais dispensatrice de mesure ; bref, Joe n’est pas un FDR pourtant malade mais avec toute sa tête, apaisant le pays plongée dans une angoisse affreusement sinon hystériquement dépressive (la Grande Dépression) par ses ‘causeries au coin du feu’ ; il est en est l’exact contraire, attisant l’hystérie angoissée par l’étalage constant de sa démence sénile. Cette situation est littéralement terrible et doit, dans le climat actuel de la GrandeCrise en mode-turbo, alimenter cette déstructuration mentale en réduisant en miettes la psychologie américaniste dont les débris se “réfugient” (!) dans cette “diarrhée mystique” (nous n’hésitons plus).

Cette accélération du désordre psychique de l’américanisme est un point capital, bien entendu ignoré par nos “experts” rationnels (raison-subvertiepour eux). Le texte de Matt Taibbi qui nous sert de support et d’inspirateurà la fois, met en évidence combien ce désordre a atteint un degré supplémentaire, “vers le haut” paraît-il puisqu’il renvoie à la mystique propre à l’américanisme mais en vérité une hauteur invertie (inversée) vers l’abysse qui sied à cette mystique. Kagan, cité principalement par Taibbi, fait référence à Pearl Harbor et au 11-septembre, deux événements mystiques dans l’histoire du système de l’américanisme, et même s’il ne souligne pas cette dimension nous y sommes, comme nous y sommes complètement lorsqu’il engage les USA a “aller au bout de leur destinée” en intervenant en Ukraine, éventuellement avec un prolongement nucléaire.

Taibbi, lui, ne s’y trompe pas une seconde et appelle un chat mystique, un chat mystique. Après avoir décrit l’atmosphère aux USA après le 11-septembre, il poursuit :

« Nous vivons actuellement quelque chose de similaire au 11-septembre]. L’excitation des commentateurs quant à l’affrontement final entre la “démocratie et l'autocratie” qui est peut-être à portée de main me rappelle exactement les prièresréclamant les signes de l’Apocalypse que j'ai entendues un jour parmi les fidèles du pasteur des Derniers Jours, John Hagee, à San Antonio. »

Bien entendu, il y a une différence absolument considérable, qui porte sur la perception ontologique de l’événement : l’attaque [contre l’Amérique ?] est-elle justifiée ? Touche-t-elle ontologiquement au cœur de la matrice de l’américanisme, c’est-à-dire sur ses territoires et sur sa puissance directe ? En d’autres morts : la réaction en une dimension mystique qu’on constate, telle que rapportée par Taibbi, renvoie-t-elle à l’attaque elle-même, ou bien est-ce l’attaque qui a activé cette réaction mystique venue d’une autre crise de la psychologie ? 

• Les cas de Pearl Harbor et du 11-septembre sont assez similaires, pour ce qui concerne ces deux questions. Non, dans les deux cas l’attaque n’est pas justifiée même si elles le sont en réalité. Kagan s’en explique complètement et même d’une façon surprenante d’une sorte d’ingénuité : si une certaine culture historique avance l’argument que les sanctions US contre le Japon en 1939-1941 sont la cause de Pearl Harbor, très peu de gens dans le public accepte cet argument, et ce n’était certainement quasiment pas le cas au matin du 7 décembre 1941, « A day which will live in infamy ».

• Pour le 11-septembre, Kagan m’a énormément surpris : c’est bien la première fois qu’un neocon de cette pointure, ou simplement un expertSystème, accepte de considérer l’activisme US au Moyen-Orient depuis 1991 comme une cause acceptable de l’attaque du 11-septembre (2001). Quoi qu’il en soit, cela est dit, et rencontrant une vérité-de-situationqui a existé depuis la guerre du Golfe, et d’ailleurs marquée en riposte par plusieurs attentats (une première attaque en partie manquée contre le World Trade Center, une attaque contre une frégate de l’US Navy à quai dans un port du Moyen-Orient, le USS ‘Cole’).

• Par contre, Ukrisis ne remplit aucune de ces conditions. Il est reconnu dans un nombre important de conceptions qu’il y a eu une évolution stratégique de la politiqueSystème du bloc-BAO, avec l’élargissement de l’OTAN, puis une politique de ‘regime change’, qui constituent une pression agressive sur la Russie. (Kagan le reconnaît avec une netteté qui, éventuellement mais pas sûr, l’honore.) Il est également évident que l’attaque de la Russie contre l’Ukraine n’a rien, pour le public en Amérique et même pour nombre d’honorables membres des élitesSystème, d’une attaque contre le cœur de la matrice, contre le système de l’américanisme, contre les États-Unis directement. D’ailleurs, comme l’explique très bien Kagan, la réaction qu’il réclame des États-Unis n’est pas une réaction de revanche, mais bien la poursuite de l’“agression” initiale des USA, l’acte d’assumer jusqu’au bout leur vocation hégémonique :

« Au lieu de faire ce que certains critiques souhaitent et de se concentrer sur “l'amélioration du bien-être des Américains”, le gouvernement américain doit reconnaître comme il se doit la responsabilité qui découle de son statut de superpuissance. Ainsi, bien que l’invasion de l’Ukraine peut effectivement avoir été une conséquence prévisible d’une décision d’étendre notre portée hégémonique, maintenant que nous sommes là il ne reste qu’une seule option : l’engagement total ! »

Pour cette raison, un grand doute plane en moi sur la proposition de l’équivalence d’une réaction mystique entre Pearl-Harbor et le 11-septembre d’une part, et Ukrisisd’autre part. Mais il faut admettre qu’il peut effectivement y avoir cette réaction mystique, comme la décrit Taibbi ; alors, elle représente autre chose que les deux précédentes, et c’est bien pour cela que je parle/que l’on parle de « bouillie ou diarrhée mystique de l’Amérique ». La solution de ce petit mystère est donnée par le même Kagan lorsqu’il propose de “résoudre nos problèmes intérieurs” par cette utile (?) et décisive (?) poussée hégémonique :

« De plus en plus, écrit Taibbi, on nous dit que la guerre totale n'est pas seulement nécessaire et juste, mais qu’elle est la solution aux problèmes existentiels de l'Amérique... »

... Et la réponse à la question posée plus haut est évidente : “la réaction en une dimension mystique qu’on constate, telle que rapportée par Taibbi, renvoie-t-elle à l’attaque elle-même, ou bien est-ce l’attaque qui déclenché cette réaction venue d’une autre crise de la psychologie ?”. La deuxième option ne fait aucun doute : si même il y avait de cela dans les deux premières occurrence (Pearl-Harbor et le 11-septembre), on pouvait sans aucun doute écarter ce doute du fait de l’attaque étrangère directe contre la matrice. Avec Ukrisis, rien de semblable n’est possible, et l’on s’en tient au bla-bla, ou borborygmes de Biden sur la “défense des démocraties”, la “lutte contre le génocide de Poutine”, etc. L’exagération grotesque même de la dialectique, en plus mâchouillée par un vieillard sénile et dément (Biden est fameusement à sa place !), règle l’affaire.

J’en viens donc à la conclusion évidente qui est de faire l’hypothèse appuyée, sinon irrésistible, que la présente séquence met plus que jamais les USA face à leur drame crisique intérieur, en l’exprimant par le relais des réactions à Ukrisis. L’Ukraine devrait être , d’une façon ou l’autre, l’occasion et le moteur d’une nouvelle phase hystérique de la politique intérieure d’une Amérique déchirée et qui se hait elle-même par l’intermédiaire de son adversaire politique intérieur.