Utilité du Sisyphe des startups

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Utilité du Sisyphe des startups

18 février 2020 – Impossible de m’y faire, même si parfois j’observe chez lui des tendances plus sympathiques, des idées qui mériteraient d’être développées. Macron est comme un Sisyphe  (*) postmoderne équipé de son mythe dernier modèle mais dont la technologie sera dépassée dans les six mois ; c’est-à-dire un Sisyphe très court, qui s’en tient aux startups, qui ne parvient pas à pousser l’énorme pierre jusqu’au sommet (avant qu’un dieu ne la fasse retomber à son point de départ), ou plutôt qui n’y songe pas, qui l’abandonne avant, par maladresse de la perception suivant une illusion de la communication, parce qu’il se croit au sommet et qu’il se dit déjà qu’il est tout de même un type formidable.

L’énorme roche est à un quart, ou mieux à un tiers de la pente des sondages des électeurs “satisfaits” lorsque le Sisyphe des startups s’arrête, satisfait, sûr de tenir le bon bout, cherchant dans sa poche le discours ad hoc, pendant que la roche lui fausse compagnie et retombe, entraînant dans sa (re)chute un Benalla ou un Griveaux qui passait par là.

Cela est bien malheureux et je me désole. Jamais la France n’aurait pu rêver mieux, c’est-à-dire pire, dans l’exercice de ses prérogatives régaliennes qui semblent toutes fonctionner à front renversé et à contre-emploi de concert, comme pour produire le contraire de ce qu’elles sont censées nous donner, pour un quinquennat qui a sauvagement liquidé une légitimité imaginaire et en vérité jamais consommée, comme un mariage blanc, une douzaine de mois après l’élection. 

(Dater le D-Day du commencement de la chute dans l’addition inutile des tentatives du Sisyphe des startups au 1ermai 2018, jour où Benalla est allé au baston, fixe bien les esprits à mon sens. Cela, pour l’histoire profonde de la période.)

Depuis nous vivons dans le provisoire, l’immédiat sans avenir, le tangent du tangentem et le branlant, et le “plus près sera la (re)chute”. Nous nous retrouvons, avec lui, comme dans une forteresse assiégée par on ne sait quoi, devant une sorte de désert des Tartares climatisé, agité de soubresauts, de faux-pas, de maladresses, de sottises, d’une communication sans fin ni loi. Nous nous tenons, droits comme des wxyz, dans un déséquilibre instable qui ne cesse de basculer comme une toupie, et de basculer, et de basculer encore... Le pouvoir corrompt ; le pouvoir absolument maladroit corrompt jusqu’à la maladresse érigée en absolu.

Cette impuissance à installer sa légitimité là où elle doit être, au sommet de la montagne qui n’a pas besoin d’être l’Olympe pour autant, est pour un président une entreprise initiatique. Sans elle, il n’est rien. Les prédécesseurs de Macron, – au moins les deux inénarrables, – ils avaient triché, en réussissant à bloquer la roche à mi-pente ou à fabriquer une roche en papier-mâché, par les moyens du bord et pour s’en faire accroire à eux-mêmes. Lui, Macron, il y va franc-jeu.

D’ailleurs, il faut lui être reconnaissant pour cela, je veux dire de cette franchise de l’acte. Élu en vérité pour inaugurer la route franco-française du bonheur d’Europe et du monde globalisé, il découvre l’ampleur et la profondeur du territoire de la crise qui nous emporte, par inadvertance certes, mais aussi par le fait de cette impuissance où il se trouve à produire pour nos âmes ferventes ne serait-ce que le simulacre de la légitimité qui nous éclairerait et nous imposerait le respect de l’emportement collectif rassemblé et proclamé par un homme hissé sur le pavois. Ce président-Jupiter prétendait avoir pour lui tous les pouvoirs, le tonnerre et les éclairs, et il s’avère qu’il n’en use que pour éclairer d’une lumière crue et cruelle la monstrueuse catastrophe qu’est en vérité ce à quoi il était censé nous convertir pour assurer notre bonheur. 

Les dieux s’acharnent sur lui, celui-là qui nous disait sans ciller qu’il était comme Jupiter sur l’Olympe-tonnant, maître du tonnerre et des éclairs des orages du Fond des Temps dont il fallait s’extirper, avec sa verticalité prodigieuse et vertigineuse à la fois, et qui nous fait, désormais et absolument tout au contraire, entrevoir la Fin des Temps. Son aventure élyséenne, là où il s’était promis de nettoyer les écuries d’Augias pour installer le “nouveau-monde”, ressemble au tonneau des Danaïdes qui est une autre façon de figurer le symbole qu’on a déjà soupesé avec le récit du Sisyphe des startups et de sa roche magique et maudite.

Son destin politique ressemble à une succession de coups du sort le plus infâme, le plus dérisoire. Je ne trouve rien de vraiment tragique dans cette  tragédie-bouffe et pourtant son destin, celui de Macron aux si grandes espérances, est effectivement tragique comme l’on dit d’une circonstance intempestive et absolument insaisissable, et à laquelle on ne comprend rien.

Je pense, ou plutôt je crois un peu comme on a la foi, – certains parleraient de superstition, d’autres d’intuition, – que le sort qui est une sorte de “main invisible” pour les temps difficiles, s’est ingénié à semer autant de pièges, de savonnettes glissantes, de flaques dissimulées d’une eau croupissante, de branches traîtresses et de bouses de vache déguisées en fleurs des champs, sur la marche et sous les pas du petit président, comme pour le faire échouer par à-coups, par des coups d’épingle humiliants, qui le laissent sans repos sans jamais lui donner la gloire d’une bataille pour emporter le sommet d’une sorte d’Olympe, – même perdue, une telle bataille vous donne une gloire qui est l’honneur de votre carrière.

Notre-Président, je me suis  déjà aventuré à l’observer, souffre d’une haine extraordinaire de la part de nombre de citoyens et il est entouré de médiocres portefaix et courtisans traîtres prêts à l’enduire d’erreurs diverses et à l’envoyer se faire fourvoyer. Il s’ensuit que sa présidence est entraînée sans fin dans une bougeotte qu’on croirait éternelle, une complète et agitée tentative d’être comme une danse de Saint-Guy ; sa présidence semble continuellement sur le point de commencer ou au bord de l’effondrement c’est selon, jamais elle ne parvient à fixer un paysage, un horizon, deux ou trois jours paisibles, une douceur imprévue du monde, quelque chose dont on se dit en une foudroyante intuition que cet instant-là restera dans l’éternité...

Elle vit à 180 kilomètres à l’heure, mais avec un pneu avant gauche dégonflé et un pneu arrière droit mal gonflés. Elle est comme pas-finie ou bien comme même-pas-commencée. Elle flotte, comme bulle ou simulacre dans l’air déjà chaud du matin d’un climat tant réchauffé par les outrances monstrueuses et les terribles halètements des machines sans nombre et sans fin dont accouche continuellement l’immense usine à gaz, leMordor de la compétitivité, – toi, le Système...

Enfin il se trouve, sans surprise n’est-ce pas, qu’il est jeune-homme de son temps, un Sisyphe du temps des startups, et il se conduit comme tel, sans surprise finalement. En cela, il est un peu comme Trump, effectivement cet autre président dont il partage  la haine déjà vue et qui les accable sans qu’ils s’en avisent vraiment, – Trump le président improbable de notre alliée la Grande République, l’“homme-orange” selon le  colonel Lang : « Il est arrivé au pouvoir sans comprendre les différences entre la direction d’un gouvernement et la direction d’une entreprise et il n’en sait toujours pas plus aujourd’hui. Il continue à croire que chaque membre de l’exécutif est son employé personnel.  Il se trompe... »

Ils sont de la même promotion, de la même époque de la Fin des Temps, chacun avec son propre spectacle, chacun bateleur d’un enchaînement qui le dépasse et qu’il fait mine d’embrasser comme s’il était de sa facture. Ils ne sont ni critiquables ni à critiquer, leur mission a sa place dans le Grand Dessein. Ils sont les compagnons de la chute sans cesse recommencée, parfaits porteurs d’eau de l’effondrement, des Sisyphe dont l’effort sans cesse recommencé lui aussi n’a pour effet principal sinon exclusif une fois écarté le mythe, que de renforcer par ses chocs successifs la force de la pression du basculement de l’univers vers ses profondeurs. Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font, croiraient être fondée à recommander quelque grande âme emplie d’une belle compassion ; d’ailleurs complèteront-on, il n’y a rien à pardonner car ce qu’ils font est d’une si grande nécessité, et finalement choisis par le destin pour accomplir la tâche ultime.

Ainsi tout s’éclaire-t-il et la lumière fut.

 

Note

(*) J’avoue m’être trouvé confirmé dans cette image de Sisyphe, à laquelle j’avais déjà pensé confusément à une occasion ou l’autre, dans la bouche du professeur Olivier Duhamel pour une fois plaisantant plutôt que ronchonnant, qui fit cette comparaison pour définir le quinquennat Macron. C’était lors d’un débat animé et ironique sur LCI, le 14 février au soir, après la décision ultime de Griveaux.