Trump sans Bannon, PhG avec le NYT

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Trump sans Bannon, PhG avec le NYT

19 août 2017 – Ceci nous dit combien ces temps sont étranges : Mercouris, le New York Times et moi sommes d’accord, d’abord sur un point : le départ de Bannon de la Maison-Blanche ne change pas grand’chose dans la situation présente, parce que Bannon n’a jamais vraiment influé sur les événements dans le chef de l’activité de l’administration Trump. Ceci nous dit encore plus combien ces temps sont étranges : je serais plutôt d’accord avec le NYT, contre l’avis de Mercouris, à propos de la situation nouvelle que le départ de Bannon va installer à la Maison-Blanche.

Mercouris pense que, même si Bannon n’a pas apporté grand’chose durant ces sept premiers mois de l’administration Trump, son départ va définitivement libérer la voie pour un contrôle complet de la Maison-Blanche par les militaires, leur assurant indirectement un contrôle complet de la direction politique des USA. (Les généraux Kelly et McMaster à la Maison-Blanche même, le général Mattis au Pentagone.) Le NYT, lui, pense plutôt, et je suis complètement de cet avis, que le départ de Bannon ajoutera un degré de plus de chaos dans une administration qui n’est que chaos : « No matter what, Mr. Bannon’s exit marks a new level of chaos in an administration that’s been defined by chaos. »

Ils auraient pu ajouter, au NYT, qu’ils sont pour beaucoup dans ce chaos, comme toute la presseSystème dont ils sont les inspirateurs, imprimant sur leur luxueux papier-journal une narrative qui n’est que cela, une narrative, dans le but d’empêcher tout fonctionnement adéquat du gouvernement pour prouver que ce gouvernement Trump n’est que chaos et rien que chaos. Mais pourquoi pas, si c’est cela qu’ils veulent ? Je suis complètement à mon aise avec cette perspective, puisqu’ainsi ils attaquent plus le gouvernement dans ses structures que Trump lui-même. D’une certaine façon, ils empêchent les généraux dont Mercouris annonce l’empire sur Trump de l’exercer, cet empire, comme ils devraient le faire au nom du Deep State.

C’est folie de la raison subvertie par l’hystérie d’attendre que d’un homme comme Trump jaillisse un rangement acceptable pour un antiSystème d’une machinerie si complètement enfantée et conçue par le Système. Effectivement, cela revient à partager l’hystérie des antitrumpistes dont le jugement, pour pouvoir justifier leurs lubies, – Trump est l’œil et le bras armé de Moscou, Trump est un Hitler grimé en businessman flambant neuf, – fait de Trump un homme de complot, avec un plan et la méthode pour l’appliquer. On sait ce que je pense de cette hypothèse... Trump n’a pas de plan, pas de complot, pas de capacité de rangement. Plongé dans cette machinerie qui semblerait implacable et impénétrable, les impulsions et les humeurs de Trump font merveille en dispensant l’inattendu dont l’effet est d’accentuer le chaos, non sans laisser passer quelques vérités qui attisent encore plus l’“hystérie de masse que décrit Scott Adams. Dans cet environnement, Bannon ne gagnait pas à grand’chose à se trouver ainsi au cœur de la Maison-Blanche, à passer son temps à éviter les coups de poignard dans le dos et à en distribuer lui-même.

Le NYT rapporte une autre précision, dans un passage où il reconnaît, là aussi d’une manière étonnante, combien certaines interventions de Bannon allaient dans le sens de restreindre les projets les plus furieux de Trump ; à savoir qu’il favorisa lui-même la nomination (comme chef de cabinet) de celui qui a peut-être machiné son départ (« Mr. Bannon supported the appointment of John Kelly, the new White House chief of staff, whose desire to impose some semblance of order in the White House played a role in Mr. Bannon’s departure... »). Mais cette version peut être interprétée d’une autre façon, si l’on accepte la précision selon laquelle Bannon n’a pas été chassé, mais qu’il a lui-même démissionné (simplement, la chose, décidée par lui le 7 août, aurait été repoussée au 18 à cause des événements de Charlottesville). Dans ce cas, Bannon n’avait rien à craindre de la nomination de Kelly et, au contraire, en partant il laisse aux généraux tous les accès et tous les postes pour tenter l’impossible tâche : dompter la bestiole-Trump. D’ores et déjà, Kelly, qui espérait bien arrêter l’ouragan de tweets, a pu prendre une bonne mesure de son impuissance à cet égard.

Je continue sur ma lancée pour reconnaître, plus loin dans le raisonnement, mon complet accord avec la Grey Lady, – étrange rencontre, tout de même, mais à la lumière du désordre il est inutile d’épuiser sa réserve d’étonnement, – c’est simple, en ne s’étonnant plus de rien... En effet, l’édito du NYT poursuit en estimant que Bannon, loin d’être anéanti par son départ, par son licenciement-démission, au contraire se trouve “libéré” des contraintes de sa fidélité stérile à Trump, pour mieux guerroyer à sa guise.

« But Mr. Bannon, who promptly returned to Breitbart as its executive chairman on Friday, still poses a danger for our broader politics. Outside the White House, he is freer to rally his forces against anyone who doesn’t toe his nationalist-protectionist line. A Bannon-led right-wing backlash against Mr. Trump, who unleashed the worst impulses of nationalists in service to himself, would be a fitting comeuppance... [...]

» While Mr. Trump drifted aimlessly away from promises of health care “insurance for everyone,” middle-class tax cuts and expanded job creation, Mr. Bannon argued for maintaining a clearer bead on the needs of working-class voters who blamed an out-of-touch Washington for ills from joblessness to opioid addiction. His departure liberates him to advocate a program of “economic nationalism” that many Trump voters say they voted for. [...]

» “Devil’s Bargain,” a new book about the Bannon-Trump linkup that gives Mr. Trump second billing, credits Mr. Bannon as one of the first conservatives to recognize that attacks on Hillary Clinton and the Clinton Foundation’s courting of foreign leaders and wealthy elites wouldn’t stick unless they resonated beyond the right-wing echo chamber, a feat he helped accomplish in 2016. Backed by this knowledge, the Breitbart megaphone and wealthy ultraconservatives, Mr. Bannon is a potentially more damaging force to both parties now. »

Du côté de BreitbartNews, que Bannon a aussitôt regagné en revêtant son armure de guerre (démissionnaire vendredi matin, il présidait un conseil de rédaction vendredi soir en récupérant sa position de direction du site), l’avenir s’affiche clairement par divers tweets, déclaration directes et indirectes. C’est la guerre, “contre la Maison-Blanche” investie par le Deep State , “pour Trump” prisonnier du Deep State (sous-entendu : à condition qu’il respecte ses promesses électorales, ce qui est évidemment déjà fortement compromis). Le programme est logique et l’équipement puissant. BreitbartNews, 63ème site aux USA selon le classement du compteur Alexa (Amazon.com), constitue une arme de communication formidable, quelque chose que Trump lui-même avait reconnu comme décisif pour lui permettre de l’emporter. Bannon va l’utiliser pour attaquer les “globalistes” qui tiennent Trump en otage ou bien dont Trump est le complice ; c’est redoubler et aggraver en complication le cas des querelles “entre globalistes

Cela signifie qu’un acteur nouveau et d’un poids impressionnant est entré dans le formidable désordre de la crise US. Il y a toute une opposition de droite qui attend une structure, ou une puissance de communication capable de fédérer les mécontentements. Les populistes trumpistes jusqu’ici en plein désarroi ont une occasion de se légitimer eux-mêmes, selon une stratégie toute tracée dans la bataille qui va s’ouvrir à la rentrée, qui sera la bataille de la poussée espérée comme finale pour liquider Trump par l’opposition de gauche, – que ce soit par la destitution ou pour forcer à la démission...

(Bannon qui s’en va juste au moment de la rentrée politique ? Moment si bien choisi que je croirais plus au départ volontaire qu’au licenciement, tout en laissant planer l’incertitude là-dessus, par souci de “victimisation” de la part de Bannon. L’idée est qu’il est parti, justement à temps pour entrer dans la bataille.)

Bannon va soutenir Trump, c’est assuré, il le soutiendra même à l’insu de son plein gré (celui de Trump), et plus encore s’il le faut il le soutiendra un peu comme la corde soutient le pendu, en espérant le forcer à la résistance contre la liquidation que veulent les démocrates. Cela promet encore plus de désordre, ce qui ne surprendra personne, mais surtout cela diversifie la bataille d’une façon peut-être décisive, dans tous les cas très séduisante. Ce n’est plus une bataille sur un front, mais bien plutôt un “tourbillon crisique”, ou “tourbillon cyclique” puisqu’il s’agit de Bannon, la guerre en tournant, en modifiant sa tactique et ses adversaires selon les circonstances. C’est le NYT qui nous le dit, et qui est d’ailleurs confirmé par le WaPo, lequel devient ainsi, également et pour au moins l’instant d’un commentaire, un autre “compagnon de route” de moi-même bien singulier.