Trump, Brexit et la guerre contre l’UE

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Trump, Brexit et la guerre contre l’UE 

Plus les jours passent, et plus les actes de Trump suivis de certains de ceux qu’il met en place dans le gouvernement montrent d’extraordinaires évolutions de la politique des USA avec cette nouvelle administration, dans un sens antiSystème ouvert et proclamé, notamment et essentiellement grâce à la puissance du système de la communication. Ainsi de cette interview de l’ambassadeur pressenti des USA auprès de l’UE, dont les propos au cours d’une interview de la BBC sont totalement destructeurs et déstructurants.

C’est James Delingpole, de BreitbartNews, qui nous présente cette interview de l’ambassadeur-pressenti Ted Malloch. Son discours est du type de celui que tiendrait un Farage dans cette position, – Farage qui va aller à FoxNews mais qui tiendra aussi un rôle de conseiller informel mais néanmoins statutaire du président Trump. Il semble assez logique qu’on puisse considérer que le choix de Malloch, la façon dont celui-ci procède au niveau de la communication, sont en bonne partie le fruit des appréciations de conseillers type-Farage, c’est-à-dire de Farage lui-même et d’activistes du type de Delingpole lui-même, qui dirige Breitbart.News UK et qui est un fervent partisan du Brexit... Le thème du Brexit autant que l’événement lui-même semblent absolument fasciner Trump, comme on l’a vu et entendu surtout lors de sa rencontre avec Theresa May. Trump l’utilise comme une image-symbole de sa politique, presque aussi descriptive que la formule America First. Il semble alors assez logique de comprendre, notamment au travers de l’interview de Malloch pour ce cas, que le Brexit autant comme symbole que comme description d’une manœuvre stratégique, constitue effectivement le mot d’ordre résumant la politique-Trump vis-à-vis de l’UE ; et cette politique, sans beaucoup de doute à cet égard, serait constituée par une tentative directe de faire éclater l’UE.

Voici le texte de Delingpole, du 28 janvier sur Breitbart.News :

« The more I see of the Donald Trump administration, the more I like its style. Here’s a perfect example – in which Trump’s prospective new Ambassador to the European Union, Ted Malloch, tells it like it is in an interview with Andrew Neil on the BBC’s Daily Politics show. Neil asked Malloch why on earth he’d want to be Ambassador to the EU.

» Andrew Neil : “I mean you’re clearly not a great fan of Brussels or these bureaucrats like Juncker.”

» Ted Malloch : “Well, I had in a previous year a diplomatic post where I helped to bring down the Soviet Union, so maybe there’s another union that needs a little taming.”

» Later, Neil asked Malloch what he thought of the President of the EU Commission.

» Andrew Neil : “What do you think of Mr Juncker?”

» Ted Malloch : “Well Mr Juncker was a very adequate mayor of some city in Luxembourg and maybe he should go back and do that again.”

» Neil laughed like a man who couldn’t believe his luck. Politicians are hardly ever this frank on TV politics shows. Diplomats even less so because supposedly it’s their job to be discreet, smooth things over, not ruffle feathers. As for the EU – no one of influence, with the exception of Nigel Farage, has ever talked about it so disparagingly on television. Yet straight-talking, EU-despising Ted Malloch is the man President Trump has chosen to represent the US in the European Union. And the reason he did this is because, as Malloch was at no pains to hide, President Trump just doesn’t like the EU:

» Ted Malloch : “He doesn’t like an organisation that is supranational, that is unelected where the bureaucrats run amok and that is not frankly a proper democracy.”

» There’s a revolution going on here and I think even those of us who support Trump and Brexit are being taken aback by the speed of change. Remember that the European Union was partly the creation of the USA, which saw it as a way of keeping peace in Europe by using France as a counterweight to Germany, with a reluctant Britain as the sensible intermediary. This is why successive US Presidents have colluded to prop up this corrupt, inefficient, anti-democratic institution. Suddenly, those days are over.

» The EU is finished and the new President of the USA is actively speeding its end. »

Il y a une “guerre de la communication” qui est menée par Trump et son administration, et surtout avec des individualités depuis longtemps persuadées de la puissance de la communication et de la nécessité d’une révolution, et ces personnalités de type activiste se trouvant dans l’orbite de Breitbart d’une part, des Britanniques eurosceptiques fortement sinon idéologiquement anti-UE proche de l’UKIP d’autre part. Cette “guerre de la communication” est purement destructrice (essentiellement déstructurante, par les chocs successifs  dont elle procède). Elle consiste d’abord dans des déclarations sensationnelles et absolument différentes du style diplomatique et retenu courant dans le Système, et bien entendu complètement étrangères au Politically Correct ; les tweets de Trump sont l’archétype de cette tactique, mais aussi, désormais, des déclarations individuelles du type de celles de Malloch dont on peut penser qu’elles sont une amorce de la diffusion de cette tactique.

La réaction du Système est classique : le silence. La presse-Système a appris, durant la campagne USA-2016, que le silence était l’arme ultime, la dernière possible, contre les attaques incessantes de Trump. C’est une tactique désespérée, montrant bien l’embarras du Système, et une tactique qui ne peut être complètement verrouillée parce que le milieu du journalisme n’est ni contrôlable d’une façon hermétique, ni disciplinée comme l’est une administration soumise aux directives précises de sa direction. Il y a l’attrait professionnel et le bénéfice concret (audience, notoriété, rapport vénal) du sensationnel, en même temps que les attitudes personnelles qui ne peuvent être contrôlées. Ce passage de commentaire de Delingpole, qui s’y connaît dans ces milieux-là de la presse-Système (à noter qu’il désigne le journaliste de la BBC par son prénom, c’est un ami), explique bien ce que nous voulons dire : « Neil se mit à rire comme un homme qui ne pouvait croire à sa chance. Les politiciens ont rarement cette franchise durant les shows politiques à la TV. Les diplomates encore plus parce que, en principe, leur travail est d’être discret, arrangeants en adoucissant le propos, évitant les propos abrupts. Pour ce qui concerne l’UE, personne de quelque influence que ce soit, à l’exception de Nigel Farage, n’en a jamais parlé d’une façon aussi libre d’entraves à la télévision. Pourtant ce Ted Malloch au parler si direct et ne dissimulant pas une seconde son hostilité à l’UE, c’est l’homme que le président Trump a choisi pour représenter les USA à l’UE... »

 Les déclarations de Malloch n’ont pas fait grand bruit, et notre hypothèse est qu’elles seront à peine diffusées à l’intérieur de l’UE et au niveau de sa direction, parce qu’elles ne sont pas “convenables”, comme ne sont pas convenables “ces gens-là”. De même, l’UE a mis plus de six semaines après l’élection de Trump avant de seulement envisager de chercher à entrer en contact avec l’équipe de transition du président-élu, selon l’argument implicite, – car le problème ne fut jamais posé explicitement mais les mots employés par les fonctionnaires parlent d’eux-mêmes, –  qu’on ne parle pas avec “ces gens-là” avant qu’ils n’aient été conduits à demander merci. Dans ce cas ce ne fut pas le cas, puisque la lettre de “félicitations” Tusk-Juncker envoyée le 9 novembre, après son élection, qui proposait à Trump un sommet avec les dirigeants de l’UE “à condition” que ce sommet se fasse sous les auspices des “valeurs” que ces personnages chérissent et dont ils semblaient douter que Trump en fût préoccupé, – la démocratie, les droits de l’homme, les frontières ouvertes, etc., – cette lettre n’a toujours pas reçu de réponse et le sommet UE-Trump languit d’autant de ne pas exister...

Ainsi, le silence comme politique de la communication pour traiter les informations venues de l’adversaire, qui trouve d’ailleurs sa riposte dans le silence de Trump lorsqu’on lui envoie une lettre de cette sorte, a-t-il des limites comme tactique ; les élections USA-2016 l’ont d’ailleurs largement démontré, la presse-Système n’ayant pu empêcher cette élection. Il existe désormais une presse-antiSystème qui se charge du travail de diffusion des nouvelles antiSystème venues du cœur du Système. Finalement, même si ces déclarations, qui font partie du dispositif de destruction de Trump, sont en général barrées et ignorées par la presse-Système et les institutions-Système, elles circulent tout de même au niveau du Système et finissent par atteindre, parfois dans une mesure inespérée, leur but principal qui est de créer un climat d’extraordinaire insécurité pour les dirigeants du Système.

Ce climat d’insécurité est certes une création de la communication, mais il est aussi, pensons-nous, également justifié comme une vérité-de-situation opérationnelle. Notre analyse est de plus en plus que les relations avec l’UE, et l’attaque prédatrice contre l’UE qui est inextricablement liée à l’attaque contre la politique de migration “Frontières Ouvertes” que cela implique, vont constituer un des pans majeurs de la politique trumpiste, peut-être plus important que les relations avec la Russie. L’on parle déjà de la possibilité de “sanctions” de l’Allemagne (de l’UE) contre les USA après le premier executive order de Trump pour interdire l’accès pour une période de trois mois de musulmans de sept pays de la zone moyenne-orientale, ce qui est plutôt l’indication de l’extrême précarité de la position de Merkel aussi bien que de la position impossible où pourrait se trouver l’UE. (Bien entendu, ces restrictions ont été faites avec l’esprit sélectif correspondant aux intérêts des USA, puisque l’Arabie n’est pas dans la liste alors que l’Iran s’y trouve, ce dernier point ayant provoqué une réaction furieuse de l’Iran : la politique de Trump n’est en aucun cas vertueuse elle est essentiellement prédatrice et il faut d’abord la considérer pour cet aspect antiSystème.)

La première rencontre internationale de Trump n’était pas un salut et une résurgence des “special relationships”, comme les Britanniques se sont sans doute un peu trop plus à l’imaginer et comme Theresa May a tenté de la présenter, mais une façon symbolique de saluer le Brexit comme un des outils essentiels de la stratégie trumpiste. Ce fut aussi une façon, également symbolique mais à notre avis extrêmement significative, de déclarer la guerre à l’UE et d’afficher cette intention de tout faire pour parvenir à la destruction de cette infrastructure supranationale, – parce que Trump est un ennemi acharné de cette sorte de structures, comme il l’est de la globalisation dont elles sont les garantes.

 

Mis en ligne le 29 janvier 2017 à 07H26