The Donald nucléaire

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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The Donald nucléaire

19 février 2016 – Je ne suis pas un grand amateur de la prospective et ne viens pas à ce sujet (Donald Trump et la primaire de Caroline du Sud) pour pronostiquer, supputer, faire de la comptabilité électorale, etc. Mais il y a chez moi le sentiment qu’il y a un effet important et peut-être plus encore à attendre si Trump remporte cette primaire et s’installe vraiment comme le favori chez les républicains, après ce qu’il a promis et le territoire sur lequel il est entré avec sa critique furieuse de l’administration GW Bush face à l’attaque 9/11 et ensuite dans la guerre contre l’Irak.  On a vu l’affaire hier, qui concerne précisément l’attaque du 11 septembre 2001, qui se résume à un “je vous promets la vérité sur 9/11 si je suis élu” dit lors d’une réunion électorale. D’un point de vue politique et opérationnel, il faut voir que ce n’est pas une promesse subversive en soi ni très difficile à tenir puisqu’il s’agirait essentiellement de rendre publiques les fameuses 28-pages du rapport du gouvernement sur l’attaque, actuellement classifiées “top secret” et accessibles seulement aux élus du Congrès en lecture unique, dans un salle surveillée, après vérification qu’ils ne disposent ni d’un stylo ni de papier pour prendre des notes, et sous serment de ne pas divulguer le contenu. (Mais les impressions données par certains de ceux qui les ont lues laissent augurer du caractère suffisamment intéressant du contenu, qui concerne précisément le rôle du gouvernement saoudien dans l’attaque, pour faire de leur publication ouverte un acte de rupture par rapport à l’attitude officielle jusqu’ici.)

Evidemment, Trump, qui est un maître en communication, a bien préparé son coup après s’être à peu près convaincu que ses attaques contre l’administration Bush et la guerre en Irak ne lui avaient pas fait trop de tort dans les sondages. (Au contraire, semble-t-il, et pour la Caroline du Sud et au niveau national selon un sondage CBS qui contredit un précédent sondage NBC d’une façon extrêmement significative quant aux coulisses des statistiques, manipulation, etc., bref une terrible bagarre...) Quoi qu’il en soit, je laisse définitivement de côté ces pronostics pour en venir à la perception de ce qui se passe, en mettant les “si” habituels qui ne sont pas une supputation injustifiée (s’il gagne en Caroline du sud, s’il se confirme comme favori, etc.).

En effet, lancer la promesse de ce qui est l’acte de facto de revenir sur la version officielle publique de l’attaque, c’est toucher dans les conditions de la plus grande publicité possible à ce qui est devenu avec le temps un formidable tabou. Trump a effectivement fait cela dans sa manière, qui utilise au maximum les recettes du sensationnalisme pour tirer le maximum d’effet de ses actions de communication. Cela signifie que toutes les conditions sont réunies pour réveiller une polémique formidable au niveau national. Même si la polémique s’est estompée avec le temps et semble n’avoir plus l’importance qu’elle semblait avoir dans les années qui suivirent l’attaque, je pense que cette question de “la vérité sur 9/11” est restée, ou plutôt est devenue un cas de très grand poids en se transformant justement avec le temps ; qu’elle est devenue, au-delà des apparences de l’oubli du temps qui passe, une question symbolique d’une importance considérable, qui est peut secouer profondément la vie publique aux USA, avec une portion importante de la population qui n’a jamais accepté la version officielle. Jusqu’ici, aucun homme politique de dimension nationale, et dans les circonstances d’une élection présidentielle, ne s’était aventuré sur ce terrain, ni même n’y avait pensé une seconde. Peut-être est-ce parce que, justement, The Donald n’est pas un “homme politique”, qu’il est “un milliardaire”, “un clown”, “un populiste”, “un bouffon stupide”, un “imbécile incompétent” – au choix, le Système a tout un arsenal à notre disposition, dont certaines des munitions ne sont pas à blanc... La possibilité que j’évoque est bien que Trump soit en train de réveiller un démon qui dormait et qui, dans son sommeil, est passé du statut de la polémique au statut de symbole du fondement de la vie politique nationale aux USA, et par conséquent de la légitimité qu’on peut reconnaître ou pas au gouvernement en général depuis 9/11 (pas seulement celui de GW Bush, mais aussi celui d’Obama qui n’a jamais pensé une seule seconde revenir sur cette question).

L’important est bien là, dans un domaine bien plus large que la simple communication pendant une campagne électorale, avec son développement évidemment soumis aux “si” de rigueur dont je parlais plus haut (si Trump gagne en Caroline du Sud, s’il continue à mener, etc.) ; mais ces “si” en donnant justement une mesure de l’ampleur. (J’ajouterais que la dernière polémique en date, – Trump marche au rythme de deux-trois polémiques par semaine, – qui est l’avis donné par le pape François selon lequel Trump n’est pas “un bon chrétien” parce qu’il veut ériger un mur sur la frontière mexicaine des USA, ajoute un “si” de plus par rapport à son résultat en Caroline du Sud, étant effectivement un facteur de plus de renforcement de son statut s’il est nettement vainqueur. Je ne sais si cette intervention est importante mais mon jugement est que ce pape n’a pas parlé en pape d’une époque évidemment eschatologique mais en “pape social”, en “pape progressiste” s’assurant de la vertu universaliste de la religion qu’il représente alors que l’universalisme est aujourd’hui une question terrible et affreuse de la crise eschatologique de notre civilisation ; cela lui assurera des jugements vertueux mais ne le grandit certainement pas à mes yeux.)

Donc, si Trump continue après avoir lancé ce qui devrait être considéré comme une initiative explosive et révolutionnaire, cela signifiera évidemment que son soutien populaire ne faiblit pas malgré cela et donc que l’“option nucléaire”, – l’hypothèse du déballage de quelques-unes des armoires du Système où l’on y trouve tant de cadavres, – est un excellent argument de campagne ; il ne ferait alors qu’accentuer la pression dans ce sens, qui est celui d’une radicalisation explosive et révolutionnaire, – je répète les qualificatifs, – de sa campagne électorale. Dans cette occurrence et avec la panique qui a déjà saisi l’establishment, on entre en vérité dans l’empire de la tragédie avec ces élections présidentielles aux États-Unis. Dans cette occurrence, une lutte à mort commence, où chacun va devoir prendre position, où les uns et les autres vont devoir se compter. Si Trump n’est pas démoli, ni dans les votes ni dans les sondages, tout ce qu’il dit prend et prendra de plus en plus irrésistiblement une allure de défi national qui concerne tout les candidats, l’establishment, voire la stabilité même du régime. On peut alors envisager les hypothèses les plus audacieuses, les plus folles, à commencer évidemment avec des tentatives brutales contre lui, dont les effets pourraient être encore pire que le mal qu’elles prétendraient éliminer.

Encore plus, encore plus, et pour revenir à ce point précis du “je vous promets la vérité sur 9/11 si je suis élu”... Ce qui compte ici n’est pas tant les hypothèses et les probabilités sur le contenu de ce qui, promesse tenue, serait mis à jour, que la pompe, la solennité, le cadre officiel voulu comme presque sacramentel qu’est l’élection résidentielle aux USA malgré qu’elle soit construite sur un formidable amas de combines et de manœuvres, et par-dessus cela l’écho des cris, des insultes et des accusations, des polémiques furieuses de l’énorme campagne de communication qui l’anime. Pour mon compte, cela se traduit effectivement par l’importance très accessoire du contenu, de ce que je qualifierais comme de l’“opérationnel”, par rapport à ce processus de transformation très rapide et sans qu’on s’en avise en un affrontement entre ce qui est devenu un symbole et un mythe (le 9/11 officiel avec sa narrative et ses mystères contestés) et ce qui est devenu un contre-symbole et un contre-mythe (la vérité sur 9/11). Les deux, dans ce cas, prennent toute leurs forces et tous leurs poids, ils deviennent Système et antiSystème avec la plus grande intensité qu’on puisse imaginer ; l’affrontement devient alors colossal, révolutionnaire, déstructurant dans une mesure peu imaginable. Ce n’est pas un constat que je fais mais une hypothèse sur l’évolution souterraine mais nécessairement très-rapide dans le cadre extrêmement dynamique où elle s’effectuerait des perceptions de la psychologie collective.

D’une façon fortement significative de la perception que j’en ai où la vertu d’inconnaissance a sa place pour tenter de dégager l’essentiel de l’accessoire, moi qui ne me suis guère passionné pour cette bataille de “la vérité de 9/11” dans les premières années qui suivirent l’attaque, quand le débat était brûlant, je serais conduit à penser que la chose deviendrait au contraire, aujourd'hui, si elle se déclenchait comme on peut l’envisager, une bataille de titans, mythe contre mythe et symbole contre symbole, qui engagerait tout le Système. C’est comme si l’on arrivait au bout d’une course folle, dont nul ne comprend le sens ni ne sait le but, et que l’on se retournerait soudain, vers d'où l’on est parti : peut-être là-bas, tout au bout, se trouve la clef de ce mystère : pourquoi nous courons dans cette époque terrible, et dans quel but ... Qu’on ne prenne pas ces mots au sens strict (encore une fois, ce n’est certes pas le contenu qui nous dirait le sens de notre époque), mais plutôt comme l’hypothèse d’un événement cathartique, une sorte de paroxysme soudain et brutal où se réunissent toutes nos souffrances, nos folies, nos illusions, nos narrative, pour soudain nous confronter à une sorte d’ultime vérité-de-situation ; qu’on ne croit pas enfin que l’enjeu final est l’élection ou pas du personnage, mais bien l’enchaînement qui se déclencherait à cette occasion, au-delà de toutes les conjectures politiques et politiciennes...

Il faut un bouffon inconscient de la portée de ce qu’il fait, un fou du roi dont le premier caractère est l’irresponsabilité, pas moins, pour susciter sans en avoir véritablement conscience un tel enchaînement. On conviendra que The Donald fait l’affaire ; cela ne signifie pas la réussite assurée d’une entreprise dont le bouffon-fou du roi n’a effectivement nulle conscience de l’importance ; mais on devrait convenir que les caractères de cette entreprise, comme celui du The Donald, se rapprochent du modèle idéal.

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