Syrie & “D.C.-la-folle”, concurrence de paroxysmes

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Syrie & “D.C.-la-folle”, concurrence de paroxysmes

L’actuelle séquence syrienne a commencé par une ou deux sorties (verbales) de l’archi-neocon John Bolton les 21 et 23 août (l’une est publique, l’autre est supposée privée face aux Russes), disant qu’en cas d’attaque chimique évidemment syrienne (venue du “régime Assad”, selon la terminologie-BAO), il y aurait une “très forte riposte” des USA sous la forme de frappes aériennes contre l’armée syrienne (et ceux qui se trouveraient avec elle). A partir de ce moment, le ministère russe de la défense a commencé à détailler les préparatifs avec l’aide du MI6 de l’habituelle attaque-chimique-bidon, dite “sous faux-drapeaux”, faisant office de prétexte pour cette “riposte”, par les djihadistes d’al Qaïda/Daesh regroupés en masse dans la zone d’Iblid (de 10 000 à 20 000 combattants selon les estimations). Le tout est sous “la protection” sans aucun doute humanitaire d’un contingent de forces US évalué à autour de 2 000 hommes. Les actions de communication des Russes ont été jusqu’à une réunion officielle (et sans précédent) d’une délégation russe avec une délégation du département d’État pour la transmission officielle de tout le matériel de renseignement dont disposaient le FSB et le GRU. Il est possible que cet activisme russe de communication ait dans tous les cas freiné l’opération de l’attaque-chimique-bidon (devrait-on créer pour cette sorte d’action qui devient une catégorie tactique majeure en soi de la guerre-BAO, un acronyme, comme par exemple ATTCHIBID [ATTaque-CHImique-BIDon] ?)

On s’interrogeait de savoir quelle était la position de Trump à propos de cette relance de la confrontation syrienne organisée essentiellement par Bolton et Pompeo, soutenus par Mattis au Pentagone. Il a semblé faire savoir par un de ses tweet fameux qu’il soutenait toute cette communication belliciste ; cela été suivi par l’annonce que les Russes, fort peu freinés par l’avertissement de Trump, avaient lancé une  campagne de bombardement massive contre les djihadistes de la région d’Iblid, préparant l’offensive terrestre syrienne. ZeroHedge.com ajoute à cette nouvelle la réaction officielle de la Maison-Blanche, agrémentée d’énormes péripéties internes à “D.C.-la-folle” avec la publication d’extraits du dernier livre (sous le titre Fear) de Bob Woodward sur l’administration Trump. On y trouve notamment des détails croustillants sur l’attitude de Trump, dépeint comme un président stupide et ignare, complètement incontrôlable, aux sautes d’humeur allant jusqu’à ordonner l’assassinat immédiat de Bachar el-Assad lors de la séquence d’attaque-ATTCHIBID d’avril 2017.

« The White House has issued a statement Tuesday afternoon after Russia is reported to have begun a bombing campaign over Idlib Province earlier in the day. The United States warns it will “respond swiftly and appropriately”if Syrian government forces use chemical weapons during their Idlib operations. According to the statement: “President Donald J. Trump has warned that such an attack would be a reckless escalation of an already tragic conflict and would risk the lives of hundreds of thousands of people. Let us be clear, it remains our firm stance that if President Bashar al-Assad chooses to again use chemical weapons, the United States and its Allies will respond swiftly and appropriately.”

» This significantly ups the ante concerning possible military escalation in Syria, and the potential for continued Western intervention in the conflict

» And meanwhile the White House issued its threat of another possible retaliatory round of strikes on Syrian government positions the same day a bombshell story contained in Bob Woodward's new book was revealed by the Washington Post. According to Woodward's account, Trump wanted to assassinate Syrian President Assad and effectively take out the entire Syrian government in April 2017 immediately following claims of a chemical attack on civilians were made

» Let’s fucking kill him! Let’s go in. Let’s kill the fucking lot of them,” Trump is reported to have ranted to his top advisors and military planners.  

» According to the Post: 

» “After Syrian leader Bashar al-Assad launched a chemical attack on civilians in April 2017, Trump called Mattis and said he wanted to assassinate the dictator. ‘Let’s fucking kill him! Let’s go in. Let’s kill the fucking lot of them,’ Trump said, according to Woodward. Mattis told the president that he would get right on it. But after hanging up the phone, he told a senior aide: ‘We’re not going to do any of that. We’re going to be much more measured.’ The national security team developed options for the more conventional airstrike that Trump ultimately ordered. »

Cette montée extrême de la tension en Syrie se fait au moment où la tension anti-Trump est également extrême, – paroxysme pour paroxysme, effectivement, – à “D.C.-la-folle”, notamment pour ces deux événements qui ne favorisent pas nécessairement le modèle Wag the Dog (“Je provoque une crise extérieure pour faire oublier mes déboires intérieurs”).

• La mort de Saint-John-McCain, dont on a vu l’importance quasi-religieuse, avec évidemment l’occasion exploitée de relancer une furieuse contestation du président Trump. Les funérailles de McCain ont été qualifiés par le colonel Lang de « farce » et de « procession impériale de McCain », signifiant que l’empereur-en-titre n’est qu’un imposteur tandis que le pays repose sur trois piliers irréconciliables, – l’establishment, les “néo-bolchéviques”, les “Deplorable”. (Absent des cérémonies de funérailles selon la volonté du saint-trépassé, l’imposteur jouait au golf pendant qu’on enterrait McCain.)

• La parution d’extraits du livre explosif, – à paraître très vite avant les élections, – de Bob Woodward sur l’administration Trump. Spécialiste de cette sorte de travail, l’ancien-combattant du Watergate donne à voir un spectacle apocalyptique de cette administration (voir plus haut) et, surtout, il fait un portrait absolument irresponsable de Trump. C’est à cause de cette circonstance de communication que le modèle Wag the Dog trouve peut-être, temporairement, des limites décisives, dans la mesure où ce qui nous est montré est un Trump complètement irresponsable, prêt à déclencher la guerre sur une simple impulsion. Vrai ? Faux ? Là n’est en rien le problème, ce qui importe est l’effet, actuel, présent, immédiat et exacerbé, de la part d’un auteur unanimement chéri et choyé par l’establishment. Le bouquin de Woodward va alimenter le parti anti-Trump, placer nombre de partisans de la guerre devant un dilemme (vouloir la guerre en Syrie, mais c’est soutenir et renforcer Trump !)

Iblid ou Crazytown...

On pourrait penser à une séquence organisée, du point de vue de la Russie, pour lancer l’attaque contre Iblid dans les conditions les plus favorables possibles, en amassant le maximum de difficultés sur la voie d’une décision de riposte, dans “D.C.-la-folle” même. Du point de vue tactique, les Russes ne pouvaient rêver mieux, avec l’espoir sinon la possibilité que les USA ne riposteront pas, ou bien tarderont à riposter, ou bien s’enferreront dans des contradictions, des interférences, voire des problèmes hiérarchiques graves (refus d’obéissance, ordres interprétés de façon différentes, etc.). Il est vrai que la situation qu’on a décrite, ces affirmations à très forte résonnance, de la part d’un journaliste-écrivain fameux (quoi qu’il vaille par ailleurs), concernant le caractère impulsif et les capacités mentales de Trump, justement dans une occurrence similaire (l'attaque de 2017 contre la Syrie), justement à l’intérieur même de la Maison-Blanche puisque le directeur de cabinet John Kelly est directement cité, vont installer un climat épouvantable au sein de la direction de sécurité nationale US, dans un climat de communication générale de lynch anti-Trump qui ne l’est pas moins, lui aussi à nouveau dans sa zone paroxystique.

On peut même s’interroger sur le risque pris à cet égard par le Post et par Woodward (qui reste lié au Post par une fonction effective), de publier ces extraits à ce moment crucial. A leurs yeux, on comprend bien qu’il s’agit du discrédit de Trump, dans une croisade où le Post est absolument en première ligne, avec le soutien implicite de la CIA qui est derrière le rachat du journal par Jeff Bezos il y a trois ans ; mais il s’agit également d’un affaiblissement peut-être décisif du processus de décision à un moment crucial, – et voulu comme crucial par les USA eux-mêmes, – un moment où il s’agit de prendre une décision capitale concernant l’évolution de la situation en Syrie qui atteint, elle aussi de son côté, un nouveau paroxysme.

(A nouveau l’on parle du pire, d’une possibilité d’affrontement direct entre les USA en la Russie, d’une possibilité de guerre mondiale [la troisième, selon notre décompte], d’une possibilité de montée au nucléaire, etc., – quoiqu’il n’y ait plus guère de place pour un etc.)

Une remarque essentielle qu’on doit alors faire, – bien sûr, sans préjuger de nouveaux développements qui viendraient modifier les constituants du propos, – c’est de mesurer l’extraordinaire effondrement du sentiment d’unité nationale dans les moments cruciaux de sécurité nationale, dans le chef de toutes les parties à “D.C.-la-folle”. Dans ce cas, en effet, nous de désignerions aucune hypothèse d’une responsabilité plus marquée ici que là, aucune attitude plus raisonnable d’un côté que de l’autre. Il s’agit d’un désordre général, dû à des antagonismes sauvages, des affrontements sans la moindre retenue où dominent la haine pure, les excès psychologiques jusqu’à des attitudes pathologiques, la prise en compte prioritaire de ses propres excès au détriment de tout sentiment collectif, et tout cela dans tous les sens et de toutes les façons. On ne peut même pas diviser le champ de bataille de “D.C.-la-folle” entre deux partis bien identifiés et homogènes, mais plutôt en une multitude de positions, de tendances, de pouvoirs parcellaires, etc.

Nul ne peut prédire la suite des événements en Syrie parce que personne à Washington ne peut dire ce que Washington fera. Une hypothèse plus raisonnable peut par contre être avancée : c’est celle selon laquelle Poutine et les Russes, qui sont caractérisés au contraire par une maîtrise collective assez remarquable et un fonctionnement tout aussi remarquable des processus de décision et des hiérarchies, pourraient bien avoir franchi “leur Rubicon”. Il semblerait en effet, – là aussi le conditionnel est de rigueur jusqu’au bout dans ces jeux de forces et de pseudo-diplomatie très délicats, – qu’ils aient décidé de passer outre aux vitupérations de Washingtonpour aller de l’avant dans la bataille d’Iblid. Il est vrai que le cas est pour eux vital : leur analyse est qu’Iblid est en train de devenir une base d’intervention d’une masse terroriste qui peut être projetée dans toutes les directions, et donc menaçante aussi bien pour la Syrie que pour nombre de pays extérieurs (dont la Russie, et sans doute aussi la Chine).

Dans tout cela on retrouve la tendance US au maximalisme du désordre, qui est en général théorisée après-coup selon l’idée qu’il y a là-dedans une stratégie et qu’ils en recueilleront des fruits au goût inédit et sublime. De défaite en défaite, les USA tiennent ferme cette “stratégie du désordre” ; le texte de Nick Turse, sur TomDispatch.comle 4 septembre 2018, est admirable à cet égard, à propos de l’Afghanistan et de la fantastique catastrophe que cette “guerre-sans-fin” constitue, où l’armée US a retourné le paradigme de Kissinger du temps du Vietnam (pour une guérilla contre une armée conventionnelle, le fait de ne pas perdre constitue une victoire) : du moment que l’armée US n’a pas été battue par la guérilla, elle considère qu’elle est “victorieuse”, – et ainsi est-elle “victorieuse” depuis 17 ans et autant de commandants de théâtre successifs, et continuera-t-elle à l’être indéfiniment si cela est nécessaire/possible. C’est à peu près la même démarche en Syrie, telle que la décrit Jason Ditz dans Antiwar.com le 3 septembre 2018, autour d’une remarque d’un “officiel anonyme” :

 « En 2013, les hauts responsables de l'administration Obama ont décrit leur politique pendant la guerre de Syrie comme celle de maintenir la guerre. L’administration voulait occuper une place importante à la table des négociations politiques, pour faire en sorte que la guerre continue pour qu’il n’y ait jamais de vainqueur. L’Administration Trump semble se retrouver dans la même dynamique de priorités destructrices en Syrie. Le Washington Posta a cité cette semaine un responsable de l’administration anonyme qui a déclaré que “pour le moment, notre travail consiste à aider à créer des bourbiers [pour la Russie et le régime syrien] jusqu’à ce que nous obtenions ce que nous voulons”.[...]

» La guerre syrienne approche de sa fin depuis des mois maintenant, les responsables israéliens la concédant, pour autant qu'ils soient concernés (tout en se réservant de ne pas honorer les accords d'après-guerre). Lorsqu’une guerre est perdue et qu’un plan a échoué, le gouvernement américain est souvent le dernier à le savoir et il est déterminé à poursuivre la guerre le plus longtemps possible. »

... En attendant, et puisque le désordre règne à Washington encore plus qu’en Syrie et en Afghanistan, il semble qu’on puisse dire à nouveau et pour la nième fois ces dernières années que nous sommes devant une occasion de plus de frôler la possibilité d’une guerre de très grande et haute dimension, où le mot “victoire” signifierait à nouveau quelque chose, – ou bien, vraiment plus rien du tout dans les cendres de l’échange nucléaire... Mais nous avons tellement risqué cette catastrophe depuis 4-5 ans sans que personne ne s’aperçoive de rien (sauf les Russes, as usual), qu’il paraît toujours très difficile de faire sortir la tragédie du bouffe ; puisqu’il semble qu’à Crazytown (la Maison-Blanche selon Kelly, d’après Woodward), même le geste, ou plutôt le spectacle d’un Trump cherchant à appuyer sur le bouton du nucléaire semble plus bouffe que tragique.

 

Mis en ligne le 05 septembre 2018 à 14H45

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