Pleurs & tremblements extasiés

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Pleurs & tremblements extasiés

29 juin 2017 – Rompant avec mes habitudes de vieil ours chauve perdu dans les bois hors-postmodernité, je regardai mardi en fin d’après-midi l’émission machin-truc de l’inimitable Calvi Gérard sur le segment royal de 18H00-20H00 sur LCI, et je suis sûr qu’ailleurs à la même heure ce devait être pareil car ainsi fonctionne notre univers de la communication-Système. (Aligné, plié, pas un pli pour dépasser, ne veux voir qu’une tête, n’entendre qu’un soupir, et ce sera ce soir-là celui de l’extasié bonheur.) On nous avait montré auparavant, vers 15H00-17H00 – j’ai beaucoup lambiné devant la TV avant-hier après-midi, parce que le temps était à l’orage et que ma chienne Klara en a grand’peur, en conséquence de quoi je reste près d’elle, – nous eûmes donc un spectacle considérable de la tradition même, haut en couleur et de grand intérêt ethnologique, les us & coutumes, et le vote dans toute sa chorégraphie solennelle, pour l’élection du Président de la nouvelle Assemblée Nationale de la République & du Peuple. C’est de cela qu’on parlait, chez Calvi Gérard.

Non, plutôt, on parlait de ceci, soudain la chose m’étant apparue à moi qui suis toujours en retard sur mon siècle, – de ceci que cette Assemblée-là comprend autour de 40% de femmes, presque la parité ! Mille sabords, quelle aventure... J’en fus sitôt retourné ! Qu’on me comprenne bien, aussitôt, et qu’on n’aille point me faire quelque méchant procès en LGTBQ-déficient, j’en serais affreusement marrie. Je n’ai rien contre les femmes, contre les homos, les trans, les lesbs, les multi, les couleurs brun, black, jaune, orange, bleue et même blanc, et en plus j’adore les animaux à un point que vous ne pouvez imaginer.

(Qui parle d’ironiser ? Voyez ma peine immense et jamais éteinte, d’une vérité poignante, quand mourut ma chienne Margot, et il en fut de même pour Balzac avant elle, et il en sera ainsi pour Klara qui est pour moi comme la fille en plus que je n’espérais plus. De ce parti des animaux, mon choix est fait depuis longtemps et je mourrai avec, sans militantisme nécessaire, simplement reconnaissant de l’esprit très haut de la chose.)

Donc, nous laissons de côté cet aspect polémique-LGTBQ qui vient si souvent sous la plume par les temps qui courent. (J’y reviendrai à l’aspect polémique-LGTBQ, ayant été au moins une fois hélé de rude façon à ce propos, et fort injustement de mon point de vue ; j’ai noté ce sujet dans mon petit carnet type “sujet-à-aborder” que je tente chaque jour de ne pas égarer...) Ce qui m’a arrêté dans ces diverses émissions de mardi fin d’après-midi/début de soirée, c’est l’extraordinaire sentimentalisme des divers commentateurs, experts, professionnels, statisticiens, politologues, ou devrais-je dire selon mon expression préférée : leur affectivisme ? Alors, il n’est plus question simplement de ces femmes qui envahissent comme c’est justice les travées de l’Assemblée, mais de l’égalité enfin presque réalisée, et l’égalité républicaine, dans l’enceinte même de la République du Peuple. Ils étaient tous, là, assis autour de la table, avec le gros Calvi Gérard allant de l’un à l’autre avec ses grands bras, sa mine de vrai-naïf jouant au faux-naïf, son expression favorite « donc, vous êtes en train de nous dire » (de même que l’Hollande, qui avait comme expression favorite entre intimes « il se trouve que je suis président ») ; ils étaient là, tous, les yeux brillants disant le vrai de l’épanchement de leurs cœurs, comme l’on aurait vu perler une de ces larmes républicaines qu’on ne laisse couler que dans les très-grandes occasions. Je crois qu’ils croyaient en vérité à la grandeur formidable du Moment, c’est-à-dire ce Moment historique de la représentation populaire, juste, proportionnée, égalitaire, absolument républicaine. Il ne parlait que de cela, de “La République”, comme l’on parle de Notre-Père-qui-n’êtes-plus-aux-cieux, avec une immense et respectable ferveur religieuse.

Dans cette description, croyez-le bien, je balance entre l’ironie et le sérieux sinon la gravité ; il y a en effet à la fois un air d'incroyable simulacre et un air d'implacable vérité dans ce que je décris... Mais dans quel ordre, cela ? Est-ce le simulacre de la vérité ou bien la vérité du simulacre ? Poser ces questions, ce n’est même pas y répondre tant règne l’ambiguïté dans ces moments-là.

Il y a aujourd’hui dans ces esprits prétendument intellectuels, c’est-à-dire faits pour apprécier et juger une situation de façon rationnelle et nous donner le fruit de leur réflexion, une formidable et étrange fusion conditionnant la pensée, dans le chef de la raison ou dans ce qui en reste d’une part, de l’affectivisme d’autre part. Cela donne une production étonnante de vélocité et de créativité des artefacts conceptuels qui se prétendent symboles, ou dans tous les cas de caractère symbolique, et qui affirment par conséquent ce qu’ils jugent être leurs dimensions mythiques. Ainsi en fût-il de cette présence féminine équilibrée, du vote de cette Assemblée complètement neuve, de la solennité de cet événement qui affirma se transformer lui-même en une représentation symbolique d’un “Moment Républicain” dont il allait de soi qu’il avait les dimensions d’un mythe ; et ce mythe qui resterait parce qu’il fixait dans l’éternité d’une laïcité vertueuse à ne pas croire la vision d’une société idéale enfin accomplie. On eût cru, ou eût même pensé, pour les quelques heures de commentaires qui se déversaient sans véritable anicroche, que l’on était enfin au port et que l’Histoire pouvait se clore.

(Je vous confierais entre nous que la Méluche, refusant de porter la cravate, refusant de se lever et d’applaudir le discours de notre nouveau-Président [de l’Assemblée-du-Peuple], n’eut pas bonne presse chez nos commentateurs appointés. Tout le monde exprima hautement son indignation : au piquet, la Méluche ! Moi-même, malgré le ton distant et ambiguë de cette chronique, je ne l’approuvai pas sans pour autant voter la peine capitale.)

J’avais l’impression d’assister, avec toute la retenue bien française et l’évident brio de la non moins évidente intelligence parisienne, à quelque chose d’une transmutation hollywoodienne par instant, ou l’histoire composée selon les normes de cette industrie ; si vous voulez, un remake en plus cartésien de Mister Smith Goes To Senate (je préfère ce titre à l’original Mr. Smith Goes to Washington) ; ce qui donnerait, à-la-Derrida et un peu plus long tout de même que la sobriété hollywoodienne et beaucoup moins rythmé que le swing hollywoodien, une sorte de “Mr. et Mme Dupont, immigrés, déconstruisent l’Assemblée du Peuple pour refonder la République”.

J’exagère en disant tout cela, je force le trait, c’est bien connu, et si c’est pour mieux ménager mon effet ce n’est nullement pour le dénaturer. Si l’on revient à l’idée du mélange d’une raison dont on sait par ailleurs que je la tiens pour absolument et complètement subvertie, avec l’affectivisme, on arrive enfin à ce constat que j’ai fait que tous ces importants commentateurs, par instant, semblaient comme des enfants devant le sapin de Noël achalandé de ses beaux joujoux. Ils me semblaient être vraiment, – et je ne tiens pas précisément à les moquer en disant cela, mais tenter de restituer le vrai d’une perception, – comme si, dans ces instants fugaces de ce grand “Moment Républicain”, ils croyaient vraiment au Père Noël.

Plus rien ne semblait exister, l’absurde quinquennat Hollande, la campagne chaotique, les invraisemblables affaires, la monstrueuse campagne d’abstention, les conditions catastrophiques qui nous habitent autant qu’elles nous entourent, l’incroyable surgissement de Macron et son raz-de-marée irrésistible avec autour de 15% des voix exprimées effectivement sur son nom, – et encore ne parle-t-on pas du flot des réfugiés, de la Syrie et de Trump, de la méchante Russie, – toutes ces singularités qui ne cessèrent de les pousser les uns et les autres à parler d’une crise majeure de la démocratie, et “la République est en danger” par conséquent. Ce jour-là, je parle toujours de cet avant-hier, c’était un instant de grâce, au sens qu’on donne aujourd’hui au mot “grâce”, c’est-à-dire un sens très chichement mesuré pour qu’il n’éveille rien d’intemporel et de transcendant. Ils y croyaient, j’en mets ma main au feu, exactement, – toujours cette image qui revient et me retient, – comme les enfants croient au Père Noël ; ils avaient les yeux pleins d’étoiles lorsque l’un d’entre eux parlait de “la République” ; et, en vérité, j’en éprouvais presque une certaine émotion, découragé du moindre jugement critique devant ce spectacle. Il y a quelque chose de sacré dans le fait de la croyance enfantine, je veux dire de complètement pur, sans aspérité aucune, ce qui interdit qu’on puisse songer un instant à s'en saisir pour en faire une évaluation critique. C’est ainsi et ce n’est pas autrement...

(Je parle de ce “sacré”-là, qui permet tant d’interprétations... « Le sacré fait signe vers ce qui est mis en dehors des choses ordinaires, banales, communes... [...] Il désigne ce qui est inaccessible, indisponible, mis hors du monde normal, et peut être objet de dévotion et de peur. »)

Voyez-vous, je reviens sur la chose dite plus haut, entre parenthèses comme si j’avais signifié que je changeai un instant de sujet, car il s’avère que ce n’est pas du tout le cas... Effectivement, au sortir de ce parcours initiatique je me sentis comme je le disais plus haut, plus que jamais dégagé de tout antagonisme vis-à-vis de ces constructions postmodernes (LGTBQ, égalité et le reste) ; au sortir dis-je, je me sentis plus que jamais dans ma singularité postmoderne à moi, je me sentis plus que jamais, complètement, exclusivement, absolument du parti des animaux.

Je suis un des leurs, j’espère qu’ils m’accueilleront... J’ai bon espoir, je sais déjà qu’ils ont décidé de ne pas débattre entre les deux formules : “Vive la forêt !”et “Nique la forêt !”. Ils s’en foutent.