“Paris-la-folle” ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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“Paris-la-folle” ?

23 juillet 2018 – Avec l’affaire Benalla se pose pour mon compte une question fort délicate : la France est-elle capable de s’offrir encore un grand scandale, une de ces choses qui donnent à la République numérotée impliquée quelque chose comme ses lettres de noblesse ? La France de Macron peut-elle s’offrir l’équivalent d’une affaire Stavisky ou d’une affaire Ben Barka, une affaire où l’enjeu est très grand et où la tragédie n’est pas loin ? (Dans les deux cas cités, il y eut mort d’homme.) Pardonnez-moi si j’hésite et retiens ma réponse mais je la sens et je la crains, la France, me semble-t-il, un peu trop légère et éparse pour ça...

J’écris ces lignes sous l’impression de la vision épisodique mais néanmoins intéressée des auditions de l’Assemblée Nationale qui nous sont offertes depuis ce matin en direct sur toutes les TV d’information, avec encore à l’esprit les images des très récentes auditions de la Chambre des Représentants aux USA où c’est surtout, justement devrais-je dire, le climat qui m’avait marqué (voir le 18 juillet 2018) :

« Une des vedettes est  l’étrange Mr. Peter Strozk, l’investigateur en chef du scandale des 30.000 courriels de la secrétaire d’État Hillary Clinton dont on a détaillé le destin.[...]Il a témoigné devant la Chambre la semaine dernière au cours d’auditions extraordinaires par  l’intensité  des  échanges, par un  désordre  (voir sur cette vidéo  03’55-04’05”) qui témoigne largement de la situation du pouvoir à “DC-la-folle”. »

Je ne veux surtout pas faire de rapprochement de situation, d’orientation politique, d’appréciation idéologique ou au contraire politicienne, de position des pouvoirs respectifs, etc. ; je ne veux surtout pas faire de rapprochement de situations des uns et des autres dans les pouvoirs respectifs, le législatif et l’exécutif, un président et l’autre, etc. ; non non, rien de tout cela... Je veux parler d’une proximité de climat alors que, dans les deux cas, ce sont des autorités constituées du Système, et encore dans le même domaine de la sécurité intérieure, qui sont en cause, face à des parlementaires réunies en commission d’enquête qui sont conduits par des événements de communication d’un brutalité inouïe à les soupçonner de manœuvres délictueuses, illégales, d’arrangements affairistes, de combinazione et d’abus de pouvoir.

Il est vrai que, si ce genre de circonstances (le spectacle télévisé des commissions d’enquête) est courant aux USA, il est extrêmement rare en France. Leur proximité se trouve donc dans cette convergence de circonstances sans rapport entre elles, plutôt fortuites dans la combinaison que j’en fais ici, mais dont il sort si vous voulez cette drôle de “perception climatique”, – phoney, pas funny, –  qui leur est commune à elles deux, – pour mon compte, bien entendu. Leur déclenchement au même moment, et alors que le cas à D.C. émerge par rapport à l’habitude par l’intensité de son climat, et alors que cette intensité est palpable à Paris où cette sorte d’occurrence est beaucoup plus rare, voilà exactement la proximité que je perçois. Cette proximité transcende et dépasse tout ce qui différencie ces deux systèmes si différents, ces puissances si incomparables, ces cas si étrangers les uns des autres, etc., – bref, tout ce qui les sépare absolument et qui, en cet instant, semble se mettre en retrait.

Cela bien compris, et accepté si l’on veut bien suivre la logique de ma perception, je laisse de côté le cas US parce qu’il n’est vraiment pas nouveau, qu’il y a longtemps que l’on parle, que je parle de “D.C.-la-folle”... Reste alors le mystère français. On a, dans tous les cas j’ai, moi, suffisamment d’amertume dans le jugement, de déconvenue, de dégoût et de mépris pour la façon dont la situation politique a évolué en France pour observer avec la plus grande méfiance l’apparition de quelque chose que l’on pourrait juger, rien que ça, comme exceptionnel... 

Je ne dis pas, certes pas ! “exceptionnel” dans le sens d’une soudaine et stupéfiante amélioration des choses, un rangement subit et magnifique, une vraie gloire retrouvée, une révolution triomphale, etc., non pas du tout. On sait depuis longtemps que je tiens pour bienfaisant et absolument vertueux tout ce qui peut accélérer d’une façon qui fait espérer un changement de nature le désordre, la confusion, parce qu’il s’agit du désordre et de la confusion du Système, de l’éclatement des simulacres comme on perce un ballon de petit enfant au bout de son fil, et que c’est cette attaque qui importe. (C’est la raison principale qui fait que l’on parle tant, sur ce site, de “D.C.-la-folle”.) Ainsi, lorsque j’écris “l’apparition de quelque chose que l’on pourrait juger, rien que ça,comme exceptionnel...” dans le cas français avec cette affaire Benalla, vous comprenez que je ne parle pas d’un mieux, mais de la possibilité d’une soudaine accélération de la confusion et du désordre.

La France, au travers de ses divers composants qui se heurtent et s’entrechoquent, Macron “l’homme nouveau”, l’opposition en désordre, les réformes et les crises chroniques, les bouleversement sociétaux, l’effondrement de sa souveraineté dans le cadre en dissolution de l’Europe, les sondages et l’opinion publique, cet insignifiant et balèze Benalla jaillissant comme tout-puissant et inspirant la terreur à toutes les hiérarchies sous la protection de Jupiter-tonnant, la France peut-elle montrer encore assez d’énergie pour se constituer en une crise majeure qui la fasse exister à nouveau ? Car il est bien entendu que l’on ne peut exister aujourd’hui que dans le pire de la “tragédie-bouffe” que nous imposent le Système et la lutte menée contre lui pour ceux qui y songent. Il me semble que c’est l’enjeu de cette crise Benalla... Cette crise, puisque crise il y a, pourrait-elle si l’on emploie un conditionnel prudentissime, par sa soudaineté, son caractère inattendu et la tension soudaine qu’elle provoque alors que l’on songeait à s’assoupir sur notre belle Coupe du Monde et sur la canicule qui ne désarme pas, soudain crever le simulacre que le Système est parvenu à tisser en inventant Macron, son triomphe, et toute la narrative qui s’est développée d’elle-même ?

Certes, la seule justification de ce rapide coup d’œil plein d’un espoir prudentissime sur les restes épars de la France se trouve bien dans l’inattendu de cette affaire, qui répond si justement aux vertus de l’Inconnaissanceet de l’Incertitude ; et puis certes, son côté exotique, sécuritaire-bidon, faux-vrai policier camouflé, barbouze au pouvoir extraordinaire, jeune homme de l’ombre pris en pleine lumière. Admettons que cela justifie de s’interroger pour savoir si l’on pourrait oser imaginer que tout cela tournât en une sorte de “Paris-la-folle”, comme il y a une “D.C.-la-folle”, une sorte de paralysie du pouvoir par le désordre de l’éclatement, l’effondrement du simulacre de la légitimité, toutes ces sortes de choses... Est-ce possible à l’occasion du cirque Benalla ? Poser la question, ce n’est certes pas y répondre... Mais il est bon, dans tous les cas pour l’instant qui passe, qu’elle puisse se poser à propos d’un simulacre de France qui paraissait, il y a encore trois ou quatre semaines, entre deux victoires de la campagne de Russie ballon au pied, complètement verrouillé.

On verra ? “C’est tout vu” répondit l’aveugle car ces gens ont un sixième sens, mais j’ignore dans quel sens il faut l’entendre. L’aveugle est le maître du simulacre et il en dispose à sa guise, aussi bien pour le constituer que pour le dissiper.