Notes sur la Longue Marche du Système

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Notes sur la Longue Marche du Système

27 avril 2017 – ... “Longue Marche” pour ce qui est de la distance, mais dans un temps-record, chaque jour davantage et sans cesse en état de contraction tant le Système fonctionne sans reprendre son souffle en mode de surpuissance qui semble n’avoir pas de limites d’utilisation jusqu’à ce que mort (autodestruction) s’ensuive. La Longue Marche est scandée à un rythme incroyable par un nombre stupéfiant de catastrophes, comme autant de sottises, ou de monstrueuses conneries si l’on veut un langage plus leste pour la détente des esprits. Dans ce domaine des catastrophes, le Système montre une imagination débordante qui mériterait qu’on lui offre comme devise une variation d’une des plus fameuses maximes du maître Audiard (« Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ») : “Le Système ça ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît”.

De la Corée du Nord à l’Afghanistan (retour sur image d’une des catastrophes les plus anciennes de la période), en passant par M(a)cron-La Rotonde, le Système caracole, si satisfait de lui-même. Plus rien ne semble pouvoir l’arrêter, plus rien ne peut l’arrêter en vérité ; sa quête et son ambition sont devenues aujourd’hui non pas la stabilité d’une hégémonie de fer pour notre enfermement, sans fin et sans faille mais au contraire le rythme, le mouvement, le spasme surpuissants et continuels dans une intention sans la moindre signification à moins que l’on s’en remette à l’équation surpuissance-autodestruction.

Bien que les affaires françaises méritent notre attention, celles de Washington D.C., avec un Trump étonnant dans ses capacités de s’adapter à la chose (la surpuissance du Système), ne la méritent pas moins et c’est à eux que nous nous attachons ici. Avec Trump prestement passé de Trump 1.0 à Trump 2.0, le Système semble avoir trouvé, non pas un serviteur-marionnette mais bien un créateur plein de zèle, qui ne cesse de s’alimenter goulûment, non pas aux pressions du Deep State mais plutôt aux charmes du Deep State auquel il paraît si sensible ; à ces charmes auxquels finalement il succombe avec tant de zèle, en en rajoutant en permanence jusqu’à faire penser parfois que c’est lui (Trump) qui est le manipulateur plutôt que la marionnette. Adam Garrie écrit, assez justement d’une certaine façon, – mais on verra plus loin qu’il nous semblerait également qu’on puisse proposer d’autres nuances : « Les conceptions de Donald Trump semble avoir été transformées moins à cause des manœuvres d’intimidation de l’“État profond” qu’à cause de la crédulité complète de Trump face [aux suggestions] de l’“État profond”. »

Au fait, il y a la guerre en Afghanistan

Arrêtons-nous d’abord dans une situation bien oubliée... On pourrait croire que le largage évidemment en fanfare de la “mère de toutes les bombes”, la MOAB, sur une montagne fameuse pour être trouée comme un gruyère et abriter l’état-major du Daesh du lieu, allait redresser la situation de la guerre en Afghanistan. On croirait finalement et plutôt à un enchaînement de cause à effet, et comme si l'on donnait ainsi l'occasion d'une riposte épouvantablement meurtrière, plutôt des talibans que de l’hypothétique et tentaculaire Daesh. Quoi qu’il en soit, quelques jours après l’énorme prout-MOAB une terrible attaque des susdits talibans contre un camp de l’armée régulière afghane a causé des pertes considérables, de l’ordre de 200 morts où l’on trouve sans doute quelques membres de la machinerie américaniste qui est de tous les échecs des forces globalistes.

Cette attaque (celle des talibans) a en effet déclenché une crise grave en Afghanistan, dans la structure-simulacre pseudo-locale mise en place à coup de $milliards par les USA pour résister et même, – ô rêveries audacieuses, – l’emporter sur les talibans ; structure-simulacre qui s’avère chaque jour davantage aussi creuse qu’un gruyère atomisé par une bomb MOAB. Le secrétaire à la défense Mattis s’est précipité en Afghanistan pour une escale imprévue dans un périple d’abord réservé à des cajoleries pour les seuls amis israéliens, tandis que différentes personnalités afghanes des forces de sécurité, dont le ministre de la défense lui-même, démissionnaient ou plutôt étaient forcés de le faire par un président afghan aux abois. Il n’est pas simple d’être une marionnette d’un maître si bombastique et si écrasant, et si extraordinairement stupide, maladroit et impuissant, que sont les USA, son Pentagon, son Deep State et tout le toutim. (On verra plus loin qu’il y a pourtant une solution, pour la larionnette s'entend...)

Du coup, bien entendu, Washington D.C. songe à une mesure révolutionnaire et qui a déjà fait ses preuves : envoyer des troupes US de renfort en Afghanistan... On ne change surtout pas une équipe qui perd, et qui perd encore, et qui perd toujours, voilà un autre axiome immuable du Système. Cette fois, on est assuré que le président Trump saura trouver les mots pour nous convaincre qu’une “force terrible”, une “invisible armada” terrestre, sont sur le pont pour transformer une guerre interminable (seize ans pour la séquence) en une blitzkrieg irrésistible pour le prime-time de la presse-Système télévisuelle devenue désormais son premier relais de communication.

Un article détaillé de WSWS.org nous donnait avant-hier une description acceptable de la catastrophique situation afghane, après 16 ans de guerre ... Nous notions en commentaire, dans la présentation de l’article :

« L’article signale que, lorsque la guerre fut lancée en 2001, “le but stratégique des USA était d’établir, après la chute de l’URSS, leur hégémonie sur les régions du Centre-Asie, qui contiennent la seconde zone de réserves et gisements pétrolifères prouvées du monde”. Après 16 ans de guerre et $800 milliards plus tard, les USA ont démontré de façon convaincante leur impuissance et leur incapacité totales à d’établir et à “sécuriser” un régime qui leur soit favorable à Kaboul, et à tenir le pays d’une façon rentable pour leurs buts stratégiques ; ce qui fait écrire d’évidence à WSWS.org que les USA, seize ans plus tard, “ne sont parvenus en rien à consolider les buts stratégiques de l’impérialisme US” tels que perçus en 2001. La Russie domine toujours et même plus que jamais la zone, avec ses richesses en sous-sol, tandis que la Chine affirme son propre rôle, en coordination avec la Russie, notamment en établissant un réseau d’oléoducs orientés vers l’Est, et non vers l’Ouest comme le prévoyait le Très-Grand-Jeu des USA.

» A tout hasard, et parce que c’est aujourd’hui l’automatisme de service, les chefs militaires US sur place ont repris à leur compte les accusations du système de la communication US à Washington, selon lesquelles ce qui se passe est “le fait de la Russie”, qui livre armes, matériels, inspirations et incantations magiques aux talibans. Le général Nicholson, qui commande les troupes US en Afghanistan n’a nullement repoussé cette hypothèse, service oblige, tandis que Mattis la développait pour son compte... »

De l’Afghanistan à la Corée du Nord

Mais non, finalement, la guerre en Afghanistan n’est pas leur tasse de thé, elle n’est plus sexy, elle date, elle fait rancie selon le mot qu’un philosophe mondain employa fameusement à propos de la France. Par contre, on conviendra qu’elle constitue une fameuse référence et, dans ce cas, un rappel convaincant d’où nous mènent les folies du Système, de la vacuité extrême de sa surpuissance, et de la production extraordinaire d’impuissance dans le développement de cette hyper-dynamique de puissance.

Passant à autre chose, voici le fameux Global Strike Command (service “je strike global” de l'USAF) qui a effectué hier 26 avril 2017 un essai pressant d’un ICBM Minuteman III, à partir de la base de Vandenberg, vers le Pacifique, – mais on vous/nous rassure : il s’agissait bien d’un « unarmed intercontinental ballistic missile (ICBM) » et « the test was planned in advance and is not connected with the situation in North Korea, and the launches happen on regular basis ». Donc, aucun rapport avec la Corée du Nord, de la même façon que le tir d’un ICBM Atlas, le 27 octobre 1962, en pleine crise de Cuba, n’avait aucun rapport avec la situation à Cuba en pleine crise des missiles, et d’ailleurs le tir était prévu depuis longtemps dans le cadre d’un programme d’essai de routine. Apprenant le tir, Kennedy avait réagi en aparté avec une lassitude furieuse, “what a sonavabitch” (à l’intention du Général Curtiss LeMay, qui avait lui-même ordonné le tir, contre les ordres du président). Cette fois, on peut être sûr que le président The-Donald ne peut être que satisfait de cette démonstration de force qui devrait épouvanter à mesure le Kim-de-Corée.

... Ou bien le tir du vieux Minuteman III (datant de la fin des années 1960) a-t-il été effectué pour donner de l’allant au cœur des sénateurs qui se sont rendus hier à la Maison-Blanche pour, croyaient-ils, s’entendre parler de la Corée du Nord. Dès qu’elle fut annoncée, cette réunion ne laissa rien présager de bon parce qu’on sait bien qu’aucun progrès diplomatique n’a été fait, qu’il est dans les intentions de la Corée du Nord d’effectuer un essai nucléaire qui devrait conduire les USA à “répondre” d’une façon ou l’autre, que la convocation du Sénat dans ces conditions ne pouvait qu’avoir l’aspect d’une séance d’information préludant ou impliquant la demande du président des pouvoirs de guerre adressé à la Haute et Auguste Assemblée.

Le colonel Lang, du site STT (Sic Transit Tyrannis) disait le 25 avril 2017 sa conviction, déjà exposée, que cette réunion avait bien à voir avec la possibilité d’un conflit nord-coréen, lui-même ayant déjà exprimé cette opinion (un conflit) pour la période mai-juin :

« All 100 senators are invited to the White House compound tomorrow for a briefing on North Korea.  This is an unusual event.  During the first Gulf War I was sent to the Congress every day to brief both houses. Notice that we went to them and not the other way ’round.  Tillerson, Mattis, McMaster, Coates are reported to be the hosts.  Some mighty skilled briefers will do the actual thing.

» Sounds to me that the senators are being prepared for a probable failure of Trumpian policy with regard to the Chinese and North Korea.   A declaration of war or an authorization for the use of military force would require a vote by both houses of congress.  So ... You can probably expect to see a lot of members of the House of Representatives visiting the White House soon if that has not already occurred.

» The Carl Vinson battle group will be in Korean waters in a few days.  USS Michigan, a cruise missile shooting submarine is in Busan, South Korea for R&R and re-vittling.  As I have written there is the availability of two additional carrier battle groups in early June.  This is all shaping up nicely if you are an armchair field marshal or fleet admiral. »

De la perspective-WWIII à la perspective-business-as-usual

... Et puis non, pas du tout ! Surprise, la réunion de la Maison-Blanche, à laquelle Trump n’assistait pas parce qu’il a d’autres occupations, a accouché d’une souris maigrelette. La politique US en la matière, passe de la perspective-WWIII à la perspective business-as-usual avec une rapidité qui laisse pantois et en dit long sur le moral des comploteurs et sur la puissance de leur vision stratégique. Un communiqué Tillerson-Mattis nous annonce que la décision solennelle a été prise, lors de cette considérable réunion, de continuer exactement comme avant : politique de sanctions-pressions, de dénonciations scandalisées, du “je t’ai à l’œil mauvais sujet” (pour Kim-de-Corée), une politique déjà vieille de trois décennies. Antienne quasiment religieuse : “Retenons-nous ou je fais un malheur”.

Alexander Mercouris commente selon son interprétation qui nous semble optimiste cette nième version du “plus ça change, plus c’est la même chose”, dans son texte de ce 27 avril 2017 :

«...Certainly there is no suggestion here of military action in response to North Korean ballistic missile or nuclear tests, much less of pre-emptive military action to prevent such tests, and the statement suggests that those options, if they were ever seriously considered, have now been ruled out. Though the statement says that “past efforts have failed to halt North Korea’s unlawful weapons programs and nuclear and ballistic missiles tests”, what it proposes – “pressure [on] North Korea ….by tightening economic sanctions and pursuing diplomatic measures with our Allies and regional partners” – is the same policy pursued by previous US administrations.

» Either wiser counsels have prevailed, and President Trump has been talked out of whatever dangerous military action against North Korea he had planned, or the various threats and military moves of the last few weeks were never intended seriously, and were just a bluff.  If so, then as discussed previously, the bluff was called on Sunday, when China’s President Xi Jinping telephoned President Trump and warned him that China would not change its policy because of US threats. The extent of the failure of the attempts to bluff China into taking tougher action against North Korea is illustrated by one telling fact: the statement does not even mention China – much less make demands of it – even though China has been the centre-piece of the diplomacy for weeks.

» Whatever the truth of the matter President Trump has acted wisely if, as appears to be the case, he has pulled back from military action. If he was bluffing – and that has to be by far the most likely explanation for his actions – then his bluff has been called, and he has been taught an important lesson, which is that with China one should never bluff.

» Hopefully he will learn that lesson, and act on it in future. »

Swing entre Trump 1.0 et Trump 2.0

“Espérons qu’il [Trump] retiendra la leçon et agira en conséquence dans le futur” ? Trump, l’homme-téléréalité, retenir une “leçon de sagesse”, sinon concevoir même l’idée de sagesse ? Cela nous laisse sceptique... Au reste, on voudra bien noter combien il est remarquable et fort inhabituel qu’une décision de cette pseudo-importance soit signée et authentifiée par un communiqué commun de deux ministres, et non par le président lui-même.

Cela signifie ce qu’on voudra : que le Deep State, qui est aujourd’hui contraint de retenir Trump plutôt que de le convertir aux charmes de la guerre, a décidé de freiner ? Que Trump, de toutes les façons, a l’esprit ailleurs et vient d’oublier la Corée du Nord qui-menace-la-civilisation, puisqu’il veut faire passer devant le Congrès des initiatives intérieures importantes (sa réforme fiscale, éventuellement une resucée de l’Obamacare-relookée) ? Par ailleurs, il travaille, Trump, à swinguer entre un retour temporaire à Trump 1.0 d’abord, et une confirmation de Trump 2.0 ensuite, en faisant laisser dire qu’il a décidé de liquider NAFTA, et en disant quelques heures plus tard à ses amis canadiens et mexicains que la liquidation de NAFTA n’est pas à l’ordre du jour. En même temps circulent des bruits selon lesquels le fameux mur américano-mexicain qui bouleversa tant d’âmes fragiles et sensibles, on verra bien si on le fait ou pas. Gringo, qué pasa ?

L’armée russe en campagne (syrienne) ?

Ce brutal tournant vers l’apaisement ne nous convainc pas plus que la tension des derniers jours pour ce qui concerne la Corée du Nord (comprenant certes que la phase de pseudo-tension a un aspect beaucoup plus volatile que celle du pseudo-apaisement et, par définition, peut mener plus directement et décisivement à la guerre). Par exemple, que vont faire le Deep State et le volcanique Trump si, demain, Kim-de-Corée effectue tout de même son essai nucléaire comme il nous en a déjà informé de l’extrême possibilité ? Accepteront-ils de perdre la face sans rugir face à cet épouvantable et dérisoire Kim-de-Corée ? La pression de la communication, – presseSystème, “experts” en conflits bâclés, parlementaires ultra-bellicistes, – leur laisseront-ils un autre choix que d’annoncer qu’ils vont agir, et frapper fort ?

Ou bien, autre exemple qui nous permet de zapper d’une zone de conflit à l’autre et d’étendre à mesure l’extension considérable de la Longue Marche, “que vont faire le Deep State et le volcanique Trump” si demain la Russie effectuait réellement ce que l’on annonce ici et là, à savoir le déploiement d’unités terrestres en Russie ? En effet, c’est un des plus récents “bruits de couloir” en vogue, que celui de l’annonce de la possibilité d’un déploiement d’unités importantes de l’armée russe (une division aéroportée de la Garde et un bataillon Spetsnaz). Le site STT a donné des précisions détaillées à la fois sur les structures de cette possible intervention, sur ses causes et son application probables. Le colonel Lang lui-même s’y est mis, ce même 25 avril 2017, avec les réserves d’usage bien entendu, – tant, dans cette époque volatile, la communication est un gigantesque jeu de casino où l’on perd souvent mais où parfois l’on touche un énorme banco...

« There are rumors about that Russia will respond favorably to an expected SAG request for Russian ground troops.  If this is true then a couple of things are probably correct; 1- The Russians have decided that they are dealing with an unstable commodity in the occupant of the White House and that they need to present DT with a fait accompli in Syria as soon as possible to reduce the chance of further misadventure resembling the apparently erratic decision to attack the Syrian air base at Shayrat in "reprisal."  2.  They may feel assured that introduction of their ground forces will not provoke another erratic response.  Are they expecting that the US will be too pre-occupied elsewhere (like Korea) to interfere?  That could be or it could be that the rumor of ground force intervention is simply press imagination or disinformatsya. »

Gardons donc cette possibilité syrienne au chaud, prête à jaillir peut-être, car il est préférable d’avoir plusieurs crises aux feux pour ne pas perdre le rythme de la Longue Marche...

La marionnette qui manipulait son manipulateur

Quoi qu’il en soit, toute cette situation, ou les divers aspects de cette situation impliquant les USA-Système en situation chaotique de surpuissance, restent toujours aussi dépendantes d’un personnage peu commun, qui est le président Trump. On a vu plus haut ce qu’Adam Garrie dit de Trump tel qu’il est devenu, Trump 2.0 en mode-turbo (« Les conceptions de Donald Trump semble avoir été transformées moins à cause des manœuvres d’intimidation de l’“État profond” qu’à cause de la crédulité complète de Trump face [aux suggestions] de l’“État profond” »). Le titre de son article est « Dr. Strange-Trump or How I learned to stop swamp draining and love the deep state » (“Dr. Fol-Trump, ou comment j’ai appris à ne plus drainer les cloaques et à aimer l’État profond”), – avec évidemment l’analogie du Strangelove de Kubrick, ou « How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb ».

Effectivement, l’analogie est excellente, d’autant que le titre de Kubrick ne s’adresse pas tant à un personnage du film qu’à lui-même, un Kubrick caricaturé-paradoxal qui, imitant tous les fous qui l’entoure, déciderait d’arrêter de trop penser-critique et finalement d’adorer la Bombe comme ils font tous. Mais il est moins question de “crédulité” que de désintérêt pour toute forme de responsabilité, de pensée critique profonde, etc., pour effectivement en arriver à ce personnage-téléréalité qu’est ce Trump que nous avons essayé de décrire : plutôt que croire à n’importe quoi de ce qu’on lui dit (crédulité), ne croire à rien du tout et prendre ce qui vient en fonction de l’effet de communication du Big Now (applaudissements, éditos fleuris du WaPo et du NYT, beautés affriolantes de CNN évoquant la chevelure sublime du président, etc.).

C’est dire, en tentant de redevenir sérieux, combien Trump (1.0 comme 2.0 mais 2.0 encore plus que 1.0), même considéré rationnellement comme “dompté” par le Système sinon prisonnier du Système via l’État profond, est en réalité, parce que totalement irrationnel, un élément volatile, insaisissable, extrêmement difficile à contrôler jusqu'au retournement de situation. C’est la “théorie de la marionnette” de Wallerstein, jusqu’alors appliquée aux “marionnettes” des USA (le pionnier de la chose fut le président afghan Karzaï), cette fois appliquée au président des USA lui-même, ultime marionnette des USA, – lorsque la marionnette devient manipulatrice, consciente ou non peu importe, de ceux qui la manipulent.

Dans un texte du 24 mai 2014, nous citions une analyse du philosophe Immanuel Wallerstein sur l’inversion de la situation faisant que les “marionnettes” manipulées par le Système (les USA, les élites-Système, le Deep State, l’establishment, etc.) se retournaient contre leurs manipulateurs pour les manipuler, à cause des maladresses et erreurs colossales du Système et du maniement obscène de sa propre surpuissance :« This seems to me a fantastic misreading of the realities of our current situation, which is one of extended chaos as a result of the structural crisis of our modern world-system. I do not think that the elites are any longer succeeding in manipulating their low-level followers. I think the low-level followers are defying the elites, doing their own thing, and trying to manipulate the elites. This is indeed something new. It is a bottom-up rather than a top-down politics... » Avec Trump, nous en sommes au cas extrême où la manipulé est à la tête de la puissance manipulatrice qui le manipulerait lui-même également, et qu’il parvient lui-même à manipuler inconsciemment par ses foucades, ses inconsistances, ses initiatives incongrues, son style bombastique et ses annonces folles et déstabilisantes...

Macron ? Le personnel n’est plus ce qu’il était

Cela nous ramène un instant à la situation française qui, à notre sens, reste de plus en plus marqué par l’extraordinaire absence de substance, sinon absence d’être tout court, du candidat déjà-président Macron. Là également, il y a un jeu qui ressemblerait à cette relation retournée et invertie manipulateur-manipulé. Macron évidemment marionnette manipulée par le Système, devenant malgré sa stratégie “voudrait-bien-faire”, par ses erreurs, ses emportements, ses excès de rage enflammée et ses propos si extraordinirement, si surhumainement vides, le manipulateur évidemment inconscient de ses maîtres en précipitant l’ensemble vers une situation inconnue, incompréhensible et pleine de prolongements extraordinaires. (En passant : ainsi aurions-nous une occurrence de plus de l’excellent état des liens qui nous tiennent serrés [nous, la France] à nos grands “amis américains”.)

Ce qu’écrit PhG mardi dans son Journal-dde.crisis rejoint le constat fait ici sur Trump, comme lui-même (PhG) le fait sur Macron (qu’il s’entête à décrire en état de “Micron”) comme président-prospectif et déjà-président de la République française ; il s’agit bien de l’extrême médiocrité et de l’extrême volatilité du personnel de direction... « C’est vrai et c’est de plus en plus vrai, le problème du Système c’est bien que le personnel, celui des directions-Système, n’est plus ce qu’il était... [...] Cette pénurie de personnel qualifié au cœur même de ce triomphe du Système, c’est peut-être bien cela qui est la clef, le code postmoderne de la formule de son autodestruction. Le sapiens a toujours un rôle à tenir, jamais vraiment en chômage... »

Comment envisager une si Longue Marche, celle du Système, à cette vitesse éclair de sa surpuissance, sans craindre un écart ou une gaffe irréparables ? C’est une sorte de principe des vases communicants : au plus le Système développe en hurlant sa surpuissance, et Dieu sait qu’il ne se gêne pas, au plus les serviteurs qu’il se choisit sont stupides, baroques et bombastiques, imprévisibles et incontrôlables, enfantins, irresponsables et inconscients. Ainsi tenons-nous peut-être, répétons-le, le secret de la transmutation magique de la surpuissance en autodestruction (« le code postmoderne de la formule de son autodestruction »).