MbS Must Go !

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“[Assad] MbS Must Go !

Il faut parvenir à imaginer comment on serait parvenu à imaginer ceci, disons en 2013 lorsque tout le monde s’époumonerait “Assad Must Go !”, qu’on en viendrait à entendre dans les mêmes cénacles, de la même voix, “MbS Must Go !” (MbS, Mohamed ben Salman, le Jeune Prince brillant et réformiste d’Arabie Saoudite, chanté par tous les organes-Système il y a encore trois mois) ; et il faut imaginer encore plus, qu’on serait parvenu à imaginer cette imprécation de la bouche d’un Lindsay Graham qui faisait la paire avec McCain pour étendre partout l’incendie de la politiqueSystème dont l’Arabie fut toujours fermement partie prenante et tant acclamée pour cela... Bref, et pour répéter le constat de cette extraordinaire situation, imaginer qu’on aurait pu imaginer qu’en 2018 le susdit Graham en viendrait, alors qu’il disait en 2013 “Assad Must Go !”, à s’écrier aujourd’hui, ou plutôt hier sur FoxNews : “MbSMust Go !”... (Ou plus exactement, mais vous admettrez que c’est vraiment la même chose : “That guy's got to go !”, alors qu’Assad est toujours en place...)

(Nous pensons que, McCain encore vivant, Graham n’aurait pas été aussi loin. McCain, – corrompu mais pas plus que les autres, – était le meneur de la politiqueSystème au Congrès, et son extrême stupidité, sa pensée de brute primaire [type-Brennan, ex-directeur de la CIA et architecte-en-chef des coups d’État de l’État profond], sa complète naïveté paradoxale [paradoxe d’apparence] face aux manipulations dont il était évidemment l’objet, avaient établi sur le Congrès un empire, – rien de plus solide par les temps actuels, que l’empire de la sottise,– auquel un Graham, moins borné et plus finaud, n’aurait pu résister. McCain parti grimé en Saint-John-McCain, la sottise bien que toujours présente est aujourd’hui sans porte-voix de la communication, châtrée en quelque sorte, et Graham retrouve une certaine liberté d’action.)

C’est une révolution dans l’esprit et dans la lettre, mais il n’y a que ça en ce moment, des révolutions. C’est le même Graham qui, il y a trois semaines, soutenait au Sénat l’homme de Trump pour la Cour Suprême et dénonçait avec quelle vigueur les démocrates-Système, fauteurs de guerre, neocons, etc., dont il était du temps de McCain l’allié inconditionnel. Et Graham n’est pas une exception tournée folle par rapport aux consignes du Système, c’est un exemple, un symptôme et un symbole du tourbillon crisique qui atteint à “D.C.-la-folle” une accélération formidable en mélangeant toutes les étiquettes.

Le colonel Pat Lang avait écrit, il y a quelques jours, avec une réelle lucidité : « Je ne pense pas que Trump puisse espérer que l’affaire Khashoggi disparaisse d’elle-même des gros titres. La répugnance croissante du Congrès à l'égard de la guerre au Yémen continuera de susciter une tension constante, de même pour les médias qui ont perdu l’un des leurs [Khashoggi, collaborateur du Washington Post]. Ajoutez à cela la blessure encore non guérie du 11-septembre. En mars dernier, un juge de la Cour de district américaine de Manhattan a déclaré que les poursuites judiciaires des victimes du 11 septembre contre l'Arabie saoudite en vertu de la loi relative à la justice contre les terroristes du terrorisme (JASTA) étaient en cours et seraient poursuivies. C'est un très mauvais moment pour MbS et le reste de la famille royale... »

Effectivement, que cela plaise ou non à Trump qui voudrait tant un arrangement à l’amiable avec MbS, le Congrès a démarré en trombe et il n’est pas seulement question de Graham. Encore plus, ce sont les républicains (dont Graham fait partie, certes) qui soutiennent en principe le président, qui sont en pointe dans cette offensive. (Mais ils seront très probablement soutenus par les démocrates, ce qui donne une idée de l’importance du Congrès dans cette bataille.)

ZeroHedge.com rapporte cette évolution des républicains du Sénat, c’est-à-dire de l’assemblée qui détient le pouvoir de décréter des sanctions. Trump pourrait opposer un veto si une telle décision était prise, mais dans une position si délicate qu’il hésiterait fortement sans doute avant de le faire : dans une telle hypothèse, il semblerait aisé de réunir les deux-tiers des 2/3 des voix du Sénat requises pour repousser le veto et infliger une défaite cinglante au président. 

« Mais après avoir appris que le Royaume s'apprêtait à reconnaître son rôle dans la mort de Khashoggi (narrative officielle : Khashoggi a été tué lors d'un interrogatoire par des exécuteurs hors de tout contrôle), les législateurs républicains intensifient leur discours contre le royaume, avec plusieurs dirigeants républicains au Sénat affirmant [hier] mardi que cette assemblée pourrait sanctionner l'Arabie saoudite, selon une politique qui devrait largement être soutenue par les législateurs libéraux [démocrates].Suivant l’hypothèse selon laquelle les républicains pourraient imposer des sanctions à l'Arabie saoudite par le biais de la loi Magnitski, la loi controversée adoptée pour permettre aux États-Unis de punir plus facilement les responsables russes pour les violations présumées des droits humains, [le chef de la majorité républicaine au Sénat] Mitch McConnell a ouvert la porte à cette possibilité, affirmant que “cela pourrait bien être la voie choisie”.

» “Je ne peux pas imaginer qu’il n’y aura pas de réaction [à l’affaire Khashoggi] mais je pense que nous devons savoir d’abord ce qui s'est passé”, a-t-il déclaré à Bloomberg. “Cela pourrait bien conduire à une décision de sanction selon la loi Magnitsky”.

» [Le sénateur républicain] Marco Rubio est celui qui exige avec la plus grande fermeté que les États-Unis envisagent de mettre fin aux ventes d'armes au Royaume. [...] Lors d'une récente interview sur CNN, Rubio a affirmé que, si Trump ne punissait pas l'Arabie saoudite (en supposant que l’assassinat soit confirmé), “il y aura une très forte réaction du Congrès”. Rubio a ajouté qu'il avait déjà demandé l'ouverture d'une enquête dans le cadre de la loi Magnitsky, ce qui signifie que les individus impliqués dans le meurtre seraient sanctionnés. »

Autre élément qui modifie complètement le jeu à Washington, brouille les étiquettes et accentue la confusion, l’attitude de la presseSystème, et particulièrement du Washington Post , intéressé au premier chef dans la mesure où Khashoggi publiait dans ses colonnes. On voit ainsi le colonel Lang, pourtant adversaire de tout ce qui se rattache à l’establishmentféliciter pour une foisle quotidien et son propriétaire Jeff Bezos, homme classé “le plus riche du monde“ dans l’actuelle compétition, propriétaire d’Amazon.com et grand ami de la CIA : « Encore une fois, je ne suis pas un grand fan de Bezos ou de son blog, mais deux jours de suite, ils ont imprimé des avis que je partage. Quelque chose a changé pour lui. Ce jugement est une des marques remarquable d’intelligence par rapport au jugement stupide qui triomphe dans les médias américains, selon lequel l’Arabie saoudite est un allié fidèle et indispensable des États-Unis au Moyen-Orient. Bezos le conteste et il en est de même pour moi. »

Le jugement en question porte notamment sur les achats d’armes de l’Arabie, qui est le principal argument de Trump pour conserver des liens étroits avec l’Arabie et ne pas (trop) réagir à l’affaire Khashoggi. Ainsi le Post écrit-il à ce propos dans son éditorial d’hier, mettant en évidence une des caractéristiques des Saoudiens, qui promettent souvent de passer des commandes mirifiques mais finissent finalement par les réduire à des proportions beaucoup moins impressionnantes, – mais aussi, ô nouveauté inattendue et surprise divine, condamnant au passage la “campagne sanglante” de l’Arabie contre le Yémen :   

« En ce qui concerne les ventes d'armes, quelqu’un devrait informer M. Trump des résultats concrets des promesses qui lui ont été faites lors de sa visite à Riyad l'année dernière. Comme le résume Bruce Riedel de la Brookings Institution, “les Saoudiens n'ont conclu aucun accord majeur sur les armement avec Washington depuis l’arrivée de Trump.” Plus encore, une cessation des livraisons de pièces détachées et matériels de soutien US à l’Arabie, une chose à laquelle les Russes ne peuvent suppléer, clouerait rapidement l’aviation saoudienne au sol. Cela aurait l’effet bienvenu de faire cesser la campagne sanglante menée contre le Yémen, qu’une enquête de l’ONU a décrite comme probable responsable de crimes de guerre. »

On voit combien on se trouve de plus en plus entrainés dans le tourbillon crisique qui implique une extraordinaire valse des étiquettes entre Système et antiSystème. L’affaire Khashoggi a pris comme un incendie prend dans une forêt méditerranéenne frappée par la sécheresse, lorsqu’une cigarette allumée tombe par hasard dans l’herbe sèche. Il est assez difficile d’expliquer l’ampleur extraordinaire qu’a pris cette affaire en moins d’une semaine, balayant tous les préjugés colossaux sur la soi-disant indispensabilité de l’alliance saoudienne ; mais on voit que cette pente irrésistible est maintenant dévalée de tous les côtés, y compris par les plus bellicistes habituels, et sans prendre garde aux intérêts du malheureux Israël et à l’horreur suprême de l’Iran. 

L’argument essentiel, et nous pensons qu’il s’agit bien d’un facteur de cette sorte, nous voulons dire de cette sorte dérisoire, est l’“image” de moralité, ou de moraline, à laquelle tiennent tant les honorables parlementaires. Cela avait été immédiatement dit par Marco Rubio, l’un des plus limités et des plus réputés-neocons parmi les sénateurs, montrant par-là que la qualification intellectuelle, la conviction de l’engagement, la fermeté réaliste des intérêts de sécurité nationale, et aussi la reconnaissance pour les donateurs généreux, ne dépassent pas le sort des étiquettes qu’un peu de vent emporte et qu’on peut donc changer à volonté : « Le simple fait d'être allié dans une mission importante, qui restreint l'expansion iranienne dans la région, ne peut nous permettre de négliger ou de nous laver les mains de cela [de l’assassinat éventuel de Khashoggi].  Cela compromettrait notre capacité à défendre la moralité et les droits de l'homme dans le monde entier. »

Nous ne nous plaindrons pas de cette volatilité extraordinaire du jugement, de cette fragilité presque pathologique de la conviction, de cette complète inconsistance de caractère, qui font de guerriers insatiables du Système, en un tournemain des auxiliaires emportés de l’antiSystème. (Puisque, décidément, c’est de cette façon qu’il faut classifier les événements en cours entre “D.C.-la-folle” et Ryad, qui sont en train de mettre en grave danger l’axe de la politiqueSystème dans la région, arc-bouté notamment sur l’alliance USA-Arabie.) 

Quant à Trump, il est dans ce cas, évidemment du côté du Système et de la quincaillerie de la bande du Complexe Militaro-Industriel, avec ses réflexes de businessman à super-courte vue. Qu’importe, il n’est pas inutile qu’il soit dans cette position, il sert au moins à entretenir le désordre en tenant une position qui, pour le moment, exacerbe la vindicte du Congrès sans que lui-même puisse trop délibérément lutter contre elle ; d’autre part, c’est grâce à lui que la possible rupture qui menace a cette ampleur, cette puissance de communication, parce qu’il s’est jeté dans les bras de MbS, guidé par son gendre Jared aux bons soins des publicistes israéliens... Tout cela fait désordre et Trump est bien là pour ça, pour le désordre...

 

Mis enb ligne le 17 octobre 2018 à 11H03