L’Iran, du S-300 au Su-30

Bloc-Notes

   Forum

Il y a 2 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1028

L’Iran, du S-300 au Su-30

Il apparaît de plus en plus évident que l’Iran est en train d’engager un tournant stratégique décisif au niveau de ses équipements militaires vers la Russie, impliquant une intégration stratégique avec ce pays (la Russie) prolongé à ses propres partenaires stratégiques (la Chine principalement, l’Inde éventuellement, etc.– c’est-à-dire en élargissant, le bloc BRICS/OCS). La chose n’était pas évidente dans la perspective des deux dernières décennies, malgré les proximités stratégiques des intérêts des deux puissances. Le régime de sanctions contre l’Iran durant ces deux dernières décennies empêchait d’aborder ce problème de façon claire et précise, puisqu’il se plaçait dans le cadre d’une résolution de l’ONU interdisant la livraison d’armes non-défensives à l’Iran ; il y eut d’ailleurs une longue querelle entre l’Iran et a Russie à propos d’une commande du système sol-air S-300 passée par Iran en 2007 et en partie payée à la Russie, puis dénoncée unilatéralement par la Russie, cela entraînant une action juridique de l’Iran, puis enfin réactivée par la même Russie ; ce changement d'attitude et l'évolution des rapports entre les deux pays tenant d’une part la polarisation des affrontement (en Ukraine et en Syrie), et la complète libération de l’Iran du régime des sanctions. Bien qu’une grande discrétion ait entouré dès l’origine ce marché extrêmement complexe et assez rocambolesque pour des causes diverses (dont la communication), il semble que la livraisons de tous les systèmes S-300 commandés sera effectuée complètement durant la première moitié de cette année, d’ici juillet ; actuellement, des équipes iraniennes sont en écolage en Russie pour prendre en main le contrôle et l’opérationnalisation de ces systèmes S-300 qui sont d’une version modernisée.

La nouveauté qu’on signale ici est l’annonce par le ministre iranien de la défense Dehghan, en visite le 16 février à Moscou, de sa volonté d’explorer la possibilité de l’acquisition de S-400, en plus des S-300, et, surtout, d’entamer un rééquipement de la force aérienne iranienne, qui est très vieillie essentiellement avec des avions US de l’époque du Shah et donc datant des années 1960-1970 (quelques F-14, des F-4 et des F-5), en acquérant des avions de combat russes avancés, à commencer par des Soukhoi Su-30. Des achats d'autres systèmes russes, notamment navals, sont envisagés. Cela signifie que les Iraniens, qui avaient amorcé un mouvement d’autarcie dans l’équipement militaire à cause des sanctions, décident de diversifier largement leur équipement en se tournant vers un fournisseur extérieur mesurée exactement d’un point de vue politique, cette démarche se faisant dans le cadre de la structuration stratégique fondamentale avec la Russie signalée plus haut et en constituant l'un des principaux matériaux.

On cite ici un texte de Sputnik-français du 16 février, donnant (sous le titre (« Des Su-30 russes pour l’Iran, un nouvel équilibre stratégique au Proche-Orient ? ») une recension résumée d’un texte de The National Interest de Dave Majumdar (« The Middle East's Nightmare: Iran is Buying Russia's Lethal Su-30 »), du 15 février.

« Selon la déclaration d'un représentant du ministère iranien de la Défense citée par The National Interest, M. Dehghan évoquera l'achat possible des chasseurs Su-30 dont les forces aériennes iraniennes ont besoin, du point de vue du ministère. Le responsable a également souligné que les négociations étaient déjà dans un état avancé, et le contrat pourrait donc être signé lors de la visite de M. Dehghan.

» Il est probable que l'Iran ait besoin de l'une des versions avancées, semblable aux avions que l'Inde, la Malaysia, l'Algérie et la Russie ont à leur disposition, estime The National Interest. Le pays pourrait choisir le chasseur Su-30M2. L'achat des avions dans cette version ne serait pas trop cher ce qui pourrait être une décision logique au regard de la situation économique actuelle de Téhéran.

» Selon ‘The National Interest’, il est très probable que l'Iran ne se limite pas à des achats d'armes finies, car il est également intéressé à signer des contrats portant sur des transferts de technologies pour la production des avions. “L'existence d'une version du Su-30 [équipant l’aviation militaire] de l'Iran augmentera considérablement le potentiel de [ses] forces aériennes qui sont actuellement composées pour la plupart par des anciens modèles de productions américaine, chinoise et russe”, souligne The National Interest. »

Un raccourci notable du système de communication fait que l’article de Sputnik-français cite The National Interest, lequel cite un autre article de Sputnik du 11 février annonçant la visite du ministre iranien de la défense et mentionnant, sans autre commentaire, des négociations pour l’achat de Su-30. A noter enfin, toujours pour ce qui est l’aspect de la communication dans cette affaire, que, selon Sputnik-français à nouveau [le 16 février], le journal russe Kommersant de ce même jour envisage des achats encore plus larges, parlant d’un premier investissement iranien de $8 milliards (étant entendu que les S-300 commandés en 2007 ont déjà été payés, ce qui fut justement l’objet de la querelle juridique entre l’Iran et la Russie dans les années 2009-2013)  :

« La partie iranienne est intéressée par l'achat d'avions de combat Su-30SM, d'avions d'entraînement Yak-130, d'hélicoptères de séries Mi-8 et Mi-17, de complexes de missiles de défense “Bastion” équipés de missiles anti-navires supersoniques “Yakhont”, de navires de surface de classe frégate, de sous-marins [à propulsion conventionnelle] ainsi que d'autres types d'équipements. »

Il est extrêmement difficile de fixer précisément ce que l’Iran va et peut acheter à la Russie, en fonction de ses capacités budgétaires et des contraintes qui pèsent encore sur ce pays du fait de la résolution de l’ONU. Mais certaines indications montrent bien que l’Iran entend considérer, directement ou par quelque biais d’une argutie juridique sur la caractérisation des systèmes (offensifs ou défensifs), qu’il se trouve quitte des contraintes internationales depuis l’accord sur le nucléaire. Les Russes semblent effectivement prêts à suivre cette conception. Tout cela, du point de vue de la communication, fait effectivement penser à un grand acte de structuration stratégique entre la Russie et l’Iran, tant l’équipement en systèmes militaires de cette complexité et le nombre de transferts envisagés créent une proximité stratégique de type technologique et militaire qui ne peut se concevoir que dans un cadre politique approprié. On ajoutera bien entendu que ce cadre est d’ores et déjà puissamment en place avec la situation en Syrie où il existe une alliance très active et très efficace entre la Syrie et l’Iran : alliance opérationnelle et politique (soutien à Assad) qui rend évidente l’idée qu’on se trouve dans un cadre stratégique fondamental.

Selon la pensée commune (disons pensée-Système), ce n’était pourtant nullement évident, car il était au contraire évident à cette forme d’esprit que l’Iran ayant signé l’accord nucléaire ne pourrait et ne songerait à rien faire d’autre, pour son propre intérêt et parce que la perspective est irrésistible et fascinatoire, que de se tourner vers le bloc-BAO sous la forme bien connue de la ‘“communauté internationale” ; bref l’Iran-barbarie des années passées depuis 1979 et plus précisément pour la séquence depuis 2005 ne pourrait vouloir rien d’autre que se précipiter dans la place qu’on lui accorderait avec magnanimité au sein de la “communauté internationale” (ditto, bloc-BAO). Certes, nous n’avons jamais pensé que ce développement soit seulement possible et que tout rapprocherait l’Iran de la Russie, mais certains y ont vraiment pensé du côté du bloc-BAO et toutes les élites-Système y ont cru conformément aux consignes (en ajoutant bien entendu, Post-Scriptum obligatoire, que l’Iran se démocratiserait nécessairement à la sauce-Système dans le processus) .

Cela bien compris et dès l’accord nucléaire signé, l’entreprise de déstructuration de la possible restructuration des relations entre l’Iran et le bloc-BAO commença. (Le bloc-BAO est tellement enivré et intoxiqué de ses visions déterministes-narrativistes qu’il parvient à à déstructurer par avance ce qu’il affirme être une structuration irrésistible en voie de constitution.) Il est très difficile de penser que l’Iran puisse songer à s’intégrer dans cette pseudo-“communauté internationale” en papier-mâché alors que l’accord nucléaire est constamment mis en cause par une partie importante du pouvoir washingtonien sous la pression robotique et orwellienne des centres de pression israéliens, et alors que la politique du bloc se déploie avec l’absurdité et le désordre qu’on voit en Syrie, favorisant implicitement et explicitement tous les terrorismes djihadistes qui haïssent l’Iran, faisant la part belle à la pourriture saoudienne qui ne survit que par son obsession iranienne et ainsi de suite.

Il n’est nullement évident que l’alignement stratégique Russie-Iran qui nous paraît inéluctable pour toutes les raisons détaillées soit facile à faire, du point de vue des équipements militaires et de la coordination qui va avec, notamment pour des raisons budgétaires et à cause de l’âpreté des deux pays à défendre leurs intérêts dans ce genre de transaction. Mais le système de la communication, avec sa puissance formidable aujourd’hui, est d’ores et déjà orienté dans ce sens, et l’article de The National Interest, signé par un spécialiste respecté des questions militaro-stratégiques, est une indication péremptoire à cet égard. On peut être sûr que, dans les semaines et les mois qui vont suivre, une vaste campagne va être lancée, à la fois de bobards divers sur des acquisitions massives d’armements russes également divers par l’Iran, à la fois de mise en évidence du terrible danger qui est ainsi en train de s’affirmer à très grande vitesse, tout cela avec le soutien de prises de position officielles essentiellement US et avec la poussée israélienne, dans ce sens. (De ce point de vue, l’aveuglement de l’équipe Netanyahou est également complet : l’obsession iranienne de cette équipe se heurte de plus en plus violemment à un courant de la communauté israélienne militaire et du renseignement, qui considère que l’Iran n’est pas un danger existentiel pour Israël, que le danger existentiel est la déstabilisation complète de la région avec le terrorisme qui va avec, à laquelle d’ailleurs l’équipe Netanyahou a largement contribué.)

Le résultat sera évidemment, comme toujours avec l’effet-Janus du système de la communication qui implique un aveuglement extraordinaire du bloc-BAO, d’effectivement appliquer une pression constante et très forte, évidemment à la fois involontaire et irresponsable, sur les deux pays (Russie et Iran) pour qu’ils fassent tous leurs efforts pour concrétiser cette intégration stratégique. La situation apparaîtra très vite évidente à cet égard : les deux pays auront contre eux l’effet de communication de la dénonciation-BAO d’un alignement non encore fait et il deviendra effectivement évident qu’il faut progresser le plus vite possible pour en avoir au moins les avantages, – c’est-à-dire la concrétisation de cet alignement...

Ce n’est pas une prospective, encore moins une prédiction que nous faisons là. Il s’agit tout simplement de prendre en compte l’évidente surpuissante et l’évidente stupidité du Système dans ses activités où il recommence éternellement, – s’il est question d’éternité, – les mêmes catastrophiques erreurs. L’ancien ambassadeur britannique à Damas, Peter Ford, compare la politique britannique en Syrie à un “chien qui revient manger ce qu’il a vomi” (« He described Britain's actions in the Middle East like “a dog returning to vomit” »), selon le proverbe “comme un chien revient manger son vomi, un imbécile répète toujours la même folie” (« As a dog returns to his vomit, so a fool repeats his folly »). Même chose pour l’activité du Système vis-à-vis de l’Iran, vis-à-vis des liens Iran-Russie, etc., vis-à-vis de tout finalement, dès lors que se manifeste l’activité-Système ; mais le proverbe n’est pas à prendre à la lettre, car le chien a par ailleurs des vertus tellement honorables et nobles qu’il n’est pas question une seconde de le laisser sur le même plan que le Système.

 

Mis en ligne le 18 février 2016 à 09H54